Texte intégral
M.-P. Farkas : Vous étiez encore tard dans la nuit à l’Assemblée ; vous êtes depuis longtemps le chef de file de la droite qui dit non à Maastricht. Qu’avez-vous pensé hier de la consigne de vote RPR qui dit oui à l’euro, mais non à Jospin ?
P. de Villiers : Bernanos disait : « Il y a le vote oui, il y a le vote non et puis il y a le vote ouin. » Non, je pense que c’est un désaveu pour J. Chirac, par rapport à la position euro-fédéraliste de J. Chirac. Je pense que mes idées progressent, puisque cela fait longtemps que je me bats pour qu’on ne transfère pas la souveraineté politique et monétaire de la France. Donc, je suis plutôt satisfait de la position du RPR.
M.-P. Farkas : Vous n’avez pas peur que l’opinion publique soit un peu… déboussolée ? Vous dites, en tout cas vous prônez, le même non à Maastricht que R. Hue, A. Laguiller, P. Séguin – enfin, bon, c’est un peu compliqué. Vous n’avez pas peur que l’opinion publique soit perdue ?
P. de Villiers : L’opinion publique se pose une question : les Français voient bien que la paquet Santer, Natura 2000, le chômage, la désertification, la chasse, toutes nos libertés, que la France est un pays qui, aujourd’hui se dépouille, se défait de tous ses pouvoirs. Et quand un homme politique perd un pouvoir, c’est le peuple qui perd une liberté. Quand vous perdez le pouvoir de faire la loi, le pouvoir de contrôler votre monnaie, le pouvoir de contrôler vos frontières, vous n’avez plus de possibilité d’avoir une politique de la sécurité, une politique de lutte contre le chômage ; une politique qui vous permet de définir vous-même vos propres libertés. Or l’Europe, telle qu’elle est construite aujourd’hui – moi je suis profondément européen, mais pour une Europe des souverainetés nationales – l’Europe telle qu’elle est construite aujourd’hui, tout le monde voit bien – même les communistes, même A. Laguiller -, que c’est une Europe qui nous dépouille justement, qui nous mutile de toutes nos libertés. Et moi, je suis contre l’euro pour deux raisons : parce que cela sera plus de chômage et parce que cela sera moins de démocratie.
M.-P. Farkas : A. Juppé dit exactement le contraire : il dit « que c’est une chance pour l’emploi, une chance pour la croissance. »
P. de Villiers : Eh bien, A. Juppé, effectivement, depuis qu’il parle, depuis qu’il s’agit… Je ne ferai pas d’autre commentaire… Quand on se trompe, il faut se tromper complètement, et c’est son cas. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. C’est : est-ce que la France est un pays souverain ? Cela veut dire quoi un pays souverain ? Cela veut dire un pays qui définit lui-même son destin. Est-ce que nous, les hommes politiques, demain, on va enfin être capables de répondre aux questions posées par les Français ? Actuellement, ce n’est pas le cas. Quand il y a des manifestants, ils vont manifester où, sous quelles fenêtres, de quel ministère ? Puisque le pouvoir est parti ailleurs ! Le pouvoir est à Bruxelles, avec les technocrates ; le pouvoir est à Luxembourg avec les juges de Luxembourg ; le pouvoir va être demain à Francfort avec les banquiers à Francfort. Et moi, je ne suis pas prêt, pour mes enfants, à ce que notre destin soit conduit par des banquiers, des banquiers de Francfort. Je trouve que c’est un cauchemar !
M.-P. Farkas : Vous pensez qu’il va se passer quoi exactement ? Parce qu’on estimait qu’avec la dissolution, on avait fait l’économie de ce débat sur l’euro. Et si j’ai bien compris ce qui s’est passé à l’Assemblée hier, cela revient sur le terrain politique. Est-ce une possibilité pour l’opposition de se faire une sorte de refondation ?
P. de Villiers : Je crois que la véritable recomposition de la vie politique Française se fera à partir de la question de la France dans l’Europe. Ou bien on fait une Europe fédérale, dans laquelle la France n’est plus rien – on lui dit qu’elle gardera son identité, mais on aura perdu nos libertés – ou bien on veut au contraire faire une Europe des nations, au sens des souverainetés nationales – avec un véritable marché commun européen, ce qui n’est pas le cas actuellement. C’est cela le véritable marqueur de la vie politique française. Or aujourd’hui, on voit bien qu’on est dans une période de confusion, pare que les Français ressentent que la France ne s’appartient plus elle-même. Et je crois que dans les mois qui viennent, avec le Traité d’Amsterdam, les choses vont être encore plus claires, puisque, comme vous le savez peut-être, le Traité d’Amsterdam prévoit de transférer tous nos pouvoirs en matière d’immigration et de sécurité à la Commission de Bruxelles ! Alors là, vraiment, moi je ne suis pas prêt à donner des pouvoirs supplémentaires à ces technocrates de Bruxelles qui sont irresponsables ! C’est-à-dire que personne ne contrôle sur le plan démocratique.
M.-P. Farkas : B-Vous ne m’avez pas répondu sur la refondation de l’opposition. On ne vous a pas beaucoup entendu sur La Droite de C. Millon. Est-ce que c’est une initiative qui vous convient ?
P. de Villiers : Je pense que l’initiative de C. Millon est intéressante. C’est une initiative qui ne peut que se développer pour la raison suivante : c’est que les appareils aujourd’hui, les appareils politiques, encasernent les élus, avec cette tentation de l’exclusion qui est aujourd’hui une tentation stalinienne. Et puis, il y a une autre raison : c’est que les appareils politiques occultent les vrais problèmes. On parle de politique politicienne, on devrait parler des vrais problèmes qui sont : le chômage, la désertification, l’éducation, l’immigration, la sécurité, le problème de la drogue, le problème de la violence partout. C’est cela, les problèmes qui intéressent les Français. Et les appareils politiques occultent ces problèmes, et ils occultent, ils tentaient d’occulter jusqu’à présent la cause, la trame de tous ces problèmes, qui est la cause et la trame européennes. Alors que je crois que l’initiative de C. Millon, parmi d’autres, contribue peut-être à regrouper la vie politique, à partir des problèmes qui concernent les Français, et non pas à partir du jeu des appareils.
M.-P. Farkas : Vous auriez fait comme lui : vous auriez accepté le soutien du Front national ?
P. de Villiers : Attendez : C. Millon il a fait quoi ? Il a accepté les voix qui se sont portées sur lui, sans aucune tractation. Alors à moins d’inventer un laboratoire de recherche sur les empreintes digitales des bulletins de vote…Mais dans ce cas-là, il fallait le faire fonctionner à la présidentielle et dans ce cas-là J. Chirac n’aurait pas été élu Président de la République, puisqu’il a eu 2 millions de voix, je crois, du Front national. Je crois qu’en démocratie, on ne doit pas - comme on disait dans le temps : trier la mogette -, on ne doit pas trier les voix. Une voix est une voix. C’est De Gaulle qui disait en 1965 : « Une voix dans l’urne, on ne la soupèse pas. On la compte.