Interview de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre mer, à RMC le 6 avril 1998, sur l'élection de M. Charles Millon au Conseil régional de la région Rhône Alpes, notamment son absence de majorité et ses orientations politiques, la position de la gauche sur les alliances de la droite et du Front national, et sur la poursuite des négociations pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

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P. Lapousterle : On va d'abord parler de votre région Rhône-Alpes M. Millon, le président sortant, réélu avec l'appui des voix des conseillers régionaux du Front national, va tenter pour la quatrième fois ce matin de faire élire, aujourd'hui, les quinze vice-présidents. Alors, vous allez, en sortant de ce studio, aller à cette réunion. Est-ce qu'il y a un espoir, ce matin, que ce qui a échoué trois fois réussisse ?

J.-J. Queyranne : M. Millon n'a pas vraiment tenté de faire élire des vice-présidents. Il a plutôt géré une situation qui va vers la confusion extrême. L'élection, qui est intervenue le 20 mars avec les voix du Front national le conduit, comme vous le disiez tout à l'heure, dans une impasse. Donc ce matin, bien difficile de dire dès à présent quelle va être l'issue. Mais soit M. Millon se rend compte qu'il ne peut pas continuer ainsi, soit il passe effectivement avec les voix du Front national, et dans notre région Rhône-Alpes, nous verrons se confirmer une orientation politique que nous condamnons.

P. Lapousterle : Est-ce que vous excluez que M. Millon démissionne ce matin ?

J.-J. Queyranne : Je n'exclus rien. Il y a une forte pression qui s'exerce. Pas simplement de la gauche mais aussi à droite. Je crois qu'une quinzaine de conseillers régionaux sur les 61 qui font la majorité de M. Millon – une majorité tout à fait relative, mais qui a voté pour lui – demande à Millon de démissionner. En tout cas, ils ne le soutiennent plus. Ils se rendent compte que la région sera ingouvernable, et que la part est faite de façon trop belle au Front national.

P. Lapousterle : Quelle sera l'attitude de votre groupe, ce matin ?

J.-J. Queyranne : Nous présenterons des candidats pour bien montrer que la région n'a pas une majorité sur l'orientation politique que M. Millon a voulu lui donner. Ces candidats seront là pour témoigner, et s'ils sont élus, ils remettront leur mandat, c'est-à-dire qu'ils feront la démonstration ainsi, devant l'opinion, que M. Millon ne peut pas rester, ou alors il peut rester seul pour gouverner en monarque absolu la région. Cela n'est pas possible.

P. Lapousterle : Si ce matin, des conseillers régionaux, des vice-présidents sont élus, socialistes, ils démissionneront dans l'instant ?

J.-J. Queyranne : Ils démissionneront dans l'instant. Démonstration sera faite que M. Millon n'a pas de majorité, et qu'il ne peut pas essayer de gouverner tout seul. En tout cas, il n'aura pas d'exécutif. Cela, c'est la confirmation. Il n'en a pas aujourd'hui et que même s'il veut s'appuyer sur des dispositions législatives pour essayer de faire passer un budget ultra-minoritaire, la région Rhône-Alpes ne sera pas gérée effectivement. C'est grave pour notre région.

P. Lapousterle : Est-ce que vous avez rencontré M. Millon ces derniers temps pour essayer de trouver une solution politique à tout cela ?

J.-J. Queyranne : Pas du tout. Je crois que M. Millon s'enferme dans son attitude. Il donnait récemment encore un entretien au journal Valeurs Actuelles en disant qu'il resterait pour six ans, qu'il était élu démocratiquement pour six ans, et qu'à la limite, l'exécutif cela ne pouvait être que lui. Et donc une attitude d'autiste, c'est-à-dire d'un président qui est enfermé dans ses certitudes, qui croit exercer une mission au nom de la droite en pactisant ainsi avec le Front national, et un président qui ne tient pas compte de la réalité de notre région où, de plus en plus, des mouvements s'expriment, des personnalités de toute nature – universitaire, culturelle – des milieux économiques pour dire : « Notre région va mal. »

P. Lapousterle : Est-ce que vous excluez que la gauche plurielle dans la région Rhône-Alpes finalement trouve un accord avec M. Millon, c'est-à-dire un changement de stratégie et puisse éventuellement imaginer gouverner avec lui ?

J.-J. Queyranne : Cela me paraît exclu. On évoque la Franche-Comté, mais nous sommes dans une situation totalement différente. M. Millon persiste, c'est-à-dire qu'il reste sur une orientation qui le conduit à proposer à la droite d'accepter les voix du Front national pour essayer de réduire l'influence du Front national. Nous ne pouvons pas partager ce point de vue. Donc M. Millon, aujourd'hui, a rempli des orientations, et a conduit une action depuis plus de quinze jours maintenant à la région qui le rend, à nos yeux, illégitime.

P. Lapousterle : Et si vous voulez gouverner seul ?

J.-J. Queyranne : Gouverner seul, cela me paraît impossible parce qu'une région, cela n'est pas simplement une administration, c'est aussi une présence dans des institutions, dans notre grande région qui fait plus de cinq millions et demi d'habitants, qui a la population du Danemark, vous imaginez qu'il y ait un gouvernement au Danemark avec un Premier ministre seul qui gouverne ! Cela n'est pas possible, cela participe de l'entêtement de M. Millon. Mais dans la réalité, ce n'est pas la vie démocratique.

P. Lapousterle : M. Millon vous accuse d'avoir beaucoup promis à l'élu savoisien pour avoir son soutien lors de l'élection.

J.-J. Queyranne : Oui, M. Millon a rencontré l'élu savoisien. Sur ce plan, soyons clairs.

P. Lapousterle : Vous avez promis un débat, c'est cela ?

J.-J. Queyranne : J'ai écrit dans ma déclaration qu'il y aura un débat sur l'avenir de la région Savoie. Je constate d'ailleurs que M. Barnier qui vient d'être élu Président du conseil général de Savoie, M. Barnier qui est sénateur RPR, tient les mêmes propos. Il dit : « il faut que l'on discute de l'avenir de la Savoie » et lui, propose, en particulier, de rapprocher les deux départements, la Haute-Savoie et la Savoie. Voyez que cela mérite un débat. Et moi, ma position est claire sur les questions de l'intégrité territoriale de notre pays. Donc, je ne suis pas pour une sécession savoyarde. M. Millon essaye de dissimuler ce qu'il a commis, c'est-à-dire une alliance réfléchie – ce sont ses termes mêmes – avec le Front national derrière cette question de la Savoie. Ce n'est pas très sérieux.

P. Lapousterle : Vous êtes membre du gouvernement, un gouvernement que l'on dit un peu divisé sur le sujet de la reconduite aux frontières, un peu musclée, des sans-papiers par le ministre de l'Intérieur, J.-P. Chevènement. Est-ce que vous trouvez que M. Chevènement fait bien ce qu'il faut, ou bien qu'il y a un peu de brutalité ?

J.-J. Queyranne : La tâche du ministre de l'Intérieur est difficile. Ceci étant, il y a corps au sein du gouvernement pour que soit menée une politique de l'immigration qui soit à la fois humaine – c'est la question de la régularisation, non pas de tous les sans-papiers, mais d'un certain nombre de sans-papiers remplissant des conditions – et en même temps, une politique qui soit ferme. Parce que notre pays, dans les conditions actuelles, ne peut pas recevoir de nouvelles vagues d'immigration. Moi, je suis auprès de J.-P. Chevènement, je mesure la difficulté de son travail, et je pense qu'il l'accomplit d'une façon générale dans l'esprit de ce que le gouvernement souhaite.

P. Lapousterle : Et ceux qui ne sont pas d'accord sont manipulés par l'étranger ?

J.-J. Queyranne : Non, ils ne sont pas manipulés par l'étranger. Ceci étant, ils ont une vision humaine, attentive au sort des immigrés qui sont dans notre pays. Mais on ne peut pas dans notre pays conserver des immigrés en situation irrégulière. Ce n'est pas possible.

P. Lapousterle : On finira par votre domaine ministériel qui est l'Outre-Mer. Aujourd'hui redémarre le processus pour la Nouvelle-Calédonie…

J.-J. Queyranne : Oui, nous avons déjà engagé ce processus il y a un peu plus d'un mois en présence du Premier ministre. Nous avons démarré la semaine dernière, jeudi, avec le FLNKS, c'est-à-dire le représentant des Kanaks. Depuis, le RPCR, qui n'était pas venu le 2 avril, va se joindre à nous aujourd'hui.

P. Lapousterle : Avec des espérances ?

J.-J. Queyranne : Nous espérons évidemment parvenir à un accord politique. Les positions sont évidemment très éloignées, mais peut-être que nous parviendrons, petit à petit, à nouer les fils et à faire qu'il y ait une solution pour la Nouvelle Calédonie, acceptée par les représentants des deux communautés. Cela est notre souhait, notamment dans la perspective du 4 mai, qui est l'inauguration du centre J.-M. Djibaou à Nouméa.

P. Lapousterle : Quel est le délai ?

J.-J. Queyranne : Le délai est cette année, fin d'année 1998. Puisqu'il doit y avoir un référendum, il faut avoir le temps de l'organiser. Et puis, le délai sur le plan symbolique, c'est cette inauguration du centre J.-M. Djibaou, puisqu'il y aura bientôt neuf ans que J.-M. Djibaou, signataire avec J. Lafleur des accords de Matignon, tombait assassiné.