Tribune de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, dans "Le Journal du Dimanche" du 17 février 2002, sur le passage définitif à l'euro.

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Circonstance : Fin du cours légal du franc et passage définitif à l'euro le 17 février 2002

Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Désormais, notre monnaie est définitivement et pleinement l'euro. Début janvier, les Français ont montré que cette nouvelle était à leurs yeux une bonne nouvelle. Cela n'empêche pas l'émotion aujourd'hui avec le départ du franc, qui passe donc le relais. La réussite du passage concret à l'euro, tous l'ont reconnue ou louée. Cette unanimité fait plaisir à entendre et je ne bouderai pas mon plaisir, fût-ce pour constater qu'elle est un acquis assez récent.
Dès les premiers jours, les Français se sont appropriés l'euro qui est devenu très rapidement, par la conjonction des décisions et des comportements de nos concitoyens, la monnaie quasi-unique dans le commerce, sans attendre que des décrets proclament la fin du cours légal du franc. En douceur et avec gentillesse, les Français sont passés à l'euro généralement avec facilité. Le travail exhaustif et minutieux de préparation que j'ai eu l'honneur de coordonner auprès de Lionel Jospin a mobilisé des centaines de milliers de personnes dont certaines pendant plusieurs années. Il a porté ses fruits. Je veux remercier toutes ces personnes très chaleureusement, ainsi que plus largement tous ceux, anonymes ou célèbres, de toutes origines et de toutes opinions qui, depuis très longtemps, ont souhaité la monnaie européenne.
Tout n'est cependant pas encore achevé. Il reste à faire suivre aux pièces et billets en francs le trajet inverse de ceux en euros. La vigilance sur les prix doit être maintenue, notamment en vue de la prochaine sortie des accords de stabilisation des prix souscrits par les grandes enseignes commerciales. Il reste aussi à apprendre de nouvelles références, pour nous mouvoir à l'aise dans notre nouvel espace monétaire.
Nous pouvons aussi déjà regarder au-delà de l'euro. Car la demande d'Europe dont nos concitoyens ont fait la preuve donne à l'accomplissement de cette grande réforme monétaire les allures d'un commencement. Dans le domaine économique et monétaire, nous allons devoir en effet inventer après le passage à l'euro un véritable Conseil économique de l'Union. Nous devrons également mieux coordonner nos politiques économiques et rendre plus étroit le dialogue avec la Banque centrale européenne. Je suis favorable à ce que nous travaillions de plus en plus ensemble avec les autres pays européens plutôt que de nous livrer à une concurrence fiscale dont nous sortirions tous affaiblis.

En matière économique et financière, aucune réforme crédible ne saurait désormais ignorer le cadre européen, dans sa conception comme dans sa mise en uvre. La construction européenne est trop lente, entend-on parfois. Elle suscite chez certains des interrogations, des doutes, des réticences. Au lendemain de l'étape décisive que nous venons de franchir, j'ai cependant une certitude : le détour par le débat de fond est toujours un détour utile. L'Europe est une construction collective, elle suppose le partage et donc le consentement. La délibération, la décision, puis l'application en partenariat, c'est la méthode que nous avons suivie : on n'avance pas autrement.
Pour autant, les procédures et les règles européennes de fonctionnement ne demeureront pas intangibles. Surtout dans la perspective d'un élargissement à vingt-sept pays, voire à trente, élargissement souhaitable, inéluctable et risqué. C'est un autre grand chantier pour les années prochaines. Le passage réussi à l'euro, c'est le succès d'une belle idée et d'une bonne méthode. C'est un moment fort de notre histoire. Le franc s'en va, bienvenue à l'euro, bienvenue au futur.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2002)