Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la place de l'euro dans les relations monétaires internationales, la situation économique en France et en Europe et la prochaine présidence française de l'Union européenne, Paris le 28 mai 2000.

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Circonstance : Conférence monétaire internationale à Paris le 28 mai 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Gouverneurs,
Messieurs les Présidents et Directeurs généraux,
Mesdames, Messieurs,
Je remercie Daniel Bouton, président de la Société générale et Charles de Croisset, président du Crédit commercial de France, de l'occasion qu'ils m'offrent de m'exprimer devant vous, en ouverture de cette conférence monétaire internationale. Vos travaux débuteront donc par un débat consacré à l'euro, dans lequel interviendra le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Laurent Fabius. Le choix de ce sujet traduit l'intérêt que la communauté des spécialistes de la finance et des questions monétaires porte au devenir de la monnaie unique. Il reflète aussi l'importance qu'a revêtu pour nous, Français, l'avènement de cette monnaie.
L'euro a définitivement fait de l'Europe, pour nos entreprises et nos établissements financiers, un véritable espace intérieur, le marché où se déploie naturellement leur activité, le cadre où s'épanouit aujourd'hui notre économie.
C'est pourquoi je me réjouis que, dans un contexte européen qui s'améliore, la croissance française soit forte et, je le pense, durable.
L'économie française est aujourd'hui une des plus dynamiques d'Europe. Pour la troisième année consécutive, la croissance est en effet sensiblement plus forte en France que dans la zone euro dans son ensemble, et en particulier qu'en Allemagne ou en Italie. En 2000, elle devrait être de l'ordre de 3,6 %, après avoir atteint 2,9% en l999. La confiance est la clé de ce succès : confiance des entreprises - l'investissement des entreprises reste fort - et confiance des ménages, grâce à la vigueur des créations d'emplois. Depuis trente ans, leur rythme n'a jamais été aussi rapide dans notre pays. Depuis juin 1997, 1.140.000 emplois ont été créés.
Le dynamisme des investissements français à l'étranger - ils se montent à plus de 100 milliards d'euros en 1999 - illustre la solidité financière des entreprises françaises et leur aptitude à jouer un rôle de premier plan dans la compétition mondiale. L'excédent de nos transactions courantes - 2,6% du PIB - confirme, en dépit d'une demande intérieure dynamique, le caractère structurel de notre compétitivité. La France demeure une terre d'accueil pour les investissements étrangers, qui avec 37 milliards d'euros progressent de près de 40 % en 1999 par rapport à 1998.
Notre pays partage avec ses grands voisins européens la même monnaie, les mêmes taux d'intérêts, le même environnement international. Les performances françaises s'expliquent donc par d'autres raisons, liées, je le crois, à la conduite de notre politique économique.
Des réformes structurelles qui commencent à porter leurs fruits et une politique conjoncturelle ciblée y ont leur part. Cette politique conjoncturelle, notamment budgétaire et fiscale, a apporté un soutien mesuré mais décisif à la demande des ménages et restauré la confiance. Par des réformes structurelles déterminées, nous avons modernisé le secteur financier, soutenu l'innovation, ouvert les monopoles publics à la concurrence, rééquilibré notre fiscalité, aidé à bâtir, dans l'aéronautique et l'espace, des entreprises industrielles de taille européenne. Sur le marché du travail, l'abaissement des charges pesant sur les bas salaires et la réduction du temps de travail ont rendu la croissance plus riche en emplois. Tout en maîtrisant les dépenses liées à la protection sociale, nous avons entrepris des réformes visant à réduire les inégalités.
Nous poursuivrons avec ténacité ces politiques. La réforme des retraites est engagée, avec en particulier la création d'un fonds de réserve des retraites. Je voudrais citer aussi l'introduction des principes du gouvernement d'entreprise, le renforcement du droit de la concurrence et du contrôle des concentrations et le développement des mécanismes d'épargne salariale.
Une maîtrise régulière des dépenses publiques nous permet d'alléger la pression fiscale. Le déficit public qui s'élevait à 4 % du PIB en 1997 ne dépassera pas 1,5 % en 2000. Notre objectif est d'atteindre l'équilibre des finances publiques en 2003. Les baisses d'impôts, qui se monteront à 80 milliards de francs en 2000, soit près d'un point de PIB, favoriseront l'emploi. Elles visent à alléger les prélèvements sur les bas salaires et à lutter contre les " trappes à inactivité ". Ces allégements devront, en fonction des marges disponibles, se poursuivre en 2001 et porter notamment sur les prélèvements directs, afin de soutenir l'activité.
C'est dans ce contexte que la France exercera à compter du 1er juillet prochain la présidence de l'Union européenne.
Nous voulons rendre l'Europe plus forte et plus efficace.
Pour être plus forte, l'Europe doit savoir pérenniser la croissance. Pour devenir plus efficace, elle doit réformer ses structures et son fonctionnement.
Des politiques économiques mieux coordonnées serviront la croissance. Il faut pour cela enrichir le contenu des grandes orientations de politique économique et consolider le rôle de l'euro 11, instance informelle regroupant les onze pays qui partagent l'euro. Les travaux de l'euro 11 doivent gagner en visibilité. Sa communication à l'égard des marchés de capitaux doit être améliorée. Des aménagements institutionnels seraient utiles pour conférer une plus grande continuité à sa présidence et permettront d'instaurer un dialogue accru entre ses membres, de même qu'entre l'euro 11 et la Banque centrale européenne. La France attache également du prix à une plus grande coordination en matière fiscale pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur.
Nous voulons aussi mieux réguler sur un plan européen des marchés financiers toujours plus imbriqués. En effet le passage à l'euro, les initiatives pour rapprocher les bourses européennes, l'émergence de conglomérats financiers et la multiplication des fusions sont autant de facteurs puissants d'intégration.
Pour mon gouvernement, l'Europe de la croissance, c'est une Europe de la connaissance qui sait préserver son modèle social. L'activité et l'emploi dépendent chaque jour un peu plus des nouvelles technologies, de l'innovation, de l'économie de la connaissance. La présidence française s'inscrira dans le prolongement des décisions prises au Conseil européen extraordinaire de Lisbonne. Nous soutiendrons la création d'entreprises innovantes. Nous encouragerons l'Internet de deuxième génération ainsi que les contenus et les services européens. Nous veillerons aussi à préserver la cohésion sociale face à la menace d'une " fracture numérique ". Car la modernisation de l'Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen. Nous proposerons à nos partenaires l'adoption d'un agenda social fixant les progrès à réaliser, au cours des cinq à dix prochaines années, dans tous les domaines de la vie sociale.
La monnaie unique est également une chance pour la croissance.
Il nous faut parachever l'introduction de l'euro. L'euro est né le 1er janvier 1999. Le basculement des marchés financiers a été immédiat et réussi. Pour les particuliers et les entreprises, une phase transitoire a été instaurée, jusqu'au 1er janvier 2002, date à laquelle les pièces et les billets en euro seront mis en circulation. Cette période transitoire doit être pleinement mise à profit pour permettre au plus grand nombre de se préparer à cette étape. La présidence française veillera à favoriser les échanges d'expériences entre Etats et à mieux mobiliser les entreprises et les particuliers pour assurer en 2002 une transition optimale. Un effort particulier sera fait pour les publics fragiles et les PME.
Cette Europe plus forte doit aussi se réformer et devenir plus efficace.
Il faut répondre aux attentes des citoyens européens. Depuis quinze ans, l'Europe a franchi des étapes décisives - l'achèvement du marché unique, la création de l'euro. Mais elle n'a pas échappé à la critique d'être une construction souvent élitiste et d'abord tournée vers l'économie. Par ailleurs, la question de l'efficacité de ses mécanismes de prise de décision a été posée, en particulier dans la perspective de l'élargissement.
Le second semestre 2000 sera décisif pour la réforme des institutions européennes. Cette réforme est nécessaire parce que l'Union européenne d'aujourd'hui ne fonctionne pas bien. Elle est indispensable pour qu'une Europe élargie puisse efficacement avancer. Nous voulons d'abord régler trois questions centrales laissées en suspens à Amsterdam : rendre à la Commission une taille et une organisation lui permettent d'assumer son rôle d'impulsion ; généraliser - à quelques exceptions près - le champ du vote à la majorité qualifiée, pour éviter la paralysie ; rendre plus fidèle aux réalités démographiques le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le Conseil.
D'autres réformes, sans relever des traités, n'en sont pas moins nécessaires. Elles concernent pour l'essentiel l'organisation et les méthodes de travail de la Commission et du Conseil. Nous nous efforcerons donc de conduire à son terme, sous notre présidence, la négociation engagée au début de l'année sous les auspices de la présidence portugaise, et qui concerne les réformes immédiatement indispensables au fonctionnement de l'Union.
Cette tache prioritaire n'exclut pas une réflexion plus large sur la poursuite du projet européen. Dans la perspective d'une Union qui comptera 20, 25 ou 30 membres, M. Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, a apporté à ce débat une contribution remarquée. Mais entre l'organisation à long terme du continent qu'il a esquissée - et sur laquelle il y aura discussion - et les réformes que nous devons accomplir dès la prochaine Conférence intergouvernementale, il y a place pour une étape intermédiaire. C'est celle des coopérations renforcées entre Etats, dont nous devons rendre plus souple et plus efficace le dispositif. Cette approche permet à ceux des Etats qui le souhaitent aller plus vite et plus loin dans l'Union. L'Union économique et monétaire en est déjà une illustration. Grâce à ces coopérations renforcées, certains Etats pourront progresser dans l'intégration, en laissant à leurs autres partenaires la possibilité de les rejoindre à leur rythme. C'est là, j'en suis convaincu, une façon de poursuivre la démarche à la fois pragmatique et volontariste qui était celle des " Pères fondateurs " de l'Europe.
Plus forte, plus efficace, l'Europe a un rôle à jouer dans la réforme du système monétaire et financier international.
Au lendemain des crises asiatiques, russe et latino-américaine de 1997 et 1998, les initiatives n'avaient pas manqué qui visaient à améliorer la régulation financière internationale. La France avait elle-même, à l'automne 1998, proposé un mémorandum en la matière.
Si diverses propositions ont commencé d'être appliquées, cette uvre est encore loin d'être achevée, si l'on veut non seulement éviter le retour des crises mais aussi assurer une croissance durable des économies nationales et faire en sorte que la mondialisation bénéficie réellement a tous.
La réforme des institutions financières internationales doit se poursuivre. Le principe d'institutions universelles et solidaires aptes à soutenir tous leurs membres a heureusement été réaffirmé. Mais il faut encore accroître la légitimité politique de ces institutions, par exemple en faisant du nouveau Comité monétaire et financier international le véritable organe de direction stratégique du FMI.
La supervision directe des fonds spéculatifs - " hedge funds " - demeure une nécessité. A l'automne 1998, la Banque fédérale des Etats-Unis a imposé aux banques privées le sauvetage du fonds LTCM, dont elle craignait que la faillite n'entraîne un désordre dans l'ensemble du système financier mondial. Dès lors que ces fonds peuvent poser des problèmes systémiques, ils doivent faire l'objet d'une supervision financière. Non seulement de manière indirecte, via les banques qui leur prêtent, mais aussi de façon directe, en définissant notamment des exigences de fonds propres et d'endettement qui aillent au-delà de la simple transparence.
La lutte contre la délinquance financière est également indispensable. Le Groupe d'action financière internationale - GAFI - est en train de définir une liste des pays et territoires " non-coopératifs ". Nous souhaitons que ces travaux aboutissent le mois prochain par l'adoption de cette liste et la définition des mesures de pression envisageables Je me félicite à cet égard de la publication par le Forum de stabilité financière, vendredi 26 mai, d'une première liste des centres financiers off shore.
Pour mieux équilibrer le système monétaire mondial, nous devons enfin poursuivre la coopération économique et monétaire. Les parités de change sont aujourd'hui marquées par une volatilité accrue et des évolutions significatives entre grandes devises. Les raisons économiques de l'appréciation du dollar sont bien connues. Mais l'euro devrait retrouver un niveau plus conforme à l'évolution de la situation économique européenne. Son existence nous a d'ailleurs protégés dès fluctuations entre monnaies européennes que n'aurait pas manqué d'entraîner, naguère, une forte appréciation ou dépréciation du dollar. Il n'en reste pas moins que le niveau de la monnaie européenne n'est pas satisfaisant, comme l'euro 11 l'a reconnu le 8 mai dernier. I1 doit donc faire l'objet de toute notre vigilance collective, à l'intérieur de l'Europe comme entre grands partenaires de l'économie mondiale.
Mesdames, Messieurs,
La réunion à Paris des principaux dirigeants monétaires et financiers de la planète invite naturellement à la réflexion. La conjonction de la rapidité qu'offrent les nouvelles technologies de l'information, et la facilité qu'engendre la liquidité des marchés de capitaux, peut conduire à la versatilité des comportements des opérateurs et à une préférence excessive pour le court terme au détriment du long terme. A ces deux tentations, il convient de ne pas céder. C'est sans doute pas une surveillance accrue de vos risques, mais aussi par un dialogue renouvelé avec les gouvernements, les institutions financières internationales, les autorités de régulation, mais aussi avec les économistes et les opinions publiques que vous y parviendrez. C'est là le vu que je forme pour conclure.
( Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)