La planification écologique : trois questions à Antoine Pellion

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Par : La Rédaction

Qu’est-ce que la planification écologique ? Comment mesurer son efficacité ? À quelles limites est-elle confrontée ?

  • Qu’est-ce que la planification écologique ?

    La planification écologique, c'est à la fois un projet de transition écologique du pays et aussi un projet économique.

    Et les deux sont très importants, et je vais vous expliquer un peu plus pourquoi.

    Alors c'est avant tout un projet écologique.

    Vous savez que la France s'est engagée dans des engagements internationaux importants pour baisser nos émissions de gaz à effet de serre, pour mieux protéger la biodiversité, mais aussi pour mieux s'adapter au changement climatique, pour protéger la santé avec les enjeux de santé-environnement, avec par exemple l'alimentation, la question des phytosanitaires, et puis enfin aussi pour pouvoir protéger nos ressources naturelles qui sont en quantité limitée.

    L'eau, la forêt, la question du foncier, ce sont des ressources rares et qui seront de plus en plus rares demain avec le changement climatique.

    Et donc, il faut apprendre à les gérer pour qu'elles soient soutenables.

    Et donc c'est tout ça ensemble qui forme un projet écologique.

    On cherche à baisser de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030, et puis avoir ce qu'on appelle la neutralité carbone en 2050, ça veut dire qu'on capte autant de carbone qu'on en émet pour ne plus réchauffer l'atmosphère en 2050.

    C'est vraiment très important.

    Donc ça, c'est l'ensemble des objectifs environnementaux que l'on porte, que la France porte, qui sont très nombreux et qui sont tout un projet aussi, un changement de société quelque part.

    Et c'est pour ça qu'il faut que ce projet écologique, dès le début, on le conçoive avec un projet économique.

    Ça veut dire quoi concrètement ?

    Ça veut dire que dans la transition écologique, on va par exemple changer les façons de se chauffer.

    On va changer la façon de se déplacer et donc il faut que les pompes à chaleur dont on a besoin demain, ou il faut que les voitures électriques, on est en France aussi, les usines pour pouvoir les produire en France, en Europe.

    Et ça, ça s’anticipe, ça se travaille, ça se prévoit, ça se planifie.

    Il faut aussi, par exemple, qu'on ramène des usines qui sont hors de l'Europe en France.

    Pourquoi ?

    Parce qu'une usine, ça peut émettre des gaz à effet de serre, mais généralement, elles sont plus performantes d'un point de vue environnemental quand elles sont en France plutôt que dans d'autres pays en dehors de l'Europe.

    Et donc pour l'empreinte carbone globale, c'est-à-dire l'ensemble de toutes les émissions du monde, il vaut mieux du coup relocaliser un maximum d'industries.

    Donc, pour toutes ces raisons, c'est un projet à la fois économique, un projet écologique.

    Après le sujet, ce n'est pas simplement de fixer des objectifs à long terme en 2030.

    Le sujet, c'est se dire concrètement comment on fait pour y arriver et donc définir sujet par sujet.

    Par exemple, j'ai parlé des voitures comment on remplace progressivement des voitures thermiques par des voitures électriques ?

    Comment est-ce qu'on développe les transports en commun, le ferroviaire, les transports en commun dans les villes ?

    Comment aussi est-ce qu’on fait évoluer nos usines pour que là où elles consommaient du fioul, du charbon, elles consomment de l'électricité ou des énergies renouvelables ?

    Comment aussi, en matière d'agriculture, on transforme aussi notre système agricole pour mieux préserver aussi l'environnement ?

    Comment en matière de logement, on rénove nos logements ?

    Tout ça, c'est plein de sujets très concrets sur lesquels il faut se dire, année après année, quels changements on veut faire pour arriver à cet objectif de 2030, puis après 2050 ?

    Donc la planification écologique, c'est organiser tout ça.

    C'est dire concrètement ce que doit faire chacun.

    Ça n'est pas uniquement l'action de l'État, mais c'est aussi celle des entreprises, c'est aussi celle de citoyens, vous et moi, à titre individuel par exemple, pour changer nos mobilités, rénover nos maisons et donc tout ça, il faut qu'on arrive à se dire non seulement qu'on va dans la bonne direction, mais qu'on y va avec suffisamment d'intensité pour qu'on ne rate pas le coche et qu'on soit vraiment au rendez-vous en 2030.

    Parce que rien que pour les émissions, ce qu'il faut faire, le défi que nous avons devant nous, c'est qu'il faut qu'on arrive à faire en dix ans, entre 2020 et 2030, autant de baisse d’émissions qu'on en a fait au cours des 30 dernières années, entre 1990 et 2020.
    Donc il faut accélérer très fortement.

    C’est ça tout l'enjeu de la planification.

  • Comment mesurer l’efficacité de la planification écologique ?

    Alors c'est vraiment une question très importante parce que la planification, si c'est simplement un rapport qui va se mettre dans les armoires où on a décrit peut-être très bien ce qu'il devait faire demain, mais qu'on ne le fait pas concrètement, ça ne sert à rien.

    Donc tout l'enjeu aujourd'hui, c'est vraiment d'arriver à embarquer tout le monde, mobiliser, et donc de ce fait aussi mesurer quelle est l'efficacité de chacune des actions.

    Alors, pour y arriver, on a plusieurs choses que l'on fait en même temps en parallèle et qu'on poursuit.

    La première déjà, c'est que pour chacune des actions, on s'est fixé des objectifs extrêmement clairs en termes d'impact, par exemple de baisse des émissions de réduction de consommation, de développement d'un procédé ou d'un type d'usines, etc.

    Et on sait, en transparence, fixer dans les trajectoires, année après année, où on devrait en être pour que le plan marche bien.

    Et donc du coup, tous les six mois ou tous les ans suivant les sujets, on mesure les émissions.

    Donc on s'appuie notamment sur les données du Citepa qui est un organisme indépendant qui fait les mesures de gaz à effet de serre.

    Et on regarde sujet après sujet : est-ce que finalement les actions qu'on a mises en œuvre, est-ce qu'elles produisent les résultats escomptés en mesurant les gaz à effet de serre, en mesurant les kilomètres de haies en mesurant aussi la surface de forêt qui s'est développée ?... de façon à avoir des choses très concrètes.

    Et donc, on se dit peut-être que ça ne marche pas suffisamment.

    Et donc dans la planification, ce n'est pas simplement comment on l'élabore, mais aussi comment on la pilote dans le temps, comment on fait évoluer les actions de façon à ce que quand quelque chose ne fonctionne pas, on puisse le réajuster ou au contraire quand ça marche, du coup, on puisse l'accélérer.

    Donc on le mesure.

    On a un tableau de bord.

    D'ailleurs, je vous invite à regarder en ligne sur le site du Secrétariat général à la planification écologique, le tableau de bord qui est accessible à tous.

    Et donc, on est redevable, on essaie d'être transparent sur l'ensemble des sujets de façon à pouvoir mesurer.

    Deuxième sujet aussi, cette planification pour qu'elle fonctionne bien, on ne l'a pas regardée uniquement au niveau national, on l'a regardée aussi au niveau local, et on a un énorme travail que l'on fait avec l'ensemble des territoires.

    Alors, la planification, ce n'est pas le Gosplan (Comité d’État pour la planification en ex-URSS).

    On n'est pas arrivé avec les territoires, on leur a dit voilà ce que vous allez devoir faire, etc.

    Pourquoi ?

    Parce que un, beaucoup de choses avaient déjà été engagées.

    C'est vraiment très bien et on s'appuie sur tout l'existant.

    Et puis deux, on a laissé à chaque territoire le soin aussi d'adapter son plan d'action.

    Par contre ce qui était très important, c'est d'avoir dans chaque territoire la maille des régions, des départements, parfois même jusqu'aux EPCI, aux intercommunalités, de savoir quel était le plan d'action concret, cohérent avec l'ensemble de la planification ?

    Et ce suivi, c'est pour ça que c'est lié aux indicateurs et la mesure, on le fait aussi au niveau local.

    On a commencé à le faire, on va continuer à le faire et ça, c'est vraiment très important.

    Donc à la fois un tableau de bord, à la fois une vision très fine à la maille des territoires, une vision aussi à la maille des filières économiques.

    On travaille avec les contrats stratégiques de filière pour regarder dans l'automobile, dans l'aéronautique, dans le transport maritime, est-ce que, finalement, toutes les transformations qui sont nécessaires, elles ont été réalisées ou pas ?

    Tout ça, ça nous permet de suivre de façon très concrète, très opérationnelle, toutes les choses qui avancent.

    Et un point important que je voulais souligner, c'est que d'ores et déjà, on peut dire qu'il y a des résultats.

    L'année dernière, en 2023, les émissions de gaz à effet de serre, elles ont baissé de 5,8 % par rapport à 2022.

    Alors 5 %, on peut se dire finalement c'est pas beaucoup, mais quand on regarde par rapport à la trajectoire que l'on doit faire pour arriver à la baisse de 55 % en 2030, on est sur le bon rythme aujourd'hui.

    Et ça, c'est vraiment une bonne nouvelle, parce que si on se remet quelques années en arrière, on n'y était pas.

    Avant 2017, on avait à peu près moins de 1 % par an de baisse et donc ce moins de 1 %, il est devenu l'année dernière 6 %, multiplication par six, et donc ça ça montre très concrètement une accélération.

    Et donc ça c'est quand même une bonne nouvelle.

    C'est une bonne nouvelle, ça veut dire que les efforts engagés, ils payent.

    Par contre, il faut être lucide et conscient que ces efforts pour aller jusqu'aux objectifs, il faut continuer à les maintenir et donc du coup, à se mobiliser toutes et tous.

  • Qu’est-ce qui pourrait limiter l’efficacité de la planification écologique ?

    Alors je pense qu'il y a plusieurs choses importantes et c'est important vraiment de le partager.

    La première, c'est que je vous ai beaucoup parlé des émissions de gaz à effet de serre en France, mais en réalité, ce qu'il faut baisser, c'est l'ensemble de toutes nos émissions.

    Et notamment, il faut avoir en tête que pour chaque Français, si on ramène les émissions par Français, il y a à peu près 9 tonnes de gaz à effet de serre émis par Français et par an.

    Sur ces 9 tonnes, il y en a la moitié qui sont émises en France, et donc là, le plan d'action dont je vous ai parlé il permet de les baisser, et l'autre moitié, qui vient des importations que nous faisons de l'international.

    Donc ça veut dire aussi que ce que l'on achète dans les autres pays et la façon dont les autres pays aussi font leur transition écologique, elle est très importante pour qu'on puisse réussir du coup à baisser l'ensemble de nos émissions.

    Donc ça, c'est un des facteurs importants de risque, c'est-à-dire les choses ne vont pas assez vite aussi à la fois dans la façon dont on consomme et dont on importe à la fois aussi dans les transformations des autres pays.

    L'autre sujet, c'est qu'une transition, c'est aussi beaucoup de changements.

    Et ces changements, ils peuvent inquiéter.

    Et donc on peut se dire finalement, c'est sympathique de se dire que j'ai une voiture électrique, mais est-ce que j'aurai des bornes électriques ?

    Est-ce qu'il y aura suffisamment d'électricité et donc provoquer des inquiétudes sur l'ensemble de la population et des ménages ?

    Provoquer aussi des inquiétudes chez les entreprises qui vont se dire je dois investir pour pouvoir changer mon procédé, mais si mon concurrent ailleurs en dehors de l'Europe, n'a pas à investir, est-ce que je vais pouvoir résister ?

    Est-ce que je vais être compétitif suffisamment ?

    Et donc ce qui est important, tous ces sujets-là, il faut tous les traiter.

    Il faut tous les traiter et il faut apporter des solutions concrètes.

    Je pense que le slogan qui est « il faut ne laisser personne sans solution » il est très important pour qu'on puisse ensemble réussir.

    Mais il y a 1000 obstacles qui peuvent arriver de ce type-là au cours de la planification, et notre métier aussi, et la planification, elle est là aussi pour y répondre, c'est d'avoir cette vision d'ensemble-là et d’essayer d'apporter des réponses concrètes.

    Je voudrais terminer quand même sur un point important parce que finalement, cette transition, c'est aussi un nouveau projet de société quelque part et c'est important pour que ça puisse marcher, pour qu'on s'engage tous de dire deux choses.

    D'une part, le monde qu'on esquisse, c'est quand même un monde qui va être aussi meilleur à vivre parce que l'air sera de meilleure qualité, parce que aussi, du coup, on aura réussi à éviter trop de changement climatique, parce qu'on aura des conséquences qui sont vraiment très dramatiques, mais aussi d'un point de vue économique, parce que moins d'émissions, c'est moins de consommation d'énergies fossiles, moins de carburant, moins de gaz.

    Or, le prix du gaz, le prix des carburants, on le subit, c'est les pays pétroliers du coup qui le fixent et tous les chocs économiques du pays, dans l'histoire économique du pays, le choc pétrolier, ce qu'on vient de vivre avec la guerre en Ukraine, ça nous montre à chaque fois à quel point nous sommes dépendants de cela.

    Et donc se décarboner baisser nos émissions, c'est aussi d'un point de vue économique et de pouvoir d'achat, améliorer tout cela.

    Et donc, pour que ça puisse marcher, il faut que tout le monde fasse des efforts.

    Dans le plan, la moitié des baisses d'ici 2030 sont entre les mains des entreprises.

    Un quart sont entre les mains des pouvoirs publics, à la fois l'État, les collectivités et le quart restant entre les mains des citoyens.

    Si je le dis différemment, 75 % de l'effort, c'est les « gros ». : l'État, les collectivités, les entreprises, 25 % c'est les gens.

    Et ça c'est une notion importante de répartition de l'effort pour qu'on puisse du coup au prorata de nos capacités, finalement, y aller tous ensemble et réussir tous ensemble.