Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dans le quotidien mauricien "L'Express" du 20 février 2020, sur les relations entre la France et les pays de l'océan Indien.

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Q - Vous entamez, à partir d'aujourd'hui, une visite dans trois pays de l'océan Indien. Sur le plan géostratégique, que représente l'océan Indien pour la France ?

R - La France est une nation de l'océan Indien. Et nous sommes très fiers de contribuer au dynamisme de cette région qui est un trait d'union entre l'Afrique, l'Inde et l'Asie. Plus d'un million de Françaises et de Français vivent dans nos collectivités de l'océan Indien, dont les économies génèrent plus de 20 milliards d'euros par an. Et cette présence, bien sûr, ne va pas sans des liens historiques, culturels et humains très forts, notamment avec Maurice.

Q - Militairement, vous êtes présents à Djibouti et à La Réunion. Quelles sont les principales menaces sécuritaires dans notre partie du monde ?

R - Renforcer la sécurité maritime dans la région est indispensable si nous voulons travailler au développement d'une économie bleue profitable à l'ensemble des Etats riverains de l'océan Indien. La piraterie, l'immigration clandestine et les activités maritimes illégales appellent une action résolue. Les forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), stationnées à La Réunion, sont mobilisées pour faire face à ces menaces et agissent en coopération avec la plupart des pays de la région.

Q - Y a-t-il eu du progrès par rapport au dossier Tromelin - en particulier au projet de "co-gestion" de l'île ? En quoi Tromelin est-elle importante pour La France ?

R - La procédure de ratification de l'accord que nous avions signé en 2010 n'a pas encore pu être menée à son terme. Dans le respect de la séparation des pouvoirs, nous poursuivons les consultations avec nos parlementaires. Avec Maurice, nous avons un dialogue franc sur cette question et il se poursuivra.

Q - La France présidera la Commission de l'océan Indien (COI) en 2021. Cet organisme sous-régional demeure-t-il encore pertinent ?

R - Nous sommes très attachés à la coopération de proximité que nous avons su mettre en place depuis 30 ans avec nos voisins de l'océan Indien dans le cadre de la COI. Et nous pensons que la Commission a aujourd'hui encore un rôle essentiel à jouer. Car nous sommes tous confrontés à des défis majeurs que nous devons relever en continuant à travailler ensemble. Il n'y a qu'ensemble que nous pourrons efficacement lutter contre le changement climatique, promouvoir le développement de l'économie bleue, renforcer la sécurité maritime et améliorer les connectivités. Les projets portés par la COI sont, pour nous, essentiels et nous y contribuerons à hauteur de 35 millions d'euros au cours des quatre prochaines années.

Q - En termes de coopération régionale, la France compte sur Maurice, entre autres, pour son adhésion au sein de l'Indian Ocean Rim Association (IORA). Pourquoi cette volonté de s'unir avec les pays riverains de l'océan Indien ?

R - Nous nous reconnaissons dans la vision portée par l'IORA : une économie bleue articulant les enjeux de connectivité, les enjeux sociaux et les enjeux environnementaux. La France est un pays de l'Indopacifique et nous voulons y développer des partenariats avec ceux qui partagent la même ambition de développement économique durable et de préservation de nos espaces océaniques.

Q - La COP21 n'a pas tenu ses promesses. L'Afrique et les pays insulaires de l'océan Indien sont les plus vulnérables. Que fait la France pour contrer les effets du changement climatique en Europe ? Et dans notre région ici...

R - La France est totalement engagée pour la mise en oeuvre de l'accord de Paris et elle est à la pointe de la mobilisation européenne sur le climat. Elle a oeuvré pour que l'Union européenne adopte en décembre l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050, ce qu'aucun autre grand émetteur de gaz à effet de serre n'avait fait. Elle plaide pour faire du respect de l'accord de Paris une clause essentielle des accords commerciaux. Nous continuerons à travailler avec nos partenaires pour que de nouveaux engagements soient pris lors de la COP26 de Glasgow en novembre.

Q - Depuis juillet 2019, la coopération bilatérale France-Maurice repose en termes de recherches scientifiques sur le partenariat Hubert Curien-Le Réduit. Quels sont le bilan jusqu'ici et le potentiel de ce partenariat, plus particulièrement dans le domaine de l'éducation ?

R - Nos spécificités liées notamment à l'insularité nous invitent à travailler ensemble sur des questions d'aménagement, d'architecture, d'économie d'énergie, de santé. Grâce au partenariat Hubert Curien-Le Réduit, des chercheurs français et mauriciens, en particulier des jeunes scientifiques, travaillent ensemble sur des enjeux communs de développement durable et de lutte contre les dérèglements climatiques. Les résultats de ces projets scientifiques bénéficient à l'île, à la région et à d'autres espaces continentaux, en Afrique et en Europe. Le programme joue aussi un rôle important dans la mobilité des scientifiques.

Q - Comment pourrait-on renforcer la coopération bilatérale de défense entre vos forces militaires et nos unités paramilitaires avec l'appui des FAZSOI ?

R - Nos pays partagent des préoccupations communes face au terrorisme, aux menaces maritimes et aux trafics illicites, notamment le narcotrafic et la pêche illégale. Maurice est donc pour nous un partenaire régional important, avec lequel nous renforçons notre coopération opérationnelle. En novembre 2018, nous avons signé une déclaration d'intention sur la coopération bilatérale de défense qui insiste sur le renforcement du volet naval. Elle a abouti, en novembre 2019, à la tenue à Maurice de l'exercice bilatéral "Phoenix" qui a mis en avant la complémentarité et l'interopérabilité des forces françaises et mauriciennes. En avril prochain, Maurice participera à l'exercice "PAPANGUE" qui réunira l'ensemble des pays membres de la COI à La Réunion. C'est le signe que nous avançons ensemble dans la bonne direction.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 février 2020