Déclaration de M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur le bilan de la politique menée en faveur des DOM TOM, notamment pour l'égalité, la réduction des inégalités sociales et la sécurité, Paris le 13 mars 2002.

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Circonstance : Réunion de l'Académie des sciences d'outre-mer, à Paris le 13 mars 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
C'est devenu un lieu commun de dire qu'aujourd'hui la réflexion politique ne cesse de s'interroger sur l'avenir de notre République que l'on croit en crise, sur le destin de nos institutions que l'on juge à réformer. C'est un lieu commun de dire que l'implication citoyenne, aujourd'hui, n'est plus aussi forte, que l'espace public semble de plus en plus déserté par une population qui ne se reconnaît plus dans notre régime. Lieux communs certes, mais qui ne sont pas dénués de justesse, à condition d'avoir sur ces questions un jugement nuancé.
Oui, il y a bien depuis quelques années une crise de la citoyenneté et avec elle de la responsabilité que nous éprouvons les uns pour les autres. Oui, il y a bien une désaffection d'une partie de la population à l'égard de l'action politique, jugée trop lointaine, trop distante, trop écartée des préoccupations quotidiennes des Français. Les symptômes sont réels, mais il faut se garder des explications simplificatrices et des jugements expéditifs. Par exemple, comme certains le font avec précipitation, croire que l'Etat, parce qu'il s'est écarté de ce qu'on croit être ses missions essentielles, s'est affaibli, et qu'il faut aujourd'hui qu'il ne se mêle plus d'économie. Ou alors, comme d'autres le font avec autant de précipitation, penser que nous en sommes là parce que nous avons cessé de cultiver le sentiment national, le fondement indispensable de notre communauté, et que nous avons trop vite cédé devant les revendications identitaires.
Les occasions sont trop bonnes, dans le débat politique, de jeter le bébé avec l'eau du bain, comme elles le sont de céder à la nostalgie. Je ne veux faire ni l'un ni l'autre. Contrairement aux uns, je crois à l'action publique, qui est un principe de justice sociale. Contrairement aux autres, je crois que l'adhésion à notre communauté nationale passe par la reconnaissance des identités plurielles qui la composent, et non par leur négation.
Et je le crois d'autant plus que la politique menée par le gouvernement de Lionel Jospin outre-mer le vérifie pleinement. C'est une politique républicaine, pleinement républicaine, qui a redonné tout son sens aux principes que nous avons en partage. C'est une politique novatrice dans sa méthode, parce qu'elle a privilégié le dialogue et la concertation, et parce qu'elle a porté un autre regard sur les outre-mers, affranchi des stéréotypes et attentif à leur potentiel, à leurs ressources et non plus seulement, comme on l'a trop longtemps fait, à leurs retards. C'est une politique volontaire, qui a su se donner les moyens pour parvenir à ses fins. C'est une politique efficace qui, pour toutes ces raisons, a porté ses fruits. Ce sont ces quelques points que je souhaiterais aborder devant aujourd'hui.
La République, dois-je le rappeler, c'est une grande idée. L'idée qu'il faut, par justice, corriger les inégalités engendrées par les rapports sociaux et par les activités économiques. Voilà, évidemment, ce qui justifie l'action publique : il faut des normes que le marché ne peut pas produire de lui-même. Et ces normes, c'est au peuple de les établir, parce que lui seul est à même de veiller à l'intérêt général. C'est ainsi qu'il manifeste sa liberté, par l'exercice de sa souveraineté.
C'est ce combat pour l'égalité qui a inspiré la politique du gouvernement outre-mer. C'est lui qui est au cur des nombreuses réformes qui ont été conduites et dont les effets, sur le terrain, ont été rapides. Nous avons prouvé que l'égalité n'est pas qu'une formule creuse qu'on agite, mais une valeur qui se construit, pour laquelle il importe de s'engager pleinement.
Nous avons ainsi avancé dans l'égalité sociale, parce que l'appartenance à la République suppose que l'on mette fin aux injustices qui nous séparent. Au début des années 90, la gauche avait fait de l'égalité sociale entre les citoyens des départements d'outre-mer et ceux de l'hexagone un objectif majeur et une réalité, en alignant le Smic et les prestations familiales. Par la loi d'orientation pour l'outre-mer, nous avons achevé ce mouvement : depuis le 1er janvier 2002, le RMI est le même dans les départements d'outre-mer et dans l'hexagone. A Mayotte également, nous avons voulu l'égalité sociale : par ordonnances, nous avons revalorisé et étendu les allocations familiales.
L'égalité implique qu'on lutte contre les disparités de traitement sur notre territoire. Il n'est pas tolérable, en effet, qu'outre-mer on soit plus mal logé ou plus mal soigné. Il fallait ainsi construire des logements sociaux de qualité, multiplier les aides au logement, fournir des équipements sanitaires performants et aux plus démunis une couverture sociale ; nous l'avons fait, comme nous avons favorisé le retour à l'activité pour les bénéficiaires du RMI, de l'allocation de parent isolé ou de l'assurance veuvage, en créant une allocation spécifique, l'ARA.
L'égalité sur notre territoire suppose bien sûr que tous, outre-mer comme dans l'hexagone, aient les mêmes chances de trouver un emploi et de vivre de ses revenus. La lutte contre le chômage, c'est bien notre priorité. De là les sommes considérables que nous y avons consacrées : le Fonds pour l'emploi outre-mer, le FEDOM, a été doublé au cours de cette législature, pour atteindre 530 millions d'euros. En 2001, dans l'ensemble des départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon, ont été mis en oeuvre 40 000 Contrats Emplois Solidarité, 19 000 Contrats d'Insertion par l'Activité, qui s'adressent exclusivement aux allocataires du RMI, 3800 Contrats Emploi Consolidés, qui permettent de créer des emplois d'utilité sociale dans le secteur non marchand. Nous avons aussi créé deux fois plus d'emplois-jeunes que dans l'hexagone.
A ces mesures nationales considérables, la loi d'orientation pour l'outre-mer a ajouté des dispositions spécifiques, attentives aux difficultés rencontrées sur place par les entrepreneurs et les demandeurs d'emploi : des plans d'apurement des dettes sociales et fiscales pour les entreprises, des exonérations de charges, des aides à la création d'emplois, le Projet Initiative Jeune qui permet à des jeunes de monter leur entreprise ou de se former ailleurs que dans leur département.
Une politique ambitieuse donc, pour des résultats exceptionnels : 10,5 % de chômeurs en moins depuis 1999, avec une diminution nette du chômage des jeunes, - 20 %. Personne, de bonne foi, ne peut nier ces résultats. Qu'il y ait encore beaucoup à faire, c'est certain, le gouvernement ne l'a jamais contesté. Mais qu'on ne mette pas en doute les pas que nous avons accomplis, qui dessinent aujourd'hui un avenir plus radieux.


L'avenir, c'est outre-mer une jeunesse nombreuse qui a droit à l'égalité des chances. Nous avons voulu que tous puissent réussir leur scolarité. Pour cela, il fallait un effort considérable en matière de constructions scolaires ; nous l'avons fourni dans le cadre des contrats de plan. Il fallait aussi créer des postes d'enseignants et de personnels administratifs ; nous l'avons fait, avec depuis 1997 6 700 postes supplémentaires. Il fallait également que l'école outre-mer soit à même de transmettre le savoir dans le respect de l'égalité républicaine et des appartenances collectives, et pour cela adapter davantage les contenus d'enseignement à la diversité culturelle. Nous l'avons fait également : les programmes scolaires aujourd'hui font une plus grande place aux outre-mers, un CAPES de créole a été créé.
L'égalité républicaine ne serait pas entière si elle ne signifiait pas pour tous la possibilité de se sentir également en sécurité. La particularité des délits outre-mer supposait que l'on prenne des mesures adaptées. Nous l'avons fait, en augmentant considérablement les forces de police et de gendarmerie, en modernisant leurs équipements, en créant de nouvelles implantations, là où n'existaient ni commissariat, ni gendarmerie. Nous l'avons fait également en développant, comme partout en France, la police de proximité : elle sera déployée dans tous les chefs-lieux d'ici la fin du premier semestre de cette année. C'est une démarche citoyenne, qui associe sur le terrain la prévention, la dissuasion et la répression, qui fait du policier un partenaire proche des gens, attentif à leurs difficultés quotidiennes et reconnu comme tel.
Car la sécurité nous implique tous : c'est être aveugle de penser qu'elle n'est qu'une question de police. La délinquance se nourrit des inégalités, c'est donc elles que nous devons combattre, tout en étant ferme sur le respect des lois. C'est dire que ce combat nous implique tous, que nous devons nous en sentir tous responsables. Les contrats locaux de sécurité, qui associent l'Etat, la justice, les services de sécurité, les collectivités locales, les associations, entendent précisément mobiliser toutes les composantes de notre société au service de la protection des personnes et des biens, dans une démarche exemplaire de concertation et de répartition des tâches.
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Qu'on se souvienne, pour apprécier cette politique, de la situation des outre-mers avant 1997. Le chômage ne cessait d'augmenter, le combat pour l'égalité était au point mort, les conflits sociaux se multipliaient, la plus grande incertitude régnait quant aux questions institutionnelles. Des échéances pourtant se profilaient, en Nouvelle-Calédonie notamment puisque les accords de Matignon avaient été conclus en 1988 pour une durée de dix ans. Mayotte, depuis plus de vingt ans, avait un statut provisoire et la question de l'évolution statutaire n'était pas posée.
Tout cela a changé, c'est incontestable. Les accords de Nouméa ont succédé aux accords de Matignon, Mayotte a un statut définitif, la question de l'évolution institutionnelle dans les départements d'outre-mer n'est plus un sujet tabou. Qu'on ne vienne pas dire que nous avons défait le lien qui unit les outre-mers à notre République, comme j'ai pu le lire il y a peu dans un grand quotidien national, alors que nous n'avons cessé de le renforcer, par une politique économique et sociale tournée vers l'égalité et par notre volonté clairement affichée de consulter les populations sur leur avenir.
C'est ainsi que nous entendons la liberté : celle d'être soi et d'être fier de son histoire, de sa culture, de ses traditions, celle de faire entendre ses aspirations. La loi d'orientation pour l'outre-mer a ouvert la possibilité d'un statut sur mesure. Mais le droit à une évolution différenciée ne remet pas en question l'égalité des droits, ni les principes de notre République puisqu'en dernier ressort, ce sont les populations qui se prononceront et qui feront connaître leur choix. Peut-on vraiment contester, au nom des valeurs qui ont construit nos institutions, ce choix d'une consultation démocratique ? Et de même peut-on vraiment contester que depuis longtemps les populations outre-mer n'avaient pas la possibilité de s'exprimer sur ce qui leur étaient davantage imposé que proposé ?
Nous avons aujourd'hui une tâche à poursuivre. Ce que nous avons accompli nous permet d'espérer pour les outre-mers un avenir plus ouvert. Nous avons jeter les bases d'un développement durable, dont il nous faut inventer les formes. Les inventer et non plaquer sur des situations singulières des modèles forgés ailleurs. Les outre-mers peuvent créer beaucoup d'emplois, mais il faut pour cela s'appuyer sur leurs ressources propres, sur leurs atouts. Voilà ce qu'est le contrat de développement durable que nous proposons aujourd'hui : un programme qui prévoit les équipements nécessaires, qui invite les principales filières économiques à tirer parti des potentiels locaux et qui met l'accent sur la formation de ceux qui sont sans emploi. Une telle politique est désormais possible dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon : la loi d'orientation en a fourni les outils nécessaires.
Oui, Mesdames et Messieurs, les outre-mers sont une chance pour notre République. Oui, ils contribuent à sa richesse. Oui, mais à condition qu'ils soient une chance pour eux-mêmes et qu'ils soient eux-mêmes convaincus de leur richesse. A condition également que, loin des stéréotypes, on reconnaisse leurs apports. C'est aussi à cela que nous avons voulu parvenir, en attirant l'attention de la nation sur ces régions qui ne sont pas périphériques, mais qui sont bien au cur de notre République. Les outre-mers sont ainsi associés à des manifestations culturelles nationales, comme le Salon du Livre ou le Festival d'Avignon. Leur complexité a fait l'objet de colloques organisés par le Secrétariat d'Etat à l'outre-mer, rue Oudinot ou à Sciences Po', et la recherche ultra-marine a été mise en valeur par une exposition à la Cité des Sciences et de l'Industrie, l'année dernière, et surtout par les premières rencontres annuelles de la recherche outre-mer, qui se sont déroulées la semaine dernière et qui ont été un franc succès.
Je m'interrogeais tout à l'heure en ouvrant mon propos sur la crise que traverse notre République et que nous sommes nombreux à constater. Incontestablement, il nous faut une nouvelle inspiration, incontestablement, comme Lionel Jospin l'a déclaré dès 1997, la France a besoin d'un nouveau pacte républicain. Il est en marche et outre-mer, il a signifié : la liberté démocratique plus poussée, l'égalité renforcée, la solidarité nationale clairement manifestée, et plus encore la reconnaissance de la pluralité culturelle. C'est ainsi que notre République se raffermit, j'en suis convaincu : en acceptant pleinement en son sein les singularités des uns et des autres, en montrant à tous qu'elle sait les accueillir sans les couler arbitrairement dans un moule uniforme. Pour le renouveau que nous attendons, les outre-mers, dont l'attachement à la République ne s'est jamais démenti, est sans nul doute une source d'inspiration.


(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 18 avril 2002)