Texte intégral
Q - Toujours pas de sortie de crise au Niger. Les militaires putschistes sont encore aux commandes du pays ce matin et le président élu toujours retenu dans son palais, de plus en plus isolé. La communauté internationale continue de faire pression sur les généraux ; les Américains vont stopper leur programme d'aide. Avec nous ce matin sur France Info, la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Bertrand Gallicher, de la rédaction internationale de Radio France, est également à mes côtés pour vous interroger, Madame la Ministre. La CEDEAO, la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, a laissé jusqu'à demain aux putschistes pour rétablir le Président Bazoum. Elle n'exclut pas d'utiliser la force dans le cas contraire. Est-ce que la France la soutiendra ?
R - Les pays de la région, dès que la tentative de putsch a été lancée, ont condamné celle-ci, fait des demandes très précises, assorties de mesures de pression d'ores et déjà en vigueur pour ce qui est des sanctions et ensuite avec la menace très claire d'une intervention militaire d'une force régionale si celle-ci devait être nécessaire, le tout dans un délai de sept jours. Ces sept jours expirent dimanche. Donc il y a encore un peu de temps pour les putschistes pour rendre le pouvoir, écouter ce que leur demandent à l'unanimité les pays de la région ainsi que l'ensemble de la communauté internationale. Et sinon je crois qu'il faut prendre très au sérieux la menace de recours à une intervention par ces pays, menace qui est crédible et vous avez vu qu'il y a des préparatifs en ce sens ainsi que des déclarations des autorités de ces pays.
Q - Et si elle a lieu, est-ce que l'armée française pourrait prêter main forte à la CEDEAO ?
R - D'abord nous n'en sommes pas là et je dois redire que nous soutenons pleinement, comme tous nos partenaires, les efforts des pays de la région pour restaurer la démocratie au Niger ; la CEDEAO est engagée dans ces efforts de médiation. Il reste encore jusqu'à dimanche et ensuite, si cela devait être nécessaire, les chefs d'Etat des pays de la région devront prendre une décision et c'est eux d'abord qui fixeront le cadre de cette éventuelle intervention.
Q (BG) - Bonjour Madame la Ministre, quelle est votre évaluation des négociations en cours entre la CEDEAO et les putschistes ? La CEDEAO tient-elle la France au courant ? Et apportez-vous votre concours à ces efforts diplomatiques ?
R - La première mission qui s'est rendue sur place n'a pas permis d'obtenir des putschistes qu'ils renoncent au pouvoir. Les efforts de la CEDEAO néanmoins continuent, menés principalement par le Nigéria. Bien sûr, la CEDEAO tient au courant l'ensemble de ses partenaires dont la France mais pas seulement la France, de ses progrès, de ses efforts, de ses déceptions, mais aussi de sa détermination à faire en sorte que les coups d'Etat ne soient plus une pratique acceptable, qu'il y soit mis fin, qu'il y soit mis fin le plus rapidement possible et que revienne l'ordre démocratique au Niger. Ces putschistes font un mal terrible à leur pays mais menacent aussi la stabilité de la région. C'est la raison pour laquelle la réaction des pays concernés autour du Niger, objet de tentative de coup d'Etat, a été tout de suite extrêmement ferme. Nous les voyons déterminés. Encore une fois, il y a des mesures qui ont déjà été prises et il y a aussi cette menace de devoir recourir, s'il le fallait, à une force régionale. Ces pays se sont préparés...
Q - Mais, Catherine Colonna, pour l'instant, les négociations n'ont rien donné. Vous croyez, vous, encore, à une issue diplomatique et au retour du Président Bazoum à l'issue de l'ultimatum d'ici demain soir ?
R - Il faut croire que la raison prévaudra de la part des putschistes ; il serait bien de prendre la menace très au sérieux. Les chefs d'état-major des pays concernés se sont réunis pour la préparer, l'ont fait savoir, ils ont des plans et je dois ajouter que plusieurs de ces pays disposent de forces robustes et ont fait savoir qu'ils étaient prêts, si c'était nécessaire, à intervenir. Cela dit, nous sommes toujours à l'intérieur du délai de sept jours et les putschistes ont jusqu'à dimanche pour prendre une décision qui est la seule que nous leur demandons de prendre ; toute la communauté internationale a condamné ce coup d'Etat, a demandé le retour à l'ordre constitutionnel, a demandé le retour à la liberté du président élu ; les coups d'Etat ne sont plus de mise, ce sont des pratiques inacceptables et il est temps d'y mettre fin.
Q - Donc, si dimanche ils sont encore au pouvoir, vous reverrez votre position.
R - Si dimanche ils devaient être encore au pouvoir, et nous voulons croire que non, nous voulons croire qu'ils écoutent les efforts de médiation et renonceront au pouvoir, eh bien la CEDEAO, comme prévu, devra prendre une décision. Je pense qu'elle la prendra dans le sens de ce qu'elle a indiqué, c'est-à-dire ne pas laisser passer un autre coup d'Etat, cela suffit, c'est vraiment le coup d'Etat de trop.
Q (BG) - Catherine Colonna, la France, on le sait, a des contacts avec le Président Bazoum ; sa sécurité selon vous est-elle menacée par les putschistes aujourd'hui ou demain ? Et la France pourrait-elle prendre en charge sa sécurité, voire l'exfiltrer si c'était nécessaire ?
R - Nous avons des contacts avec le Président Bazoum ; le Président de la République l'a assez souvent au téléphone, d'autres interlocuteurs aussi. Nous sommes aussi évidemment en contact avec l'ensemble des pays de la région, au niveau chefs d'Etat, au niveau ministériel ou à d'autres niveaux...
Q - Et avec les putschistes ?
R - Aucun contact avec les putschistes, si ce n'est au moment de l'évacuation des Français et des ressortissants étrangers qui souhaitaient quitter le Niger. Comme toujours dans ce cas, il y a des contacts techniques qui évidemment ne valent pas reconnaissance, techniques, pour assurer la sécurité du départ des ressortissants qui le souhaitent. Le Président Bazoum est le président élu du Niger ; la demande claire de la communauté internationale, y compris des Nations unies, c'est qu'il revienne à la liberté, en sécurité et soit restauré dans la plénitude de ses pouvoirs constitutionnels. Il a été élu démocratiquement par le peuple nigérien, il faut donc que la volonté du peuple nigérien soit écoutée du petit groupe d'officiers qui s'est lancé dans cette aventure.
Q (BG) - Mais est-ce que la France pourrait assurer la sécurité du Président Bazoum, si c'était nécessaire ? Est-ce qu'on pourrait éventuellement aussi l'aider à quitter le pays ?
R - Il n'est pas question que le Président Bazoum quitte le pays ; la demande claire des uns et des autres, et toute la communauté internationale est unie sur cette demande, c'est qu'il revienne à la liberté et revienne à la plénitude de ses pouvoirs constitutionnels, c'est-à-dire comme président du Niger qu'il est, et qu'il est encore au moment où je vous parle.
Q - Catherine Colonna, la junte a dénoncé hier les accords militaires avec la France, ces accords qui permettent notamment d'établir 1.500 soldats français au Niger. Vous n'avez pas reconnu ce communiqué ; pour vous, il n'avait pas de valeur. Est-ce qu'aujourd'hui, ces militaires sont en danger ?
R - Il faut rappeler que les forces françaises qui sont présentes au Niger, comme d'autres, le sont à la demande des autorités légitimes du pays, sur la base d'accords qui ont été signés avec les autorités légitimes de ce pays, pour aider à la lutte contre le terrorisme. Alors bien sûr, nous avons suspendu notre coopération militaire, tout comme notre coopération civile, depuis le coup d'Etat. Et vous l'avez dit, nous ne reconnaissons évidemment pas les éventuelles décisions prises par les putschistes ; nous ne reconnaissons que les décisions des autorités légitimes du Niger. La situation est calme pour ce qui concerne la situation de nos forces, et il est important qu'elle le demeure, mais les autorités constitutionnelles du pays ont signé les accords qui permettent à nos forces d'être présentes.
Q - Et pour l'instant, il n'est pas question qu'elles partent.
R - Non, ça n'est pas à l'ordre du jour, évidemment non. Tous les efforts visent à faire que la junte renonce à son aventure périlleuse qui fait du tort au Niger, qui fait du tort à toute la région. Les coups d'Etat ne sont plus tolérés en Afrique ; les chefs d'Etat de la région ont été extrêmement clairs là-dessus, avec des mesures, et puis, oui, une menace qu'il faut prendre au sérieux s'il devait être nécessaire de passer à autre chose.
Q - Mais tout cela fait peut-être grandir le sentiment anti-français, Catherine Colonna, est-ce qu'il vous inquiète ?
R - Le sentiment anti-français... vous savez, cette tentative de putsch n'a aucune justification, elle n'a d'ailleurs aucun soutien populaire, les manifestations ont été organisées, non spontanées - on voit des drapeaux russes flambant neufs - et ça n'est pas autre chose qu'une diversion pour essayer de cacher un manque de légitimité. Vous savez, les drapeaux russes, ce n'est pas ça qui va rendre les putschistes légitimes.
Q (BG) - Catherine Colonna, est-ce que les contacts qui ont été pris entre la junte et Wagner, à l'occasion d'un déplacement à Bamako, vous inquiètent ? Est-ce que cela peut éventuellement changer la vision de la France de cette situation ?
R - C'est effectivement préoccupant de voir les putschistes, quelques jours à peine après leur tentative, se précipiter dans les bras d'autres putschistes au Mali comme au Burkina. Il faut rappeler que les pouvoirs qui sont en place, sont issus de coup d'Etat. Et donc ça n'est pas étonnant peut-être... en tout cas, ça dit tout de la nature de ce type d'aventure. Et il n'est pas bon d'imaginer qu'ils puissent songer à recourir à Wagner qui fait exaction sur exaction, qui ne lutte contre le terrorisme et qui met ces pays sous coupe réglée en pillant leurs ressources et parfois plus, même, avec des atrocités documentées par l'ensemble des rapports des Nations unies et d'autres.
Q - Catherine Colonna, dernière question : comme au Mali et au Burkina Faso, on peut avoir le sentiment que la France arrive un peu à la traîne, se fait déborder par ces putschistes. Est-ce qu'il n'y avait vraiment aucun moyen de prévenir ce coup d'Etat, de le voir venir ?
R - Que le Niger ait des fragilités comme d'autres pays de la région, nous le savons. Néanmoins, encore une fois, il faut revenir au point de départ de cette tentative de putsch : il s'agit d'initiative personnelle d'un tout petit groupe d'officiers, pour des raisons qui les concernent et qui n'ont rien à voir avec ce qu'ils prétendent. La stabilité du Niger était constitutionnellement assurée, c'est un pays qui a connu des élections, il n'y a aucune justification à ce putsch. Et il faut que cette aventure très personnelle et très périlleuse prenne fin, prenne fin le plus vite possible, et que la démocratie revienne au Niger. C'est un pays qui est démocratique. Le peuple s'est exprimé ; il faut respecter sa volonté.
Q - Merci beaucoup Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, d'avoir été avec nous sur France Info ce matin pour évoquer la situation au Niger.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 août 2023