Interview de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à France 24 le 31 juillet 2023, sur la situation politique au Niger.

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Média : France 24

Texte intégral

Q - Bonjour, merci d'avoir accepté l'invitation de France 24. Les ressortissants français au Niger, on en compte environ 600, doivent-ils s'inquiéter ? Est-ce qu'une évacuation prochaine est à l'ordre du jour ?

R - Bien sûr que la situation est préoccupante, elle l'est depuis que cette tentative de coup d'Etat est en cours, et encore plus après les manifestations violentes, organisées, non-spontanées, contre l'ambassade.

Nous suivons la situation de très près avec nos partenaires de la région et européens, d'heure en heure, et toutes les mesures de sécurité ont été renforcées de façon à être prêts à toutes les hypothèses.

Q - Pour revenir sur les événements d'hier devant l'Ambassade de France, comment expliquez-vous qu'une manifestation de soutien à la junte dégénère en manifestation résolument anti-française ? Est-ce qu'on peut craindre que le Niger soit tenté par les modèles centrafricain, malien, burkinabè, je pense bien sûr à l'option d'un partenariat russe : est-ce qu'on est dans cette option ce soir ?

R - C'est une hypothèse, effectivement on ne voit pas forcément spontanément des drapeaux russes portés par des Nigériens, et hier on a vu une manifestation très organisée qui a mis notre ambassade en danger. Ce qui s'est passé c'est que les forces nigériennes présentes n'ont pas pu contrôler complètement cette situation, donc il y a des manifestants qui sont entrés dans l'enceinte de l'ambassade, je crois qu'il a fallu d'ailleurs les dégager en utilisant des gaz lacrymogènes.

Tout ça n'est pas spontané, on observe en effet dans les slogans quelque chose qui ressemble de très près à des slogans qu'on a vu ou entendu ailleurs. Est-ce que ce qui s'est passé dans des pays voisins peut se passer au Niger ? Tout l'objet de nos efforts et ceux des pays de la région est précisément d'éviter que ce ne soit l'avenir de ce pays. La région elle-même est inquiète, elle a manifesté son inquiétude hier en prenant des mesures.

Q - La Russie qui dans le même temps appelle à un rétablissement au plus vite de la légalité dans le pays et à la retenue. Paris de son côté ne reconnaît pas ce Conseil national pour la sauvegarde de la patrie qui a donc pris le pouvoir mercredi dernier en destituant Mohamed Bazoum. Mohamed Bazoum qui pour Paris est le seul président légitime du Niger. Est-ce qu'on peut vraiment revenir en arrière finalement, cinq jours après le coup d'Etat ?

R - Il le faut. Le président Bazoum est le président démocratiquement élu du Niger, ce n'est pas aux yeux de Paris qu'il l'est, c'est aux yeux du peuple qui l'a élu démocratiquement et c'est également aux yeux de tous les chefs d'Etat des pays de la région qui se sont exprimés hier lors d'une réunion extraordinaire qui a de nouveau demandé le rétablissement du président démocratiquement élu dans les meilleurs délais et la restauration de l'ordre constitutionnel. C'est un message qu'il faut que les putschistes -que personne ne reconnaît- doivent entendre.

Q - L'autre message entendu hier c'est celui de la CEDEAO qui était réunie à Abuja et qui laisse jusqu'à la fin de la semaine à la junte pour se retirer. Est-ce que l'étape d'après si l'ultimatum n'est pas respecté c'est l'intervention militaire, et si oui est-ce que la France va participer ?

R - Je crois qu'il faut mettre les choses dans le bon ordre. Les chefs d'Etat de la région, de la CEDEAO, ont fait des demandes précises aux putschistes : fin du coup d'Etat, restauration de l'ordre démocratique et constitutionnel, restauration du président Bazoum démocratiquement élu comme autorité légitime. Et ce sont des sanctions immédiates d'application, à partir d'aujourd'hui.

Et l'objet de ces efforts est précisément de revenir à une situation normale. Nous ne nous plaçons pas dans l'hypothèse où les pays de la région et l'ensemble de la communauté internationale ne seraient pas écoutés, mais au contraire dans l'hypothèse - c'est l'objet de tous les efforts - pour que l'on revienne à l'ordre constitutionnel et que le coup d'Etat cesse. C'est une nécessité, il faut arrêter. Il faut que cela cesse.

Q - Le porte-parole de la junte militaire ce matin a porté des accusations contre la France, laissant entendre que votre homologue qui est devenu le Premier ministre par intérim avait demandé il y a quelques jours l'appui militaire de la France et précisément le bombardement du palais présidentiel pour délivrer le président Bazoum. C'est un document qui circule depuis quelques jours. Quel est votre commentaire, confirmez-vous avoir été mis en contact avec l'entourage du président Bazoum à ces fins ?

R - Les autorités légitimes du Niger sont le président Bazoum et son gouvernement. La seule priorité de la France, c'est la sécurité de nos compatriotes donc nous les protégeons - le président de la République s'est exprimé très vivement hier pour dire que nous ne tolérerions aucun incident. Nous sommes à la tâche pour renforcer les mesures de sécurité et se préparer à toute hypothèse s'il fallait aller plus loin.

Q - Donc il est trop tôt pour envisager un retrait des troupes françaises du Niger ? On sait qu'il y a 1500 soldats au Niger et combien le Niger est un allié précieux de la France au Sahel.

R - Oui bien sûr, les militaires français qui sont au Niger travaillent sous commandement nigérien, à la demande de ce pays, pour réaliser conjointement des opérations de lutte contre les groupes terroristes armés. Nous parlons d'autre chose.

Si la situation devait ne pas s'améliorer, mais l'objet des efforts de tous est bien qu'elle s'améliore, il faudra regarder quelle est la situation et quelle conclusion il faut en tirer. Pour le moment priorité à la sécurité de nos compatriotes. Les incidents d'hier sont inacceptables, les accusations proférées depuis sont mensongères, fausses et choquantes, donc concentrons-nous sur l'essentiel.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 août 2023