Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur la carrière du Général Monchal et son rôle dans la réflexion sur la réforme de l'armée, Paris le 27 août 1996.

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Circonstance : Cérémonie d'adieu aux armes du Général Monchal, chef d'Etat-major de l'armée de terre, le 27 août 1996

Texte intégral

Mon général,

Au moment où vous quittez vos fonctions de chef d'état-major de l'armée de terre, je tiens à vous rendre, en complément de l'hommage officiel que je viens de prononcer devant le front des troupes, un hommage particulier qui est avant tout un témoignage personnel.

J'ai eu, en effet, la chance de vous trouver à ce poste, lors de mon arrivée au ministère de la Défense, il y a maintenant plus de quinze mois. Avec vous, les relations entre le civil et le militaire ont été caractérisées par la confiance et par l'estime. Pour vous, la responsabilité du politique et la responsabilité du militaire ont toujours été claires, distinctes, complémentaires : au politique de définir les missions du militaire et de lui donner les moyens correspondants ; au militaire d'éclairer la décision du politique, tout en assumant sans restriction, sur le terrain, sa capacité d'appréciation et de commandement, y compris par la communication.

J'ai pu ainsi bénéficier, pour prendre mes décisions, de votre expérience exceptionnelle. Vous l'avez acquise en particulier, sur le terrain, en Algérie, et à la tête de deux unités prestigieuses : le 35ème Régiment d'artillerie parachutiste et la 1ère Division blindée. Vous avez enrichi cette expérience comme chef du cabinet militaire du ministre de la Défense puis comme chef d'état-major de l'armée de terre. J'observe qu'à ce dernier poste que vous avez occupé pendant plus de cinq ans, vous avez servi deux présidents de la République, cinq Premiers ministres et quatre Ministres de la Défense.

Je puis porter témoignage que tous ont particulièrement apprécié votre grande compétence, vos conseils toujours éclairés et votre courtoise fermeté. Récemment le président Chirac disait que vous avez été l'un des artisans majeurs de cette grand réforme, de cette refondation de notre défense, qui vise à mettre sur pied une armée professionnelle plus efficace, plus moderne, mieux adaptée aux défis de notre temps.

En bon stratège, vous aviez anticipé l'événement. Sous votre impulsion, des travaux en profondeur ont été lancés et des restructurations importantes ont été menées pour prendre en compte les conséquences de la chute de mur de Berlin et les enseignements de la guerre du Golfe ainsi que les réalités économiques.

Depuis 1990, l'armée de terre a ainsi conduit une déflation de près de 50 000 hommes tout en préservant la capacité opérationnelle des forces. Dans le même temps, elle a fourni en moyenne 70 % des forces françaises engagées dans les crises et plus de 90 % des forces qui agissent au contact sur le terrain.

Dès 1991, le projet « armée de terre 97 » visait à placer l'armée de terre à « la poignée de l'éventail » avec une armée mixte plus professionnalisée. Les travaux d'armée de terre XXI, destinés à tirer les enseignements du Livre Blanc de mars 1994, prenaient en compte l'orientation vers la Projection.

Ces études vous ont permis de réagir vite et bien au comité stratégique que j'ai réuni à partir de juillet 1995. Vous avez su défendre avec beaucoup de talent et de conviction, mais aussi de réalisme, les intérêts de l'armée de terre, sans y mêler jamais le moindre esprit partisan et en ayant toujours la hauteur de vues nécessaire. Ce fut une période difficile parce que vous étiez tenu au secret. Vous vous y êtes strictement tenu alors que des informations susceptibles de provoquer l'inquiétude de vos cadres commençaient à filtrer dans la presse.

Pendant toutes ces années vous avez également conduit, au sein de l'armée de terre, outre de nombreuses réorganisations internes, une réforme des réserves (Réserves 2000), l'adaptation de l'enseignement militaire supérieur et des organismes de formation, l'amélioration, dans une logique de gestion moderne, de la productivité des services, mesurée par des conseils de gestion.

Dès que les décisions concernant l'armée professionnelle ont été prises et annoncées par le président de la République, vous vous êtes résolument engagé à mes côtés, prenant également votre bâton de pèlerin, pour expliquer aux cadres le défi de cette armée de terre confrontée, plus que les autres, au choc de la professionnalisation et à une nouvelle réduction de ses effectifs et du nombre de ses garnisons. Grâce à cette campagne d'explications, grâce aussi et surtout au prestige que vous avez acquis et développé auprès de tous les niveaux de la hiérarchie, vous avez maintenu la cohésion et la sérénité de l'armée de terre. Je dirai même, dussé-je blesser votre modestie, que vous avez renforcé, autour de votre personne, l'unité de l'armée de terre en mettant en pratique personnellement les 5 E (effort, équilibre, écoute, exigence, exemple) qui sont pour vous les éléments fondamentaux du comportement militaire.

Dans le délicat problème des restructurations, vous avez su prendre prioritairement en compte les besoins de l'armée de terre, mais également répondre aux impératifs de l'aménagement du territoire et présenter un plan si cohérent et si bien construit qu'il n'a appelé de ma part, de celle du Premier ministre et de celle du président de la République que bien peu de remarques.

En toutes circonstances, vous avez su garder, malgré la charge écrasante de vos responsabilités, un calme et une bonne humeur inaltérables, qui ont été particulièrement appréciés, je le sais, de vos subordonnés. Ceux-ci vous sont véritablement attachés et savent que l'Homme a toujours été au centre de vos préoccupations.

C'est aussi dans la préparation au combat de votre armée que vous vous êtes totalement engagé, en donnant la priorité à l'opérationnel. C'est grâce à votre action et à l'esprit que vous avez su insuffler que les personnels de l'armée de terre, que je salue à travers vous aujourd'hui, ont accompli un travail admirable dans des conditions difficiles et souvent au péril de leur vie.

Vous vous êtes attaché à ce que toutes les unités, par une franche émulation et en sachant exalter la générosité de notre jeunesse, puissent dans toute la mesure du possible fournir des unités tournantes dans les départements et territoires d'outre-mer et en Afrique et participer aux opérations extérieures. Elles n'ont pas manqué pendant votre passage à la tête de l'année de terre : Liban, Cambodge, ex-Yougoslavie, Somalie, Rwanda, RCA. Vous êtes allé voir les unités sur le terrain. Vous avez visité les blessés, réconforté les familles dans la douleur, développé la solidarité soit au sein d'organismes que vous avez créés comme la cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre, soit dans des associations au bénéfice desquelles vous vous êtes largement investi, je pense à Solidarité-Défense.

J'ai dit que la communication était pour moi un acte de commandement. Vous avez, dans ce cadre, poursuivi et développé l'immense travail pédagogique qui a permis aux armées d'obtenir une large adhésion d'une jeunesse qui a su s'engager dans des missions difficiles.

Votre action ne s'est pas bornée à imposer votre marque à l'armée de terre. J'ai dit que vous aviez manifesté un véritable esprit interarmées. Le chef d'état-major des armées et les chefs d'état-major de la marine et de l'armée de l'air peuvent en porter témoignage.

Par vos visites, vos voyages et vos rencontres, vous avez également développé les relations avec vos homologues de nombreux pays étranger et contribué au rayonnement de notre pays et de notre armée. C'est en particulier un véritable esprit interallié, que vous avez manifesté en participant activement au développement de l'Europe de la Défense.

La réunion des chefs d'états-majors de la région Centre Europe, (CRAST) a été pour vous l'occasion de mener une action particulièrement importante au moment où l'Alliance atlantique, tirant les conséquences du bouleversement stratégique en Europe, doit se rénover. L'aspect international de votre action ne s'est naturellement pas limité à l'Europe et à la relation transatlantique. Je ne citerai pas toutes vos missions, dans les zones où la coopération militaire sert particulièrement les intérêts de la France et ceci en cohérence avec mes objectifs et ceux du chef d'état-major des armées.

Le moment est venu, mon Général, de poser le sac. Pour un soldat qui a consacré toute sa vie à sa patrie, c'est un instant particulièrement émouvant. Je sais que vous abordez cette rupture avec la même sérénité dont vous avez fait preuve en toutes circonstances.

Mon général, vous pouvez partir avec le sentiment du devoir accompli, entouré du respect et de l'admiration de tous, vos chefs, vos pairs comme vos subordonnés. Vous pouvez dire, avec le Prince de Ligne : « Je ne connais pas de carrière plus heureuse que la mienne. Le remords, l'ambition, la jalousie, n'en ont jamais troublé le cours. »

Vous avez servi la France. Elle vous est reconnaissante.