Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement relative aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des armées.
M. Pierre Cordier
Un peu de relief, monsieur le ministre !
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
Je me réjouis de débattre avec la représentation nationale, cet après-midi à l'Assemblée nationale et ce soir au Sénat, à la demande de plusieurs groupes politiques. Ce débat fait écho à l'engagement du Président de la République devant les présidents des deux chambres et les chefs de partis réunis à Saint-Denis le 30 août dernier. Il permettra de rappeler les fondamentaux de la coopération militaire avec nos partenaires, d'en clarifier certains aspects si besoin – compte tenu de ce que l'on peut lire ici ou là, cela semble nécessaire – et de faire un point sur les évolutions à venir.
Avant d'en venir plus précisément à la situation sécuritaire et par là même à la présence militaire française sur le continent africain, il est utile de faire un court rappel historique et politique du sens de cette présence. Il convient de souligner la nature de nos engagements militaires, dont certains reposent sur des accords de défense anciens, de tenir compte des particularités des pays dans lesquels nos militaires ont été engagés et, bien sûr, d'évoquer les menaces que nous avons combattues et que nous devons continuer de combattre.
Deux grandes périodes peuvent être distinguées depuis le début des années 2000, pour ne pas remonter plus avant. Tout d'abord, il y a celle des années 2000 à 2010, au cours de laquelle de nombreuses interventions françaises ont été menées dans le cadre de missions d'interposition ou de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies. La plus connue est sans doute l'opération Licorne, avec la participation des forces armées françaises au maintien de la paix en Côte d'Ivoire.
Il y a ensuite la période de 2010 à 2020, marquée par la lutte contre les groupes armés terroristes avec les opérations Serval, puis Barkhane, au Sahel, courageusement décidées par le président de la République de l'époque, François Hollande, à la demande, à chaque fois, de nos partenaires au Sahel – Mme la ministre l'a rappelé. Cette menace demeure – nous y reviendrons dans un instant.
Il faut ensuite distinguer les géographies des théâtres d'engagement. Il n'existe pas une seule Afrique – c'est peut-être l'écueil auquel nous nous heurterons dans ce débat –, mais autant de particularités que d'États. Nous ne pouvons pas comparer la lutte contre le terrorisme au Sahel avec celle actuellement menée au Mozambique dans la province du Cabo Delgado. Ainsi, nous ne pouvons pas mettre sur le même plan l'Afrique francophone, l'Afrique anglophone et l'Afrique lusophone, ni même les différentes organisations régionales. Les différences peuvent même être infra-étatiques, mais je m'arrêterai là pour ne pas être trop long.
Il faut enfin discerner les différents types de menaces que nous combattons. Il s'agit tout d'abord de la piraterie et, plus généralement, des enjeux de sécurité maritime dans le golfe de Guinée et dans le détroit de Bab el-Mandeb. Il s'agit ensuite des trafics de tous ordres : d'êtres humains, de drogue ou d'armements. Il s'agit enfin de la menace terroriste, qui n'est pas sans lien avec le point précédent et que nous combattons.
Je ne reviens pas sur le bilan de l'opération Barkhane, largement évoquée dans le rapport d'information sur les relations entre la France et l'Afrique des députés Michèle Tabarot et Bruno Fuchs, que je remercie. Tout le monde s'accorde désormais – enfin ! – à dire que cette opération est un succès militaire incontestable. Nous avons su en tirer un enseignement principal sur le plan politique – dont on peut évidemment débattre : nous ne devons jamais nous substituer à l'action de nos partenaires, en tout cas durant une période trop longue – nous y reviendrons certainement pendant le débat.
Parmi les menaces que la France combat, la plus susceptible de nous toucher directement et de déborder sur l'Europe est bien entendu la menace terroriste, qui a des effets dramatiques sur les populations civiles et soulève du même coup un enjeu migratoire. Ne nous leurrons pas : la reconstitution progressive d'un sanctuaire djihadiste au Sahel, sur le modèle de l'Irak ou de la Syrie, pourrait, à terme, faire peser sur la région et sur l'Europe les mêmes menaces endogènes, projetées ou inspirées, que nous avons connues ces dernières années à partir d'autres théâtres d'opérations.
Il est un principe qui caractérise les missions de combat de nos armées : c'est l'intervention temporaire – on aurait parlé jadis de " logique expéditionnaire ". Les troupes françaises n'ont pas vocation à rester durablement sur un théâtre d'opérations lorsque notre partenaire ne fait pas, ou plus, de la lutte contre le terrorisme une priorité. C'est la raison pour laquelle nos soldats présents au Niger sont en cours de rapatriement vers la France. Comme le Président de la République l'a annoncé, nous aurons quitté ce pays avant la fin de l'année.
Il est légitime de s'interroger aujourd'hui : notre pays devait-il répondre présent lorsque ses partenaires africains lui ont demandé de l'aide il y a plusieurs années ? Je serais curieux d'entendre les positions de chaque groupe sur le sujet.
M. Jean-Paul Lecoq
Nous les avions exprimées, à l'époque !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Pour ma part, je pense qu'il le fallait, car la France ne pouvait laisser sans réponse l'appel à l'aide des autorités, autrefois légitimes, de ces pays, exposées au péril d'un terrorisme islamique imminent.
Pourquoi partir aujourd'hui du Niger ? Parce que la France respecte la souveraineté des États africains quelle que soit la direction politique qu'ils prennent. Même si nous ne pouvons que le regretter, il ne saurait y avoir de double standard.
Nos objectifs sont clairs et ont été rappelés il y a quelques instants par Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères : lutter contre la menace terroriste islamiste, garantir la sécurité de nos ressortissants sur place et approfondir nos partenariats stratégiques d'intérêts communs. Ces objectifs sont, je le sais, largement partagés par les groupes parlementaires puisqu'ils figurent en grande partie dans le rapport de Mme Tabarot et de M. Fuchs que j'ai évoqué il y a quelques minutes.
M. Maxime Minot
Un excellent rapport !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je tiens à saluer les travaux importants, notamment le cycle d'auditions sur l'Afrique, initiés par la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée sous l'égide de son président Thomas Gassilloud. À l'issue de ce cycle, je me suis engagé à revenir devant la commission en début d'année prochaine.
La réarticulation entreprise depuis le début de l'année vise à renforcer l'attractivité de notre offre et la solidité de nos partenariats avec les États africains qui le souhaitent en répondant aux grandes évolutions du moment dans un environnement beaucoup plus compétitif qu'auparavant. Avant de vous la présenter plus en détail, je souhaite vous exposer l'état actuel de notre présence militaire sur le continent africain.
L'action de la France s'appuie sur deux grandes familles de forces de présence. Nous disposons, tout d'abord, de deux pôles de coopération au Sénégal et au Gabon. Ces bases, qui disposent d'éléments prépositionnés depuis l'indépendance de ces pays et la conclusion des premiers traités de défense, permettent l'accès à des infrastructures utilisables à des fins militaires et proposent de nombreuses formations à nos partenaires, ainsi qu'à d'autres pays situés à proximité. Les armements y sont très limités et servent essentiellement, voire exclusivement, à la formation.
Nous nous appuyons, ensuite, sur des bases militaires disposant de capacités opérationnelles. Je pense aux forces prépositionnées en Côte d'Ivoire et à Djibouti. La base d'Abidjan regroupe un peu moins de 1 000 militaires et celle de Djibouti quasiment 1 500, qui se sont à nouveau illustrés lors de l'opération Sagittaire d'évacuation du Soudan. Qu'il me soit permis, là aussi, de leur rendre hommage.
Enfin, nous avons au Tchad et, jusqu'à cet été, au Niger, des bases d'une autre nature. Nos forces avaient vocation à agir sur demande, en soutien des forces armées locales, dans le cadre d'opérations antiterroristes précises. Elles ont contribué à freiner l'expansion de la menace et menaient également des actions de coopération et de formation des armées partenaires. Elles continuent de le faire au Tchad.
Ces capacités de projection depuis l'Hexagone sont par ailleurs renforcées par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 que vous avez adoptée l'été dernier. Nous avions alors pris le temps de détailler cet aspect.
La France est donc présente aux côtés de ses partenaires africains, lorsqu'ils le souhaitent, pour mieux assurer leur sécurité et répondre à leurs demandes. Certains, comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Bénin et le Gabon, ont accompli une remarquable montée en puissance de leurs appareils de sécurité, qu'il s'agisse des services ou des forces armées, et remporté de belles victoires sur le terrain face aux groupes armés terroristes.
Par ailleurs, nous faisons évoluer notre accompagnement en renforçant notre offre de formation, nos capacités et notre réseau diplomatique de défense, soit des points essentiels.
En matière de formation, tout d'abord, les efforts ont porté sur nos capacités d'accueil en Afrique au sein des écoles militaires françaises, avec l'objectif de doubler les places disponibles. À la rentrée 2023, nous comptions une centaine de places supplémentaires, dès à présent attribuées à des sous-officiers et à des officiers africains. En 2022, près de 3 000 stagiaires africains sont passés par le réseau des écoles nationales à vocation régionale. Ainsi, 25 000 militaires africains ont été formés sur le continent depuis le début de l'année et 10 000 militaires français et africains suivent des entraînements conjoints pour se former ensemble aux défis sécuritaires d'aujourd'hui et de demain. Cela peut paraître anecdotique, mais nous poursuivrons ces missions communes, notamment pour tourner la page des réductions de capacités engagées depuis la moitié des années 1990 – nous y mettons enfin un terme !
Sur le plan capacitaire, ensuite, j'insiste sur notre volonté de mobiliser davantage les industriels et les équipementiers, volonté dont j'ai fait part il y a peu de temps à la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée. L'objectif est de fournir à nos partenaires africains un accompagnement capacitaire moderne, mais adapté à leurs besoins, qu'il s'agisse du prix ou de la nature des équipements, sans oublier les sauts technologiques attendus en matière de drones ou de cyberdéfense, qui concentrent d'importantes attentes.
Le délégué général pour l'armement s'est rendu à ma demande sur le continent – une première depuis 1961,…
M. Jean-Paul Lecoq
Il y avait d'autres VRP à l'époque !
M. Sébastien Lecornu, ministre
…ce qui dit tout de la nature des relations militaires et de la coopération capacitaire entre les pays d'Afrique et la France. Il y a là un axe de progrès évident. La sous-direction Afrique et Moyen-Orient de la direction générale de l'armement (DGA) a été renforcée à cet effet.
Enfin, sur le plan de la diplomatie de défense, notre réseau se densifie en Afrique – je le dis devant Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères – avec l'ouverture de nouveaux postes d'attachés de défense : au Rwanda à l'été 2022, aux Comores et en Guinée-Bissao cet été. L'arrivée d'un attaché d'armement est prévue dans quelques mois au Sénégal et en République de Côte d'Ivoire (RCI). Nous devons poursuivre nos efforts afin de reconstituer des capacités de conseillers militaires pour nos ambassadeurs, en lien avec les forces armées locales. Vous le savez, après la disparition du service national dans les années 1990, les postes de coopérants supprimés n'ont pas été compensés par de nouveaux moyens alloués aux missions de défense. Ce point concentre également les attentes de nos différents partenaires.
Au-delà de ces principaux axes d'effort, le volet renseignement est un axe essentiel, que je ne développerai pas ici, mais que j'ai présenté à la délégation parlementaire au renseignement lors d'une audition avec le directeur général de la sécurité extérieure.
Nous continuerons par ailleurs d'encourager nos alliés à s'engager en Afrique en associant plus encore nos partenaires européens et américains aux missions menées sur le continent, comme Mme la ministre l'a précédemment évoqué.
Enfin, la France et ses partenaires africains sont liés par un honneur commun au combat et une histoire partagée que nous avons à cœur de faire vivre. Nous ouvrons une période mémorielle importante, qui mettra à l'honneur l'action de l'armée d'Afrique tout au long des commémorations de la Libération, avec, en 2023-2024, le quatre-vingtième anniversaire de sa participation à la libération de la Corse, à la campagne d'Italie et, bien sûr, au débarquement de Provence.
Je veux donc conclure en rendant hommage aux combattants d'Afrique tombés sous les couleurs de la France et pour la liberté aux côtés de leurs frères d'armes. Je pense également à nos soldats morts au Sahel, ainsi qu'à nos blessés et à leurs familles.
(Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem et HOR. – M. Aurélien Taché applaudit également.)
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je reprendrai quelques points du débat – puisque c'en est un, alors autant débattre –…
M. Fabien Roussel
Chiche !
M. Sébastien Lecornu, ministre
…en commençant par remercier Michèle Tabarot et Bruno Fuchs pour leur rapport, qui a servi de base à la plupart des interventions des uns et des autres.
Certains, un peu taquins, ont fait remarquer que les débats sur l'Afrique étaient rares et que c'était un domaine réservé. Je ne peux néanmoins m'empêcher d'observer, comme je le faisais au Sénat à l'époque où j'y siégeais, que lorsqu'un débat sur l'Afrique est organisé, les hémicycles ne font pas le plein, tant s'en faut. C'est arrivé au Sénat et c'est de nouveau le cas aujourd'hui ; je n'en veux à personne mais je rappelle simplement, patriotiquement, que ces débats sont observés. Quelle que soit la teneur des discours, ce n'est pas envoyer un bon signal que de venir si peu nombreux. Merci, donc, aux présents et à celles et ceux qui restent jusqu'au bout pour nous écouter.
(Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Mme Nadège Abomangoli
Là, il a raison !
M. Sébastien Lecornu, ministre
La présidente Le Pen a évoqué des mouvements tectoniques profonds ; tout dépend de quoi on parle. Depuis l'époque des mouvements de libération, des déclarations d'indépendance et, pour ce qui me concerne, depuis la signature des accords de défense, l'instabilité politique, malheureusement, domine : 150 coups d'État ont eu lieu en Afrique – dont beaucoup en Afrique francophone – et nous continuerons hélas de constater cette réalité tant que d'autres mécanismes de consolidation des démocraties africaines ne seront pas établis.
Vous dites d'ailleurs, et je vous en remercie, madame Le Pen, qu'il faut respecter la souveraineté des États et éviter les ingérences. Ainsi, la boucle est bouclée : après un coup d'État, comme au Mali, lorsque la nouvelle junte annonce que la lutte contre le terrorisme n'est plus sa priorité et qu'elle choisit comme partenaire le groupe Wagner plutôt que l'armée française, alors on s'en va – c'est l'application du principe de respect de la souveraineté et de non-ingérence. En d'autres temps, à une époque plus gaullienne – je parle en toute prudence –, on aurait sans doute eu tendance à mener des opérations destinées à constituer une offre politique différente avec d'autres méthodes, pour dire les choses pudiquement.
Cela veut aussi dire, si l'on va jusqu'au bout du raisonnement, qu'en cas de coup d'État au Mali ou au Niger, je ne vois pas en quoi c'est la faute de la France – d'aucuns diraient même la faute du Président de la République. Convenons-en : ce n'est pas la République française qui organise les coups d'État ou les contre-coups d'État en Afrique !
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
Quant à la durée des interventions militaires et au prépositionnement des bases, il faut accepter qu'en vertu de nos accords de défense, les forces armées stationnent ou interviennent parfois dans des environnements politiques instables – mais ce n'est pas un scoop.
Mouvements tectoniques, avez-vous dit : selon moi, la situation actuelle se caractérise par une concomitance des risques. Depuis les mouvements d'indépendance, menés dans le contexte de la guerre froide, les intrusions et ingérences de puissances étrangères ont été nombreuses. Les historiens l'ont bien documenté : l'URSS, par exemple, agissait contre les intérêts français dans ses ex-colonies, et intervenait aussi en Afrique anglophone et lusophone. Après la chute du mur de Berlin et la dissolution du Pacte de Varsovie, l'actualité internationale a été plus stable, hormis les coups d'État que j'ai mentionnés.
M. Fabien Roussel
Pas moins de 150 coups d'État ! Ce n'est pas très stable !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Merci, monsieur le premier secrétaire du parti communiste, je l'ai en effet rappelé à l'instant. C'est la lutte antiterroriste qui a ensuite monopolisé l'actualité et les ingérences des grandes puissances ont diminué – et pour cause.
Depuis le début de la guerre que Vladimir Poutine mène contre l'Ukraine, nous sommes confrontés à une double difficulté : le retour de la compétition entre grandes puissances et le risque terroriste. Vous avez donc raison de parler de tectonique des plaques. Pour la première fois, le continent africain est confronté à un terrible risque sécuritaire endogène, le terrorisme islamiste, bien souvent mêlé à des nationalismes locaux ou tribaux, auquel vient s'ajouter l'exploitation – pour ne pas dire la manipulation – de l'opinion par de grands compétiteurs qui œuvrent contre les intérêts français. Il faudra documenter ce phénomène, y compris en tirant les conclusions du rapport Fuchs-Tabarot, car c'est tout notre appareil d'État – civil sous l'autorité de la ministre, militaire sous la mienne – qui y sera confronté. Ne nous payons pas de mots : c'est un défi, et nous devrons le relever ensemble.
Quant au sentiment antifrançais que plusieurs d'entre vous ont évoqué, notamment celles et ceux – je les salue – qui se rendent souvent en Afrique parce qu'ils représentant nos concitoyens établis hors de France, il doit lui aussi être bien documenté car, souvent, il est organisé – je pense encore une fois à nos grands compétiteurs. Je ne prétends pas que tout ce que nous faisons est formidable, mais à lire certains articles de presse qui montrent à peine trente ou quarante personnes payées pour se rassembler devant une ambassade française avec deux drapeaux russes à la main, articles dont on tire à la hâte des conclusions définitives, je trouve que c'est tomber un peu trop vite dans le panneau ! Il faut donc savoir raison garder et confronter les décisions prises à Paris avec la réalité de la compétition entre puissances.
M. Jean-Paul Lecoq
Nous ne nous appuyons pas sur ces sources-là !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Monsieur le député Lecoq, chacun sait qu'il n'y a aucune ingérence de Moscou depuis plusieurs décennies, n'est-ce pas ? Nos services constatent et documentent de la désinformation sur les réseaux sociaux et il n'est pas question de mettre en cause leur travail. Je vais maintenant être plus rapide sur mon deuxième point.
Mme la présidente
Vous lisez dans mes pensées, monsieur le ministre !
(Sourires.)
M. Sébastien Lecornu, ministre
On ne pourra donc pas dire que sous cette législature, c'est l'exécutif qui refuse de débattre sur l'Afrique…
(Sourires.)
Mme la présidente
Je ne voulais pas vous presser, monsieur le ministre, mais nous avons une autre séance qui commence à vingt et une heures trente.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je termine rapidement, madame la présidente. Je me réjouis que le sacrifice de nos soldats ait été mentionné sur tous les bancs – cela n'a pas toujours été aussi clairement le cas. Quelles que soient nos orientations politiques, il faut en effet penser aux familles des soldats. Nous avons une armée d'emploi : pour que nos soldats continuent de risquer leur vie quand le pouvoir politique leur en donne l'ordre, il faut éviter de redessiner a posteriori les contours d'opérations passées. J'avais réagi vivement cet été lorsqu'un sénateur avait évoqué l'échec militaire de Barkhane. Ce n'est pas vrai, Barkhane n'a pas été un échec militaire ou tactique. Si quelqu'un prétend le contraire, qu'il nous le démontre. Que les décisions politiques entourant cette opération aient ou non été satisfaisantes, c'est un autre débat, mais je me réjouis au moins que ce soir, chacun ait clairement salué nos soldats – pour un patriote, c'est précieux.
M. Jean-Paul Lecoq
Critiquer Barkhane, ce n'est pas insulter nos soldats !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Troisième point : Mme Lakrafi a évoqué le rôle complet des armées, qui dépasse les questions sécuritaires – je pense notamment au service de santé des armées, qui est parfois le seul à pouvoir intervenir dans certaines zones pour prodiguer des soins tant aux populations locales qu'aux Français de l'étranger. Tout cela figure dans la loi de programmation militaire.
Barkhane, ensuite : le temps manque pour lancer un grand débat sur cette opération mais j'entends les critiques faites a posteriori. En écoutant le débat, cependant, ce qu'il aurait fallu faire ne me semble pas si évident. Pour la présidente Le Pen, il faut éviter les ingérences ; ce fut clairement le cas. L'opération a sans doute duré trop longtemps, nous dit-on aussi : je comprends cet argument, mais mettre un terme à l'opération Barkhane pendant les opérations de lutte contre le terrorisme aurait signifié abandonner tout le Mali – ou, du moins, nombre de ses habitants – à une mort certaine. Cela soulève la question de la nature même de ces opérations : dès lors qu'on combat à la place du partenaire, et non plus à ses côtés, la décision de débrancher l'opération – quel que soit le Président de la République, puisqu'en l'occurrence l'opération elle-même a été décidée par le président Hollande, et non le président actuel –, a pour effet qu'on nous reproche d'abandonner ledit partenaire – ici, le Mali – aux groupes armés et de livrer sa capitale aux terroristes. Convenons-en tous : la difficulté que nous avons eue tient au fait que l'armée française a fini par faire le travail à la place des forces armées maliennes.
Est-ce un problème politique ? Oui, on peut le dire, mais il faut considérer la situation dramatique dans laquelle se trouve le Mali. Je pense aux tweets concernant la reprise de Kidal et aux pratiques de la guerre informationnelle : sur ce point, gardons notre calme : les armées maliennes et le groupe Wagner n'ont fait que reprendre non pas la ville mais le camp de Kidal et, de surcroît, sans combats.
Malheureusement, la situation dans le Sahel parle – tristement, dramatiquement – pour le bilan de la France. Sur cela aussi, nous pourrons revenir.
J'accélère : la formation, peu évoquée dans le débat, est consensuelle. En ce qui concerne l'armement, on ne peut pas refuser d'intervenir à la place de nos partenaires et laisser leurs armées s'en charger tout en refusant dans le même temps de leur vendre du matériel – ce que d'autres feront à notre place, comme l'a rappelé Mme Tabarot en évoquant la Turquie. En matière d'armement, la France est attendue. Le Sénégal, par exemple, futur producteur d'hydrocarbures, sera bientôt exposé à des risques terroristes importants. Soit on agit aux côtés de nos partenaires, soit on agit à leur place – ce n'est pas l'ordre du jour –, soit on leur permet d'agir. Dans ce dernier cas, ils doivent pouvoir atteindre un certain niveau d'équipement, ce qui pose la question des prix et des modèles économiques que doit proposer la BITD aux pays africains.
Je le dis sans ambages : je suis le ministre de tutelle des industries de défense et je les aime, mais pendant des années, le marché africain ne les a pas intéressés. Depuis un an, je leur ai expressément demandé de développer une offre spécifique pour les pays africains, y compris avec le Trésor, en particulier sur le segment terrestre, les drones et la lutte anti-drones mais aussi le cyber – car les infrastructures numériques des pays africains sont parfois très fragiles.
Enfin, je sais que certains députés, dont M. Ben Cheikh, souhaitaient aborder les stratégies d'accès aux ports et aux aéroports pour mener des évacuations de ressortissants en cas de crise – je pense à l'évacuation de Khartoum au Soudan. La coordination stratégique des différents partenaires est en cours.
Les organisations régionales apportent quant à elles un accompagnement plus politique que militaire. Les forces de ces organisations n'ont jamais vraiment été opérationnelles.
Je voudrais conclure en rappelant la dimension européenne de ces questions – un sujet intéressant à l'approche des élections européennes. Ne nous méprenons pas, monsieur Dupont-Aignan : j'ai beau ne pas toujours être le plus europhile de la majorité, je ne vois pas pourquoi le fardeau de la sécurité en Afrique ne reposerait que sur les épaules des Français.
On critique souvent la task force Takuba. L'objectif était d'inciter les armées européennes à se rendre sur le continent africain et à y " apprendre"» – pardon pour ce terme désobligeant – le théâtre africain. Puisqu'il s'agit de lutter contre les risques terroristes et les risques migratoires connexes, tout l'effort ne doit pas incomber à l'armée et au contribuable français ; les Espagnols, les Italiens, les Allemands ou encore les Estoniens – comme l'a dit la ministre – peuvent y prendre leur part. Tel est l'esprit qui a inspiré la création de Takuba : il n'était pas seulement question de dire qu'on agit en Européens – cela aurait été un peu court – mais aussi que si tous les Européens sont concernés par ces risques, il n'y a aucune raison de ne pas partager l'effort.
Pardon, madame la présidente, d'avoir été trop long.
(Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Mme la présidente
Au contraire, ce débat était très intéressant. Merci à tous d'y avoir participé.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 27 novembre 2023