Déclaration de Mme Florence Parly, ministre des armées, sur l'école d'ingénieur ENSTA et l'industrie d'armement, à Brest le 29 mai 2020.

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Circonstance : Visite à l'ENSTA

Texte intégral

Monsieur le délégué général pour l'armement, cher Joël Barre,
Monsieur le directeur de l'ENSTA Bretagne,
Chers enseignants-chercheurs et personnels de l'ENSTA Bretagne,
Chers étudiants,


Je tiens tout d'abord à vous remercier sincèrement d'être ici aujourd'hui. Après les mois que nous avons traversés, je vous avoue que cet amphithéâtre me donne la sensation de prendre un bain de foule.

Nous avons vécu des moments difficiles. Notre pays a été éprouvé, notre système de santé a été poussé à l'extrême, mais nous avons tenu. Nous avons tenu car les Français se sont mobilisés. Nous avons tenu grâce à ceux qui ont oeuvré pour que la vie continue, grâce à ceux qui se sont engagés pour que l'épidémie recule. Et vous faites partie de ceux-là.

Ces dernières semaines ont été aussi très éprouvantes au ministère des Armées. Mais lorsqu'à la fin de la journée, on apprend qu'une école a mobilisé ses enseignants, personnels, chercheurs et ses étudiants pour concevoir les respirateurs artificiels de demain ou pour fabriquer 5 000 visières à destination du personnel soignant, on trouve immédiatement l'énergie pour affronter les jours suivants et pour se battre, pour les Français. Alors, merci pour votre engagement.

Vous avez fait preuve d'un savoir-être et d'un sens de l'intérêt général qu'il faut cultiver. Et je pense en particulier à ceux qui rejoindront le corps des ingénieurs des études et techniques d'armement. En intégrant l'administration et les services de l'Etat, vous aurez besoin de connaissances scientifiques et techniques très solides, nous en avons un besoin vital. Mais vous aurez aussi besoin d'autres connaissances, celles qui ne s'acquièrent ni dans les livres, ni sur les bancs des écoles. Vous aurez besoin de savoir travailler en équipe, de savoir vous adapter à toutes les situations, d'être tolérant et ouvert aux nouvelles idées.

Et je n'ai aucun doute sur la capacité de votre école à vous inculquer ces valeurs et ce savoir-être.

Ce que j'ai vu aujourd'hui en visitant votre école, c'est l'excellence de la recherche, notamment dans le domaine de la robotique sous- marine, de l'acoustique, de la mécanique des matériaux et des fluides, de la cybersécurité. L'excellence d'une recherche essentielle à nos armées et qui me conforte dans l'idée qu'il est nécessaire de la faire grandir et de la renforcer, pour alimenter les projets et programmes qui sont conduits par la direction générale de l'armement et qui sont confiés aux industriels.

Mais je vous rassure, je ne suis pas venue ici uniquement pour une campagne de recrutement pour le ministère des armées. Je sais que déjà une partie de l'école y est acquise, et c'est bien essentiel pour l'avenir de notre défense, tout le reste viendra par surcroît. Evidemment, je ne serais pas mécontente de susciter ou de confirmer quelques vocations, mais ce n'était pas mon objectif premier aujourd'hui.

Car j'en ai la conviction, vous saurez vous engager. Que ce soit dans le monde de la défense ou pas, je sais que beaucoup d'entre vous auront à coeur de s'engager pour les autres. Vous l'avez pleinement démontré au cours de ces dernières semaines : être ingénieur, c'est mettre son imagination au service de la société. C'est voir le monde comme une planche à dessin, un immense terrain de jeux et d'opportunités. Vous avez choisi cette voie pour être au service du monde, pour améliorer et surpasser l'existant, pour inventer ce qui n'existe pas encore.

Le monde est donc à vous. Le monde sera ce que vous choisissez d'en faire. Alors, je vous le concède, le monde n'est pas en ce moment dans sa meilleure forme. Nous traversons une pandémie, nous sommes au seuil d'une crise économique majeure et je ne saurais pas vous dire si la prochaine crise sera climatique, terroriste, ou bien encore cyber.

La crise sanitaire a fait naître beaucoup d'espoirs concernant le « monde d'après ». Je ne suis plus dans l'âge de l'espoir, mais cela ne m'interdit ni l'optimisme, ni d'éprouver du désir. Ce que je sais, c'est que vous avez les moyens de contribuer à la construction de ce monde d'après.

Et il me semble que votre mantra à l'ENSTA Bretagne, c'est l'esprit « grand large ». Et je ne peux que souscrire à cette belle devise. Ayez l'esprit grand large et saisissez toutes les opportunités du monde nouveau qui s'offre à nous.

Une de ces opportunités dont j'aimerais vous parler aujourd'hui, c'est l'Europe. Je vois, plus exactement je ne vois pas mais je devine, des yeux qui se lèvent et je devine le scepticisme de certains. Et je peux les comprendre car l'Europe s'est parfois perdue. Elle est parfois devenue une construction technocratique aux règles kafkaïennes.

Mais l'Europe, c'est une opportunité, c'est une nécessité, c'est un horizon. Alors engagez-vous pour lui redonner un sens.

Parlons un peu de l'Europe de la défense : l'Europe de la défense c'est la coopération qui nous permettra de disposer durablement de toutes les capacités nécessaires pour accomplir nos missions. L'Europe de la défense c'est ce qui, parmi les puissances, nous permettra d'être à la table plutôt qu'au menu. Car c'est l'Europe qui garantira notre autonomie stratégique, qui nous permettra de disposer des moyens pour intervenir rapidement et utilement partout où nous le voudrons. C'est l'Europe enfin qui nous aidera à consolider nos industries, assurer nos emplois et porter l'innovation.

Ce que je suis venue voir aujourd'hui à Brest, ce sont les prouesses technologiques d'un programme d'armement de lutte anti-mines que nous avons développé en partenariat avec le Royaume-Uni, grâce à un organisme européen, l'OCCAr, ce qui signifie organisation conjointe de coopération en matière d'armement. Nous avons également récemment franchi des étapes majeures avec l'Allemagne avec qui nous développons le char et le système de combat aérien du futur. Il y a quelques semaines, c'est aussi grâce à notre coopération de défense avec l'Allemagne et la Belgique que nous avons pu évacuer des patients atteint du Covid-19 vers des établissements hospitaliers allemands et belges. Alors avez-vous le sentiment que ce sont des menaces pour notre souveraineté ou bien des opportunités ?

L'Europe, ce sont des projets concrets, pas des sentiments mièvres ni des illusions mensongères.

Alors faites vivre cette Europe, une Europe qui doit être une ambition plus large, une coopération avec ceux qui nous sont les plus proches, des projets concrets avec ceux avec qui nous partageons tant.

Mais face à l'Europe, ne soyez ni béats ni hostiles par principe. Réfléchissez, dans tous les domaines, aux opportunités qu'elles vous offrent, aux marchés qu'elles vous ouvrent, aux talents qu'elles vous apportent. Allez voir ce que font nos voisins européens. Nourrissezvous des compétences et des savoir-faire qu'ils ont développé au fil du temps.

Je vous parle de l'Europe, mais bien entendu, ne vous limitez pas à elle. D'autres aventures vous attendent, loin de nos frontières. Je sais que l'ENSTA Bretagne a noué de nombreux partenariats avec nos alliés, ce fameux esprit « grand large », encore et toujours. Ces partenariats jouent un rôle important dans l'approfondissement de nos coopérations. Et je pense en particulier au master « sous-marins » lancé avec l'université d'Adelaïde en Australie. Nous avons signé avec l'Australie ce que les médias ont appelé « le contrat du siècle » : 12 sous-marins de nouvelle génération avec une première livraison programmée en 2030. Et ce défi, vous y contribuerez.

Il y a un monde d'opportunités qui s'offre à vous et qui doit donner foi en notre avenir, car ce sont celles des nouvelles technologies, du numérique et du cyberespace. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les champs de bataille n'ont plus rien à voir avec ceux du passé.

La guerre, ce n'est plus un duel d'armées sur un champ de bataille défini avec des tranchées bien délimitées. L'époque des guerres courtoises où les Français invitaient les Anglais à tirer en premier est bien révolue.

La guerre aujourd'hui c'est difficile à définir – car plus aucun pays n'émet de déclaration de guerre. On parle de guerre civile, c'est vrai, mais dès lors qu'il y a plusieurs nationalités impliquées, on parle de tensions, d'escalades, de manoeuvre d'intimidation, de lutte contre le terrorisme. Et d'un point de vue opérationnel, la guerre, c'est surtout une conjonction de moyens hybrides : du cyber aux blindés terrestres, des systèmes de combat collaboratif à l'information et la désinformation qui se répand sur les réseaux sociaux.

Dans ce cadre, garder l'avantage sur le terrain, c'est une bataille de tous les instants. Conserver la supériorité opérationnelle de nos armées demain, c'est un défi à la fois scientifique, technologique, technique, organisationnel et humain.

Et pour relever ces défis, c'est certain, nous aurons besoin de vous. Nous aurons besoin de chercheurs, d'ingénieurs, de techniciens. Nous aurons besoin de votre talent, de votre esprit d'innovation, de vos compétences et de votre jeunesse.

Il y a aussi un monde d'opportunités au ministère des Armées ainsi qu'à la direction générale de l'armement.

Je ne m'étendrai pas sur un catalogue qui serait long, mais je vous parlerai d'innovation, car j'en ai fait une grande ambition pour notre ministère.

Le ministère des Armées ne peut plus être perçu comme celui du conservatisme. Car il n'est pas conservateur. L'économie civile n'a pas le monopole des start-ups. L'économie civile n'a pas le monopole de l'innovation. Vous avez la chance d'étudier dans une école qui promeut les activités duales, sachez que c'est une force. Car vous doublez ainsi votre champ de vision et donc vos possibilités.

Depuis 3 ans, nous avons beaucoup avancé. Notre ministère a créé Def'Invest, le premier fonds d'investissement dans les PME et les pépites technologiques qui a été créé entre la DGA et Bpifrance. Nous avons une Agence de l'innovation de défense qui fait un travail formidable pour stimuler l'innovation au sein de notre ministère et pour repérer tous les talents et projets qui peuvent avoir un intérêt pour la défense. Si je devais vous donner un exemple concret, même s'il n'est pas nécessairement représentatif, ce serait celui de la Red Team : nous avons lancé un appel à projets original pour recruter des écrivains de science-fiction, des chercheurs, des inventeurs qui auront pour mission d'imaginer la guerre de demain en émettant des hypothèses complètement folles et dignes d'Interstellar. Si vous vous y intéressez, vous verrez que c'est encore plus disruptif que "Think out of the box".

Nous avons lancé une rénovation de la DGA et une réforme des procédures d'acquisitions d'armement, pour améliorer les délais, maîtriser les coûts, adapter les programmes à nos besoins. Il s'agit aussi de rendre la DGA accessible à toutes les entreprises et d'y intégrer pleinement l'innovation.

Alors si je vous dis tout cela, c'est parce que nous avons une politique d'innovation globale qui intègre les travaux académiques, qui finance de la recherche pour plus d'interaction avec les écoles.

Lorsque la DGA lance des programmes dans le quantique par exemple, nous cherchons à financer des thèses dans ce domaine.

Vous êtes l'une de ces écoles d'excellence avec laquelle nous avons le plus de connivence et le plus de proximité : je suis également persuadée que la recherche que vous développez ici, a une place de choix au coeur de l'effort scientifique du monde de la défense. C'est d'ailleurs démontré par l'implication de votre école auprès de la DGA, de la Marine nationale, de l'Ecole navale et de la technopôle BrestIroise au sein d'ORION.

La recherche de défense, coordonnée entre les différents laboratoires de l'école doit continuer à grandir et à s'étoffer pour répondre aux nouveaux défis. Le soutien des industriels du secteur, Thales, Naval Group, ainsi que beaucoup d'autres de plus petite taille, c'est une richesse et je sais que vous saurez le mettre à profit de la recherche de défense.

Vous avez de l'or dans vos laboratoires, il faut que vous en soyez conscients. Il faut mieux mettre en valeur le potentiel des laboratoires de l'école, notamment auprès des acteurs du ministère et des industriels de notre secteur : c'est pourquoi nous avons décidé de renforcer les liens entre votre école et l'Agence de l'innovation de défense.

Les capacités scientifiques qui sont rassemblées dans le Finistère, notamment dans le domaine de l'hydrographie, de la pyrotechnie et de l'architecture navale et des technologies de l'information appliquées au monde maritime sont uniques. Elles sont reconnues au niveau internationales et essentielles au succès de nos opérations. Elles sont le fruit de vos talents, de ceux de l'Ecole Navale, de l'Institut Mines Telecom Atlantique, du SHOM ou bien d'autres établissements dont je ne citerai pas la longue liste.

En aval de vos activités, nous avons une filière maritime qui a un besoin criant d'ingénieurs, et ce qu'on appelle l'économie bleue a un potentiel de croissance formidable. Je crois donc nécessaire que désormais, vous puissiez intensifier les liens avec les autres établissements qui, notamment en Bretagne, sont à la pointe de la recherche, de l'ingénierie et de la formation en matière maritime. Nous l'avons fait dans d'autres domaines, dans d'autres régions, avec le groupe ISAé, avec l'Institut polytechnique de Paris, et vous-même vous l'avez fait, à l'échelle de la recherche en mécanique, en vous rapprochant il y a quelques années d'autres laboratoires bretons pour créer l'institut de recherche Dupuy de Lôme, qui est aujourd'hui une institution scientifique reconnue.

Dans le domaine maritime, c'est le moment d'aller de l'avant. Et vous aurez mon soutien pour cela, pour coordonner les efforts avec les autres ministères concernés. Ce que je vous demande donc, c'est de me présenter une feuille de route d'ici la fin de l'année qui propose un rapprochement pragmatique, respectueux des identités, mais qui devra créer des synergies et permettre d'accéder à la visibilité internationale.

Je vous le disais tout à l'heure, je n'ai plus tout à fait l'âge de l'espoir. J'ai désormais l'âge d'avoir des convictions, et j'en une, profonde : vous êtes l'espoir de notre défense pour les 30 prochaines années. Vous êtes l'espoir de notre pays. Alors, gardez votre passion, celle de vos jeunes années, gardez votre optimisme, cultivez votre curiosité, saisissez toutes les opportunités. Acceptez le risque, acceptez de vous donner à une cause plus grande, plus forte.

Moi-même, je me suis engagée il y a bien des années dans un parti politique qui avait un hymne, je ne vous le chanterai pas mais il se chantait bien : " Changer la vie".

Et bien ces mots, je les crois plus que jamais exacts.

C'est profondément ce qui doit nous animer, une volonté puissante et pourtant toute simple : celle de changer la vie, de modifier les quotidiens, de bouleverser les habitudes.

Alors n'écoutez ni les cassandres, ni les critiques, et si vous croyez en quelque chose, une idée, une vocation, la France, peut-être, alors foncez et engagez-vous.


Merci à tous !


Source https://www.defense.gouv.fr, le 5 juin 2020