Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la coopération dans la zone de l'Océan indien et les relations entre la France et l'Afrique, à Tananarive le 23 avril 2025.

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Circonstance : Déplacement à Madagascar ; Echanges entre M. Emmanuel Macron, Président de la République, et de jeunes entrepreneurs du monde francophone dans le cadre du programme "Young Leaders"

Texte intégral

Merci, Monsieur le Président, d'abord de votre invitation et de cet accueil pour cette visite d'État. On est très heureux avec toute la délégation et je suis très heureux, aux côtés du Président, de vous retrouver. Puisque le jour de l'Africa Day, on avait, à l'Élysée, reçu la French-African Foundation, elle est très fière qu'avec le Président, nous puissions coparrainer cette nouvelle promotion.

Donc, on est très fiers de vous. Je vous le dis en toute sincérité. Je fais une minute de publicité. Le projet dont vient de parler le Président, c'est l'entreprise POMA qui l'assure et c'est un super projet. Donc on va aller au bout de la ligne 1 et on veut en pousser d'autres.

Alors maintenant, je voulais peut-être, en complément de ce qu'a dit le Président, revenir sur votre point sur l'agriculture, parce que le Président, à juste titre, a mis au coeur de notre Sommet de demain, justement de la communauté de l'océan Indien, la sécurité alimentaire. Et c'est vrai que quand on regarde la situation, elle est très contrastée, parce qu'il y a un potentiel agricole dans toute la région qui est absolument formidable, qui n'est pas totalement exploité. Il y a en même temps des défis climatiques qui font que les épisodes de sécheresse sont de plus en plus nombreux. Les cyclones, et nous les avons connus, et Mayotte et La Réunion pour nos territoires français, et Chido et Garance ont connu des moments absolument terribles pour nos territoires et nos agricultures, et donc on doit, aller vers l'autonomie alimentaire de la région, et on doit aller vers une agriculture plus résiliente. Et pour ce faire, on a besoin de plus de coopération.

La France est présente dans cette région à travers deux territoires très contrastés. Mayotte n'est pas en autonomie alimentaire, et en fait, si on veut que la vie soit moins chère, il faut développer l'agriculture mahoraise, mais il faut aussi beaucoup plus coopérer avec le reste de la sous-région. Ce qu'on a fait au moment de Chido, on a pris les décisions d'un seul coup de suspendre les règles et je veux vous remercier parce que vous nous avez beaucoup aidés, comme tous les pays de la région, et ce faisant, on a pu consommer du zébu de Madagascar à Mayotte, on a pu avoir du riz des Comores ou d'ici.

Ensuite, on a La Réunion, un territoire qui, lui, est allé vers beaucoup plus d'autonomie alimentaire. Si je prends les fruits et légumes, ils consomment 70% de ce qu'ils produisent. Mais on veut encore faire davantage, mais on veut, là aussi, quand on ne produit pas, développer de l'apport qui vient de la sous-région, parce que ça correspond au goût, c'est beaucoup moins cher, et puis ça nous permet aussi d'avoir des coopérations régionales. Et donc, ce qu'on veut vraiment travailler, c'est la consolidation d'une agriculture dans l'océan Indien qui soit beaucoup plus productive et beaucoup plus résiliente.

Pour ça, qu'est-ce qu'on veut faire ?

1) Continuer les projets entre nos territoires et les pays de la région, et c'est pour ça qu'on a amené avec nous l'Agence française de développement, mais aussi nos organismes de recherche : l'IRD, le CIRAD, l'Institut Pasteur, etc., pour aller vers des programmes qui améliorent les pratiques, qui préservent mieux les sols et qui permettent aussi d'améliorer les rendements. Et dans les axes qu'on a définis pour la feuille de route à venir du Président, il y a un axe agricole où, vraiment, on veut améliorer la productivité sur le riz, le maïs, le blé, mais aussi les filières élevage.

2) On veut travailler à une zone commune, et donc on veut convaincre aussi les Européens, filière par filière, pour avoir, en quelque sorte, des normes partagées et, au fond, aller vers un marché beaucoup plus intégré.

3) On veut aider à former. A Mayotte et à La Réunion, on est en train de former de plus en plus de jeunes dans les métiers agricoles. On veut aussi être des partenaires ici pour former sur ces métiers techniques agricoles la jeunesse malagasy. Parce qu'il y a un potentiel extraordinaire. Il y a milliers d'hectares qui ne sont pas exploités aujourd'hui sur le territoire et qui vont permettre d'aller améliorer la résilience, l'autonomie alimentaire. Mais il faut pour ça former des jeunes, parce qu'aujourd'hui, vous avez une agriculture mais on peut encore aller beaucoup plus loin. Mais si on veut la faire gagner en productivité, il faut des meilleures pratiques et une formation.

Et puis enfin, il faut du capital pour ce faire, et l'intégration régionale permet aussi de faire cela. Et donc, c'est dans cette coopération qu'on veut bâtir notre feuille une route, qui est toujours, comme on la pense ensemble, très respectueuse, très pragmatique, mais où on veut faire avancer vraiment le modèle agricole. Ce doit être un modèle agricole, vous le voyez, qui est plus productif, qui sort de l'informel, qui en même temps repose sur l'innovation, comme vous l'avez dit vous-même, parce que c'est comme ça qu'on aura de la résilience, qu'on aura des espèces qui résistent mieux, parfois, à certains épisodes climatiques, aussi à certaines mutations, à certaines attaques, on le sait, qui peuvent exister, sur le végétal. Et donc c'est pour ça aussi qu'elle repose sur une vraie coopération scientifique et de formation.

Voilà un peu l'esprit de notre coopération. Elle est régionale, elle passe par l'innovation, elle passe par la formation. Et moi, je vois un très grand avenir pour toutes ces filières ici. Et elle repose aussi sur une histoire. On en a parlé avec le Président tout à l'heure. La vanille, qui est une très grande force de votre territoire, qui fait de vous l'un des grands exportateurs, c'est une histoire franco-malgache. Je parle de vanille, j'ose à peine, devant les élus réunionnais et mahorais, parce qu'ils vont me rappeler que ça vient de chez eux, à juste titre. Et le Président le reconnaît lui-même. Mais ça fait partie de la créolisation de nos pratiques. Ils en ont fait aussi un trésor ici, et donc cette histoire, elle vient de très loin entre nous.

Et sur les tables françaises, je peux vous dire qu'on a envie de trouver l'excellence des produits de Madagascar. Et c'est aussi pour ça que derrière ça, il y a la gastronomie et c'est toute une filière. Il y a les métiers de la table, il y a la gastronomie. Le chef Gomez est là, il a monté ici une école, en lien avec le Père Pedro. Il y a tout un écosystème avec un potentiel d'avenir formidable. Vous pouvez vraiment, pour les plus jeunes, vous lancer dans l'entrepreneuriat, mais aussi convaincre des jeunes de rentrer dans ces métiers.


Q - Comment est-ce qu'on arrive à accéder à vos fonctions aussi jeunes ? Et comment on garde avec le temps, cette fraîcheur et ce lien avec les aspirations de la jeunesse qui font la force des jeunes leaders ?

R - Merci beaucoup et bravo d'entreprendre comme vous le faites et de porter un projet à l'échelle du continent. C'est vraiment ce à quoi on croit très profondément. Et je trouve aussi que votre média fait partie de ces initiatives qui portent aussi un imaginaire extrêmement positif pour le continent. Et là où il y a parfois beaucoup de propagande, de passé mal remâché, si je puis dire, l'idée de se dire ce continent, qui est avant tout un continent de jeunesse, regarde devant, est une chance. Donc moi aussi, je veux vous encourager dans ce sens.

Le Président a dit beaucoup de choses. D'abord, il faut toujours avoir beaucoup d'humilité quand on parle de là où nous sommes. Je voudrais d'abord dire aux plus jeunes qui se posent cette question, rassurez-vous, la jeunesse est un état très transitoire et ça passe assez vite. Donc, si vous pensez que c'est un problème ou si des gens vous disent que c'est un problème d'être jeune, ça se règle assez naturellement. La deuxième chose, je pense que ce qui permet de mener des combats, c'est d'être porté par quelque chose qui est plus grand que soi. Et donc, avec les différences qui vont être nos histoires, nos pays, je crois que quand on s'engage, et ça, c'est vrai, je crois de toutes les femmes et les hommes qui s'engagent dans des aventures collectives, qu'elles soient d'ailleurs politiques ou associatives, c'est d'être porté par quelque chose de plus grand. Et moi, je voudrais vraiment dire à la jeunesse qui est ici, on vit dans un monde où l'individualisme est quand même roi et où je trouve que très souvent, l'engagement politique est décrié, à tort, parce qu'il faut des femmes et des hommes pour s'occuper de la vie de la cité. C'est même la chose la plus importante. C'est noble. Et donc, engagez-vous. Parce que c'est un supplément d'âme qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Et je crois qu'on arrive à faire des grandes choses quand on est porté par celle-ci, par un enthousiasme qui, au sens propre du terme, étymologique du terme, consiste à avoir un petit Dieu en soi qui nous pousse un peu plus loin, un peu plus haut. Et donc ayez cet enthousiasme qui va avec l'engagement public. Et je crois que ce qui nous a permis d'accéder aux fonctions qui sont les nôtres, c'est qu'on était porté, que nous sommes toujours portés par un enthousiasme et la conviction, l'attachement, en effet, à la patrie, au pays, qui est plus grand que nous-mêmes. Et ça, c'est fondamental que ça ne vous quitte jamais. Après, il faut prendre son risque. Et parfois, on réussit, parfois, on perd. Et c'est un autre message que je voudrais avoir pour la jeunesse qui est là.

Le succès est marginal dans l'aventure. Je veux dire par là que beaucoup d'entrepreneurs, de responsables politiques, de responsables, d'ailleurs, de tous ordres, ce sont des femmes et des hommes qui ont beaucoup tenté et beaucoup échoué. Mais ils se sont relevés une fois de plus qu'ils n'ont connu l'échec et c'est ça le plus important. La pire des choses, ce serait de ne pas tenter. Et donc, notre message, c'est un message d'audace. Prenez votre risque.

Ce qui va avec le risque, c'est la possibilité d'échouer. Mais apprenez de ces échecs pour rebondir. Parce que c'est ça qui vous apporte à vous et à ceux qui sont autour de vous. Et je ne connais aucune grande aventure qui ne repose pas sur des erreurs multiples, simplement ces erreurs à un moment sont corrigées. Les seuls défauts terribles, c'est de renoncer ou c'est de ne pas apprendre de ses échecs. Je crois que c'est ça qui nous permet après d'avancer.

Et puis, la dernière chose, c'est l'intranquillité. Je disais, on est de moins en moins jeunes quand même, même si le Président n'arrête pas de dire qu'il est toujours jeune, je m'inscris dans son sillon. Mais ça fait huit ans que j'occupe ces fonctions, il n'y a pas un jour où je ne me réveille en continuant de croire aussi fort aux idées que je porte et à être toujours aussi insatisfait et convaincu qu'il y a encore des montagnes de choses à accomplir. Et en vérité, on ne fait sans doute pas ce que nous sommes en train de faire. Et c'est peut-être le moment où on arrête d'être jeune quand on est trop content de soi, qu'on devient tranquille. Et donc, soyez très longtemps intranquille. C'est une bonne recette pour continuer d'agir. Voilà.

Q - Merci, Monsieur le Président, pour vos réponses. Du coup, comment vous restez connecté à la jeunesse ?

R - D'abord, ça fait partie de cette intranquillité. Si on n'est pas connecté, elle nous le rappelle. Ensuite, il y a des choses qui émergent de la jeunesse, des sentiments, on le voit très clairement. Par exemple, la question climatique dans nos sociétés a été très portée par la jeunesse. La question de la santé mentale aujourd'hui émerge beaucoup de la jeunesse. Il y a une capacité d'indignation qui, quand on s'occupe de la chose publique, fait qu'on ne peut à aucun moment s'en écarter. Et donc les réseaux sociaux servent à ça, évidemment. Le contact direct, comme ce qu'on fait là aujourd'hui, la capacité à échanger avec des jeunes qui sont engagés, soit dans l'action publique, les ONG, le militantisme ou l'université. Mais je crois, en écoutant les indignations de la société et du temps que nous vivons, sur le continent africain comme sur le continent européen, c'est le meilleur moyen de continuer d'être connecté.

Q - Quel est le rôle du secteur privé dans votre carrière ? Et quel rôle du secteur privé dans le développement économique ?

R - Oui. Tout ce qu'a dit le Président à l'instant, ce que ça apporte, le secteur privé, c'est une culture du collectif, un sens des résultats et de l'exécution. Et je crois d'ailleurs que c'est assez voisin des défis qu'a aujourd'hui la question politique dans notre société, qui a un besoin d'efficacité, de résultats tangibles. Quand j'ai dit ça, je pense que le secteur privé a une contribution énorme au développement du Continent Africain et à nos partenariats. D'abord, on investit beaucoup et on a beaucoup réinvesti ces dernières années dans le cadre de ce qu'on appelle l'investissement solidaire, le rôle de l'AFD, nos coopérations. Mais malgré ce réinvestissement, la première solidarité qui existe entre la France par ses diasporas, et le continent, ce sont les financements privés et ce sont les solidarités de ces diasporas qui est une richesse extraordinaire, et c'est vrai encore plus de beaucoup d'autres pays en Europe. Et donc il y a les financements publics, mais il y a aussi tous les financements privés qui vont derrière.

Néanmoins, ce n'est pas suffisant, et le défi du continent africain, c'est essentiellement un défi formations et capitaux, si on résume les choses. C'est-à-dire que c'est un trésor démographique, avec une dynamique extraordinaire, des marchés en pleine expansion. Mais tout le défi de chaque pays, et c'est exactement le défi du président aujourd'hui, c'est d'être sûr que ces 700.000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, ils aient des perspectives, et donc qu'ils aient la formation qui corresponde aux métiers possibles. On en a parlé pour les métiers agricoles, c'est vrai pour le textile, c'est vrai pour votre volonté d'industrialiser, de développer le secteur marchand, etc., et qu'il y ait des capitaux pour y venir. Et ça, c'est notre double problème. Et donc le secteur privé a un rôle très important, 1) pour aider à structurer des filières et recruter des jeunes. Et nous, notre travail, c'est d'aider à consolider des formations professionnelles et universitaires qui vont avec ces besoins. C'est une des priorités qu'on a mises dans nos axes. Et c'est pour ça qu'à côté d'agriculture, santé, écologie, énergie, on a l'axe éducation qui est clé, formation des talents. Le deuxième élément, c'est d'être sûr qu'il y a une circulation des capitaux privés pour aider à faire décoller les économies et à pousser ces projets. Et là, la clé, c'est de développer. C'est ce qu'on avait fait il y a 3 ans, l'ambassadeur Le Roy était là avec nous, qui avait beaucoup aidé à ce travail pour le financement des économies africaines. On l'avait fait en plein Covid en 2021, puis on l'a poursuivi avec notre Pacte pour la prospérité des peuples et de la planète, le 4P.

C'est au fond de se dire, le défi qu'a l'Afrique, ça correspond un peu à ce que vous disiez, c'est un défi d'appréciation du risque. Il y a des potentiels de marché, à chaque fois que des pays s'en sortiront, il y a des classes moyennes qui vont se constituer. Simplement, l'économie mondiale est averse à investir au bon niveau dans ces économies. Pourquoi ? Parce qu'on a un rapport au risque qui s'est déformé. Regardez l'évolution, par exemple, de nos régulations bancaires et assurantielles. Au moment où, moi, je dis : on réinvestit sur l'Afrique, on y va à fond, tous les réseaux européens s'en vont de l'Afrique. Parce qu'ils disent, pardon de cet anglicisme, j'ai ma compliance. Et du coup, ce sont d'autres qui rachètent. On a de la chance d'avoir des réseaux comme le vôtre, on a des grands réseaux bancaires marocains qui le font. Ils ont raison. Mais parce que le rapport au risque n'est plus le bon. Et donc, c'est, un, de multiplier la mobilisation de l'argent privé, ce qu'on a fait avec les droits de tirage spéciaux du FMI, lancés en 2021, remobilisation du bilan de la Banque mondiale pour aller vers plus de risques et décoller ce qui ne peut pas être pris par la partie privée, parce qu'il faut une base de financement public. Tout de suite derrière ça, avoir des mécanismes de garantie. Et en fait, ce qu'il faut, ce qu'on est en train de développer avec le FMI, avec justement ce qu'a fait l'AFD, qui est Finance in Common, c'est-à-dire ce travail entre le FMI, nos banques de développement, les banques régionales, c'est de dire, en quelque sorte, on essaie de manger une part de risque pour faire venir des acteurs privés. Et c'est de dire, on multiplie l'effet de levier et on fait venir du public privé pour aider des filières à décoller. Ce qu'on s'est dit sur l'agriculture, il faut peut-être pour certaines filières mettre de l'argent public, mais très vite, il faut en marquer de l'argent privé pour que quand on met 10 de public, on ait au total un investissement de 100. Et ça, c'est un des défis qu'on a et que le rapport public-privé doit développer. C'est pour moi une des transformations. C'est ce qu'on a demandé dans le cadre du 4P à la Banque mondiale, améliorer son effet de levier. C'est ce qu'on est en train de faire avec l'AFD.

Dans nos secteurs clés, on a amélioré notre effet de levier grâce à Proparco et aussi à l'ensemble du groupe. Et c'est exactement la stratégie qu'on a en Afrique. Ce qu'on a avec la plateforme Digital Africa, ce qu'on a fait avec Choose Africa, qui était de faire venir des grands investisseurs du monde entier sur des opportunités africaines, et ce qu'on a fait avec un guichet associant Business France, la Banque publique d'investissement et l'AFD, c'est une stratégie pour emmener avec nous le secteur privé, français, mais aussi européen, en Afrique, connecter des secteurs privés africains entre eux et dire à chaque fois qu'on fait de l'investissement solidaire, on déclenche une filière et surtout de l'investissement privé. Et la capacité, en fait, à décloisonner l'approche public-privé est clé. C'est faux de dire qu'on va avoir d'un seul coup un tsunami d'argent privé qui va arriver en Afrique. Pas vrai, parce qu'il y a plus de crises, parce qu'il y a des sujets de gouvernance qui existent encore, parce qu'il y a un climat des affaires qu'on doit améliorer, parce qu'il y a parfois des risques climatiques qui sont là, parce qu'il y a des risques sécuritaires qui sont encore plus importants. Donc c'est normal qu'on ait un investissement public pour consolider chacun de ces points et qu'on ait de l'investissement solidaire. Par contre, dès que c'est parti et que ça se stabilise, il faut très vite enclencher, fertiliser tout cela avec de l'investissement privé. Et développer, c'était le coeur de ce qu'on a avec le Pass Africa et avec toutes nos initiatives, c'est développer, consolider, un entrepreneuriat et des investisseurs privés africains qui pensent à l'échelle du continent, investissent entre eux, et je dirais que vos entrepreneurs sont un merveilleux exemple de cela, eux qui investissent à travers tout l'océan Indien et même au-delà.

Et donc voilà la stratégie qu'on poursuit, et donc vous l'avez compris, c'est une approche complètement intégrée où on mobilise tout le monde, mais où on a besoin en effet d'accélérer ce rapport public-privé, la prise de risque par une partie garantie et l'accélération des grands investissements privés.

Q - Comment voyez-vous le rôle de la culture entre les deux pays ? Et comment on peut davantage soutenir les artistes malgaches dans l'espace francophone ?

R - Merci beaucoup. Ecoutez, moi, je crois très profondément à ce qu'on appelle ce sujet de la restitution. En novembre 2017, quand je m'adressais à la jeunesse africaine à Ouagadougou, c'était, il n'y a pas si longtemps, ça paraît une éternité quand on voit ce qui se passe aujourd'hui à Ouaga, j'avais mis la restitution des oeuvres d'art au coeur.

Pourquoi?? Parce que c'est absolument anormal qu'une jeunesse, quelle qu'elle soit, pour se reconnecter avec son histoire, il fallait qu'elle aille dans les grands musées parisiens, britanniques ou autres. C'est une aberration de l'histoire. Comment on veut bâtir notre avenir quand on leur dit : "tu es dépossédé de ton passé". Et donc, on a fait un travail vraiment scientifique, qui a d'abord été nourri par deux très grands scientifiques, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, qui ont fait un travail en 2018, un rapport qui a fait date, et qui a construit une méthodologie. Et cette méthodologie, on l'a appliquée à plusieurs pays, le Bénin, la Côte d'Ivoire, au Sénégal et Madagascar. Et on a passé une série de lois, et en particulier une loi il y a un an et demi, qu'on inaugure d'ailleurs avec les crânes de Sakalava, vous l'avez évoqué, pour Madagascar, qui va permettre ces restitutions. Et au fond, ça dit des choses très simples, notre approche. Quand des objets, des oeuvres d'art, ont été volées à un peuple, et donc on regarde les conditions dans lesquelles elles sont arrivées dans le musée, elles doivent être restituées. Et ensuite, tout ça n'est pas simplement un geste qui consiste à dire, reprends ce qui est à toi, je ne veux plus le voir. Parce que cette restitution ne peut pas non plus être une séparation. C'est la construction de quelque chose de neuf.

Deuxième acte, on dit que ça doit passer par une coopération muséale et muséographique, et donc une formation. Et donc derrière, il y a tout un travail pour que ces oeuvres, ces objets, qui ont souvent d'ailleurs une dimension culturelle très profonde, puissent être accueillis, conservés dans les meilleures règles. Et donc il y a tout un programme de formation. Ce qu'on a fait, et d'ailleurs sur les craintes, c'est toute l'exigence que vous portez, Président. Et demain, moi, je serai ravi de voir, en effet, le dais de la dernière reine ayant retrouvé son palais, ce qui est très émouvant.

Mais la troisième chose, ça fertilise un imaginaire. C'est-à-dire que ce n'est pas simplement la jeunesse et tout un peuple qui reprend possession de son histoire, des objets, mais ils ont circulé. Et donc, les artistes contemporains se les réapproprient. Et je vais vous raconter une histoire toute simple. Un des moments les plus beaux que j'ai eu à vivre, c'est quand, au palais présidentiel à Cotonou, on a fait revenir une partie des trésors du royaume de Dahomey qui avaient été dérobés par Dodds. Et ils ont repris leur place dans le palais. Et des artistes béninois contemporains avaient, en parallèle, mené un dialogue et fait des oeuvres. Et il y a quelques mois, on les a accueillis à Paris, à la conciergerie ; c'est-à-dire dans un des lieux les plus anciens, au coeur de la capitale, du fin fond du Moyen-Âge, on a mis des artistes béninois qui s'étaient réappropriés les oeuvres qui avaient été dérobées, qu'on venait de leur restituer. C'est exactement ça, cette circulation des talents et des imaginaires. Et c'est pour ça que ça a une puissance folle de restituer, parce que ce n'est pas restituer, c'est revigorer, c'est réinventer, c'est repermettre de créer pour que ça circule. Et donc c'est pourquoi ce que nous voulons faire avec le président, c'est en effet développer aussi les coopérations artistiques et permettre de simplifier, en particulier dans tout l'espace océan Indien et dans tout le dialogue que nous avons au sein de la COI, on va drastiquement simplifier les voies et moyens de faire circuler nos talents, nos talents réunionnais et mahorais chez tous leurs voisins, les talents malagas et autres en France, avec des visas simplifiés, talent pour les entrepreneurs, mais aussi les créateurs et les intellectuels. Et ça, c'est absolument clé.