Entretien de Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'Etat chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, avec France 24 le 18 février 2023, sur les relations avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

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Intervenant(s) : 
  • Chrysoula Zacharopoulou - secrétaire d'Etat chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux

Texte intégral

Q - Avec nous aujourd'hui, la secrétaire d'Etat au développement, à la francophonie et aux partenariats internationaux, Chrysoula Zacharopoulou. Bonjour.

R - Bonjour

Q - Merci de venir dans notre studio à France 24, d'autant que vous êtes soumise à un calendrier très, très chargé, très serré, c'est le moins qu'on puisse dire. Vous faites beaucoup de voyages et vous revenez notamment d'Afrique de l'Ouest. Donc merci d'être avec nous aujourd'hui. Entamons, justement, cette interview sur l'Afrique de l'Ouest, le Burkina Faso. Dans quelques jours, les dernières forces françaises, les forces spéciales Sabre vont quitter le Burkina Faso, leur camp de Ouagadougou, à la demande des autorités burkinabées. Tout cela fait aussi suite à une sorte de désamour entre le Burkina Faso et la France, avec la demande de remplacement de l'ambassadeur de France. Est-ce que ce départ des forces françaises, c'est un nouveau camouflet pour la France ?

R - Comme vous avez dit, j'ai été au Burkina Faso, il y a presque un mois. Et je pense que la France, vu notre histoire avec le Burkina Faso, a un partenariat de différents types. On a un partenariat sur le pilier humanitaire, sur les questions de développement, de l'entreprenariat, et sur le volet sécuritaire, comme vous venez de le dire. Et moi, j'étais très claire quand j'ai rencontré le président de transition Traoré. Comme vous l'avez dit, j'y suis allée pour le rencontrer...

Q - Vous avez passé deux heures avec lui. De quoi avez-vous parlé avec le capitaine Traoré - qui est un homme assez discret ?

R - Nous avons discuté de la relation entre nos deux pays et sur beaucoup de choses, et mon message était clair. Il est clair toujours, comme je l'ai dit et je le répète, que la France peut faire plus, on peut faire moins... Chacun est libre de choisir, mais chaque choix, je pense, c'est normal qu'il a ses conséquences. On sait très bien qu'il n'y a pas une rupture des relations entre les deux pays. Vous avez parlé de la question du départ des forces militaires. On respecte leur choix. C'est une question qui relève de leur souveraineté. Le ministre des armées s'est exprimé. Au-delà, la relation entre les deux pays continue.

Q - Et quelle est, donc, la nature de cette relation avec le Burkina Faso? Puisqu'on sent que ce n'est pas le exactement la voie malienne, avec une rupture assez dure, mais ça ressemble un petit peu. Donc quelles sont les relations que la France maintient à travers vous avec le Burkina Faso aujourd'hui ?

R - Vous savez, je n'aime pas comparer les pays et les situations. Je pense que ce n'est pas juste et ce n'est pas correct non plus. Et j'étais là bien sûr. J'ai rencontré le président de transition, mais j'ai rencontré tous les acteurs de la société : j'ai rencontré la jeunesse, j'ai rencontré des entrepreneurs, j'ai rencontré des femmes... et là, le discours est qu'il y a envie de France, de continuer à faire des choses. J'ai rencontré bien sûr les Français qui habitent là, et qu'il y a beaucoup, vous voyez, des mariages, des histoires, et on ne peut pas nier cette histoire humaine. Je pense qu'il faut le souligner. Il faut distinguer parfois les questions sécuritaires et la richesse du partenariat sur le terrain

Q - Ça veut dire que vous êtes, Madame la Ministre... Il est possible que vous retourniez au Burkina Faso parler au capitaine Traoré ?

R - Bien sûr, Bien sûr ! C'est un dialogue politique. Je suis une femme politique. Je suis allée, je suis fière de ce que je suis. Je suis fière d'être Française, d'être européenne, d'en représenter les valeurs, et je peux aller discuter avec tous les dirigeants.

Q - Est-ce que vous iriez également au Mali, où là, on ne compare pas - j'ai bien entendu votre message - les situations, mais la situation est un peu plus tendue ? D'ailleurs, France 24 et RFI sont coupées. Il n'y a plus d'ambassadeur. Est-ce que vous seriez prête à demander une invitation au gouvernement de transition malien et à y aller ?

R - La question du Mali est une autre question. C'est pour ça que j'ai dit qu'on ne peut pas comparer. Il y a eu une agressivité, des attaques contre notre pays, et ce n'est pas le même cas.

Q - Et c'est irréversible pour vous, vous pensez, la relation, la rupture, la mésentente entre la France, entre Paris et Bamako ? C'est irréversible. Vous pensez?

R - Je ne crois jamais que les choses sont irréversibles.

Q - J'espère que vous serez entendue à Bamako, Madame la Ministre. Parlons un peu de guerre informationnelle. Cette lutte d'influence qu'on appelle guerre informationnelle. On sait que ce sont des sujets très importants d'influence française, notamment l'Afrique de l'Ouest. Les Russes sont très, très à l'offensive, puisqu'on dit même qu'ils ont dix, peut-être vingt ans d'avance sur nous, avec une hostilité prononcée, des technologies de guerre informationnelle. Quelle est la stratégie, votre stratégie, dans cette guerre informationnelle qui domine un peu aujourd'hui cette nouvelle mondialisation de l'information ?

R - J'aimerais tout d'abord dire qu'il faut se rendre compte - je le souligne - de qui nous sommes, et de tout ce qu'on fait avec le continent africain. Et nous, je pense, nous avons appris - tous, aussi au niveau européen - des erreurs du passé. Et aujourd'hui, on travaille avec les pays africains dans un sens de partenariat. C'était ça la demande de nos partenaires. Alors, comment peut-on répondre ? Moi, je vais vous faire des exemples très simples, parce que tout notre partenariat, c'est sous le respect mutuel, sous les questions de souveraineté de chacun.

Alors, vous me parlez, vous des Russes, mais moi, je veux parler de la France et de l'Europe parce que je suis fier de ça. Je le répète. Nous, nous avons aidé les pays, soutenir les pays africains, pendant la pandémie. Maintenant, avec les conséquences de la guerre, nous encore, on est devant pour aider et soutenir les pays, à leur demande, d'acquérir la souveraineté alimentaire, l'accès à l'énergie. Et le président Macron, pour aider, il a mobilisé à Paris un sommet pour le financement des économies africaines, sur les questions du multilatéralisme. La France et l'Europe, nous sommes là pour soutenir, toujours, les partenaires africains, sur les questions d'adaptation, sur les questions de climat, tout ça. Alors, vous le voyez, nous, on est, on donne, on offre ça comme partenariat. Et je pense, je pense - permettez-moi de dire - qu'il faut le mettre en avant. On a été beaucoup, très timides, et sur la question de la communication, nous n'avons jamais souligné ce que nous faisons. Mais je pense que c'est très important aussi d'aller le dire, l'expliquer aux Français et à nos amis africains.

Q - Mais tout de même, pour parler des Russes, comment on peut agir, comment on peut riposter quand on a le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, qui fait trois voyages en Afrique en quelque temps, en quelques semaines, et qui a des mots extrêmement durs, une franche hostilité en ciblant la France ? Quelles sont les armes de la diplomatie française ? Quelles sont les armes de la France, que vous représentez, face à cette nouvelle forme de comportement hostile ?

R - Mais l'exemple, je vais vous le donner directement. Vous avez parlé du ministre des affaires étrangères russe ; il était au Mali, pendant que moi, avec mes collègues européens, avec la Commission européenne, la Banque européenne d'investissement, ce qu'on appelle l'Equipe Europe, on était en même temps, par le hasard du calendrier, en visite au Niger. Voilà ce qu'on offre, nous. Nous, on était là pour parler de la priorité du président Bazoum, de l'éducation, de l'éducation des enfants. On est allés visiter des choses qui peuvent changer la vie des personnes sur les questions de l'accès à l'eau...

Q - Oui, mais le message russe passe quand même dans certaines sociétés, factions, portions de sociétés africaines, avec un message panafricaniste anticolonial. Qu'est ce qu'on fait contre ces mots qui marquent, quand même, qui marquent les populations ?

R - Je pense que nous devons continuer à faire ce que nous faisons, comme je dis, en Equipe Europe, parce que c'était la première fois qu'on faisait une visite comme ça. Il faut expliquer et il faut communiquer sur ce que nous sommes.

Q - Alors vous parlez du Niger parce que vous en revenez, à Niamey. Une visite assez remarquée, avec le président Bazoum, qui d'ailleurs était en visite à l'Elysée, cette semaine. C'est le dernier grand allié dans la région où il y a un grand désamour, on l'a déjà dit, de la France, ancienne puissance coloniale, et avec une réarticulation, un redéploiement des forces armées françaises qui ont quitté le Mali, qui s'installent, sans doute sur la durée, au Niger. Est-ce qu'on ne peut pas craindre là aussi que la présence française puisse exacerber un sentiment anti-français dans un pays qui est, encore une fois, un des derniers alliés de la France, dans cette région du monde ?

R - Le Niger est un allié de la France et de l'Union européenne. Le Niger est un pays - vous avez oublié de le souligner, excusez-moi - démocratique. C'est pour ça que nous sommes alliés. C'est pour ça que c'est un voyage en Equipe Europe. Là aussi, nous travaillons tous ensemble, en tant qu'Européens. On a visité un projet qui s'appelle EUCAP : c'est un projet où on offre, en Européens, des formations et des équipements aux forces de sécurité intérieures. Et ça, on l'a visité tous et on a parlé avec toutes les nationalités d'Europe. C'est la même chose qu'on fait avec les Européens sur les questions sécuritaires. On est là à leur demande, on est là pour les soutenir, on est là parce qu'ils ont demandé, par exemple, notre aide sur la question des formations. Mais c'est un peuple souverain. Et je pense, voilà le partenariat que nous voulons, et qu'eux veulent. Et c'est pour cela, je pense, qu'est arrivé le moment de l'expliquer.

Q - Chrysoula Zacharopoulou, merci beaucoup. C'est la fin de l'entretien de France 24. Nos programmes continuent sur nos antennes en français, en arabe, en anglais et en espagnol. À bientôt.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 février 2023