Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations entre la France et les pays africains, au Sénat le 21 novembre 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déclaration du Gouvernement relative aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains, suivi d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, au Sénat

Texte intégral

Tout d'abord, je vous remercie pour la qualité et la pertinence de vos interventions et de vos observations. Je partage de nombreuses remarques, en particulier celles qui ont été faites sur l'importance de la diplomatie parlementaire et de la coopération entre nous.

Je note aussi que, lorsque nous prenons le temps de nous pencher sur nos relations avec l'Afrique de façon approfondie, comme nous l'avons fait aujourd'hui, nous parvenons assez souvent aux mêmes conclusions.

D'abord, nous sommes tous d'accord sur l'importance croissante qu'aura le continent africain dans les années à venir, qu'a notamment soulignée le président Bourlanges.

Nous nous accordons également sur les atouts dont dispose la France ainsi que sur la nécessité de consolider nos relations avec nos partenaires africains et d'investir dans toute l'Afrique. M. le président Bourlanges a demandé un changement de périmètre, tandis que, Mme Le Hénanff a soutenu que nous ne devions pas réduire l'Afrique à ce qu'elle a été souvent dans nos représentations : elle n'est pas - elle n'est plus, en tout cas - un terrain de compétition ou de rente, et nous voyons beaucoup plus large.

Je constate aussi un consensus sur la nécessité de mettre davantage en avant la jeunesse et les sociétés civiles du continent, de travailler davantage avec les diasporas. Je salue à cet égard les utiles rappels faits par Amélia Lakrafi et Sophie Errante. Vous le savez, c'est la grande priorité de notre politique à l'égard des pays africains depuis le discours de Ouagadougou de 2017, qui voit l'Afrique comme elle est, c'est-à-dire diverse, et non pas en bloc, Madame Le Pen.

Nous continuerons de suivre cette voie. Merci, Madame Tiegna, de votre témoignage optimiste ; il en faut. J'ai particulièrement apprécié que ce soit vous le souteniez.

Ce n'est évidemment pas un péché originel que de chercher à développer une plus grande intimité avec les sociétés africaines. Je voudrais rassurer la rapporteure Tabarot : nous ne nous contentons pas de mener une politique exclusivement culturelle, mais nous avons multiplié les investissements économiques et nos entreprises sont beaucoup plus présentes qu'auparavant - je l'ai rappelé, comme d'autres orateurs l'ont fait ensuite.

Je note aussi les nombreuses remarques concernant la nécessité de mieux communiquer sur ce que nous faisons en Afrique, sur les réussites de nos coopérations civiles, sur nos partenariats avec les sociétés civiles et sur certaines de nos faiblesses - je dois aller jusque-là. Comme beaucoup ici, je partage le constat de Mme Tabarot. C'est pour cela que j'ai augmenté les ressources humaines du ministère pour ce qui concerne l'Afrique - je réponds aux remarques de M. Dupont-Aignan sur ce point. Pour la même raison, comme je l'ai déjà souligné, nous avons augmenté le budget dédié à la communication de nos ambassades en Afrique.

Plus largement - c'était ô combien nécessaire -, nous avons décidé d'accroître les moyens consacrés à la diplomatie publique. Vous avez raison : nous devons être plus visibles, assumer nos réussites et le fait que nous avons des intérêts, sans fausse modestie.

Je constate aussi un certain consensus sur la nécessité d'être plus offensifs pour combattre la désinformation et les attaques antifrançaises. Je salue les propos de la députée Darrieussecq sur ce sujet. Il est vrai que nous n'étions pas confrontés à ces phénomènes par le passé. C'est un défi nouveau auquel nous nous adaptons. Nous avons créé un dispositif interministériel de veille et de riposte sur les réseaux sociaux, qui est monté en puissance ces derniers mois. C'était nécessaire car les attaques informationnelles - certains d'entre vous ont mentionné à raison le rôle de la Russie - se multiplient ; nous les combattons déjà beaucoup plus efficacement et plus rapidement, même si nous souhaitons progresser encore. Quoi qu'il en soit, le cap est fixé et nous poursuivrons nos efforts dans ce domaine.

Je partage aussi celles de vos remarques qui soulignent la nécessité de renforcer nos liens avec l'Afrique tout entière, pas seulement francophone. Soyez assurés qu'il s'agit d'une de nos priorités. Comme Mme Lakrafi, je l'ai rappelé dans mon propos introductif : l'Afrique compte cinquante-quatre pays, nous avons des atouts partout et nous devons en jouer.

Le Président de la République est allé dans des pays qui sortent clairement de l'ancien champ africain de la France, comme l'Angola, le Kenya, l'Ethiopie, le Nigéria ou l'Afrique du Sud. Je me suis moi-même rendue dans certains de ces pays avec Mme Lakrafi. Nous développons des partenariats positifs avec nombre d'entre eux.

Certains d'entre vous ont mentionné la suspension de notre aide au développement au Sahel, mais je voudrais préciser de nouveau les choses, comme je l'ai déjà fait tant et tant de fois. Si nous avons suspendu nos projets d'aide au développement, nous n'avons évidemment pas suspendu l'aide humanitaire, notamment celle qui passe par les ONG. De même, nous avons maintenu notre coopération universitaire et culturelle. Nous continuons de soutenir la société civile malgré toutes les difficultés.

Les artistes, les étudiants et les chercheurs sont les bienvenus. C'est ce qui a permis - je remercie M. Ledoux de l'avoir mentionné - que le grand chanteur malien Sidiki Diabaté puisse se produire vendredi dernier à l'Accor Arena de Bercy devant plus de 20.000 personnes. C'est bien la preuve qu'il est accueilli et apprécié en France.

Vous avez été nombreux à évoquer la question délicate des visas, notamment le rapporteur Fuchs et la députée Pic. Nous avons tous conscience que, dans nombre de pays, la hausse de la demande après le covid a entraîné un engorgement, temporaire - je l'espère -, de nos services consulaires. De fait, dans la plupart des pays où nous avions des difficultés, elles sont en voie de résolution. Nous n'avons toutefois pas jugé suffisant de nous arrêter là, mais nous avons pris des mesures pour adopter un meilleur traitement des demandes de visa.

Nous avons demandé un rapport sur la politique des visas à M. Paul Hermelin, qui a reçu l'aide de l'inspection générale des affaires étrangères et de l'inspection générale de l'administration. Nous avons donc lancé ce chantier de fond pour repenser notre politique de visas, mieux combiner l'objectif d'activité et la lutte contre l'immigration illégale.

J'ai entendu des critiques sur un prétendu double standard s'agissant des coups d'Etat. Je veux être très claire, d'autant que certains ont jugé que nous ferions preuve de trop de subtilité. Au Niger, au Tchad et au Gabon, la France agit selon un principe simple : nous ne nous substituons pas aux organisations régionales. Nous n'avons pas à juger des affaires internes des pays africains avant eux, mais nous soutenons les organisations régionales lorsqu'elles luttent pour la démocratie.

Au Niger, c'est la CEDEAO qui est en première ligne. Faut-il rappeler que c'est elle, et non la France, qui a décidé des sanctions ?

Au Tchad, auquel M. Taché s'intéresse particulièrement, ce sont l'Union africaine et la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) qui ont accepté un schéma de transition dans un souci de stabilité. Nous avons soutenu cette transition - et non une succession, selon un raisonnement que vous connaissez. Croyez-moi, nous passons des messages fermes et clairs aux autorités de transition pour qu'elles agissent conformément à leurs engagements.

Nous avons notamment condamné les violences contre les manifestants en octobre 2022 mais je salue - car il y a aussi des événements positifs que nous ne devons pas vous cacher - le retour au Tchad, il y a quelques semaines, de l'opposant Succès Masra, qui constitue un signal d'ouverture encourageant.

Au Gabon, qui a été évoqué, il ne nous revient pas non plus de nous substituer à l'Union africaine et à la CEEAC qui sont les organes compétents. Il revient à ces organisations de s'exprimer à ces sujets ; nous venons simplement en appui.

Enfin, il n'y a pas non plus deux poids, deux mesures, dans les Grands Lacs, Monsieur Le Gall.

La France condamne sans ambiguïté l'offensive du mouvement M23, la présence de soldats rwandais en RDC, tout en appelant les deux parties à la désescalade. Je vous ai dit, dans mon propos introductif, que je l'ai encore fait hier et aujourd'hui auprès des deux parties.

La réforme du franc CFA a été évoquée, notamment par Mme Errante.

Je remercie particulièrement Mme Le Hénanff d'avoir présenté la réforme déjà ancienne du franc CFA en 2019. Nous avons mis fin aux réserves de change placées auprès du Trésor français et la France s'est retirée des instances de gouvernance.

Monsieur Lecoq, vous vous étiez exprimé comme M. Le Gall : faut-il rappeler que la France ne tire aucun bénéfice du franc CFA alors qu'elle joue un rôle utile et apprécié de ces pays, comme garante de la convertibilité de leurs monnaies ?

Madame Youssouffa, nous parlons souvent en commission du sujet qui vous importe. Soyez assurée une nouvelle fois que la diplomatie française défend activement Mayotte, son appartenance à la France et son rayonnement régional ; et qu'elle le fait depuis bientôt trente ans.

Les positions exprimées aux Nations unies en témoignent. Je suis sûre que nous poursuivrons les discussions sur ce sujet en commission.

Enfin, je voudrais revenir sur les critiques concernant de prétendus comportements arrogants, condescendants ou paternalistes, venant de quelques-uns d'entre vous, notamment de M. Le Gall, mais aussi de votre rapporteur.

Si de tels comportements qui ont existé par le passé existent encore, il est évident qu'ils ne sont pas de mise. Ils sont inadmissibles. Comme dans toutes les régions du monde, nous devons nous comporter avec nos partenaires africains avec respect et humilité, le cas échéant, en faisant preuve d'écoute et en considérant que nous sommes égaux. En effet, nous recherchons un partenariat d'égal à égal, gagnant-gagnant.

On pourrait résumer cela d'une formule simple : nous devons nous comporter en Afrique comme nous le faisons partout dans le monde. C'est ce que nous cherchons à faire.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 novembre 2023