Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,
Mesdames les Sénatrices,
Messieurs les Sénateurs,
Nous le savons tous, les uns et les autres : l'Afrique est une région "où se joue une partie de notre avenir commun".
Ce constat, qu'avait fait le Président de la République en 2017, devant les étudiants de l'Université de Ouagadougou, reste résolument actuel.
Nous partons d'une réalité : l'Afrique subsaharienne compte aujourd'hui 1,1 milliard d'habitants. Selon les Nations unies, sa population devrait doubler d'ici 2050.
L'Afrique, c'est donc un dynamisme réel dans notre voisinage immédiat, avec ce que cela signifie en termes de défis comme en termes d'opportunités.
Du côté des opportunités, ce sont des perspectives de développement. Avec une participation toujours plus importante du continent dans l'économie mondiale, ce sont des marchés à consolider ou à investir pour nos entreprises. C'est une jeunesse dynamique, entreprenante, créative.
Côté défis, ce sont tous les risques induits précisément par cette forte croissance démographique, dans un espace très exposé par ailleurs au changement climatique et à ses multiples et terribles conséquences.
Tout cela nous met face à des enjeux immenses concernant le développement, la transition climatique, le partage de la richesse, l'éducation ou encore la santé, avec toutes les conséquences possibles sur les plans sécuritaires, sanitaires, migratoires etc.
Pour toutes ces raisons et devant toutes ces réalités, nous avons bel et bien, selon une formule employée par le Président de la République fin février, "un destin lié avec le continent africain". "Ce n'est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, c'est un fait "et" tout dépendra de ce que nous en faisons".
On a trop souvent considéré, de ce côté de la Méditerranée, que les relations entre la France et l'Afrique étaient un peu comme celles de Montaigne et La Boétie : parce que c'était lui et parce que c'était moi.
Nous avons trop longtemps pensé que nos relations allaient de soi, en faisant comme si les Africains nous donneraient toujours leur préférence, et depuis longtemps, c'est un réflexe immuable qui nous est venu. Or rien n'est plus faux. Et dans un monde toujours plus concurrentiel, cette attitude conduirait inévitablement à perdre en crédibilité, au moment précis où notre coopération commune n'a jamais été aussi souhaitable.
L'époque où certains considéraient l'Afrique comme le terrain d'une rivalité à somme nulle entre puissances est également totalement dépassée. Les pays africains ont depuis bien longtemps diversifié leurs partenariats, comme nous tous d'ailleurs.
En somme, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et les Sénateurs, la politique étrangère de la France en Afrique, c'est mettre fin définitivement à cette logique, à cette mentalité de l'évidence, pour mieux avancer ensemble, main dans la main, en véritables partenaires.
Et nous avons pour cela des atouts nombreux et qu'il nous faut faire valoir.
Le premier, c'est l'intensité de nos liens humains. C'est cette langue française que nous partageons avec l'Afrique francophone. C'est ce million de Français de La Réunion et de Mayotte qui vivent en Afrique et dont nous voulons renforcer l'intégration régionale.
Ce sont aussi nos diasporas, aussi bien les Français qui vivent en Afrique que les Africains qui vivent en France. Sans oublier, bien sûr, ces millions de nos compatriotes qui sont liés à ce continent.
Enfin, il y a l'ambition de la France. La France qui entend donner la pleine mesure de ses moyens à son action.
Une ambition qui se retrouve d'abord dans notre aide publique au développement, dont je rappelle qu'elle est passée, entre 2017 et 2022, de 10 à 15 milliards d'euros par an. La France est ainsi devenue le 4e bailleur mondial en 2022, et le seul à avoir accru ses financements sur le continent africain, avec 5,2 milliards d'euros de financement bilatéraux et multilatéraux destinés à l'Afrique. À Bruxelles également, nous défendons la place de l'Afrique comme première région de notre solidarité européenne.
À une échelle plus globale, le Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, les 22 et 23 juin, vise également à conjurer un risque de fracture croissante entre le Nord et le Sud, en voulant répondre aux besoins des pays en développement pour financer notamment la transition écologique et la sortie de la pauvreté.
Notre ambition, c'est aussi celle que nous manifestons en soutenant les attentes de l'Afrique d'être mieux intégrée à la gouvernance mondiale. Nous sommes depuis longtemps résolument favorables à une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, avec l'attribution d'un siège de membre permanent à un pays africain, ainsi qu'à une participation pleine et entière de l'Union Africaine au G20.
Notre ambition, nous la déployons aussi dans notre réseau culturel, grâce à 28 Instituts français et 109 Alliances françaises, rien qu'en Afrique subsaharienne. Les 108 établissements scolaires affiliés à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger présents sur le continent sont un autre outil de rayonnement auprès des générations futures.
En France, nos universités accueillent un nombre toujours croissant d'étudiants africains. Ils étaient 150.000 en 2021, en augmentation de 40 % depuis 2017.
Notre ambition, elle se déploie aussi, évidemment, sur le terrain économique.
Il faut d'ailleurs se méfier de certains faux-semblants. Je voudrais y revenir brièvement.
Les économies africaines s'étant largement mondialisées, oui, nos parts de marché ont pu marquer le pas, mais la croissance africaine a été telle que notre présence économique a augmenté en volume, avec de plus en plus de PME françaises qui se tournent vers le continent. En 15 ans, le nombre des filiales d'entreprises françaises en Afrique a doublé, de même que nos investissements. La France est aujourd'hui le 2e investisseur étranger en Afrique. Voilà des choses que l'on dit ou on lit trop peu souvent.
Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir cette dynamique, en assumant pleinement nos intérêts.
Cette ambition, elle se déploie aussi dans un dialogue continu, approfondi, avec nos partenaires africains sur tous les sujets d'intérêts communs, et ils sont nombreux.
Au premier rang de ceux-ci figure, bien sûr, la lutte contre le changement climatique. En 2021, à la COP26 de Glasgow, nous avons ainsi pu être précurseurs en nous engageant dans le partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) pour l'Afrique du Sud, pour faire progressivement sortir ce pays de sa dépendance au charbon, Afrique du Sud, où je me rendrai d'ailleurs dans deux semaines.
Dès le début de la guerre russe en Ukraine, qui a très sévèrement aggravé l'insécurité alimentaire et touché en particulier le continent, nous nous sommes mobilisés en faveur des pays les plus vulnérables, en particulier en Afrique. Nous avons notamment financé et facilité l'envoi de céréales et l'amélioration de la sécurité alimentaire, comme récemment avec les 20.000 tonnes [prononcé 20 millions] d'engrais transportées vers le Malawi. J'avais pu me rendre aussi en Éthiopie, où nous avions acheminé, avec l'aide de l'Allemagne, 26.000 tonnes de céréales, si ma mémoire est bonne, à destination du Programme alimentaire mondial. Nous avons doublé notre contribution à celui-ci, et nous travaillons aussi au renforcement des systèmes alimentaires en Afrique. D'un autre côté la Russie, quant à elle, exerce un chantage constant sur la reconduction de l'initiative pour l'exportation des céréales par la mer Noire, Black Sea Grain Initiative.
Vous vous en doutez bien, la guerre en Ukraine est au cœur de nos discussions avec nos partenaires africains, pour en limiter les conséquences néfastes pour eux, j'en évoquais quelques aspects, mais aussi en soi, parce que l'agression d'un pays souverain par un pays voisin est une agression aussi contre les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, comme le principe de l'égalité souveraine et le respect de l'intégrité territoriale des États : sans le respect de ces principes, les États ne peuvent avoir ni paix ni stabilité. Nous le faisons valoir à l'ensemble de nos partenaires dans le monde entier, et notamment auprès de nos partenaires africains, qui parfois ne le voient pas suffisamment, en voyant l'Europe comme trop loin.
Dans notre dialogue avec eux, nous défendons sans relâche la nécessité de maintenir et d'accroître ensemble la pression sur la Russie, pour faire en sorte que son agression échoue, car en réalité c'est bien l'avenir et la sécurité de toutes les nations souveraines qui est en jeu. Une agression qui serait récompensée ouvrirait la voie à d'autres agressions, là ou ailleurs. Tous doivent en être conscients, parce que tous, nous sommes concernés.
Ce rappel est d'autant plus indispensable, au moment où six chefs d'État du continent, vous le savez, s'apprêtent à se rendre à Kiev et à Moscou, dans le cadre d'une initiative de paix, dont les contours restent à dessiner. Toute initiative doit s'appuyer sur le plein respect des principes fondamentaux de la Charte.
Plus généralement et partout sur le continent, la France met sa diplomatie au service de la paix.
C'est le cas en Afrique de l'Ouest, où les pays du Sahel et du Golfe de Guinée font toujours face à une importante menace terroriste. Mais je laisserai le soin au ministre des Armées de revenir avec vous plus en détail sur les aspects militaires de notre action.
Au Soudan, nous sommes en contact avec les deux parties au conflit, ce qui nous a non seulement permis d'évacuer les Français désireux de quitter Khartoum, en avril dernier, ainsi que de très nombreux ressortissants étrangers, mais ce sont des contacts qui doivent nous conduire à les convaincre de renouveler la trêve, de la rendre effective, et également de rechercher une solution politique qui est nécessaire.
Dans les Grands Lacs également, notre diplomatie est aussi à la manœuvre, pour soutenir le processus de paix.
Enfin, nous dialoguons en permanence sur les sujets ayant trait à l'État de droit, la démocratie, la lutte contre la peine de mort, l'égalité entre les hommes et les femmes, les droits des personnes LGBT+, la liberté d'expression, ou plus généralement, sur l'ensemble des sujets, sur lesquels la France a des positions à tenir. C'est ce que nous faisons partout, dans le monde, que notre interlocuteur soit africain ou non.
Car l'autre grande clé de compréhension de notre politique étrangère en Afrique est à trouver dans cette volonté, clairement exprimée, "de bâtir une relation nouvelle, équilibrée, réciproque et responsable", et je cite, là aussi, les mots du Président de la République.
C'est exactement ce type de relation que nous menons avec chacun des 54 pays du continent, dans le cadre de 54 relations bilatérales. Il n'y a pas une Afrique, il y a beaucoup d'Afriques, et nous avons 54 partenaires en Afrique.
Tous ces pays ont leurs spécificités, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il ne faut pas réduire les relations franco-africaines à une seule situation, au prix de raccourcis et de simplifications, comme on en voit tant et tant.
Se laisser prendre au piège de fausses paniques déclinistes ou s'enfermer dans des complexes qui n'ont pas lieu d'être, c'est ne pas être à la hauteur de ce qui se passe réellement sur le continent, où concrètement, et à la très grande majorité des cas, nous avons des relations qui fonctionnent bien et qui portent leurs fruits.
Pour autant, on le sait, il y a aussi des vents contraires, et nous sommes déterminés à y faire face.
Je pense en particulier à la diffusion de discours anti-français dans certains pays, en particulier d'Afrique francophone.
Ces discours, nous devons en comprendre l'origine. Ils sont pour partie liés à l'héritage de l'histoire, pour partie aux frustrations de la jeunesse, et pour partie, nous le savons tous, également, à des entreprises hostiles, souterraines ou moins souterraines, venant notamment de la Russie.
Et face à chacune de ces causes, nous agissons résolument. C'est notamment le sens de notre présence sécuritaire en Afrique, avec une dynamique qui est désormais plus partenariale, moins visible, et là aussi je laisserai le ministre des Armées détailler notre nouvelle posture.
C'est aussi le sens de la démarche entreprise auprès de certains pays, où notre relation doit faire face à une mémoire troublée, à un "passé qui ne passe pas", parce que l'on n'a pas assez tôt, assez résolument, fourni les efforts qui étaient attendus de nos partenaires africains, et qui étaient, nous le pensons, nécessaires.
Alors, cela a été fait, au Rwanda notamment, un exemple qui doit nous montrer la voie. Au Rwanda, nous avons pu mener des travaux avec des historiens des deux pays, ce qui a permis à la France de regarder notre histoire en face et de mieux construire une relation de confiance. C'est également, vous le savez, la voie que nous prenons au Cameroun, depuis l'été dernier, avec l'installation toute récente d'une commission d'historiens et d'artistes français et camerounais.
Plus globalement, nous donnons un nouveau tournant à notre communication, en l'orientant davantage vers la jeunesse, à laquelle nous voulons montrer la réalité concrète de notre coopération, derrière ces discours bien souvent inexacts.
J'ai aussi redonné, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, à nos ambassades en Afrique les moyens de mener elles-mêmes, directement, des petits projets, avec des décisions plus rapides, plus visibles, plus proches du terrain et des bénéficiaires. Il en va de notre influence. Je viens ainsi de lancer un Fonds Équipe France, doté de 40 millions d'euros - pour certains, cela peut paraître peu, mais pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, c'est beaucoup, et pour nos ambassades, c'est apprécié - Fonds Équipe France qui permet à nos ambassades de monter des projets à haute valeur politique, et sur décision rapide, je le redis. J'ai également lancé en début d'année un fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel, de 20 millions d'euros, afin de que nos ambassades en Afrique puissent directement soutenir les acteurs des industries culturelles et créatives, avec lesquelles nous avons tant à faire et souvent qui ont tant à nous apprendre. Ces deux fonds sont complémentaires avec l'action plus structurante et de long terme que mène l'Agence française de développement.
Sur le plan culturel, après la saison Africa2020, nous inaugurerons bientôt à Paris une Maison des mondes africains, afin de faire rayonner les cultures et les créations africaines en France, mettre en valeur nos diasporas, et faire la démonstration que la France et ses partenaires africains sont plus forts et plus influents lorsqu'ils s'unissent. Cette intimité culturelle entre la France et l'Afrique doit aussi nous permettre de rayonner au-delà de nos pays et vers le monde entier. Partout dans le monde, nos Instituts programment désormais des artistes africains ou des créations franco-africaines, souvent avec un très grand succès.
Et plus que jamais, nous travaillons avec les acteurs de la société civile, avec les artistes, avec les entrepreneurs, avec les intellectuels du continent. La Fondation de l'innovation pour la démocratie, lancée en octobre dernier, avec Achille Mbembe, que je verrai bientôt en Afrique du Sud, entend ainsi mettre en réseau toutes celles et tous ceux qui inventent chaque jour des nouvelles formes de vie démocratique sur le continent, et tout cela sans donner de leçons, avec humilité, mais aussi avec conviction. Nous devons les aider, nous devons nous appuyer sur eux.
Enfin, face au défi des manipulations de l'information de la part de puissances déstabilisatrices, j'en ai cité au moins une, nous nous dotons de moyens d'agir.
J'ai augmenté les moyens du ministère en matière de communication et de rayonnement, et ce mouvement a vocation à se poursuivre. Nous avons ainsi mis en place des dispositifs de veille, de détection des manœuvres hostiles et de riposte, en particulier sur les réseaux sociaux. Nous soutenons en parallèle les fact-checkers et les écosystèmes médiatiques africains, pour qu'il y ait une presse de qualité et professionnelle, et j'ai demandé à nos ambassadeurs d'adopter une communication plus offensive, plus visible. Nous avons également mené un travail de refonte de la communication de tous nos opérateurs afin que, sur le terrain, bientôt, il n'y ait qu'un seul drapeau et qu'une seule équipe France.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et les Sénateurs, avant de passer la parole au ministre des Armées, je voudrais clore mon propos en insistant, une dernière fois, sur l'un des principaux atouts du continent qui est sa jeunesse.
Une jeunesse exigeante, entreprenante, fière. Une jeunesse qui est résolument ouverte sur le monde, qui ne veut pas qu'on lui dise ce qui est bon pour elle, ou ce qui n'est pas bon, qui ne cherche pas à ce qu'on agisse à sa place, mais simplement à ce qu'on investisse dans ses projets, dans un esprit de partenariat, dans un esprit gagnant-gagnant. Une jeunesse en fait qui ressemble tellement à la nôtre.
Une jeunesse qui nous lance un défi : celui de nous renouveler, de changer notre manière de faire. Et nous entendons cette demande. Le programme de transformation que nous avons lancé, je peux vous assurer que tous nos diplomates en Afrique le font vivre, avec conviction, avec enthousiasme, et c'est ainsi, je le sais, que la France restera un partenaire proche, pertinent, fiable, de ce continent appelé à occuper une place tellement centrale dans les équilibres du monde de demain.
Je vous remercie.
(...)
Merci, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, merci à chacun d'entre vous de vos interventions. Je crois que la première chose que je souhaiterais dire, c'est que nous faisons souvent un constat partagé sur les enjeux, sur les défis que représente le continent africain, les pays africains dans leurs relations avec nous et dans leur évolution. Et je crois constat partagé, également, du fait que nous devons continuer à évoluer, à transformer notre approche. Monsieur le président Cambon, quelques remarques partielles, tant vos points ont été nombreux, mais je voudrais revenir très brièvement sur les relations commerciales que vous avez évoquées, et dont j'avais tenu à dire par précaution, que oui, l'Afrique s'était diversifiée, comme nous-mêmes, nous diversifions nos partenariats, mais que nos exportations - notre présence économique est plus forte qu'auparavant - elles ont progressé, en volumes et en parts de marchés, ce n'est pas la même chose, chacun peut retenir ce qu'il lui semblera le plus pertinent. Je ne vous fais donc aucun reproche, Président. Je reviendrais plus longuement sur l'expression souvent entendue, que je crois trompeuse, en grande partie, de sentiment anti-français : je souhaiterais qu'on fasse attention à cette expression, parce qu'elle induit des choses qui ne sont pas, et Monsieur le Sénateur, vous l'avez souligné. Il faut distinguer, me semble-t-il, le discours anti-français du sentiment anti-français ; et ce que nous voyons souvent, c'est un discours anti-français qui se répand, pas tout seul, mais je l'ai déjà dit, et qui a joué, oui, un rôle majeur dans le basculement du Mali, dans le basculement, peut-être, du Burkina Faso, mais il ne faut pas confondre l'un et l'autre. C'est le recours à Wagner par les autorités de fait de la RCA, ou au Mali, issues de coups d'État, qui entraîne la diffusion d'un discours anti-français. En d'autres termes, ce n'est pas le sentiment antifrançais qui ferait partir la France, c'est plutôt l'arrivée de Wagner, conviée par des putschistes, comme le disait le ministre des Armées, qui fait venir la prédation, les exactions et le discours anti-français. Nous avons décidé de réagir, de nous réarmer, les moyens sont en augmentation, et aussi de dénoncer ces manipulations de l'information. Monsieur le Président, vous avez aussi dit, et je crois vous soutenir parfaitement, que nous devons assumer nos intérêts, les assumer, de façon honnête, respectueuse, décomplexée, d'égal à égal, comme partout dans le monde, et je partage le constat que vous faites sur l'influence. Nous augmentons, pour faire face à ces nouveaux enjeux, nos crédits, nos crédits de communication, et nos crédits dans les services culturels, disons, qu'on appelle maintenant d'influence, les SCAC [services de coopération et d'action culturelle] dans notre jargon. Nous allons également augmenter, vous avez vu des annonces faites par le Président de la République après la réunion du Conseil présidentiel du développement, donc nous avons décidé d'augmenter notre expertise technique de plusieurs centaines d'ETI d'ici 2027.
Je reviendrais sur certains des aspects, Madame la sénatrice Carlotti, que vous avez évoqués. D'abord la trajectoire de l'APD : oui, la loi d'août 2021, vous le savez mieux que moi, fixe des niveaux, jusqu'à cette année, ensuite elle fixe des objectifs, ce n'est pas la même chose, un objectif n'est pas impératif. D'autre part, je dois à nouveau faire remarquer que notre APD a augmenté en volume, je ne vois pas d'autre pays qui ait augmenté son aide à l'Afrique, en volume, je le disais ; et d'une façon plus générale, la France a augmenté de 50% son aide publique au développement, entre 2017 et 2022. Donc le volume de l'APD continue d'augmenter. Merci, Madame la Sénatrice, des éloges que vous rendez à nos diplomates. J'y suis sensible, vous le savez bien, mais je ne crois en rien que notre action diplomatique soit affaiblie lorsque le Président de la République décide d'augmenter les moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, décide d'en augmenter les emplois, cette année, pour la première fois depuis 30 ans, et donc après 30 ans de déclin, ou décide d'en augmenter les moyens budgétaires sur une trajectoire pluriannuelle, que nous menons jusqu'à 2027. Pour le reste, Madame la Sénatrice, non seulement nous n'avons pas la nostalgie du passé ou la nostalgie de relations exclusives, mais notre relation a changé dans les faits. Nous sommes des partenaires, nous sommes respectueux des partenaires que nous avons sur le continent africain. Nous assumons nos intérêts, je le disais, et nous nous tournons davantage vers les défis communs, les grands défis globaux : le climat, la sécurité alimentaire et tant et tant d'autres choses.
Monsieur le sénateur Cadic, vous avez évoqué l'influence de la désinformation, je n'y reviens pas, mais c'est un point important. La politique des visas, Monsieur le Sénateur, est une politique menée conjointement par le ministère de l'Intérieur et par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ou plus exactement, dit le décret d'attribution du ministre de l'Intérieur " par le ministère de l'Intérieur, conjointement avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères " ; cela ne nous empêche pas de piloter ensemble. Avec Gérald Darmanin, nous avons tenu un comité de pilotage tout récemment, nous permettant de constater que la politique des visas permet de protéger nos intérêts, à de nombreux égards, mais est aussi une politique qui permet l'attractivité de notre pays, point que nous avons développé, l'un et l'autre, en confiant à M. Hermelin le rapport dont, j'espère, vous pourrez bientôt prendre connaissance, avec l'appui des deux inspections générales. Nous suivrons ses recommandations et nous augmenterons également les moyens humains dans nos consulats. Merci de mentionner aussi, Monsieur le Sénateur, l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Le ministre des Armées en parlerait mieux que moi, mais cela traduit, en Côte d'Ivoire, notre volonté de renforcer les capacités des partenaires.
Madame la sénatrice Duranton, merci d'avoir souligné, vous aussi, - vous avez parlé de virage, je crois -, la rénovation de nos relations avec le continent africain. Tout le monde ne l'a pas fait, donc je vous en suis reconnaissante. Je crois qu'il faut rappeler aussi l'intensité, comme vous l'avez fait, de notre travail diplomatique, avec les pays africains pour relever ces défis communs. Nous l'avons fait, par exemple, avec le One Forest Summit au Gabon, tout récemment, ou par exemple nous le ferons à la fin de ce mois, avec le sommet sur le Nouveau pacte financier. Merci aussi de reconnaître ces efforts, c'est un processus constant ; ils doivent se poursuivre. Nous allons aussi continuer de nous réarmer, comme on dit, pour accroître nos capacités d'influence. Il y a encore beaucoup à faire, nous le savons, mais nous y sommes déterminés.
Monsieur le sénateur Laurent, j'ai le regret, et je parle sincèrement, d'être en désaccord avec vous sur un certain nombre de points. Par exemple, vos affirmations sur le franc CFA, qui me paraissent inexactes, parce que si nous garantissons toujours la parité avec l'euro, à la demande des pays concernés, l'obligation de centralisation des réserves de change est terminée, elle a donc disparu. Il faut le savoir et en prendre note, pour mettre son logiciel, si vous me le permettez, au goût du jour. Désaccord aussi sur ce que vous avez dit sur nos entreprises. Le nombre de filiales d'entreprises françaises a augmenté, et non pas diminué. Il n'y a pas que le grand capital -vous n'avez pas prononcé l'expression- qui serait présent en Afrique. Mais nous avons au moins un point d'accord, Monsieur le Sénateur, oui, les pays africains sont nombreux à avoir besoin de financements accrus. Donc c'est l'un des objectifs de ce sommet des 22 et 23 juin, que de permettre un nouveau pacte financier mondial, et notamment, vous le verrez, la France y plaidera pour une augmentation des droits de tirage spéciaux, augmentation qu'elle a elle-même pratiquée, nous avons tenu nos engagements de 2021, et mobilisé plus de 4 milliards de dollars de DTS pour les pays vulnérables.
M. le sénateur Guiol a évoqué la Russie et aussi la Chine. Je poursuis simplement, et je m'arrêterai là, sur ce que nous voulons faire dans le cadre de ce sommet des 22 et 23 juin, auquel la Chine sera présente et représentée par son Premier ministre, on a donc un niveau de participation important, ce qui permettra de débattre aussi de la question de la dette.
Deux points tout à fait partiels, pour répondre à deux sujets évoqués par le sénateur Gontard. Au Tchad, Monsieur le Sénateur, nous ne soutenons aucun régime, nous soutenons, comme tous les pays de la région, une transition, dont nous souhaitons qu'elle mène à des élections. Enfin, en Ouganda, je dois vous rappeler que si Total est en activité ou a des projets dans un certain nombre de pays africains, il n'y a pas de financement de l'État, ni même de garantie apportée par la France aux actions de sociétés privées commerciales.
Merci, Monsieur le Président, merci Mesdames et Messieurs les Sénateurs.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juin 2023