Quels sont les principaux acteurs de l’action publique en matière de sécurité ?
Dans le champ de la sécurité, on s'attend bien évidemment à trouver l'État.
Puisqu'on définit souvent l'État par le monopole de la contrainte physique.
Et l'État est associé, dans un contrat social avec la population, à la préservation de la sécurité.
Ce que l'on montre dans ce numéro de la Revue française d’administration publique, c'est que la sécurité, elle est également avec des acteurs au-delà de l'État, qu'il s'agisse des agents de sécurité privée, qu’il s’agisse des polices municipales, qu'il s'agisse des bailleurs sociaux.
Et donc on travaille sur cette tension entre l'interne et l'externe.
Donc premiers types d'acteurs, bien évidemment, qu'on attend c'est l'État.
Et ce qui est très frappant, c'est que surtout dans un pays comme la France, on attend les forces étatiques : police nationale et gendarmerie nationale, mais aussi acteurs du renseignement.
Et dans les différents articles qui composent le numéro, on voit toute une série d'opérations lego-bureaucratiques, c'est-à-dire de recomposition de l'État par des fusions, par des mutualisations.
Un exemple typique, c'est la mise en place des directions départementales de la police nationale, parce que la police nationale est traditionnellement divisée en tuyaux d'orgue : d'un côté le judiciaire, de l'autre côté la sécurité publique, de l'autre côté, le maintien de l'ordre ou la police de l'air et des frontières.
Et ce que les collègues montrent dans leur étude, empiriquement fondée, c'est les tentatives de flexibilisation, de mutualisation au travers de la mise en place de ces directions départementales pour favoriser des approches communes et la mise en place de filières métiers.
Mais en même temps, ce qu'on met en évidence dans ce numéro, c'est les tensions que ça suscite.
Le sentiment de dé-professionnalisation, c'est-à-dire de perte de ses compétences, de ses savoir-faire, notamment pour les enquêteurs de police judiciaire.
Donc ça, c'est une première tension au cœur de l'État entre d'un côté diversification, pluralisation et de l'autre côté, la préservation des savoir-faire professionnels.
Autre tension qui est au cœur de l'État c'est une logique verticale d'un côté, avec le renforcement de l'emprise organisationnelle pour les agents, une diminution de leur autonomie par le nouveau management public par exemple, des indicateurs de performance, par le suivi par les responsables d'un côté, qui est particulièrement fort.
Ce que l'on a vu ces dernières années, c'est un renforcement de l'emprise organisationnelle et en même temps, au sein de cette dynamique, des logiques contradictoires.
Et on a notamment un article qui porte sur l'Inspection générale de la police nationale, qui montre d'autres formes d'accompagnement des unités locales, au travers par exemple de la maîtrise des risques qui est une logique complémentaire de la logique de contrôle avec la mise en place de mécanismes d'accompagnement des services locaux.
Quels sont les nouveaux acteurs qui interviennent dans ce champ ?
Donc, à partir des années 1970, on note deux inflexions majeures.
Tout d'abord, on voit une diversification des acteurs qui sont impliqués dans les questions de sécurité, qui ne sont pas la police et la gendarmerie nationales, avec notamment l'implication croissante des municipalités et l'accroissement des effectifs de police municipale, mais également l'augmentation de leur pouvoir judiciaire.
Donc implication des collectivités territoriales, mais aussi essor de tout ce qui est sécurité privée avec une augmentation du nombre d'agents de sécurité privée.
Essor également de la vidéosurveillance qui a été mise en place dans l'espace public après la loi de 1995.
Tout ça sous l'effet à la fois de, par exemple, d'événements sportifs majeurs comme les JO de 2024 et aussi des mesures prises pour prévenir les faits de terrorisme.
Donc, première évolution, diversification des acteurs et deuxième évolution, multiplication des dispositifs partenariaux, essentiellement à l'échelle locale, qui font que la police et la gendarmerie sont amenées à discuter et à échanger régulièrement et de manière structurée avec différents partenaires que sont par exemple les bailleurs sociaux, les associations, les transporteurs publics comme la SNCF ou la RATP.
Donc, ces deux évolutions là, elles ont été analysées par la littérature scientifique comme un mouvement de pluralisation du policing.
C'est-à-dire que l'État n’est plus seul en matière de sécurité, en matière d'action publique sur les questions de sécurité.
On le retrouve aussi dans les discours publics quand on entend parler de coproduction de la sécurité ou de continuum de sécurité.
Et ça s'est également traduit par des politiques publiques comme la police de sécurité du quotidien.
Premièrement, effectivement, si diversification des acteurs il y a, il ne faut pas oublier que l'État conserve un rôle central et conserve une position dominante, c'est-à-dire que si on observe des phénomènes de délégation et de responsabilisation des autres acteurs, l'État continue à façonner, l'État, la police et la gendarmerie, continue à façonner et à réorienter très largement l'action publique en la matière.
Deuxièmement, c’est l'importance des situations locales, des configurations locales.
Les situations peuvent très fortement varier.
Les relations, par exemple, entre police municipale et police nationale, peuvent varier selon les configurations territoriales et on observe aussi des structures d'interdépendance entre les différents acteurs, c'est-à-dire que les forces de l'ordre nationales ne peuvent plus faire seules et elles sont obligées de faire avec, quand bien même elles détiennent un rôle central.
Derrière ce mouvement de pluralisation du policing, il ne faut pas oublier que se jouent aussi des enjeux de légitimation ou relégitimation symbolique de l'action des polices de l'État, ce qui permet de faire le lien avec justement ces questions de réorganisation interne à l'État.
De quelle manière ces évolutions influent-elles sur l’action publique en matière de sécurité ?
Donc on observe des changements dans les systèmes d'acteurs, quels effets ça a dans les orientations de l'action publique ?
Parce que sécurité, au-delà du terme générique protection des biens et des personnes, le contenu précis, l'équilibre entre sécurité et liberté est quelque chose qui est toujours questionné.
Un collègue, Didier Fassin, a distingué trois rationalités de l'État, trois façons d'aborder la question de la sécurité.
La sécurité au travers de l'État social, les protections, une rationalité redistributive ; la sécurité au travers de l'État pénal, la sanction, une rationalité rétributive et la sécurité au travers de l'État libéral, la protection des droits des individus.
Et les contributions de ce numéro permettent de questionner cette tripartition, État social, État pénal, État libéral.
Ce qui apparaît d'abord, c'est un renforcement de la logique de sanction, donc de ce qui s'apparente à l'État pénal.
De sanction, de surveillance également.
On peut le voir dans beaucoup de signes : le déplacement des missions des polices municipales vers un mandat plus répressif, de régulation répressive des illégalismes urbains.
On le voit au travers du développement de la vidéoprotection.
On le voit aussi au travers de l'utilisation de ce que l'on appelle la prévention situationnelle, c'est-à-dire toute une série de techniques pour empêcher la commission d'actes de délinquance par les bailleurs sociaux.
On le voit aussi dans un tout autre domaine au travers du maintien de l'ordre.
La pluralisation du maintien de l'ordre, c'est-à-dire l'utilisation de forces non spécialisées dans le maintien de l'ordre, comme on l'a vu récemment autour du maintien de l'ordre des gilets jaunes, mais beaucoup d'autres opérations avec l'utilisation des brigades anticriminalité, se traduit par ce que certains collègues ont appelé la brutalisation du maintien de l'ordre, c'est-à-dire l'utilisation de la force plus importante et plus systématique par les forces de police.
Donc, d'un côté, une logique de renforcement du contrôle et de la sanction, de l'autre côté, de fragiles consolidations des modes d'encadrement.
Et ça on en a plusieurs signes.
Donc ce sont des évolutions contradictoires de ce point de vue-là.
On en a plusieurs signes, par exemple, avec la mise en place, en France comme ailleurs, d'agences de contrôle externe des forces de police.
En France, c'est le Défenseur des droits qui est d'un côté une institution constitutionnellement protégée, indépendante et de l'autre côté, une institution continuellement critiquée par les forces de police et avec des moyens très limités, 0,05 agent pour 1 000 policiers contre 2,2 en moyenne dans l'Union européenne.
Le contrôle externe fragile à nouveau, on le voit en matière de renseignement.
Cette fois-ci, c'est plutôt les tribunaux ou le Parlement.
Mais à nouveau, les stratégies d'évitement de la publicité par les directions du renseignement restent fortes.
Donc des formes de contrôle externe fortes, enfin nouvelles mais fragiles, et une modernisation du contrôle interne.
Et on le voit très bien au travers de l'entretien qui a été conduit avec l'ancienne directrice de l'Inspection générale de la police nationale qui montre à la fois une standardisation d'un certain nombre de d'enquêtes conduites par l'IGPN, des enquêtes administratives par exemple, mais aussi le déploiement d'une forme d'ouverture de l'Inspection générale de la police nationale par des recrutements externes de non policiers en quelque sorte, mais aussi de transparence avec la publicisation du rapport annuel.
Et donc ce qu'on met en évidence, ce sont les logiques contradictoires des évolutions contemporaines entre, d'un côté, un renforcement de la logique de sanction et, de l'autre côté, la mise en place de formes encore fragiles de contrôle