Texte intégral
RTL : Vous avez déclaré dimanche qu’il ne fallait pas que le débat politique se résume à un duel médiatique Juppé-Jospin, ni qu’il s’enlise dans le marécage des affaires. Quel était votre propos ? Étiez-vous agacé par le droit de réponse accordé à Jospin, et Jospin seulement, après l’intervention télévisée du Premier ministre ?
R. Hue : Je crois que le débat pluraliste, à gauche, doit être franc et transparent. C’est un gage d’efficacité. Je suis contre tout esprit polémique et ouvert, mais regardons la situation telle qu’elle est. Il faut apporter des réponses, aujourd’hui, aux questions posées, non s’enfermer dans ce que vous disiez à l’instant, que j’ai rappelé dimanche. Permettez-moi de dire combien les Français sont terriblement inquiets. Tout le monde le dit ce matin. Les Français n’ont pas le moral. On les comprend, parce qu’on voit bien les mauvais coups que Juppé leur porte et leur adresse par tous les bouts. Les affaires et la boue que chacun s’envoie à la figure les dégoûtent Dans ces conditions, il faut à la fois résister et faire œuvre de propositions pour la gauche. Or, comment joue Juppé dans cette affaire ? Il faut empêcher que ce duo s’installe et qu’il y ait une fausse alternative. La pire des choses serait cette fausse alternative.
RTL : Vous trouvez que le PS n’est pas, à l’heure actuelle, une alternative à la politique d’A. Juppé ?
R. Hue : Le PS, non ; la gauche, non plus, n’a pas d’alternative actuellement progressiste à proposer. Il faut donc la construire. C’est la question posée. La pire des choses serait de laisser croire que la seule alternative, c’est de revenir aux désillusions des gouvernements socialistes des années 80 ou à la poursuite de la politique de désastre social de Juppé. On peut faire une autre politique à gauche, mais il faut la mettre en œuvre.
RTL : N'avez-vous pas tendance à mettre au même plan la politique des gouvernements socialistes et celle d’A. Juppé ?
R. Hue : Non. Je dis qu’actuellement, laisser croire un seul instant que l’alternative serait seulement la poursuite de la politique mise en œuvre ou celle – qui a été terrible dans d’autres périodes – menée par les gouvernements socialistes, fermerait complètement les choses. Dans une situation comme celle-là, ce serait « gravissime ». Le PC, à l’occasion de son congrès, apporte quelques éléments de réflexion dans cette affaire. Il dit : « Voilà quelles sont les mesures qui pourraient effectivement permettre à la gauche de gouverner différemment, de changer vraiment, qui permettraient une participation de ministres communistes ».
RTL : Le PS ne vous a pas attendu pour lancer sa réflexion sur la politique économique et sociale. Voulez-vous être associé à cette réflexion ? Comment ? Quand ?
R. Hue : Nous voulons être associés à toute réflexion, et nous voulons surtout que les Français soient associés à cette réflexion. Cela ne se réglera pas au niveau des états-majors. Ça ne se réglera pas entre Jospin et Hue. Il faut qu’il y ait l’intervention citoyenne. C’est pourquoi, l’interpellation démocratique, unitaire que j’ai formulée vis-à-vis de L. Jospin, visait à ce qu’il exprime les positions du PS et qu’on regarde par rapport à ce que nous proposons nous-mêmes dans cette situation. Nous disons, par exemple, que les éléments indispensables à une véritable politique de gauche sont des mesures réelles de progrès et de réduction des inégalités, une autre orientation de l’argent, d’autres moyens donnés aux salariés, aux citoyens, et surtout la « rediscutions » en profondeur des engagements de la France au plan européen. Autant d’éléments sur lesquels on sait bien qu’il y a parfois des convergences, mais aussi beaucoup de divergences. Il faut les surmonter pour construire cette alternative qui ne peut être que pluraliste à gauche.
RTL : Vous préconisez qu’on augmente de 1 500 francs les salaires inférieurs à 15 000 francs. Vous demandez qu’on donne de nouveaux pouvoirs aux comités d’entreprise pour suspendre les plans de licenciement.
R. Hue : Il est vrai qu’il y a ces mesures que je préconise vis-à-vis du pouvoir d’achat, vous venez de les rappeler, notamment la prime de 1 500 francs pour la rentrée scolaire que Juppé veut supprimer. C’est absolument inadmissible. Mais il faut tarir le chômage. On voit bien que ce qui angoisse les Français en ce moment, ce sont des dizaines de milliers de suppressions d’emplois, comme on l’a vu encore hier à propos des arsenaux à Brest. Pour tarir le chômage, en s’opposant aux charrettes de licenciement, je pense qu’il faut attribuer aux comités d’entreprise des pouvoirs nouveaux permettant de suspendre les plans de licenciement et faire des propositions.
RTL : C’est plus efficace que l’autorisation administrative de licenciement acceptée par les socialistes ?
R. Hue : Oui, c’est beaucoup plus efficace, parce qu’actuellement, l’essentiel des licenciements porte sur des emplois qui sont à durée déterminée, des emplois précaires, ce qui fait que l’autorisation administrative de licenciement ne porterait pas. Il faut donc des mesures très différentes, une intervention des salariés eux-mêmes, de leurs élus, également des partenaires. Donner plus de pouvoir aux comités d’entreprise, c’est une position tout à fait forte, nouvelle que nous avançons et qui est de nature à faire reculer le chômage.
RTL : Qu’attendez-vous de l’intervention du président de la République après-demain ?
R. Hue : J’ai envie de lui rappeler ce qu’il disait il y a un an. Souvenez-vous du discours du 14 juillet : c’était le donnant-donnant ; c’était l’avertissement donné aux patrons. Tout ça, un an après, est balayé. Il y a le terrible bilan de Juppé, un bilan accablant. Le bilan, c’est cette fracture sociale qu’il appelait à réduire avant et qui, aujourd’hui, se transforme en fractures multiples avec ce que j’évoquais concernant le chômage, le sous-emploi, la précarité qui explose. Il y a en gros 8 à 10 millions de personnes qui sont concernées aujourd’hui.
RTL : Qu’attendez-vous que J. Chirac dise ?
R. Hue : J’attends de J. Chirac qu’il dise vraiment dans quelles conditions il entend gouverner la France dans la prochaine période. On voit bien qu’il est sur le rail de l’engagement tous azimuts vers la monnaie unique, quelque chose qui entraîne des difficultés sociales terribles pour le pays et qui est complètement différent de ce qu’il avait pris comme engagement. Je n’ai pas d’illusion sur la politique de Chirac, aucune ! Mais ce que je dis, c’est qu’en tous les cas, il faut, par rapport à cette politique, que la gauche fasse beaucoup plus de propositions, soit beaucoup plus une force alternative et pluraliste. C’est le sens des propositions que j’ai faites.