Conférence de presse de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations franco-égyptiennes, la situation en Libye, la question israélo-palestinienne, les tensions en Méditerranée orientale et l'islam en France, Le Caire le 8 novembre 2020.

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Circonstance : Entretien avec M. Sameh Shoukry, ministre égyptien des affaires étrangères

Texte intégral

Merci, Sameh, de ton accueil. On pourra dire ici que c'est mon neuvième déplacement comme ministre des affaires étrangères et c'est mon dix-neuvième déplacement en tant que ministre, toutes fonctions confondues, depuis 2012, ici, au Caire. Je dois dire que j'ai une relation étroite avec Sameh ; c'est sans doute le ministre avec lequel je parle le plus, nous avons une relation très forte et je voudrais à nouveau te remercier de ton accueil et de ton hospitalité. Cela montre aussi combien la France a besoin de cette relation stratégique forte et globale avec l'Egypte. Nous devons constater que face aux crises multiples que nous devons affronter, face aux défis sécuritaires, sanitaires, climatiques, auxquels nous sommes confrontés, face à cette responsabilité qui nous incombe de reconstruire un multilatéralisme que d'autres s'emploient à saper, je constate que la France et l'Egypte se retrouvent sur l'essentiel.

Avec le Président Sissi ce matin, puis à l'instant avec Sameh Choukry, nous avons eu de longs échanges, sur les attentats terroristes dont la France, notamment, a été victime au cours de ces dernières semaines. Nous avons eu aussi des échanges sur la campagne anti-française qui s'est répandue dans la région, souvent à partir d'une exploitation manipulée, déformée des propos du Président de la République. J'ai rappelé et je rappelle ici le profond respect que nous avons pour l'Islam, et c'est porteur de ce message que je verrai tout à l'heure le Grand imam de l'université Al-Azhar. J'ai rappelé aussi, et c'est pour moi une évidence, que les musulmans de France font partie de l'histoire et de l'identité de la République française. Ce que nous combattons, c'est le terrorisme, et c'est le détournement de la religion, c'est l'extrémisme. Ce combat n'est pas un combat que nous menons seuls, parce que le terrorisme, l'extrémisme visent aussi les Etats de la région, les Egyptiens le savent mieux que quiconque, parce qu'ils l'ont vécu dans leur chair et dans leur histoire récente. C'est donc ensemble que nous devons mener ce combat, et je veux saluer le rôle des autorités égyptiennes à cet égard. Il y a l'islam d'un côté, l'extrémisme de l'autre.

Nous avons aussi évoqué les crises régionales, la Libye en premier lieu. Nous avons relevé ensemble que les évolutions des dernières semaines vont dans le bon sens, l'accord de cessez-le-feu depuis le 3 octobre et les discussions en cours sur ses modalités de mise en oeuvre, l'organisation en cours du Forum du dialogue politique inter-libyen ; et le rôle de l'Egypte dans ces évolutions a été fondamental. Il y a un chemin qui se dessine et que nous devons désormais consolider ensemble. J'ai noté une fois de plus que nous avons entre la France et l'Egypte les mêmes analyses et les mêmes exigences aussi ; celles du départ des forces des mercenaires étrangers, celles du respect de l'embargo sur les armes des Nations unies. Nous avons la même volonté de travailler ensemble à une sortie de crise politique dans le cadre des principes arrêtés à Berlin.

Nous avons également évoqué la question israélo-palestinienne, qui continue de revêtir une dimension centrale dans la région. Nous nous étions réunis à Amman en septembre dernier avec Sameh Choukry et nos homologues jordaniens et allemands et nous avons envoyé un message fort d'unité et de détermination en faveur de la solution à deux Etats. Et avec le ministre Choukry nous avons évoqué les suites de cette réunion, afin qu'Israéliens et Palestiniens puissent renouer rapidement le dialogue.

Nous avons enfin évoqué les tensions en Méditerranée orientale. La France et l'Egypte partagent la volonté de faire de cette zone un espace de coopération et non de confrontation entre pays riverains. Nous n'allons sûrement pas transiger avec la sécurité et la souveraineté des Etats riverains et à cet égard nous avons parlé que les actes unilatéraux de la Turquie devaient prendre fin.

Je souligne enfin l'importance que revêt pour nous, dans le cadre de la stabilité de la région, l'initiative égyptienne de mettre en place un Forum du gaz en Méditerranée orientale. J'ai confirmé que la France souhaitait en être membre à part entière.

Nous avons aussi évoqué dans ces entretiens de ce matin tant avec le président Sissi qu'avec mon collègue Sameh Choukry, l'ensemble des relations bilatérales, que ce soit dans le domaine économique, du développement, ou de l'éducation; une relation qui est très forte mais sur laquelle nous avons déjà tracé quelques perspectives de renforcement dans plusieurs directions, ce qui nous permettra d'avancer dans cette relation unique. La France et l'Egypte c'est un partenariat qui est essentiel ; un partenariat stratégique, un partenariat bilatéral, un partenariat aussi culturel et historique, que je suis très heureux de rappeler lors de ce nouveau passage ici au Caire.

Q - (inaudible)

R - Il y a des principes qu'il faut respecter, que nous respectons, que nous proposons depuis déjà longtemps. D'abord l'intégrité de la Libye, nous refusons toute partition, quelle qu'elle soit. Ensuite le fait qu'il n'y aura pas de solution militaire à la crise que traverse le pays et donc seul un dialogue politique inclusif peut amener à une solution de paix. Troisièmement, le fait que la solution ne peut pas se développer avec la participation d'acteurs étrangers, ce sont les Libyens eux-mêmes qui doivent définir de leur destin et non pas par le biais de tel ou tel intervenant extérieur. À partir du moment où ces trois principes sont respectés et qu'on s'engage vers un processus politique à partir des discussions de Tunis, nous sommes, modérément optimistes, mais nous sommes dans une phase positive. Je l'ai dit dans mon propos introductif qu'il importe maintenant de soutenir et de renforcer pour aboutir enfin à une solution de paix dans ce pays dont la population souffre et qui est dans une confrontation à laquelle il faut mettre fin.

Nous avons félicité Joe Biden et Kamala Harris pour avoir été choisis par le peuple américain, le président Macron s'en est fait l'écho, saluant ce nouveau président potentiel, qui le deviendra le 20 janvier. Nous avons constaté un fort mouvement démocratique, puisqu'il y a eu une très forte mobilisation des électeurs américains. Nous souhaitons travailler avec le nouveau président des Etats-Unis et son équipe dans le cadre d'une nouvelle relation transatlantique, qu'il nous faudra inévitablement refonder. Nous souhaitons travailler avec cette nouvelle administration dans un renouveau aussi du multilatéralisme, qui aujourd'hui, est menacé. Nous souhaitons aborder ensemble les grands défis dans cet esprit : à la fois le défi climatique, le défi de la santé publique mondiale, le défi du commerce international, et évidemment les grands enjeux de la sécurité collective et de la lutte contre le terrorisme. Plus singulièrement, nous sommes déterminés à engager rapidement un travail avec la nouvelle administration américaine sur les crises, en particulier les crises de la région, qui induisent des difficultés conflictuelles que vous connaissez, et qui nécessitent sur ces enjeux de sécurité intérieure de renouveler avec les Etats-Unis d'Amérique et sur ce sujet comme sur d'autres, nous sommes tous les deux en phase car nous avons évoqué ces questions au cours des entretiens de ce matin.

Q - Monsieur le Ministre, les Français de l'étranger ont reçu des mises en garde, des conseils de prudence de la part des services consulaires, à la suite de la crise des caricatures. Quel est l'état de la menace aujourd'hui pour les Français de l'étranger, et d'autre part quel est l'état de la menace économique pour les entreprises qui sont installées dans la région, est ce que vous avez pu mesurer tout ça ? Dernière chose, que fait le gouvernement face à cette menace, est-ce qu'une visite comme celle-ci, est-ce que les propos des présidents parviennent à atténuer les tensions ?

R - D'abord sur la situation des Français à l'étranger, et plus singulièrement ici en Egypte mais aussi ailleurs, nous avons fait en sorte que d'une part, les postes, les ambassadeurs, les consuls prennent des initiatives d'alerte, de vigilance, pour que l'ensemble de compatriotes soient très prudents. Et nous avons renforcé la sécurité dans un certains nombres de postes, y compris dans les établissements scolaires ; cela se fait aussi en bonne intelligence avec les autorités locales concernées.

Concernant les conséquences de la demande de boycott des produits français, notamment dans l'agro-alimentaire, généralement les appels à manifester contre la France ont des thèmes parfois haineux et relayés par certains réseaux sociaux, une espèce de violence virale, de haine virale, qui peut se traduire par de la violence concrète - on passe assez rapidement de la haine virale à la violence concrète. Nous considérons que tous ces appels sont dangereux et nous estimons cette campagne boycott est indigne de ceux qui la lancent et nous la condamnons fermement.

Pour le reste, les entretiens que j'ai eu tout à l'heure avec le président Sissi, avec mon collègue Sameh Shouky et les entretiens que j'aurai tout à l'heure aussi avec le Grand imam permet de rappeler les principes fondamentaux que nous avons. D'abord le premier principe, c'est le plus grand respect pour l'islam, je l'ai dit à l'instant, dire aussi que les musulmans en France font pleinement partie de la société, que la liberté de conscience dont ils bénéficient, la liberté de religion, la liberté de foi, fait partie des premières libertés en France et nous y sommes particulièrement attachés.

Deuxième message ; nous sommes confrontés à une menace terroriste, à du fanatisme, sur notre sol mais aussi ailleurs et ce combat-là est un combat commun. Nous défendrons toujours la liberté de pratiquer l'islam en France, et nous sommes en même temps déterminés à lutter contre l'extrémisme et le terrorisme. Et nous le faisons avec l'Egypte, car l'Egypte le sait, elle qui est aussi victime de ce terrorisme, souvent les principales victimes de ces fléaux sont des musulmans. Nous partageons donc ce combat et nous voulons expliquer, si besoin était, qu'il y a deux combats à mener en même temps : celui du respect de la liberté et de la liberté de croire, respect de l'islam, de sa culture, et en même temps, le combat contre le fanatisme et le terrorisme ; combat qui n'est pas d'hier, et qui doit se renforcer dans les semaines et les mois qui viennent, ensemble.

Q - Lors de votre entretien avec le président Sissi, est ce que vous avez pu évoquer le cas des détentions arbitraires et des prisonniers politiques, notamment le cas de Ramy Shaath ?

R - Dans cette affaire du respect des droits et de certaines situations particulières d'emprisonnement, au cours de tous les entretiens que j'ai avec le président Sissi j'évoque ces questions, y compris dans le cas auquel vous faites référence.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2020