Texte intégral
Entretien avec « RTL », à Paris, le 27 août 1996
Q. : Monsieur le Ministre, il y a des inquiétudes à propos du processus de paix au Proche-Orient. Hier à Paris, les émissaires américains ont rencontré les proches conseillers des premiers ministres israélien et égyptien ?
R. : En effet, l'émissaire américain, le responsable du dossier aux États-Unis pour le Moyen-Orient est à Paris. Il est venu d'abord rencontrer mon Directeur de Cabinet. Il s'entretient avec ceux qui ont en charge ce dossier à Tel Aviv et au Caire. Ce sont autant de signes positifs qui montrent que la France est devenue la capitale de ce dossier et c'est plutôt une bonne nouvelle pour nous.
Q. : Donc, la coordination franco-américaine se porte bien ?
R. : Oui, elle va bien. Nous maintenons, je le redis aujourd'hui, que nous sommes inquiets devant un certain nombre d'impasses, ou de mauvaises nouvelles. La situation de bouclage des territoires palestiniens est très préoccupante.
Q. : Sur les réticences du Premier ministre israélien à rencontrer Yasser Arafat ?
R. : Je crois qu'il faut que les contacts reprennent, et le plus vite sera le mieux. Ce n'est pas en ne se voyant pas que l'on peut faire avancer les choses.
Q. : Dans une autre région du monde, toutes sortes de voix s'élèvent pour estimer qu’un report des élections municipales en Bosnie permettrait peut-être de dépasser les difficultés d’organisation actuelle de ces élections ?
R. : C'est à l'OSCE, l'Organisation de sécurité et de coopération en Europe, de décider du processus électoral en Bosnie-Herzégovine. Je laisse à ceux qui en ont la charge le soin de le faire. Ce que je peux dire, c'est que le respect du calendrier prévu dans la négociation de Dayton et dans les Accords de Paris est tout à fait essentiel dans tous le processus que nous avons mis en place. Retarder serait le signe et l'aveu d'un très grave échec. Je maintiens par ailleurs que, mon inquiétude sur la situation d'ensemble en ex-Yougoslavie persiste, parce que les nuages tardent à se dissiper.
Q. : La télévision libyenne, relayée par la BBC, a cru comprendre que dans un message remis par le nouvel ambassadeur de France à Tripoli, le président Chirac souhaitait un renforcement des liens entre la France et la Libye.
R. : C'est une tempête dans un verre d'eau. Nous avons nommé un nouvel ambassadeur de France en Libye. Ce nouvel ambassadeur, selon la tradition, a fait un petit discours et, dans ce discours, elle a dit qu'elle souhaitait le renforcement et l'amélioration des relations entre nos deux pays. Franchement, je ne vois pas ce que je peux redire à ce souhait légitime qui est aussi le nôtre.
Q. : C'est-à-dire qu'il y a une loi américaine récente, la loi d'Amato, qui prévoit de sanctionner les entreprises qui Investissent au-delà d'un certain montant, notamment en Libye et aussi en Iran. C'est pour cela sans doute que cela fait un peu de bruit ?
R. : Cela ne le mérite pas. Notre position vis-à-vis de la Libye est inchangée, comme d'ailleurs notre ferme condamnation de la loi américaine dont vous venez de parler et pour laquelle les Européens ont pris et prendront des initiatives.
Q. : Pensez-vous que vous aurez – et peut-être que vous avez déjà – à faire comprendre dans les capitales du tiers-monde les conditions de l’éviction des trois cents immigrés sans papiers de l’église Saint-Bernard ?
R. : Je n'aurai pas de mal. C'est un sommet dans le désordre des esprits, auquel nous venons d'assister en direct sur le « 20 heures » tous les soirs. On y voit des étrangers qui n'ont aucun droit à être en France, qui font la grève de faim et donnent des leçons à l'ensemble des dirigeants français. C'est quand même assez choquant. On y voit des gens qui exploitent tout cela, des hommes politiques en mal d'électeurs, une actrice belle, mais suffit-il d'être beau et riche pour donner des leçons à ses concitoyens ? On constate souvent des décisions de justice en zig et en zag. Le dernier paradoxe de tout cela, franchement, c'est que des pays que nous aidons de façon importante avec les crédits publics français, ne donnent pas toujours l'impression de faire tout ce qu'il serait souhaitable de faire pour empêcher, d'abord que ces malheureux viennent dériver en France, parce qu'ils ne sont pas heureux chez eux et, et le cas, échéant pour les reprendre. Dans ce désordre général, la politique française est simple fermeté et humanité.
Q. : Quel dialogue aurez-vous avec les pays en question ?
R. : J'expliquerai tout cela de façon aussi claire, simple et directe. Vous savez, j'ai lu un papier de M. Rocard. Il est sans doute le seul homme politique français qui ait dit la chose suivante, de bon sens, que tout le monde avait compris. Généralement il parle confusément, mais là, c'était clair. Il a dit : « La France ne peut pas prendre en charge toute la misère du monde ».
Q. : Enfin, il a ajouté qu’elle devait quand même fidèlement en prendre sa part.
R. : D'abord, mais depuis lors il se repent. La France est celui des grands pays qui apporte le plus en pourcentage de son PNB pour l'aide aux pays pauvres, et notamment l'aide aux pays africains. Nous faisons des efforts énormes. Mais tout cela doit ne pas mettre en cause la loi française, qui doit être maintenue, respectée et qui est applicable à tout citoyen français. La moindre des choses, c'est qu'elle s'applique aux étrangers.
Q. : Tous les ambassadeurs de France sont réunis pendant trois jours à Paris et cette réunion qui a lieu chaque année, est consacrée cette fois-ci à l’aide que les ambassadeurs peuvent amener aux PME-PMI dans leur recherche de marchés.
R. : En effet, le sujet central de cette rencontre très importante pour nous est de voir comment nous pouvons développer et renforcer substantiellement le caractère économique de notre diplomatie, en se tournant notamment vers les PME-PMI. On voit bien aujourd'hui que la croissance française est d'abord et surtout tirée par l'exportation, très sensiblement, plus que par l'accroissement de la consommation intérieure. On peut le déplorer, mais c'est ainsi. Alors, il faut mettre les bouchées doubles. Les grandes entreprises le font, elles n'ont pas de mal, elles en ont les moyens. Les PME-PMI, il faut les encourager et les soutenir.
Q. : Est-ce à dire que vous vous adresserez aux ambassadeurs ou aux PME-PMI ?
R. : Aux deux. Je vais d'abord m'adresser aux ambassadeurs. Je vais leur demander d'aller sur place, dans nos régions, parler avec les Chambres de commerce et d'industrie, avec les PME-PMI, avec les élus, notamment les élus régionaux, pour les inciter à être plus dynamiques. Il faut que les ambassadeurs aillent chercher les entreprise, qu'ils les emmènent « sous leur bras », sur leurs marchés, c'est-à-dire dans leur pays, pour aller conquérir de nouveaux espaces.
Entretien avec « Radio-Orient », à Paris, le 30 août 1996
Q. : Après vos entretiens avec M. Ross et en vue de votre rencontre avec M. Christopher la semaine prochaine, y a-t-il une volonté américaine de sauver le processus de paix durant cette période ?
R. : Les Américains, comme nous, sont préoccupés par la situation au Moyen-Orient et sans doute partagent-ils de ce point de vue un certain nombre de nos analyses. Peut-être sont-ils un peu plus optimistes, un peu moins inquiets que nous. Je ne vous cache pas l'inquiétude qui est la mienne devant un certain nombre de décisions qui ont été prises par le gouvernement israélien, notamment la création de nouvelles implantations en Cisjordanie, ainsi que les difficultés au sujet de Jérusalem, qui sont autant d'éléments préoccupants pour l'avenir.
Q. : Que peut faire la France aujourd’hui ? Une de ces mesures d’implantations, le bouclage dans les territoires. Arafat a appelé à une grève ...
R. : Nous allons continuer notre rôle, faire connaître notre point de vue, dialoguer de façon toujours plus étroite et exercer, quand c'est possible, les pressions nécessaires pour sauver le processus de paix. Je le répète : il n'y a pas d'un côté le processus de paix et d'un autre je ne sais quelle troisième voie entre le conflit et la paix. Il n'y a pas de solution moyenne, et toutes les initiatives qui peuvent être imaginées, permettant de sortir du processus de paix seront, je le crains, lourdes de risques et chargées de déception.
Q. : Mais si on veut être réaliste aujourd’hui avec la campagne électorale aux États- Unis on s'attend à ce que rien ne bouge d'ici là ?
R. : Oui, du côté américain c'est vrai. Mais cela n'empêche pas que les autres partenaires soient actifs. Ainsi en est-il d'Israël, qui prend des initiatives, ou de ses voisins qui en prennent également, ou de nous-mêmes qui sommes présents et agissons.
Q. : Vous allez recevoir la semaine prochaine votre homologue syrien. Quel est l'état des relations franco-syriennes aujourd'hui ?
R. : Elles sont excellentes. Les relations franco-syriennes sont entrées dans une nouvelle période depuis l'élection du président Chirac. Je suis allé à plusieurs reprises en Syrie au cours des derniers mois, et je crois que nous avons établi ensemble des relations de confiance qui sont utiles pour faire avancer la cause de la paix.
J'ai invité M. Charaa à venir à Paris, comme je suis allé à plusieurs reprises à Damas, et nous allons parler de deux choses : du processus de paix qui est très important pour nous et pour eux, mais aussi des relations franco-syriennes.
Q. : Avez-vous pris contact avec les autorités israéliennes en vue de ce qui se passe dans les Territoires ?
R. : Je vais le faire. Dans les prochaines heures, j'aurai l'occasion certainement de m'entretenir avec mon collègue, M. Lévy, qui va venir à Paris prochainement, parce que je veux en effet maintenir un dialogue très étroit avec l'ensemble des parties, et bien entendu avec les Israéliens.