Texte intégral
Lettre du 31 mai 1999
La libération des trois soldats américains par Belgrade, le retrait supposé de l'armée et de la police yougoslaves ainsi que l'activisme de la diplomatie russe sont perçus comme des signes annonciateurs de la paix au Kosovo. Parce que l'espoir anime la volonté et l'action, il faut bien entendu rester optimiste. Toutefois, lorsque l'on se rend sur place, la réalité, celle qui ne passe pas par la loupe des médias ou entre les mains d'une manipulation, invite à la prudence. Sans entrer au Kosovo, les indices que l'on peut recueillir en Albanie et en Macédoine, démontrent à quel point la crise, même si elle venait à être réglée plus rapidement que prévu, laissera des séquelles difficiles à effacer. L'afflux des réfugiés a créé une certaine tension entre la Macédoine et l'Albanie, les deux pays connaissant des difficultés économiques que la crise du Kosovo n'a fait qu'amplifier. En Macédoine, l'arrivée des réfugiés représente d'ores-et-déjà un accroissement de plus de 12 % de la population macédonienne. Craignant un déséquilibre interethnique, les autorités de Skopje souhaitent le départ des réfugiés vers d'autres pays et attendent de la communauté internationale une aide plus importante. S'agissant de l'Albanie, la situation n'est plus celle que l'on a pu apprécier au début du conflit et qui laissait apparaître un accueil fraternel des réfugiés kosovars. De nombreux Albanais, touchés par la misère, regardent d'un oeil envieux le sort matériel qui est réservé aux Kosovars, créant désormais un climat d'inimitié. Toutes deux minées par la gestion des réfugiés, la Macédoine et l'Albanie se jugent réciproquement, oblitérant ainsi leurs relations qui s'étaient pourtant sensiblement améliorées depuis un an. Si la visite des camps laisse présager une cohabitation difficile entre les différents peuples des Balkans, la rencontre avec les forces militaires donne des impressions toutes aussi alarmantes. Le formidable travail qu'effectuent notamment les forces françaises stationnées sur place forcent le respect. Cependant, le rôle majeur joué par les militaires dans l'aide humanitaire n'a pas vocation à s'exercer dans la durée, ce qui pose le problème de leur relève. La reprise en main du camp de Stenkovac par les ONG [organisations non gouvernementales] inquiète les réfugiés qui se souviennent amèrement du face-à-face avec la police macédonienne au début de la crise. Par ailleurs, la question d'une intervention terrestre, qui a alimenté de nombreux débats dans chacun des pays de l'Alliance prend une toute autre dimension sur le terrain. La KFOR [Force pour le Kosovo] initialement destinée à venir en aide aux observateurs de l'OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe] alors en poste au Kosovo et bien que, constituée de 14 360 hommes, n'est pas dotée d'équipements « taillés » pour une éventuelle opération terrestre qui serait conduite par la force. La situation est identique en Albanie où les forces armées semblent peu préparées à une action belliciste. Compte tenu de ces impressions, on ne peut souhaiter qu'une issue rapide à la crise. Cependant, si l'obstination personnelle de Milosevic en décidait autrement, la situation des réfugiés imposerait des mesures importantes à l'approche de l'été et, plus encore, avant l'hiver. Une aide serait également souhaitable en direction de l'Albanie et de la Macédoine afin que ces pays, placés en première ligne, ne soient pas contaminés par des idées nationalistes qui trouvent hélas un terreau favorable dans les difficultés économiques et sociales.
Lettre du 21 juin 1999
Le 13 juin, les Français ont une nouvelle fois accordé leur confiance à la majorité plurielle. Avec 22 % des suffrages aux élections européennes, la liste PS-PRG-MDC arrive en tête, distançant de loin toutes les droites nouvelles ou anciennes. Les radicaux n'ont pas ménagé leurs efforts pendant la campagne. Dans le contexte difficile de la guerre du Kosovo, chaque fédération a fait preuve d'imagination et de combativité pour rendre visible et attractif notre message européen. Le résultat est là. Deux de nos neuf candidats, Catherine Lalumière et Michel Dary, retrouveront leur siège à Strasbourg. Ils poursuivront ainsi leur travail, se faisant, à l'instar de la précédente législature, l'écho des valeurs radicales au Parlement européen. Naturellement, si l'on peut se satisfaire du score que nous avons obtenu avec nos partenaires, il convient aussi de tirer quelques leçons du scrutin. Le faible taux de participation doit conduire notre formation politique – comme les autres d'ailleurs – à s'interroger. La chute de la Commission européenne, la guerre du Kosovo, le poulet à la dioxine n'expliquent pas à eux seuls une désaffection de toute façon traditionnelle pour ce scrutin. Alors que les eurosceptiques sont de plus en plus minoritaires sur l'échiquier politique, ils sont encore beaucoup trop nombreux parmi les Français. Sans attendre l'échéance, les radicaux ont toujours placé l'Europe au coeur de leurs préoccupations. Hélas, cette stratégie n'est pas toujours celle des autres partis politiques. Entre ceux qui sont à peine convertis à l'Europe et notre principal partenaire pour qui le fédéralisme est soudainement la meilleure des formules, il est difficile de ne pas brouiller les pistes et de ne pas décevoir nos concitoyens à qui l'on a promis plus de compréhension. Ce scrutin nous enseigne aussi les mérites de l'alliance. Certes, les radicaux ont caressé plusieurs semaines l'idée d'une liste indépendante. Nous ne devons pas regretter notre choix final. Faisant cavalier seul, le Parti communiste ne dispose plus que de six députés européens alors qu'il compte plus de trente députés à l'Assemblée nationale. A droite, l'échec est éclatant que ce soit du côté des droites traditionnelles ou de l'extrême-droite. Depuis la mise en place du Comité de vigilance, nous attendons les signes d'un essoufflement du Front national. C'est enfin le cas. Enfin, parce que, l'Europe est, pour les radicaux, synonyme d'espoir et de croissance partagée, nous retiendrons avant tout la plus rassurante et la plus encourageante des leçons. Les électeurs ne se sont pas trompés. Décidés à combattre les égoïsmes, les discriminations et les corporatismes de toute sorte, ils ont choisi l'Europe de la démocratie, l'Europe de l'emploi et de la croissance, l'Europe de l'intégration et de la solidarité, l'Europe de la paix, bref une Europe tout simplement sociale et humaniste.
Lettre du 23 août 1999
Officiellement, nous partageons la même monnaie que nos voisins européens – et certains d'ironiser sur cet euro auquel nul ne désire s'abandonner avant d'y être obligé. Ce n'est pas très grave : l'euro est loin, en effet, de n'être qu'un événement monétaire. Il stigmatise, bien plus, la compréhension entre les pays qui l'ont adopté. Il les contraint, au lieu de faire cavalier seul, à prendre des décisions difficiles ensemble, autrement dit, à donner une cohérence politique à l'édifice européen qui cesse dès lors, n'en déplaise aux sceptiques, d'être une chimère pour technocrates en mal de projet. Les radicaux, depuis des années, insistent toutefois sur le fait que certains aspects, notamment juridiques et procéduraux au sein de l'Union monétaire, loin d'avoir été débattus clairement dans la concertation, n'ont fait que renforcer le cloisonnement entre les différentes positions nationales. Un nombre encore trop élevé de « décisions communes », même relevant des plus hautes instances de l'Union, ayant été vidées, sciemment ou non, de leur contenu politique, sont vécues par les électeurs, et plus généralement par les citoyens, comme des contraintes technocratiques pures et simples. Or, aucun mot n'est plus étranger au terme de « radicalisme » que celui de « technocratie » – pour nous, l'intelligence politique ne passe pas nécessairement, et même, ne saurait passer, par une spécialisation absurde dont la logique, poussée à son comble, donne naissance à des ramifications économiques, budgétaires, monétaires qui ne coïncident jamais avec la réalité, la vraie, celle qui se moque éperdument des modélisations mathématiques et des catégories transcendantales de l'esprit. L'euro ne peut, selon nous, que participer d'une repolitisation des relations entre les états membres de l'Union. Mais, il faut aussi noter que la société elle-même, la société européenne, n'est guère écoutée sur la scène européenne, j'entends, à l'échelle de celle-ci. C'est toujours au plan national que nous débattons, comme effrayés par avance de l'ampleur de l'écho que nous appelons paradoxalement de nos voeux ; nous nous comportons comme des acteurs qui ont le trac de jouer, non plus devant vingt personnes, mais devant deux ou trois mille. Un peu d'ambition que diable ! Assumons ! Le Parti radical de gauche, pour sa part, s'efforcera toujours d'établir des passerelles solides entre les débats de fond les plus importants et les échéances concrètes de la négociation communautaire. Nos racines politiques s'inscrivent dans cette perspective-là : ne jamais disjoindre dialogue et action, tables-rondes et prises de décision. Parler pour la simple beauté du geste ou du mot n'est plus de mise au XXIe siècle : les décisions politiques doivent suivre et il est démodé de ne voir en l'euro qu'un aboutissement monétaire là où, précisément, il n'est qu'un moyen, un outil pour se parler, discuter, débattre, se rapprocher et apprendre à se connaître les uns et les autres. Les radicaux ont cette définition de la politique : l'art de faire changer les choses sans que les choses ne nous changent. Autrement dit : ne rien subir, n'accepter aucune espèce de fatalité, nous fut-elle imposée du plus haut de l'échelle. Nous combattrons l'isolement, l'autisme et la mauvaise foi pour une ouverture des frontières et des esprits sans cesse plus large, sans cesse plus intelligente. Invitons les Français à nous rejoindre dans cette tâche passionnante.
Lettre du 4 octobre 1999
Il aura fallu quelques exégèses autour d'une phrase « l'État ne peut pas tout faire » pour que le Premier ministre soit contraint de préciser son action. Pourtant, ni les propos télévisés de Lionel Jospin, ni l'activité gouvernementale de la majorité plurielle n'auraient dû conduire à installer le doute.
S'agissant de la malheureuse formule du 13 septembre, elle aurait mérité de la part de ses détracteurs plus de réflexion et une interprétation moins hâtive. Pointée comme un aveu d'impuissance, cette phrase posait simplement les limites de l'intervention de l'État. Dans un contexte de mondialisation, il s'agit tout simplement de ne pas nier les contraintes qui pèsent sur l'action publique. Il s'agit de trouver un espace entre le dirigisme et le libéralisme à tout crin. Et, quoiqu'il en soit, il n'a pas été dit que l'État ne pouvait rien faire. Le Premier ministre n'a pas fait preuve de renoncement, mais de réalisme.
Depuis deux ans et demi, rien d'ailleurs dans l'action du gouvernement n'accrédite l'idée d'une posture attentiste, contrairement à ce que laisse entendre la droite. Les emplois-jeunes et la loi sur les 35 heures sont les parfaits exemples d'un volontarisme à l'encontre du chômage créé par l'économie de marché.
Ce déchaînement de passions a donc d'autres ressorts que celui d'un propos maladroit. C'est peut-être justement parce que le gouvernement commet trop peu de maladresses que certains cherchent à pointer la moindre faille. Les partis de droite trahissent leur impatience de voir la situation se retourner à leur avantage. Quant à certaines composantes de la majorité plurielle, elles n'hésitent pas à moduler leur solidarité dès qu'apparaissent les difficultés. Là n'est pas notre manière de faire.
Pour nous, radicaux de gauche, la critique doit être constructive. C'est pourquoi, ces agitations médiatiques autour du Premier ministre ne nous font pas douter de la solidité de notre engagement. Parce que certains textes adoptés au cours des deux précédentes législatures portent l'empreinte radicale et parce que plusieurs des propositions annoncées à Strasbourg s'accordent avec nos valeurs, nous sommes prêts à continuer sur la même voie. l'État, défini comme un régulateur actif et non comme un administrateur obligé, nous semble en effet le meilleur moyen de réconcilier l'économie et l'individu.