Déclaration de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sur le rôle familial et social des personnes âgées, notamment des grands parents et la participation citoyenne des personnes âgées dans la société civile, Paris le 14 février 2002.

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Circonstance : Journée "Grands parents et lien social" à Paris le 14 février 2002

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
C'est un réel plaisir pour moi d'introduire cette journée organisée par l'Ecole des Grands-parents européens et le Secrétariat d'Etat aux personnes âgées sur le thème " Grands-Parents et lien social ".
C'est en effet une question essentielle pour l'avenir de nos sociétés à partir du moment où l'allongement de la vie nous conduit à vivre plus longtemps, à vivre plus nombreux.
Tous les dix ans, l'espérance de vie de chaque Français augmente de 4 mois. Cette nouvelle dimension de la vie concerne toute la population, des plus jeunes aux plus anciens, qui voit son horizon profondément changer.
Grâce à cette progression démographique, la famille a pris une ampleur qu'elle n'avait jamais connue au cours de l'histoire. Aujourd'hui, 3, 4 et parfois même 5 générations coexistent et dans certains cas cohabitent.
Cette coexistence est une chance ; elle doit être un atout formidable pour chaque génération : elle doit permettre à chaque âge de la vie d'apprendre, de se soutenir mutuellement ; en offrant aux plus anciens des possibilités de transmission inédite ; en proposant aux plus jeunes des repères, des cadres historiques vivants et enrichissants.
Mais pour que la mixité des âges se développe de façon harmonieuse, il devient de plus en plus important que chacun ait la possibilité de jouer un rôle familial et social clairement reconnu. C'est là l'enjeu essentiel de la journée que nous organisons : souligner la très grande diversité des grands-parents aujourd'hui et montrer à travers cette diversité l'importance grandissante des fonctions qui leur sont demandées.
Pour parvenir à donner toute leur place aux grands-parents dans notre société, pour qu'ils puissent jouer pleinement leur rôle social, affectif, culturel, nous développons une politique autour de 3 axes :
1. Valoriser la participation sociale des grands-parents
2. Aider les générations pivots
3. Proposer un pacte entre les générations
1) Valoriser la participation sociale des grands-parents
Trop longtemps notre société a véhiculé une image négative du vieillissement en prenant appui sur le fait que vieillir, c'est se mettre en retrait de la société, c'est être plus ou moins exclu.
Nous ne changerons pas une telle image du vieillissement de façon superficielle, en transformant seulement l'apparence : c'est bien le rôle social, l'intégration sociale qui, en soulignant leur utilité pour la société tout entière, permettra de changer en profondeur l'image des grands-parents, des retraités, des personnes âgées.
Cette image change d'ailleurs assez vite en raison de la diversité des grands-parents : aujourd'hui, il n'est pas rare d'être grand-parent à partir de 50 ans, c'est à dire à un âge de pleine activité professionnelle. Avec l'allongement de la vie, les figures grands-parentales sont devenues très différentes ; et la place que l'on occupe dans les générations n'indique pas elle-même si l'on est vieux ou pas.
Dans cette volonté de promouvoir une image positive de tous les âges de la vie, il nous faut déployer nos efforts pour éviter toutes les formes de ségrégation par l'âge, empêcher l'isolement, et au contraire, améliorer la participation citoyenne des personnes âgées dans la société civile, car nous voyons bien que les retraités et les personnes âgées veulent de plus en plus participer activement à la vie sociale.
Il est tout à fait faux d'opposer la vie familiale à la vie sociale comme si l'une excluait l'autre. Je rejoins tout à fait l'Ecole des grands-parents européens dans son souci de montrer qu'il faut équilibrer son existence entre un investissement fort dans la famille et dans des activités sociales enrichissantes. Pour pouvoir assumer les investissements affectifs familiaux parfois troublés, il est sain d'avoir d'autres horizons pour éviter que " le monde s'écroule " quand les petits-enfants grandissent et s'éloignent.
2) Aider les générations pivots
Je veux insister sur la situation souvent lourde de la génération qui a aujourd'hui entre 55 et 75 ans et à qui nous demandons d'assumer à la fois l'aide aux parents, parfois en perte d'autonomie, mais aussi l'aide à leurs enfants et petits enfants : une aide à la fois matérielle et affective qui leur demande beaucoup d'investissement et qui parfois les conduit à être submergés sous le poids de ces demandes.
Je sais bien à quel point cette pression peut conduire parfois à une véritable souffrance, augmentée de la culpabilité de ne pas pouvoir faire face. C'est pour soulager ceux que nous appelons les aidants naturels ou les aidants familiaux, pour leur offrir des perspectives de répit que nous avons proposé des mesures.importantes.
Ces mesures s'inscrivent dans la logique de l'APA, car nous ne pourrons relever le défi de rendre toute leur dignité aux personnes âgées dépendantes qu'en prenant appui sur ces milliers d'hommes et de femmes qui entourent et soutiennent leur parent. L'APA, j'en suis convaincue , n'est pas simplement une mesure de justice envers les personnes âgées en perte d'autonomie ; c'est un élément nouveau et important dans une politique des âges que nous sommes en train de construire et qui doit permettre de mieux affirmer et de mieux assumer les solidarités entre les générations.
Ces mesures d'aide aux aidants se développent dans trois directions :
1) D'abord développer les CLIC (Centres Locaux d'Information et de Coordination) pour en faire de véritables lieux d'accueil et d'information capables de proposer à tous ceux qui le demandent des solutions de prise en charge, de conseils, d'orientation. A la fin de l'année 2002, 300 CLIC seront créés ; en 2005, mille sont prévus qui pourront offrir de véritables réponses de proximité.
2) Ensuite, bâtir un service d'aides à domicile de qualité, animé par de véritables professionnels, pour permettre aux personnes âgées en perte d'autonomie de demeurer chez elles sans que ce maintien pèse lourdement sur leur famille.
3) Enfin, nous voulons offrir aux aidants des possibilités de répit, car nous savons que les situations de confinement, d'isolement, d'usure peuvent aboutir à de graves dégradations dans les relations, pouvant parfois entraîner de la maltraitance.
3) Proposer un pacte entre les générations
Aujourd'hui certains sociologues ou certains économistes soutiennent l'idée qu'une fracture des âges risquerait d'affecter profondément notre société . A l'heure actuelle, cette perspective est contredite par la réalité des solidarités qui se manifestent, notamment au sein des familles, entre les représentants de générations différentes. Pour autant, il paraît souhaitable de trouver les moyens de renforcer sans cesse ces solidarités qui permettent à notre société d'évoluer de façon fraternelle.
C'est dans cet esprit que je veux insister sur l'apport des grands-parents aux autres générations.
D'abord, d'un point de vue économique, leur rôle social ne cesse d'augmenter :les économistes ne manquent pas de relever l'importance de ceux que l'on appelle parfois les seniors dans la consommation; c'est vrai aussi de l'aide matérielle et psychologique qu'ils apportent à leurs descendants. On ne le dit jamais assez, mais dans une société française confrontée à un chômage des jeunes important, le soutien matériel des grands-parents a joué un rôle non négligeable dans la prévention des situations de crise ou de processus d'exclusion. L'apport des grands-parents est également significatif pour donner un peu de souplesse dans l'organisation de la garde des jeunes enfants.
Les grands-parents, qu'ils soient retraités ou encore actifs, ont un rôle déterminant pour assurer les liens familiaux au moment même où dans de nombreuses familles les difficultés des conditions de travail ou des conditions sociales fragilisent ces liens. La précarité de l'emploi, les temps de transport importants, la fragilité des liens conjugaux, les structures familiales très diversifiées ( famille uniparentale, famille recomposée) : tous ces facteurs peuvent contribuer aujourd'hui à déstabiliser la vie familiale ou à la rendre précaire.
Les grands-parents ont dans ces conditions un rôle capital, rôle qu'il faut valoriser en soulignant le double effet de tendresse mais aussi d'autorité naturelle et spontanée que produisent de telles figures grands-parentales auprès des jeunes. Les enfants ont souvent besoin de repère ; ils ont besoin de se situer dans une lignée ; ils attendent de leurs grands-parents la transmission d'une histoire à laquelle ils appartiennent et que les grands-parents sont souvent les seuls à pouvoir transmettre. La journée de témoignage et de débats organisée aujourd'hui va souligner l'importance de toutes ces relations.
Mais à côté de cet investissement familial, l'un des traits marquants de notre époque, c'est la volonté des retraités et des personnes âgées de poursuivre une vie sociale active, par delà la retraite, en affirmant une très grande disponibilité aux autres. De plus en plus de retraités, encore très actifs intellectuellement et physiquement, ressentent le besoin d'aider ceux qui en ont besoin, soit par l'intermédiaire d'associations de bénévoles, soit dans des implications sociales ou éducatives de proximité (ce fut le cas par exemple, dans l'aide au passage à l'euro). C'est une tendance sociale importante qui est appelée à se développer encore à l'avenir ; il faut l'encourager en soutenant le principe de travaux d'utilité sociale effectués par les retraités et en dessinant un véritable statut pour ceux qui souhaitent assumer cette fonction de tutorat ou de conseil, ou qui veulent participer à des projets économiques, sociaux ou culturels en France ou dans les pays en développement. En soutenant cet investissement social, nous n'éloignons pas les grands-parents de leur famille mais nous les aidons à avoir un horizon élargi pour pouvoir mieux répondre aux besoins familiaux.
Pour asseoir de façon solide toutes ces initiatives qui doivent resserrer les liens entre les générations, nous souhaitons la réunion périodique d'une Conférence nationale des âges, dont l'objet serait d'identifier les politiques nécessaires à une meilleure harmonie entre les générations par delà les déséquilibres démographiques.
CONCLUSION
Dans l'enquête qu'elles viennent de publier, ( dans Le nouvel esprit de famille) Claudine Attias-Donfut, Nicole Lapierre et Martine Segalen démontrent à quel point, malgré la profonde refonte du modèle familial hérité du 19ième siècle, l'esprit de famille demeure aujourd'hui vivant .
Nous devons mettre l'accent sur les solidarités des générations au sein de la famille pour que chacun soit un soutien actif et volontaire de l'autre.
Nous devons pour cela permettre aux grands-parents d'équilibrer leur vie entre une activité familiale épanouie et une vie sociale enrichissante.
Je voudrais en conclusion remercier l'Ecole des Grands parents européens et sa présidente, Madame Fuchs, pour avoir organisé avec nous cette journée qui va souligner la diversité des grands-parents et qui va surtout insister sur la nécessité de réfléchir aux nouvelles tâches qui leur sont confiées.

(source http://www.social.gouv.fr, le 19 février 2002)