Texte intégral
Q - Les auteurs du rapport recommandent à la France de reconnaître sa responsabilité dans la répression des mouvements indépendantistes au Cameroun. Après le Rwanda, le Sénégal et l'Algérie, où l'Etat français a reconnu certaines de ses fautes, ce pas est-il envisageable avec le Cameroun ?
R - Je salue le courage des deux chefs d'Etat qui ont accepté de regarder cette part douloureuse de notre histoire commune. Je ne peux me prononcer au nom du président Emmanuel Macron sur une reconnaissance des crimes commis par la France, mais il me semble que l'on va vers cela. Nous devons dire les choses, qualifier les faits passés pour écrire la suite. Je suis certain que ce rapport ne finira pas dans un tiroir. Il sera suivi d'effets.
Q - Lors de la remise du rapport, le Cameroun a-t-il réclamé un geste mémoriel ?
R - À ce stade, il n'y a pas eu de demande du Cameroun. Nos deux Etats fixeront ensemble les modalités d'application des préconisations du rapport. Elles ne seront pas symétriques mais propres à chaque pays. Le volet culturel pourrait prendre la forme d'oeuvres théâtrales, de dessins animés, d'intégration dans les programmes scolaires. On pourrait aussi réfléchir à inscrire cette mémoire à travers des noms de rue. Ce qui est important, c'est que les jeunes générations s'emparent de cette histoire. Je suis né à Mayotte. Quand j'ai découvert l'histoire de l'esclavage et de la traite, j'en ai été bouleversé. Cela a créé un effet "cathartique", comme l'a dit le président Biya dans son discours à la remise du rapport mardi. Tout ce travail mémoriel fait office de "thérapie de groupe", une autre expression qu'il a employée.
Q - La répression des mouvements indépendantistes s'est poursuivie après l'indépendance avec l'aide de la France, note le rapport. Paul Biya n'était pas aux affaires mais il était dans l'appareil de l'Etat. Cette implication a-t-elle entravé le travail des chercheurs ?
R - Bien au contraire. Le président Biya a eu, comme le président Macron, le courage de créer cette commission mixte pour permettre aux historiens de travailler. Il n'y a pas eu de noyautage.
Q - La politique mémorielle est au coeur de l'action d'Emmanuel Macron en Afrique. Cet activisme s'accompagne d'une érosion de l'influence française dans ses anciennes colonies. Qu'est-ce qui explique, selon vous, la dégradation de l'image de la France ?
R - Je ne partage pas ce constat. Il n'y a pas de déclin de la France en Afrique. Les relations se sont certes distendues avec quelques pays, mais elles sont excellentes avec d'autres comme la Côte d'Ivoire, le Kenya, le Nigeria, le Ghana. Au Cameroun, la France soutient les jeunes, les entrepreneurs, les féministes. Lors de mon passage, j'ai inauguré un programme de formation professionnelle élaboré sur demande des autorités camerounaises. Depuis six ans, nous soutenons un projet de barrage piloté par EDF et qui alimentera à terme 30% des besoins électriques du Cameroun. La France le finance par des prêts à hauteur de 150 millions d'euros, avec 23.000 emplois à la clé. Nous sommes le pays qui fait le plus d'efforts en Afrique pour regarder le passé en face. Mais nous subissons la désinformation orchestrée par des puissances étrangères pour ternir notre image.
Q - Quand le premier ministre François Bayrou dénonce un "sentiment de submersion" migratoire, cela ne complique-t-il pas vos relations avec les Etats africains ?
R - Ce n'est pas un sujet pour eux. Les pays africains ne cherchent pas à s'immiscer dans ce qui se passe dans la vie politique française. Ce sont les Français qui demandent qu'on prenne de nouvelles mesures sur l'immigration. Nous devons être en phase avec ce qu'ils attendent. Quant à la relation avec nos partenaires, nous misons sur l'aide au développement. C'est un des leviers pour affronter la crise migratoire, à travers des programmes d'accompagnement dans la lutte contre le changement climatique ou l'amélioration des politiques agricoles.
Q - Quel sens peut avoir la francophonie dans un contexte de repli nationaliste porté par le gouvernement français ?
R - Il ne faut pas baisser les bras. Nous devons continuer à entretenir des relations apaisées avec les pays africains. Je fais partie de ceux qui campent sur les valeurs de paix, d'égalité et de solidarité internationale promue par la France. Par ailleurs, il y a urgence à revoir les règles issues de l'après-guerre comme le réclament les Africains. Ils souhaitent plus de places dans les instances internationales et sont soutenus par le président Macron. Nous avons plus que jamais besoin les uns des autres face aux chocs climatiques qui frappent aveuglément.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 février 2025