Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations entre la France et l'Afrique du Sud, à Pretoria le 19 juin 2023.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec son homologue sud africain, Mme Naledi Pandor

Texte intégral

Je suis très heureuse d'effectuer ma première visite de travail en Afrique du Sud, à peine un mois après avoir reçu Mme Naledi Pandor à Paris à la fin du mois de mai. Je veux la remercier devant vous de son accueil chaleureux et tous les Sud-Africains également. Quand je dis ceci, je réalise que la dernière fois que je suis venue dans votre pays, Madame la Ministre, c'était en 2002, et ça fait beaucoup trop longtemps. Il fallait donc que je revienne. L'Afrique du Sud, vous le savez, est un partenaire stratégique pour la France. Nous avons un dialogue étroit, de longue date, nourri, confiant sur tous les grands sujets du monde : le climat ; la santé ; la réforme de la gouvernance mondiale, avec, nous le souhaitons, un rôle plus grand pour l'Afrique, nous en avons parlé, mais un dialogue étroit aussi sur les questions internationales, la guerre russe en Ukraine et les questions de paix et de sécurité en Afrique. Nous nous coordonnons sur tous ces sujets majeurs. Nous cherchons activement comment faire progresser des solutions. C'est en tout cas l'esprit dans lequel je suis venue ici. Notre monde, je dis une évidence, est confronté à trop de tensions. Il faut donc redoubler d'efforts pour toujours essayer de dégager l'intérêt général, penser au long terme, penser au bien commun. Et avec nos partenaires de bonne volonté, comme l'Afrique du Sud, nous nous y efforçons et nous le ferons également à Paris la semaine prochaine.

La Ministre nous a dit qu'elle retournerait dans deux jours en France, puisque jeudi et vendredi, nous allons accueillir un Sommet à Paris, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Nous nous réjouissons de la participation du Président Ramaphosa à cet événement très important. Sommet qui, permettra, espérons-le, de dégager un consensus pour mieux répondre aux besoins de financement des pays en développement, afin de réduire la pauvreté, mais aussi de les aider à lutter pour lutter contre le changement climatique en leur permettant de mieux financer leur transition. Aucun pays ne doit être devant ce choix qui serait terrible de choisir entre réduction de la pauvreté et protection de l'environnement. Donc avec ce Sommet de Paris la semaine prochaine, nous formons le vœu, l'espoir d'avancer vers une réforme de la gouvernance économique mondiale et de lutter contre le risque de fragmentation du monde. C'est vraiment notre intérêt à tous. Donc il faudra se mettre d'accord sur des principes, des priorités et la méthode, c'est ensuite de décliner ces principes et ces priorités dans les travaux des instances compétentes, que ce soit le G20, la COP28 ou l'Assemblée générale des Nations unies pour parler de quelques échéances de la fin de l'année.

La visite du Président Macron en Afrique du Sud, il y a deux ans, a permis de renforcer nos relations bilatérales. Je suis là aussi pour réaffirmer la volonté de la France d'être un partenaire fiable et constant, étroit si nous le pouvons même de l'Afrique du Sud. Nous soutenons la transition énergétique de l'Afrique du Sud, comme les autres partenaires du JET-P, qui a été décidé à la COP26 de Glasgow et nous nous engageons, vous le savez sans doute, à hauteur d'un milliard d'euros pour financer ce JET-P. Une partie a d'ailleurs déjà été déboursée, 300 millions d'euros. Nous voulons aussi aider les populations et les territoires économiquement dépendants de la production de charbon à diversifier leurs activités. C'est nécessaire pour eux car cette transition doit aussi être "juste". JET-P, c'est "just", juste.

Depuis la pandémie de COVID-19, nous travaillons aussi main dans la main avec l'Afrique du Sud pour renforcer la souveraineté de ce pays mais plus largement de l'Afrique, Madame la Ministre, en matière de recherche et de production de vaccins. C'est un engagement que nous avions pris et il a été tenu, puisque nous avons soutenu la création d'une plateforme de transfert de technologies et de production de vaccins, basée au Cap, que nous avons financée à hauteur de 70 millions d'euros et qui a été inaugurée au mois d'avril. C'est donc un beau résultat, un résultat concret et je me réjouis chaque fois que les idées que l'on a, se traduisent de façon concrète pour le bénéfice des populations.

Et puis nous continuons à investir en Afrique. Je verrai cet après-midi des entreprises françaises, je l'ai dit à la Ministre, en soulignant que les investissements des entreprises françaises en Afrique du Sud ont doublé en 10 ans de même que les investissements d'Afrique du Sud ont considérablement augmenté en France. Je crois que c'est un signal de confiance mutuelle. Nous souhaitons que ceci se poursuive. Il y a déjà 480 entreprises françaises en Afrique du Sud qui emploient 65.000 Sud-Africains, qui contribuent aussi à la formation professionnelle. Je leur en parlerai tout à l'heure, mais nous souhaitons désormais qu'ils investissent sur les grands secteurs d'avenir : la santé, la transition écologique, la ville durable, mais aussi tout ce qui est, ça concerne peut-être de plus petites entreprises, mais c'est porteur et ça correspond aussi à notre souhait de rapprocher les sociétés par la culture et l'intelligence, tout ce que fait la French Tech, par exemple dans le secteur des industries culturelles et créatives. Je vois qu'on a un potentiel pour le business et un potentiel pour le peuple que nous voulons encourager.

De même nous souhaitons accueillir davantage d'étudiants sud-africains en France et envoyer davantage d'étudiants français en Afrique du Sud. On l'a fait. Cela augmente. Avec le gouvernement sud-africain, nous finançons des bourses et nous accroissons les mobilités croisées de nos jeunesses. Je vais rencontrer cet après-midi des étudiants sud-africains, alumni, qui s'apprêtent à étudier en France, et ceux qui s'apprêtent à partir à la rentrée prochaine.

L'amitié entre nos deux pays passe aussi par le rugby. L'amitié et parfois la compétition parce que vous êtes très, très, bons ! Vous savez que la France va accueillir à partir de cet automne la coupe du monde de Rugby, c'est au mois de septembre. On a les Jeux olympiques en 2024, mais la coupe du monde, c'est fin 2023. On attend des milliers de supporters sud-africains qui sont les bienvenus. Demain pour prendre un petit peu la température et saluer l'excellence des joueurs sud-africains, j'irai demain au Loftus Versfeld Stadium de Pretoria, pour rencontrer, guess who?, le champion du monde, "The Beast", mais aussi des joueuses, on parle aussi du rugby féminin, qui se développe beaucoup en France. Ça devient un sport très suivi, en particulier chez les jeunes. Donc bonne chance à l'Afrique du Sud, mais ne nous battez pas trop s'il vous plait parce que cela serait gentil ! J'essaie par le programme de cette visite de montrer nos coopérations.

Je voudrais terminer en saluant la mémoire de Nelson Mandela, et j'irai déposer, comme c'est la coutume, une fleur à sa mémoire et saluer de façon générale tous les héros de la lutte anti-apartheid qui ont rendu sa liberté à l'Afrique du Sud. J'ajoute que ce sera pour moi, Madame la Ministre, un moment très particulier parce que d'autres circonstances de ma vie, il y a longtemps, dans le passé, dans un passé qui est lointain mais ne s'efface pas de ma mémoire, j'ai eu l'immense privilège de pouvoir rencontrer trois fois le Président Mandela. Et vous et moi avons vu pas mal de grandes personnalités dans le monde, dans nos vies professionnelles, mais je dois vous avouer que c'est une des personnes au monde qui m'a le plus impressionnée. Je suis heureuse de pouvoir demain faire ce geste.

Q - À propos de la transition énergétique juste (JET-P), je voudrais juste comprendre comment les Français ont structuré le milliard d'euros qui devait arriver. Quel est le délai ?

R - L'engagement que nous avons pris à Edimbourg, c'est de financer à hauteur de 1 milliard d'euros avec d'autres partenaires pour atteindre les 6 ou 8 milliards qui avaient été convenus à Glasgow. La structuration dépend bien sûr des besoins tels que nous les voyons et nous avons des échanges sur ce point, encore tout à l'heure, nous en avons eu avec l'Afrique du Sud. Le premier décaissement de 300 millions d'euros a été fait par l'Agence française de développement. Ce sont des prêts concessionnels. Nous en avions parlé, Madame la Ministre, à notre première rencontre, au mois de juillet dernier, je crois, en marge du G20 en Indonésie. Les choses ont progressé, ensuite, le canal par lequel cela passe, c'est le Trésor sud-africain (National Treasury), ce qui correspond également au souhait de la partie sud-africaine avec laquelle nous sommes là pour nous adapter. Voilà ce qui a été fait. Je crois que certains partenaires de Glasgow ont également pu procéder aux premiers déboursements, d'autres pas encore, mais nous souhaitons activement les encourager à le faire et aider autant que nous pouvons à la fois sur la transition du charbon qui est une place importante ici dans le mix énergétique sud-africain vers des sources d'énergie moins polluantes et émettant moins de gaz à effet de serre, ce qui n'est pas très difficile, le charbon étant particulièrement polluant. Et avec, je le redis, cette préoccupation que cette transition ne se fasse pas au détriment mais au bénéfice des populations qui elles-mêmes doivent adapter leur travail et leur vie par cette transition.

Q - Au ministre français, les médias européens rapportent que le président français Emmanuel Macron a demandé à être invité au sommet des BRICS en août. Pourriez-vous confirmer cette information et, le cas échéant, quel serait l'intérêt de la France pour le sommet qui se tiendra à Johannesburg en août ?

R - Alors, c'est vrai que nous n'en n'avons pas parlé aujourd'hui, mais nous en avions parlé le 26 mai. Je reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure à propos du sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial. Il y a environ 120 ou 130 pays qui participeront, le Secrétaire général des Nations unies, les dirigeants des grandes organisations internationales et des institutions financières internationales, et puis bon nombre de pays des BRICS, moins la Russie, dont je dis souvent qu'elle s'est, hélas, mise hors-jeu par la décision qu'elle a prise d'agresser l'Ukraine le 24 février 2022 ; mais le Brésil sera là avec le Président Lula ; l'Afrique du Sud, nous l'avons dit toute à l'heure, sera là avec le Président Ramaphosa ; l'Inde sera représentée au niveau ministériel puisque nous travaillons ensemble pour son G20 du mois de septembre, et la Chine sera là, représentée par le Premier ministre chinois M. Li Qiang. Quatre des cinq BRICS sont là, et donc il me semble que dialoguer est toujours positif, même quand on n'est pas à 100% d'accord sur tout, il faut parler pour se comprendre, il faut parler pour trouver des solutions. Et donc, nous réfléchissons à haute voix, mais c'est évidemment une décision que les pays concernés sont seuls à même de prendre, à la possibilité de poursuivre ce dialogue, pourquoi pas au sommet des BRICS, ou dans un autre format, en tout cas ce n'est pas à nous à décider, bien évidemment, et je le répète, mais le Président de la République peut l'envisager si une invitation lui est adressée. Je crois que puisqu'ils viennent à nous, on peut aller vers eux. Le dialogue par définition marche bien quand il marche dans les deux sens.

[...]

Q - Est-ce que l'Afrique du Sud envisagerait d'inviter Emmanuel Macron, au sommet des BRICS ? Madame Colonna, est-ce qu'Emmanuel Macron viendrait aux BRICS si Vladimir poutine venait au sommet des BRICS ?

R - Votre curiosité est légitime, mais vous ne m'en voudrez pas d'observer que votre question est doublement hypothétique et que la sagesse me conduit à ne pas répondre à cette double hypothèse, tout en répétant que ça n'est pas à la France de décider du format des BRICS, bien évidemment, mais que le Président de la République est disposé à parler à chacun, comme il l'a toujours fait. Si ceci devait être envisagé, il va de soi que cela ne peut se faire que dans le plein respect du droit international, et vous connaissez la situation particulière dans laquelle se trouve le Président Poutine.

Q - [...] On entend de plus en plus de voix qui réclament une voix pour l'Union africaine au sein du G20. [...] Je me demandais si vous en aviez discuté et ce que vous en pensiez ?

[...]

R - [Interprétation de l'anglais : Je vais dire quelques mots en anglais pour que vous sachiez que nous soutenons fermement et officiellement cette participation au G20. Ce n'est pas nouveau. Mon président, le Président Macron, a déjà exprimé ce point de vue lors de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier à New York, mais nous ne cessons de le répéter, nous aimerions dire non seulement en tant que pratique comme aujourd'hui, mais aussi en tant que rôle dans le G20.]

Q - Est-ce que la France a un avis sur le plan de désescalade présenté en Ukraine et en Russie ?

[...]

R - À propos de la guerre russe en Ukraine, bien sûr j'ai été intéressée à entendre ce que Mme Pandor pouvait relater des conversations que les chefs d'État africains ont eu, tant à Kiev qu'à Saint-Pétersbourg ; et l'entendre de première main, si je puis dire, quelques heures après son retour, a une valeur particulière pour nous pour être pleinement informés des conversations qui sont en cours et des impressions que l'Afrique du Sud a pu en retirer. Je voudrais ajouter que notre position constante, j'avais eu l'occasion de le dire à la Ministre, lorsque qu'elle avait eu la gentillesse de venir à Paris pour voir quel était l'état des réflexions françaises et des projets des uns et des autres parmi certains membres de l'Union européenne. Tout effort de paix de notre point de vue est positif s'il vise à restaurer les principes de la charte des Nations unies, ces principes qui ont été attaqués et mis à mal par la décision de la Russie d'envahir l'Ukraine. Ces principes, vous le savez, c'est l'indépendance des États, la souveraineté, le droit de la légitime défense et l'intégrité territoriale. Ce sont également ces principes que le Président Ramaphosa a cités lorsqu'il a eu l'occasion de s'exprimer, il y a deux jours, sur la mission qu'il a conduite avec un certain nombre d'autres chefs d'État africains et s'est exprimé après le dernier entretien, je crois, avant-hier ou hier. En tout cas, je l'ai entendu prononcer tout cela.

Q - Sur l'Ukraine, la France préférerait-elle que l'Afrique du Sud adopte une position plus ferme ?

R - Je crois que j'ai répondu de la façon qui convenait pour montrer ce qui peut être positif dans les efforts de paix que chacun déploie. L'Afrique en déploie, elle n'est pas la seule, et croyez bien que chacun voudrait voir une paix juste et durable s'établir. Tout ceci doit viser à faire respecter les principes de la charte des Nations unies qui ont été mis à mal. Je n'ai rien entendu, ni dans les propos de la Ministre, ni dans les propos du Président Ramaphosa que je viens de citer, qui s'écarte en quoi que ce soit de ces principes. Et donc je redis que ces efforts de paix sont bienvenus dans ce cadre et avec cet objectif de paix juste et durable.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2023