Texte intégral
Il faut réformer le service national, mais dans le cadre d’une armée mixte.
À l'heure où se multiplient les zones de non-droit, dans une France qui devient peu à peu une société d'alvéoles ethniques ou corporatistes, le service militaire demeure l'un des derniers moments offerts aux jeunes Français, venant des milieux les plus divers, de se retrouver ensemble pour une cause commune, l'occasion de réaliser qu'ils ont un patrimoine à préserver et que la paix dont jouit notre pays peut être menacée à tout moment.
Le burlesque « rendez-vous citoyen » qu'on leur propose à la place ne peut remplir ce rôle. Au mieux, il sera une sorte de fourre-tout à la Prévert, amalgame de visite médicale prolongée, de bilan scolaire psycho-pédagogique et de vague rattrapage d'instruction civique.
Le service militaire a pourtant deux missions essentielles : une mission proprement militaire de défense du territoire et une mission proprement civique de cohésion nationale.
La citoyenneté
Il est une expression essentielle du principe de citoyenneté, le dernier système d'intégration, dès lors que la faillite de l'école dans ce domaine est devenue patente. La carence des maîtres, et parfois des parents, conduit souvent les officiers et sous-officiers à être les éducateurs des enfants de la nation. La suppression du service national conduirait à débiliter ce principe de citoyenneté, à affaiblir le concept de nation et à élargir encore le fossé existant entre la conscience des droits et celle des devoirs chez les jeunes Français.
L'un de vos lecteurs soulignait très justement dans vos colonnes le danger de glissement d'un « État-nation » à un « État-résidence ». Notre pays ne deviendrait qu'un vaste espace administratif, générateur de subventions et d'allocations diverses, pour lequel il ne serait évidemment plus question de consacrer quelques mois de son existence, encore moins de donner sa vie.
Les dirigeants de la France, qui semblent prêts à prendre cette responsabilité, devraient se rappeler ce passage de Plutarque montrant les habitants de l'opulente Tarente observer de leurs fenêtres les mercenaires auxquels ils s'en étaient remis du soin de la défense de leur ville, attaquée par Pyrrhus, comme s'il s'agissait d'un spectacle et non d'une bataille décisive pour l'avenir de leur cité, comme s'ils n'étaient pas personnellement en cause.
Le service national demeure le meilleur garant de l'attachement des citoyens à leur défense. Il renforce la crédibilité de la dissuasion nucléaire et traduit la cohésion et la détermination des Français, nécessaires pour défendre le sol national.
Les impératifs de la guerre moderne conduisent certes à la professionnalisation de nos armées. Mais cela n'est nullement incompatible avec le maintien du service militaire. Il faut évidemment réformer le service national, mais il faut le faire dans le cadre d'une armée mixte, fondée sur deux piliers : des « forces de projection » avec des militaires de carrière et des engagés volontaires dotés d'une réelle capacité de projection, et une « défense opérationnelle du territoire », assurée par la conscription.
Le terrorisme
La menace terroriste, qui a frappé plusieurs villes de notre pays, il y a moins d'un an, devrait être dans toutes les mémoires. Les Français auraient-ils déjà oublié que le plan Vigipirate, qui a fait la preuve de son efficacité en quelques semaines, avait mobilisé 500 000 appelés ?
Comment pourrait-on, avec ce nouveau format d'une armée de terre réduite à 136 000 hommes, faire l'impasse sur une crise grave en Europe ou une situation de guérilla urbaine sur le sol national ?
L'instabilité de la Russie et de l'Europe de l'Est, au large de nos côtes méditerranéennes, n'est pas là pour nous rassurer. Le désir de « toucher les dividendes de la paix » affiché très légèrement par un ancien premier ministre après la chute du mur de Berlin n'est qu'une illusion.
Le maintien du service militaire dans le cadre d'une professionnalisation accrue de nos armées suppose sans doute un service plus court, plus moderne ; c'est-à-dire un service authentique et non une interminable période d'oisiveté, dont se plaignent nombre de conscrits, et qui donne à beaucoup de jeunes Français le sentiment de l'inutile communauté nationale.
L'abandon de la conscription est un tournant historique majeur. En effet, il ne s'agit pas du tout d'une simple mesure technique, mais au contraire d'une mesure éminemment politique : ce n'est d'ailleurs pas un hasard que cette décision intervienne au moment où on abandonne l'idée du « sanctuaire » nucléaire au profit de la « dissuasion concertée », et au moment où la France décide de réintégrer l'Otan.
Les Maastrichiens sont décidément les derniers Atlantistes, comme si le concept d'indépendance nationale n'avait plus de sens.