Entretien avec Annick Cizel.
QUESTION 1. Quelle a été la politique étrangère de la présidence Trump ?
Il y a une politique étrangère de l’administration Trump pour son premier mandat.
Je distingue, sur les quatre années, depuis janvier 2017 et son entrée à la Maison Blanche, trois phases différentes :
Une première phase de continuité avec l’administration Obama, où véritablement sont aux manettes encore, d’anciens officiels de l’administration Obama, qui dressent le panorama d’ensemble, de ce que sera la présidence Trump, avec des intangibles qui sont (le doigt pointé vers deux puissances que sont) la Chine et la Russie. Et ces intangibles, nous les avons aujourd’hui renforcés, avec une administration, qui entre-temps, sous la houlette de Mike Pompeo, depuis la fin de l’année 2018, a fait basculer vers le département d’État, c’est-à-dire, vers le ministère des Affaires étrangères, le pilotage de toute la politique extérieure des États-Unis, avec une véritable cohérence donc sur les années 2018, mais surtout 2019 et 2020 et, en fin de mandat, aujourd’hui, outre la Chine et la Russie, nous avons des puissances régionales, telles l’Iran ou la Corée du Nord en phase de nucléarisation en Asie, qui sont véritablement les points forts d’une stratégie nationale qui devient cohérente au fur et à mesure donc d’un premier mandat et prépare sans doute une politique étrangère très offensive et très présente à l’international.
Parmi les points forts que l’on doit retenir, il y a cette volonté évidente, politique, électoraliste, surtout cette année, de rupture franche avec toutes les présidences avant lui. Que ce soit celle de Barack Obama, mais également avec George W. Bush, présidence républicaine avant lui, Donald Trump souhaitant réécrire les livres d’histoire.
Et donc, il dit non à l’accord nucléaire iranien en 2018, il dit non, dès son entrée à la Maison Blanche, à l’accord commercial transpacifique, il dit non à l’Accord de Paris sur le climat, contre le réchauffement climatique.
C’est-à-dire qu’il fait table rase, de l’antériorité de sa présidence, de manière à écrire une nouvelle page dans l’histoire des États-Unis, c’est lui-même qui le dit, c’est l’ADN de sa campagne électorale de 2016 et à nouveau en 2020, même s’il est aujourd’hui, le président sortant.
QUESTION 2. Y-a-t-il une méthode Trump ?
Au-delà de ce que l’on observe plutôt comme un chaos, on parle d’une administration qui serait erratique, qui serait spontanée, d’un président impulsif.
Au-delà de ces apparences, d’un président qui a un passé d’entertainer, a un passé de reality show à la télévision américaine, je pense qu’il y a une véritable méthode de l’administration Trump, une méthode de déconstruction, pour reconstruire le parti républicain dans un premier temps et, quels que soient le résultat des élections du 3 novembre prochain, le Trumpisme survivra au sein du parti républicain à Donald Trump. Il y a une méthode de tweets systématiques. Barack Obama l’a fait avant Donald Trump, mais les tweets présidentiels ont la force, ont la puissance d’expression et la force de loi, d’un décret présidentiel, ce que aucun président des États-Unis n’a fait avant lui.
C’est une méthode qui lui permet d’être non seulement le chef de l’exécutif, ce qu’il est selon la Constitution, mais de prendre de vitesse le Congrès des États-Unis systématiquement, à la fois, le Congrès qui est aligné sur sa politique, le parti républicain, mais l’opposition démocrate, contrairement à la Constitution des États-Unis, puisque la Constitution place le législatif, le pouvoir législatif, le Congrès, devant l’exécutif des États-Unis.
On a une méthode Trump, de systématiquement capter le débat, reprendre à son compte, au fil de déclarations qui ont valeur présidentielle.
Et donc, l’exercice de la puissance se fait par cette forme de présidence impériale qui interprète la Constitution, qui ne s’oppose pas, c’est une interprétation de la Constitution, qui lui permet, notamment dans le domaine de la politique étrangère, de renforcer cet exécutif, de placer la politique étrangère des États-Unis au cœur de la campagne et au cœur des possibles réussites de son premier mandat.
QUESTION 3. Quelle politique étrangère après l’élection présidentielle ?
Il semble assez évident que si Joe Biden et Kamala Harris gagnent les élections du 3 novembre, une nouvelle administration démocrate, reviendrait à certains présupposés, que nous avons connus sous Barack Obama. On a beaucoup tenté de comprendre, où l’administration Trump nous amenait sur le plan du multilatéralisme global, sur le plan de ce nouvel ordre mondial de 1945 qui est remis en question, aujourd’hui, par la nouvelle donne géopolitique globale.
Il est certain que si Joe Biden entre à la Maison Blanche, le 20 janvier 2021, ce multilatéralisme cher à Barack Obama et au Parti démocrate, depuis 1945, et ce modèle de multilatéralisme négocié, pacifique, diplomatique pourrait permettre un retour vers des négociations avec l’Iran sur l’Accord nucléaire iranien. On peut imaginer, aussi sous l’impulsion des Chinois et d’un dialogue stratégique qui se rétablirait entre Washington et Pékin, que l’Accord de Paris sur le climat pourrait connaître une deuxième vie.
Donc, il y a des ouvertures vers un renouveau du multilatéralisme, en gardant à l’esprit que l’administration Trump a un petit peu pivoté sur ses bases, elle reniait systématiquement, tout le multilatéralisme, de l’ONU à l’OMC en passant par l’Agence internationale pour l’énergie atomique et on voit aujourd’hui un retour des États-Unis, en partie en réponse à l’entrisme chinois dans ces entités multilatérales, mais également parce que la main tendue de l’Union européenne vers Washington a été saisie pour tenter de restabiliser un ordre mondial, qui n’était plus aussi favorable aux États-Unis.
Il reste à savoir, si au lendemain des élections présidentielle et du Congrès des États-Unis, ce nouvel ordre mondial multilatéral sera plus progressiste, si Joe Biden et Kamala Harris sont élus, ou s’il sera plus conservateur, sous l’impulsion d’une deuxième administration Trump Pence, peut-être avec Mike Pompeo et une certaine continuité vers un internationalisme plus conservateur sous l’égide d’un Donald Trump 2.