Texte intégral
Quelques mots pour compléter ce que vient de dire le Haut représentant qui a rendu compte de l'essentiel des travaux. Je vais d'abord vous dire tout le plaisir que la France a eu d'organiser cette réunion informelle ici à Montpellier et remercier les autorités locales, Monsieur le maire, de l'accompagnement que vous avez bien voulu mener pour la bonne tenue de cette réunion informelle. Merci aussi, Monsieur le préfet, des services de la préfecture qui nous ont accompagnés.
C'était important, malgré tout, de tenir cette rencontre informelle. Quand on dit rencontre informelle, cela veut dire qu'il n'y a pas de décision prise à la fin de la réunion, et nous tenions à ce que cette réunion soit organisée à Montpellier parce qu'il y a eu ici d'abord un sommet Afrique-France mémorable, à l'automne dernier, et puis qu'il y a aussi, ici, sur les sujets qui concernent le développement, une tradition d'innovation, de recherche, d'intervention avec le CIRAD d'une part et CGIAR d'autre part ; plus les enjeux d'agro-écologiques qui sont développés dans l'ensemble de ce que je pourrais appeler une espèce de cluster agro-écologique de Montpellier. Ça donne de la force et de la résonance au sujet que nous avons abordé aujourd'hui et singulièrement, je vous le dis Monsieur le maire, au troisième sujet que nous avons abordé avec le président Issoufou sur l'affirmation du grand projet de la Grande muraille verte qui est un projet agro-écologique qui regroupe onze pays du Sahel ; qui mobilise aujourd'hui 16 milliards d'euros et qui a pour objectif non seulement de créer une muraille verte, son nom est suffisamment évocateur, mais de faire en sorte que de la Guinée-Bissau jusqu'à Djibouti, il puisse y avoir cette mise en valeur d'une nouvelle histoire du Sahel, qui permettrait de fixer les populations, qui permettrait aussi d'assurer un nouvelle agriculture et qui permettrait aussi d'assurer la stabilité. Et que le président Issoufou revienne pour parler de cela était pour nous tous, pour les 27, très mobilisateur, très passionnant, dans les perspectives. Le fait que, ce que pour ma part je ne savais pas mais je pense que personne ne le savait vraiment, le président Issoufou ait fait ses études à Montpellier, qu'il revienne 46 ans après, ici, dans une autre histoire, dans une autre aventure, c'était quand même assez émouvant.
Avant de revenir à l'Ukraine, sur les enjeux géopolitiques, ce que je retire, je crois que c'est assez partagé par Josep Borrell, je sais que nous pensons vraiment la même chose sur ce sujet, c'est que sur les enjeux géopolitiques du développement, c'est que l'Europe doit tenir sa place.
Nous sommes les premiers bailleurs au niveau mondial d'aide publique au développement, les Européens tous réunis, " team Europe ". Et nous ne le disons pas. Nous sommes bien plus importants que la Chine ou que d'autres, que les Etats-Unis, dans l'aide au développement, partout dans le monde, singulièrement en Afrique, mais pas uniquement. Et nous ne le disons pas. Parce qu'il y a une espèce d'absence de lisibilité de ce que nous sommes. Et je crois que ce matin, nous avons pris vraiment cette option d'affirmer que l'Europe est ce partenaire-là et qu'elle doit s'articuler aux réalités d'une compétition internationale, parce que le développement, c'est aussi une compétition d'influence. On le voit d'ailleurs dans certains votes aux Nations unies et nous devons, nous-mêmes, éviter d'instrumentaliser le développement à des fins politiciennes ou à des fins de sujétion, mais faire en sorte que le développement soit un outil de partenariat qui respecte la souveraineté des pays avec lesquels nous sommes en co-développement, puisqu'il y a des sujets du développement qui sont obligatoirement en partenariat ; que ce soit la lutte contre le réchauffement climatique, ou les enjeux de biodiversité dont on vient de parler.
Donc, je sors de cette réunion avec la conviction de cette prise de conscience de l'affirmation de l'Europe comme puissance de développement et comme ayant la capacité d'établir des partenariats qui évitent la sujétion ou la dépendance, alors que certains autres en font leur priorité.
Et puis, nous avons évidemment parlé de l'Ukraine, longuement, le drame qui se joue, cette tragédie, dont nous sommes loin d'être sortis, avec la mobilisation financière dont a parlé Josep Borrell, à la fois sur l'aide humanitaire, 500 millions d'euros qui ont été annoncés. La France y contribuera, elle aussi, puisque nous avons, à la demande du Président de la République, décidé de mobiliser 100 millions d'euros d'aide humanitaire pour les réfugiés ou les déplacés. Il y a aussi beaucoup de déplacés sur l'espace ukrainien.
Et puis, nous avons décidé aussi d'accompagner les financements budgétaires. Sur la part des 1,2 milliard que tu as évoqués tout à l'heure, la France mobilisera 300 millions d'euros. Mais ça, c'est pour l'immédiateté, nous sommes partis dans un drame de longue durée sur lequel nous sommes extrêmement mobilisés. Parce qu'on voit bien que ce qui est recherché, c'est finalement la négation de l'Ukraine, le déni d'Ukraine. Et les conditions de négociation proposées par le président Poutine n'ont pas changé depuis onze jours, c'est-à-dire, ce sont des conditions de négociation-soumission, et cela nous paraît inacceptable. On a eu l'occasion, au cours de cette rencontre, de réaffirmer notre totale solidarité avec l'Ukraine.
Ce qui me frappe le plus, mais je crois que j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans d'autres lieux, c'est d'abord que l'Union européenne a été unie alors que le président Poutine comptait sur nos divisions. Elle a été unie, elle a été rapide dans ses décisions et elle a été forte dans ses décisions ; audacieuse, même. L'Europe telle qu'elle est aujourd'hui n'est plus la même que celle qui existait il y a dix jours encore. Tant le chemin qualitatif, le fait de soutenir l'Ukraine, y compris dans le domaine des équipements militaires, le fait qu'il y ait des sanctions énormes qui ont été décidées et qui sont mises en œuvre que cela se passe dans une très grande rapidité. Le seul fait même que l'on puisse se mettre d'accord sur la protection temporaire des réfugiés en quelques heures, sur des sujets où il faut des compromis généralement très longs et très compliqués, où chacun doit faire des efforts et là, rapidement, cela se met en œuvre. Tout cela aboutit au fait que la violence de l'attaque de l'Ukraine par la Russie a entraîné une stimulation très forte de la part de l'Union européenne qui du coup fait qu'elle n'est plus la même, aujourd'hui, qu'il y a encore dix jours.
Et je suis convaincu que cela se confortera et se confirmera lors du sommet qui va se tenir en France, jeudi et vendredi, à l'initiative du président Macron.
Voilà l'essentiel de ce que je voulais dire.
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Q - Bonjour Messieurs, quel est selon vous le rôle que peut tenir la Chine dans la situation actuelle ? On connaît ses relations avec la Russie, elle laisse entendre qu'elle pourrait jouer les intermédiaires, qu'en pensez-vous ?
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R - Je partage ce sentiment. Le Président de la République va s'entretenir avec le Président Xi, je pense demain a priori si l'agenda est toujours maintenu dans ces termes, pour faire valoir au président chinois que la Chine a aussi des responsabilités. Elle est membre du Conseil de sécurité, et à ce titre, elle a des responsabilités sur l'évolution des situations conflictuelles dans le monde, et singulièrement du fait d'une relative proximité qui a été manifestée lors de l'accord entre le Président Poutine et le Président Xi ; c'était le 4 février dernier. Elle a des responsabilités qu'elle peut exercer, parce qu'elle peut faire pression sur la Russie. Et le seul fait que la Chine se soit abstenue dans le vote au Conseil de sécurité est un signe qu'il n'y a pas totalement alignement des positions de l'un et de l'autre, ce qui permet une capacité d'agir. Et je pense qu'un grand pays, une grande puissance, membre du Conseil de sécurité, doit user de son influence pour éviter la poursuite du pire.
Q - My question is to minister Le Drian. Concernant l'accord post Cotonou, pourquoi ce n'est toujours pas signé ? Et à quoi cela sert, ce partenariat, si on est capable de passer plusieurs mois sans un accord signé soit de la part de la Commission européenne pour les Etats membres, par chaque Etat membre, est-ce que cet accord, finalement, ce ne sera pas grand-chose, maintenant, vu qu'on a déjà ces relations entre l'Union africaine et l'Union européenne ? On entend souvent que le partenariat avec les pays ACP, ça aide la Commission européenne à tisser les liens avec des pays dans les organisations internationales, mais ça n'a pas permis par exemple de mettre une Française à la tête de la FAO. Et donc, on se demande concrètement, à quoi ça sert aujourd'hui l'accord post Cotonou ?
R - Il est essentiel, il a fait l'objet de discussions longues, qui ont permis d'aboutir à un dispositif qui n'est pas seulement un dispositif africain, vous l'avez rappelé vous-même. Et j'espère que nous pourrons aboutir à une signature sous présidence française.
Q - Bonjour, je voulais savoir quelles évolutions on pouvait attendre du côté de l'ouverture de couloirs humanitaires. Ça fera apparemment l'objet, ce sera le point central des nouveaux pourparlers russo-ukrainiens qui vont se tenir dans les heures qui viennent. Le président Macron a dénoncé une position cynique de la Russie. Comment est-ce que vous voyez la situation évoluer ?
R - J'ai eu l'occasion de dire hier que dans l'évolution de la situation militaire, on allait vers une période très difficile qui était la période des sièges : siège de Kharkiv, siège de Marioupol, qui sont engagés, mais qui n'ont pas abouti, en raison de la forte résistance qui est exercée par les militaires et la population civile ukrainienne ; siège demain d'Odessa, siège demain de Kiev. Or, nous avons sur les sièges initiés par les forces armées russes une sinistre expertise, dont la dernière manifestation récente était celle d'Alep. Avec sans arrêt le même scénario - c'est ce que j'ai dit hier donc c'était avant l'évènement d'aujourd'hui - : bombardements, proposition de corridor sanitaire, humanitaire, dénonciation de la rupture du corridor par l'adversaire, alors qu'il y a une provocation qui est faite par celui qui, lui-même, délimite le corridor, tentative de négociations et pourparlers pour mieux condamner l'adversaire qui sort de ces négociations parce qu'on le provoque à sortir, re-bombardements, et on recommence.
Regardez l'histoire d'Alep, c'est comme cela ; regardez l'histoire de Grozny en Tchétchénie, c'est comme cela ; et malheureusement, nous sommes à un nouveau rendez-vous ; et il ne faut pas tomber dans les pièges. Il y a un principe : c'est l'accès libre humanitaire partout. Et cet accès libre humanitaire partout, il existe aussi dans le droit humanitaire international. C'est ce principe-là qui doit être respecté, et c'est ce principe qui aujourd'hui est bafoué. Donc, je ne fais pas de ce concept du corridor humanitaire un concept que je partage. Je me demande même si, dans les écoles de guerre russes, il n'y a pas des cours pour expliquer "bombardements, corridors, négociations, ruptures, on recommence". C'est assez dramatique, mais ça fait malheureusement froid dans le dos.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2022