Texte intégral
RTL - jeudi 20 juin 1996
RTL : Quel est votre sentiment sur ce rapport Fauroux, dont les principes directeurs sont « excellents » selon ce que vient de dire A. Juppé ?
M. Deschamps : Je ne partage pas tout à fait cet avis. Et nous, nous sommes très déçus. On pense vraiment que c'est une occasion manquée. Il y a une chose sur laquelle je suis tout à fait d'accord : il faut moderniser l'école, et très vite. Donc, sur cette base-là, on aurait pu travailler avec monsieur Fauroux. Il ne nous a pas entendus. Et, en réalité, les propositions d'aujourd'hui sont très semblables à celles que nous connaissions il y a trois semaines.
RTL : En quoi ?
M. Deschamps : Il ne nous a pas vraiment entendus et les propositions qu'il fait nous paraissent très régressives. Vous savez, on ne fait pas du neuf avec du vieux. Monsieur Fauroux continue à rêver du Certificat d'études ; il continue à rêver de l'apprentissage. Il veut plaquer sur l'école le mode de fonctionnement des entreprises. Ce n'est pas le même monde.
RTL : Mais vu la situation du marché de l'emploi, n’y a-t-il pas une nécessité de resserrer les liens entre l'école et l'entreprise ? Selon le modèle allemand, par exemple.
M. Deschamps : Sans aucune hésitation, il faut resserrer les liens entre l'école et l'entreprise. S'il n'y avait que ça, il n'y aurait qu'un chantier de travail. Ce que je crois, c'est que monsieur Fauroux veut faire piloter le service public de formation professionnelle par les entreprises. Et ça, je crois que ce n'est pas bon. Il faut vraiment le service public. On parle de la formation initiale des jeunes, mais on ne parle pas des adultes. Là, la formation, il faut vraiment qu'elle reste au service public, un service public beaucoup plus ouvert sur les entreprises, mais qui garde la maîtrise de l'enseignement.
RTL : A. Juppé a l'air de vouloir reprendre la question des rythmes, de la formation professionnelle, donc le premier cycle et l'allégement des programmes. En revanche, pour la déconcentration et la déréglementation, cet aspect du rapport Fauroux pourrait être abandonné et ça ne va pas vous déplaire.
M. Deschamps : A. Juppé a bien vu ce point. Ce qui m'intéresse aussi c'est que ce le rapport ne dit pas, ce dont il ne parle pas. L'un des problèmes auquel nous nous heurtons actuellement, on ne demande pas l'allégement des programmes mais on demande l'allégement des effectifs pour que tous les élèves puissent avoir leurs chances devant les programmes. On veut que le système d'aide sociale, de bourse aux élèves, soit revu. On veut avoir des assistantes sociales qui nous aident dans un travail qui, dans certains endroits est très difficile. Impasse totale, impasse sur le rôle des familles. Tous ces manques privent de beaucoup d'intérêt le rapport « Échec à l'échec » comme le dit Monsieur Fauroux, banco ! Mais les moyens concrets on ne les trouve pas dans le rapport Pourquoi ? Parce que la question des moyens est escamotée, parce que les propositions ne sont pas à l'écoute des propositions des personnels.
RTL : Si je vous dis que votre attitude c'est un peu du corporatisme d'enseignants qui n'ont pas envie que ça change ?
M. Deschamps : Si j'étais corporatiste, dès lors que Monsieur Juppé dit : « ce qui menace les enseignants je le retire », je vous dis très bien. Je vous dis que ce n'est pas mon problème. C'est que ce qui reste actuellement ce n'est pas bon pour les jeunes, c'est ça mon problème. Mais Monsieur Juppé dit « négocions », on y va.
RTL : Dans l'introduction de ce rapport R. Fauroux dit : « On a gagné la bataille du nombre ».
M. Deschamps : C'est vrai, on a gagné la bataille du nombre et on peut gagner la bataille de la qualité pour tous. On peut gagner la bataille de l'ambition pour tous. Il ne faut pas en rabattre sur l'ambition. On peut avoir confiance dans les jeunes aujourd'hui pour leur donner les moyens de tous réussir. Il ne faut pas abaisser la barre. Il faut aider les jeunes à sauter un peu plus haut, ceux en difficultés. On peut gagner ça.
RTL - lundi 30 septembre 1996
M. Cotta : La majorité des syndicats enseignants de l'Éducation nationale sont en grève ce matin, quelques semaines seulement après la rentrée. N’est-il pas trop tôt ? Cela ressemble un peu à un procès d'intention fait à F. Bayrou.
M. Deschamps : Non, je n'en crois rien. Nous connaissons maintenant, et malheureusement parfaitement, les conditions de la rentrée et puis aussi le projet de budget 97. Nous connaissons donc deux causes.
M. Cotta : Un projet de budget justement, en hausse de 2 % pour 97, ce qui n'est pas rien dans un monde où on réduit les déficits.
M. Deschamps : Non, c'est un budget en stagnation quant aux moyens réels, mais c'est surtout un budget qui programme des suppressions d'emplois, et en nombre très important : moins 5 000 emplois, dans le premier et dans le second degré.
M. Cotta : Et 2 700 emplois créés dans le supérieur, ça ne fait pas une balance ?
M. Deschamps : Le compte n'y est pas, de toute manière. Il y a, et pour la première fois depuis des années, des suppressions nettes d'emplois dans l'Éducation. Et vraiment, ce n'est pas le moment.
M. Cotta : N’y a-t-il pas des actions plus efficaces à mener que la grève, pour faire aboutir vos revendications ? FO préconise des actions spécifiques, d'autres des recours devant les tribunaux administratifs.
M. Deschamps : Mais nous avons essayé à peu près toutes les formes d'action possibles. Je rappelle qu'au trimestre dernier, nous avons fait des rassemblements pendant le week-end. La FSU a organisé un grand rassemblement le 16 mai, un dimanche, nous avons fait une manifestation le 1er juin, aussi pendant le week-end. Ça n'a rien donné. Les formes d'action que nous pouvons choisir pour qu'elles gênent le moins possible les jeunes et les familles, ces actions, justement parce qu’elles ne gênent pas, le ministre et le Gouvernement n'en tiennent pas compte. Alors, il y un moment où nous avons épuisé toutes les formes d'action sans risques, et il faut hélas ! que nous tapions un peu plus fort sur la table, puisque de vraies négociations, il n'y a pas.
M. Cotta : Vos revendications sont essentiellement sur les effectifs ou sur les conditions d'exercice de votre profession ?
M. Deschamps : Les deux sont difficilement séparables. Lorsque l'on supprime des postes, on aggrave les conditions de travail, on aggrave surtout les conditions de scolarité des jeunes.
M. Cotta : Quand on fait la grève aussi ...
M. Deschamps : Je vous ai dit que nous n'avions plus d'autre solution. Je ne vais pas vous dire qu'une grève, ça ne produit pas de troubles dans les établissements. On essaie de faire en sorte qu'il y en ait le moins possible, on organise des services de sécurité à chaque fois qu'on le peut. Mais, en effet, une grève ça détériore, ça porte un coup. La responsabilité est, je crois, du côté de ceux qui ne nous entendent pas depuis des mois.
M. Cotta : La violence augmente dans certains établissements. Laisser le champ libre pendant une journée de grève à des élèves, dans des établissements qui ne sont pas surveillés, n'est-ce pas augmenter encore plus les problèmes plutôt que les résoudre ?
M. Deschamps : Ce qui, je l'espère, va nous permettre au fond d'améliorer le système, c'est une prise de conscience. Il faut que chaque Français s'interroge. Est-ce bien le moment de porter un coup à l'éducation ? Est-ce bien un secteur où il faut faire régresser les moyens ? Est-ce que le pays ne pourrait pas continuer à se concentrer sur la formation des jeunes ? Si nous obtenons une réponse favorable, si l'opinion publique continue à nous soutenir, si le Gouvernement bouge, je crois que les conditions de scolarité, au-delà de la journée d'aujourd'hui, seront améliorées pour tout le monde. C'est ça le but.
M. Cotta : Qui dit grève des enseignants dit système D des parents et des élèves qui sont bien obligés de trouver quelque chose. Que pensez-vous de l'instauration d'un service minimum de garde dans les écoles ? C'est un député UDF de Nice qui le propose et il est relayé par la Fédération des parents d'élèves.
M. Deschamps : Faisons marcher les textes et les procédures qui existent. Nous sommes obligés, nous, par la loi, de déposer un préavis de grève, cinq jours avant la grève. Ce préavis doit servir à ouvrir une négociation. Que le Gouvernement le fasse ! Il ne le fait pas dans l'éducation, il ne le fait pas dans la fonction publique. Négocions !
M. Cotta : Un certain nombre de syndicats enseignants n'ont pas de multiples occasions de se concerter avec le ministre. On a l'impression que vous êtes en concertation permanente.
M. Deschamps : Nous essayons, comme organisation syndicale, de peser et de faire un certain nombre de propositions. C'est notre rôle d'organisation syndicale. Mais justement, parce que tout au long de l'année nous avons ce travail de négociation, quand nous disons que l'on ne peut plus négocier et que nous sommes contraints à l'action dure de grève, chacun devrait comprendre qu'il se passe quelque chose d'important dans l'éducation.
M. Cotta : Illettrisme, violence, l'éducation nationale traverse une vraie crise de société. Vous avez accepté de vous mobiliser contre la violence à l'école. Continuerez-vous à vous mobiliser ? N’y a-t-il pas une démission à partir du moment où les problèmes d'effectifs sont les plus importants, pour vous ?
M. Deschamps : J'espère bien que non. Le pire pour nous, serait de laisser les choses se détériorer. Quand un syndicat, d'une certaine manière, donne un prolongement, une concrétisation au mécontentement, il empêche que les choses se détériorent. Je suis persuadé que les enseignants vont rester très mobilisés – les enseignants de ce pays et plus largement les personnels. Ils sont attachés à la réussite des jeunes et ils vont le rester. La grève d'aujourd'hui a d'abord ce sens-là : elle porte peu de revendications catégorielles, ce sont les moyens de l'éducation, les moyens pour que l'éducation fonctionne mieux. C'est cela, le sens de la grève.
M. Cotta : Justement, les syndicats proches de FO ou de la CGC disent que les grèves ont été décidées sur des critères politiques. Pas le moindre critère politique dans votre grève ?
M. Deschamps : Ça n'a pas de signification. C'est la très grande majorité, plus de 80 %, des personnels, qui appelle, dans la diversité de leurs organisations syndicales.
M. Cotta : Il y a des élections professionnelles à la fin de l'année. N'y a-t-il pas une sorte de surenchère entre les syndicats ?
M. Deschamps : C'est le contraire. Les périodes qui précèdent les élections sont toujours des périodes où on n'arrive pas à se mettre d'accord car la concurrence est difficile. Si on s'est mis d'accord cette fois-ci, c'est sûrement parce que la situation est très grave.
M. Cotta : Ce n'est en aucun cas la répétition générale de la grève unitaire des fonctionnaires qui est prévue pour le 17 octobre ?
M. Deschamps : Ce sont deux choses qui, à l'évidence, ont un lien. Mais vous voyez bien qu'aujourd'hui, c'est le problème spécifique de l'école qui est posé.