Texte intégral
Thank you, Mr. Deputy, President, dear Paul, Mr. Minister, dear CEO, Ambassador, Ladies and Gentlemen. Permettez-moi de vous remercier, Monsieur le vice-président, pour vos paroles, de nous avoir permis d'être ici, en ce lieu si important pour rendre hommage à ces combattants de la liberté et à la grande histoire de votre pays. Je dois dire que vous êtes toujours plus que bienvenus en France. Et parfois, je préfère partager 80 minutes avec vous et votre délégation d'affaires que 80 minutes avec vos joueurs de rugby. J'en ai gardé quelques souvenirs. Néanmoins, ils sont, eux aussi, les bienvenus. Permettez-moi maintenant de m'exprimer en français. Je sais que ceux qui ne comprennent pas notre langue ont un casque et j'ai du respect pour les familles ici présentes. Et en leur souvenir, j'aimerais m'exprimer en français.
En effet, c'est avec une profonde émotion que nous tenons ici dans ce Freedom Park, où résonne encore l'écho du combat héroïque pour la liberté du peuple sud-africain. Ce combat, s'il fut d'abord celui des Sud-Africains, a vite dépassé les frontières. Combat contre l'apartheid, l'inhumanité, la barbarie, combat pour unir les femmes et les hommes et les peuples entre eux, combat plus difficile encore une fois l'apartheid révoqué contre la vengeance ou l'oubli, combat qui unit des femmes et des hommes à travers le monde, portés par une même exigence de justice et de dignité.
Parmi eux, 20 destins de France que nous célébrons aujourd'hui. Merci une fois encore de nous permettre ce moment, 20 engagés qui voulurent demeurer à l'espérance française de l'universel, 20 enfants des Lumières, chacun à leur façon, pétris de l'esprit de la Révolution, 20 noms qui s'inscrivent ainsi dans une longue chaîne française d'humanisme et de courage, aux côtés de tous les combattants de la liberté ici célébrés.
L'Afrique du Sud n'était pas à tous leur pays, mais à tous, l'égalité était leur cause et la justice leur idéal. Leur cœur ne vibrait pas seulement pour la France, pas seulement pour l'Afrique du Sud, mais pour la liberté universelle. Ils défendaient une vision de l'homme, une vision où une vie vaut une vie, qui les vaut toutes, chacune dans son irréductible dignité. Leur engagement, souvent dans l'ombre, fut celui du risque et ils en payèrent le prix. Ils étaient de France et d'ailleurs communistes ou chrétiens, philosophes ou sportifs, souvent des femmes et des hommes qui avaient appris dans la résistance que ceux qui vivent sont ceux qui luttent.
Aucun d'entre eux ne pouvait supporter que demeurât quelque part dans le monde un régime d'apartheid dont la logique profonde, logique de séparation et d'exclusion, logique de haine et de hiérarchie raciale, constituait une blessure de leur conscience. Disons ici simplement leur nom, comme eux, à leur manière, devant l'histoire, ont répondu à l'appel de leur conscience.
Disons le nom d'Aimé Césaire, le poète, de Frantz Fanon, l'intellectuel, qui dénoncèrent l'un et l'autre l'exploitation coloniale sous toutes ses formes, et jamais ne désespéraient de l'humanisme. Disons le nom de Breyten Breytenbach, le poète et le peintre qui préféra écouter son cœur et briser les lois raciales, qui subît la prison et l'exil, et trouva en France un refuge. L'homme qui opposa à toutes les forces d'assignation sa puissance de création car, disait-il, " la liberté ne devrait pas être un privilège ". Breyten Breytenbach, quand cette lutte put compter sur le soutien du président François Mitterrand et de son épouse, Danielle, avec qui il mena cette cause commune de justice et de dignité de Paris à l'île de Gorée jusqu'ici, à Pretoria. Disons le nom d'Alfred Kastler, homme de science, figure de raison, Prix Nobel, qui usa de sa renommée pour dénoncer la flétrissure de l'apartheid. Le nom de Claude Bourdet, héros de la résistance, militant inlassable de l'humanisme, homme révolté au sens d'Albert Camus, perpétuel artisan de la fraternité entre les peuples opprimés. Le nom de François Moncla, rugbyman français qui osa briser les barrières raciales lors d'une tournée, ici, en 1958. Prononçons les noms des engagés du Parti communiste, les élus Paul Vergès, à La Réunion, et Marcel Trigon, maire d'Arcueil, qui permit l'accueil de Dulcie September dans sa ville. Cette mémoire-là non plus, nous ne l'oublions pas. Et là non plus, nous n'oublions pas la nécessité que vérité et justice se fassent.
Je dis le nom de militants qui choisirent la clandestinité et luttèrent à travers les frontières contre l'oppression et l'injustice. Henri Curiel, Eve Hall, Marie-José et Alex Moumbaris. Disons les noms de Maurice Cukierman, de Charles Palant et d'Albert Lévy, ceux-là qui firent de la lutte contre l'apartheid l'une des grandes causes du mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, le MRAP. Je veux citer ici Jacqueline Grünfeld, résistante, fondatrice des Amis de l'ANC, qui accueillit des exilés sud-africains chez elle. Sa fille Catherine rencontra Josiah Jele. De leur union naquit Nokukhanya, aujourd'hui conseillère diplomatique du président Ramaphosa, témoignage vivant de cette belle histoire d'amour, dans tous les sens du terme, franco-sud-africain.
Je veux dire encore les noms de Jean-Jacques de Felice et Élisabeth Martineau du Comité français contre l'apartheid, présidé par Jean-Paul Sartre, comité qui organisa le soutien à l'avocat Bram Fischer, arrêté après le procès de Rivonia. Je dis enfin, avec un sentiment particulier, le nom de Paul Ricoeur, penseur de la reconnaissance des mémoires blessées, dont le travail inspira la Commission Vérité et Réconciliation et qui, sans relâche, accompagna le président Mandela et tant d'autres.
Non, pendant de longues années en France, des simples militants, des engagés anonymes, eux aussi ont manifesté, agi, écrit en solidarité avec un peuple coupé en deux, une nation où un rideau de fer racial séparait des hommes. Avec eux, dans le monde entier, un élan a accompagné avec admiration et respect le combat de Nelson Mandela. Ce combat oppose l'humanisme à l'assignation, l'espérance à l'oppression, la force du pardon aux joues de la haine. Combat que menèrent les hommes des Lumières, que mena Toussaint Louverture et tous ses héritiers. Combat de Missak Manouchian et de Joséphine Baker pour la liberté, l'égalité, la fraternité. C'est là aussi l'universel français.
Ce combat n'est pas terminé. Ces noms surgissent de l'histoire pour nous inciter à l'action. Ils sont là, à Pretoria, pour égrener d'autres noms, d'autres peuples, d'autres causes. Si nous égrenons leurs noms, c'est pour nous souvenir qu'à leur place, jadis, ils avaient vu le sort d'un peuple asservi, et ils y avaient vu l'asservissement de tous les hommes. Leurs noms sont aujourd'hui aussi celui des victimes des guerres menées au nom des idéologies de haine, du fanatisme, du racisme, des nouvelles formes d'hégémonie. Leurs noms sont décrits de fraternité, d'espérance, de dignité.
Alors cette fraternité qu'ils ont incarnée nous oblige, et cet esprit du Freedom Park doit nous inspirer. Quand Breyten Breytenbach où Nelson Mandela vivaient dans l'ombre de leurs geôles, ils savaient que l'histoire leur rendrait justice, ils en étaient sûrs. Car qui combat pour la liberté universelle a toujours raison devant les siècles. Alors voyons dans ce lieu une place de reconnaissance, de mémoire, un tombeau pour toujours, pour chacun de ses noms. Mais voyons aussi une place d'espoir et d'exigence pour nous tous, car ces combats sont encore à conduire. Veillons à n'oublier aucun nom de cette histoire d'Afrique du Sud, de France, d'Europe, d'Afrique. Veillons à retenir d'eux l'exigence de ces combats et l'espérance qu'ils portaient.
Je vous remercie. Merci à vous.