Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS à France 2 le 8 novembre 1999 et à Europe 1 le 22, sur la réunion de l'Internationale socialiste, la réduction du temps de travail, la MNEF et la cohabitation.

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Média : Europe 1 - France 2 - Télévision

Texte intégral

France 2 - 8 novembre 1999

Françoise Laborde : L’Internationale socialiste est la première organisation politique internationale aussi bien structurée, et c’était la France, à travers Pierre Mauroy, qui en occupait la présidence jusqu’ici.

François Hollande : C’est la seule organisation politique sur la planète qui peut rassembler 150 partis politiques, ce qui nous donne une fierté redoublée par la présence de Pierre Mauroy à sa tête, qui termine un septennat comme président de l’Internationale socialiste, mais aussi une obligation parce que, si nous sommes autant de partis, si nous sommes la première force politique à l’échelle du monde, il faut aussi être capable de faire preuve de maîtrise. Nous avons un certain nombre d’échéances, je parle notamment de l’Organisation mondiale du commerce, de la lutte contre le sous-développement, de la nécessité de maintenir une croissance élevée et d’assurer une redistribution des richesses à l’échelle de la planète. C’est bien d’être le première force politique du monde, c’est bien aussi de rassembler tous les progressistes, c’est mieux de travailler ensemble pour changer ce monde. C’est ce que nous avons dit dans cette Internationale socialiste, et c’est une position que nous maintiendrons tout au long de ces trois jours.

Françoise Laborde : C’est une organisation qui, en Europe, est particulièrement présente puisqu’il y a Tony Blair, Gerhard Schröder, Massimo D’Alema. Tous les grands pays européens sont membres, si l’on peut dire, de cette association, mais avec quand même parfois des différences d’approche entre la vision que peut avoir Tony Blair ou Gerhard Schröder du socialisme, qui n’est pas exactement celle de Lionel Jospin. On risque un peu de discuter de cela aussi ?

François Hollande : Il faut sans doute regarder ce que chacun fait dans son propre pays, avec sa spécificité.

Françoise Laborde : Les 35 heures ne sont pas tout à fait la tasse de thé de Tony Blair, comme on dit.

François Hollande : En effet, ça n’est pas tout à fait à l’ordre du jour. Néanmoins, ils ont quand même fait un Smic, ce qui n’était plus le cas en Angleterre depuis des années avec madame Thatcher. Ils ont aussi réduit le temps de travail, amélioré le droit des plus démunis, mené une lutte acharnée contre l’exclusion. Il y a donc aussi à prendre dans le modèle de Tony Blair. Ce que je voudrais, au cours de ces trois jours de débats au sein de l’Internationale socialiste, c’est que l’on prenne ce qu’il y a de mieux dans chacun des pays, mais surtout, que l’on se demande, malgré les différences de nos politiques, ce que l’on peut faire ensemble par rapport aux échéances qui sont devant nous et qui, en cette fin de siècle, restent encore : la guerre – que peut-on faire pour prévenir les conflits et appliquer le droit d’ingérence ? –, le sous-développement, la sécurité alimentaire. On peut d’ailleurs demander quelques explications à Tony Blair par rapport au bœuf britannique.

Françoise Laborde : Revenons à la question de la Mnef [Mutuelle nationale des étudiants]. Hier, Jean-Pierre Chevènement disait qu’il regrettait le départ de Dominique Strauss-Kahn, qu’il n’aurait pas dû démissionner et que, peut-être, fallait-il prévoir une sorte de sas entre le moment où le juge demande une information et le moment de la démission d’un ministre qui est pratiquement automatique. Qu’en pensez-vous ?

François Hollande : Que peut-être on peut essayer de rendre plus rapide la justice ; qu’on peut essayer d’éviter qu’il y ait des mises en examen qui sont souvent des demandes d’information de la part des parties pour avoir accès au dossier. Sans doute tout cela peut-il être modifié. Il n’empêche, à la différence de Jean-Pierre Chevènement, je pense que Dominique Strauss-Kahn a eu raison de démissionner, de quitter le Gouvernement, non pas parce qu’il était coupable – la justice aura à se prononcer là-dessus, et elle a quelques éléments pour aller plutôt dans le sens de sa mise à l’écart par rapport à ce dont il est accusé –, mais parce que mis en cause par voie de presse, peut-être, mis en cause parce qu’il y a eu une procédure de réquisitoire supplétif, il ne pouvait pas lui-même exposer le Gouvernement. Je crois qu’il devait se consacrer à sa défense. Or, quand on est ministre, on ne peut pas se consacrer à sa défense et gérer les intérêts du pays. Dominique Strauss-Kahn a fait preuve de dignité et de responsabilité. C’était sans doute injuste et Jean-Pierre Chevènement a raison là-dessus.

Françoise Laborde : Vous avez toujours dit qu’il n’y avait aucun lien entre le PS et la Mnef. Or, parmi les personnes qui sont régulièrement citées se trouvent le numéro 2 du Parti socialiste, qui a son bureau à côté du vôtre. Cela veut dire que, dans son cas comme dans les autres, cela ne peut être que de l’enrichissement personnel. Quand vous dites cela, est-ce que vous ne les accablez pas encore davantage ?

François Hollande : Non, je dis la vérité. Il n’y a pas de lien entre le Parti socialiste et la Mnef. Nous n’avons pas de relation quelconque de financement, d’emplois…

Françoise Laborde : Donc, les suspicions, c’est de l’enrichissement personnel ?

François Hollande : Ça n’est pas le Ville de Paris par rapport au RPR [Rassemblement pour la République]. Cela n’a rien à voir. Nous, nous sommes une organisation politique, nous avons nos propres modes de fonctionnement et nous n’avons rien à voir avec une mutuelle quelconque. Par ailleurs, cette Mnef, elle a été gérée depuis des années par le syndicalisme étudiant. Bien gérée, mal gérée, ce sera à la justice de dire si cela a été de la mauvaise gestion ou pire. S’il se trouve que des socialistes sont désignés par la justice, eh bien que justice se fasse, dans la transparence et la clarté.

Françoise Laborde : Christine Deviers-Joncour – que l’on connaît par ailleurs pour ses liens avec l’affaire Elf – et François Bayrou, dans un autre registre, tous deux disent qu’il y a de l’opacité autour de France-Taïwan, autour de la vente des frégates à Taïwan, et qu’il faut lever le secret défense là-dessus. Qu’en pensez-vous ?

François Hollande : Si la justice le demande, bien entendu, que tout se fasse dans la transparence et la clarté. Il n’y a pas d’autre attitude de la part du Gouvernement depuis deux ans. Nous avons toujours dit que la justice doit travailler en toute indépendance, ce qu’elle fait, qu’elle doit passer lorsqu’elle le doit, et elle doit demander les informations qui sont nécessaires. Rien ne doit être fait pour entraver la recherche de vérité. Donc, si la justice demande je ne sais quelle information, je suppose que le Gouvernement lèvera tout secret pour aller dans ce sens.

Françoise Laborde : Et vous y serez favorable ?

François Hollande : Je suis favorable à la vérité. Je n’ai rien à redouter de cette recherche.

Françoise Laborde : Cette affaire pèse-t-elle sur la cohabitation ? Est-ce que c’est lourd ? Est-ce une occasion pour l’opposition de se refaire un peu…

François Hollande : Je ne vois pas pourquoi d’ailleurs. Nous – le Parti socialiste, ceux qui l’ont animé et ceux qui l’animent encore – nous serions engagés d’une quelconque façon. Il y a des procédures judiciaires concernant une mutuelle. Qu’elles aillent jusqu’au bout. Si des personnes, y compris des socialistes, sont en cause, elles seront condamnées. Si elles ne sont pas en cause, j’espère que la justice l’établira et le dira très clairement. Pour autant, si la droite, qui est dans les affaires jusqu’au cou, veut éclabousser tous ceux qui justement n’ont pas ce rapport avec la politique qui a été établi depuis des années au sein de la droite française, ce ne sera pas bon pour la démocratie. Parce que l’on a autre chose à faire, dans ce pays, que l’on soit de droite ou de gauche, que de se jeter à la face les affaires. Et j’espère que, dans la cohabitation justement, chacun veillera à ce que ces affaires, qui doivent rester le domaine de la justice, n’entravent pas le bon fonctionnement du Gouvernement, des pouvoirs publics et l’image de la France.

 

Europe 1 - 22 novembre 1999

Jean-Pierre Elkabbach : À Florence, Clinton est-il devenu « jospiniste » ou Jospin est-il devenu « clintonien » ?

François Hollande : Ils sont devenus les uns et les autres modernisateurs. C’est-à-dire qu’ils se sont posés la seule question qui vaille dans un pays quand on est progressiste : est-ce qu’on peut à la fois être plus efficace mais en même temps plus juste ? Est-ce qu’on peut à la fois faire la solidarité et en même temps la croissance ? Ce sont de bonnes questions qui valent aussi bien aux États-Unis qu’en Europe.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais le Clinton de Florence, qui quitte la Maison blanche dans un an, n’est peut-être pas le Clinton de l’Amérique conservatrice.

François Hollande : On prend celui qui est là ! À Florence et à la présidence des États-Unis, qui est démocrate et qui, peut-être, permettra la victoire d’un autre démocrate aux États-Unis.

Jean-Pierre Elkabbach : Pour gouverner au XXIe siècle, il faudra moins d’idéologie, plus de pragmatisme – ce qu’on a entendu à Florence – du social plus le marché et la bourse ?

François Hollande : Je crois qu’il faut plus d’idées et plus de volonté. Et donc, je me félicite qu’à Florence, par exemple, il y ait eu une discussion qui n’était pas simplement sur les pratiques, sur les manières de faire, mais sur les idées : qu’est-ce que ça veut dire le progrès aujourd’hui ? Comment on peut faire cette solidarité ? Et en même temps, il faut plus de volonté parce que c’est plus difficile : il y a les marchés ; il y a une globalisation financière ; il y a des technologies nouvelles. Donc, il faut encore davantage de volonté politique qu’il y en a aujourd’hui.

Jean-Pierre Elkabbach : C’est-à-dire qu’il ne faut pas que le monde échappe, le monde à travers Internet, la globalisation.

François Hollande : Oui, cette mondialisation, il faut qu’elle soit maîtrisée. Et c’est pour ça que les réunions comme celle-là sont utiles.

Jean-Pierre Elkabbach : Justement, les réformistes, si j’ai bien compris vont se revoir en mars 2000 chez Gerhard Schröder. Mais, dès aujourd’hui, la théorie de Florence est mise à l’épreuve à Paris peut-être, mais surtout à Berlin et à Londres qui sont en guerre. Vous savez que le Britannique Vodafone a lancé une offre de rachat hostile sur l’allemand Mannesmann. De quel côté êtes-vous ? De qui êtes-vous solidaire ?

François Hollande : Je ne suis pas solidaire des mouvements financiers ou des mouvements de capitaux. Je crois que là, il faut essayer d’avoir au niveau européen justement – puisque nous sommes en Europe – des règles de conduite, des normes et peut-être, ce qui manque beaucoup, une politique industrielle. Sinon, ce seront les marchés qui feront la politique à notre place.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que Tony Blair aurait dû bloquer l’opération ?

François Hollande : Je crois qu’il ne le pouvait pas et que c’est aussi…

Jean-Pierre Elkabbach : C’est important ce que vous dites ! Un politique ou un élu laisse faire la mondialisation…

François Hollande : C’est le problème de Tony Blair. Il croit, lui, excessivement au marché. Ce n’est pas la première fois qu’il dit qu’il n’a pas de prise sur les industriels ou sur les financiers. Et c’est peut-être une différence que nous avons avec lui. Nous, nous pensons que – sans mettre en cause le fonctionnement de l’économie de marché – il est possible que l’État impose ou essaye d’infléchir des choix.

Jean-Pierre Elkabbach : Pendant que Tony Blair et Schröder se tenaient symboliquement main par la main, leurs pays s’affrontaient. Est-ce que, face à la mondialisation, seuls prévalent les intérêts nationaux ?

François Hollande : Je crains qu’hélas les intérêts nationaux n’aient même plus prise, c’est-à-dire que ce soient des intérêts financiers qui peuvent s’abriter quelquefois derrière des opérations nationales qui l’emportent. Et c’est pourquoi, face à ces intérêts financiers, il faut une volonté politique qui quelquefois dépasse la nation. Et c’est en ce sens que le souverainisme n’a pas de portée – je pense notamment à Charles Pasqua –, parce qu’il faut que ce soit au niveau de l’Europe qu’on puisse mettre les politiques qui correspondent à nos choix.

Jean-Pierre Elkabbach : Le souverainisme, c’est le passé ?

François Hollande : Ce n’est pas le passé, c’est que ça n’a pas d’avenir, c’est que ça n’a pas de portée. Cela peut avoir un parti, mais ça n’a pas de portée.

Jean-Pierre Elkabbach : Dans l’affaire Vodafone/Mannesmann, la décision sera prise presque par l’actionnaire. A votre demande, il paraît que le Parti socialiste va consulter les syndicats sur l’épargne salariale : faire que le salarié soit aussi actionnaire.

François Hollande : Longtemps, on a considéré que l’économie, c’était totalement le secteur privé, on ne pouvait rien faire, soit totalement le secteur public, c’était l’État. Est-ce qu’il ne peut y avoir – et c’est notre proposition – une place pour le salarié y compris dans sa forme d’actionnaire ? Et est-ce qu’on ne peut pas organiser un actionnariat des salariés collectivement – sous la responsabilité d’ailleurs des partenaires sociaux, des organisations syndicales ? Les syndicats, justement sur cette question, évoluent, bougent. Je crois que, si on veut faire l’actionnariat des salariés, ce n’est pas simplement pour les associer au capital – ce serait peut-être une forme d’aliénation –, c’est pour leur donner plus de rémunération et plus de droits dans leur entreprise.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous vous donnez combien de temps pour parvenir à quelque chose de solide ?

François Hollande : Je pense qu’il faut faire ça assez vite, parce que par rapport à ce capitalisme qui évolue, il faut que les salariés puissent prendre des décisions, notamment celles qui les concernent.

Jean-Pierre Elkabbach : Il faut une loi ?

François Hollande : Oui, il faut une loi.

Jean-Pierre Elkabbach : Quand ?

François Hollande : Sans doute au premier semestre de l’année prochaine.

Jean-Pierre Elkabbach : La Corse : entre ceux qui crient à l’affaiblissement de l’État et Jean-Pierre Chevènement qui ironise sur une tempête ridicule, où le PS se place-t-il ?

François Hollande : Le PS se place sur le double terrain de l’efficacité sur la politique en Corse – et je crois que, depuis deux ans, trois ans, il y a eu une rupture heureuse par rapport aux pratiques anciennes – et sur le terrain de la transparence. Il est normal que les citoyens, qui affrontent depuis quand même des années des situations d’incurie en Corse, sachent ce qui se passe.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais l’incurie ne continue pas ? Puisqu’on a découvert les défaillances, les divisions, des désordres à propos de l’enquête Érignac.

François Hollande : Eh bien, s’il y a des désordres, il faut les prévenir et les empêcher aussi bien dans les services de justice, dans les services de police ou dans les services de gendarmerie.

Jean-Pierre Elkabbach : Quand ils ont eu lieu, qu’est-ce qu’on fait ? On les sanctionne ou pas ?

François Hollande : On les sanctionne s’ils sont graves et on les met en cause s’ils peuvent être amendés.

Jean-Pierre Elkabbach : Ce matin, vous vous posez beaucoup de questions, François Hollande ! Là, il ne s’agit pas de savoir s’ils sont graves. Ils sont graves ! Est-ce qu’on les sanctionne ou on ne les sanctionne pas ?

François Hollande : Je n’ai pas tous les éléments en ma possession. Mais s’il y a eu notamment par rapport à la filature de Colonna…

Jean-Pierre Elkabbach : Qui est toujours en fuite.

François Hollande : Exactement. S’il y a eu des manquements, ils doivent être sanctionnés. Et surtout, l’objectif, c’est arrêter Colonna plus que jamais.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que le PS donne raison à Jean-Pierre Chevènement : to-ta-le-ment ?

François Hollande : Je pense que Jean-Pierre Chevènement est un bon ministre de l’intérieur qui a quand même obtenu des résultats en Corse. Je faisais référence à l’arrestation des auteurs présumés de l’assassinat du préfet Érignac, mais je pense qu’il peut entendre aussi un certain nombre de propositions qui viennent du Parlement. Ce n’est pas déshonorant d’écouter le Parlement.

Jean-Pierre Elkabbach : L’opposition réclame sa démission. Vous défendrez son maintien dans le Gouvernement ?

François Hollande : L’opposition demande la démission parce qu’elle veut faire de la polémique. L’opposition est dans l’état que vous connaissez – et ce week-end n’a pas été forcément, là encore, à la hauteur de ce qu’elle pouvait imaginer –. Alors, elle sait salir, je l’ai dit, elle ne sait pas forcément s’amender.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous brûlez de critiquer l’opposition.

François Hollande : Non. C’est vous qui m’en parlez !

Jean-Pierre Elkabbach : Vous y venez tout seul ! Pendant le week-end, il s’est passé un certain nombre de choses : le RPF [Rassemblement pour la France] avec Charles Pasqua, Philippe de Villiers, et au RPR [Rassemblement pour la République], le duel Jean-Paul Delevoye et Michèle Alliot-Marie. Pour la première fois, on a voté pour un président du RPR. Est-ce que ça vous semble intéressant, politiquement nouveau, démocratique ?

François Hollande : Je pense que c’est toujours mieux de voter que de ne pas voter. Pendant vingt ans, le RPR s’est fait désigner son président sans mot dire dans tous les sens du terme. Eh bien, aujourd’hui, il y a un vote. Tant mieux pour le RPR, mais à quel prix ! À quel prix pour Jacques Chirac ! Puisque son candidat, le candidat officiel, celui qui avait évincé Nicolas Sarkozy, celui qui devait être porté par le réseau du Président de la République au moment du RPR, eh bien a été désavoué par les militants puisque deux-tiers se sont mobilisés contre lui, contre ce mandat officiel.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous pensez que M. Chirac n’aime pas la démocratie même dans son parti ?

François Hollande : Je pense qu’il est obligé d’en constater les effets, c’est-à-dire que, pendant vingt ans, il ne l’a pas mise en œuvre, cette démocratie. Lorsque cette démocratie s’exprime, eh bien elle ne s’exprime pas forcément comme il l’avait imaginée. Par ailleurs, je noterais quand même que c’est la première fois sous la Ve République qu’un parti du Président éclate, se divise, se scinde. Il y a maintenant deux partis gaullistes, le RPR et le RPF. Même Charles Pasqua a fait un lapsus : « Deux RPR ».

Jean-Pierre Elkabbach : Qu’est-ce que ça veut dire ?

François Hollande : Ç veut dire que j’espère que le Président de la République a des idées pour la France qui vont peut-être mieux que les idées qu’il a sur le gaullisme. Parce que, quand on n’est pas capable de faire l’unité chez soi, on a du mal à la faire pour le pays.

Jean-Pierre Elkabbach : Lionel Jospin trouverait que Jacques Chirac n’est pas sympathique. Est-ce que c’est vrai, ça ?

François Hollande : Il n’est peut-être pas très sympathique pour ses propres amis puisque ses propres amis n’élisent pas le candidat qu’il avait lui-même désigné. Moi, je crois qu’on n’a pas à dire que untel ou un autre est sympathique. On est chef de l’État, on doit développer plus que de la sympathie.

Jean-Pierre Elkabbach : Je reviens à la Corse : est-ce qu’il fallait révéler le contenu des dépositions faites à propos de la Corse sous le sceau du secret, du serment ?

François Hollande : C’est une question-là qui mérite d’être posée. Je pense que c’était la responsabilité de la commission de trancher. Je crois que, lorsqu’on auditionne des personnalités, des responsables de police même sous le sceau du secret, lorsqu’ils font des révélations, il est assez normal que le Parlement les fasse connaître à l’opinion.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que le Premier ministre, qui est soucieux si souvent de transparence, doit s’expliquer sur la Corse ? Et est-ce qu’il s’expliquera ?

François Hollande : Il faut s’expliquer lorsqu’on a des informations à donner. Or, les informations, elles ont été pour l’essentiel…

Jean-Pierre Elkabbach : Il n’a rien à dire sur ce qui s’est passé dans les rapports entre la police et la justice ?

François Hollande : Ce qu’il a à dire, ce n’est pas forcément nouveau. Ce qui compte, c’est ce qu’il a à faire. Et ce qu’il fait en Corse, c’est le rétablissement de l’État de droit. Par ailleurs, ne pas poser une question sur la réforme de la justice qui est essentielle…

Jean-Pierre Elkabbach : … C’est vous qui posez les questions quand même ! Vous ne faites que poser des questions. Alors apportez les réponses.

François Hollande : J’apporte aussi des réponses. Je pense que la réforme de la justice est essentielle parce qu’il y va, justement, d’un certain nombre d’organisations des services dans notre pays. Il faut que la justice puisse être indépendante ne serait-ce que constater des dysfonctionnements et les sanctionner. Et quand l’opposition, là encore, essaie de retarder ou de reporter cette étape essentielle de la réforme de la justice, je m’interroge. Comme vous dites : « Je m’interroge ».

Jean-Pierre Elkabbach : Mais avec des contre-pouvoirs sur la responsabilité des juges ?

François Hollande : Bien sûr. Il faut la responsabilité s’il doit y avoir l’indépendance. Mais n’essayons pas de dire non à l’indépendance parce que ça voudrait dire non à la responsabilité.

Jean-Pierre Elkabbach : François Hollande, vous n’avez pas posé une question à propos des affaires et de la Mnef. Il paraît, il semble que vous ayez établi une sorte de jurisprudence Hollande parce qu’on voit que les socialistes concernés se mettent sans bruit au vert. Oui ? Comment vous traitez avec eux ?

François Hollande : Je traite humainement, mais je traite fermement, parce que je crois qu’il en va de l’image de la vie politique, en tout cas de l’image du Parti socialiste, et j’y tiens.

Jean-Pierre Elkabbach : Il y a un jury moral ou vous êtes tout seul face à eux ?

François Hollande : Non. Je crois que c’est chacun avec sa conscience. Mais je constate qu’au Parti socialiste, il y a des rectifications qui s’opèrent alors que…

Jean-Pierre Elkabbach : Oui, oui, d’accord ! « Et dans l’opposition, non » Mais qu’est-ce que vous leur dites ?

François Hollande : Je leur dis : prenez d’abord à l’image de la politique et à l’image de votre propre formation politique !

Jean-Pierre Elkabbach : Et à ce moment-là, ils n’ont pas le choix ?

François Hollande : En tout cas, ils font le bon choix.

Jean-Pierre Elkabbach : Ils s’en vont.

François Hollande : Ils se mettent en retrait pendant le temps qui est nécessaire.