Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à Radio France internationale le 22 février 2002, sur son refus de la cohabitation, sa volonté de se rendre à Toulouse lors de la réunion de l'Union en mouvement, la construction européenne et la situation au Proche-Orient.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

PIERRE GANZ
Bonjour, François BAYROU.
FRANÇOIS BAYROU
Bonjour.
PIERRE GANZ
Candidat de l'Union pour la démocratie française à la présidentielle, vous ambitionnez d'être le troisième homme de cette élection. Au-delà de cette position et de cette place au premier tour, l'expression traduit votre souci d'aller au-delà de la confrontation gauche-droite. Ce qu'il faut dire, c'est que, à soixante jours du scrutin, les sondages d'intentions de vote vous placent loin de cet objectif. Alors, qu'est-ce qui cloche, François BAYROU ? Pourquoi est-ce que vous ne convainquez pas plus de Français ?
FRANÇOIS BAYROU
Parce que nous ne sommes pas encore en campagne électorale. Nous allons y entrer et les choses vont changer.
PIERRE GANZ
On va y entrer parce que JOSPIN et CHIRAC y sont entrés ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui et puis parce que le scrutin approche et puis parce que les Français vont maintenant, à partir de maintenant et dans les semaines qui viennent, se poser les questions qui méritent de l'être. Quel avenir va-t-on construire à partir de cette élection d'avril et mai 2002 ? Est-ce qu'on va continuer comme on fait depuis vingt ans ? La France est un pays dont tout le monde voit bien qu'il a des atouts exceptionnels, elle a des atouts exceptionnels, la France et, en même temps, et en particulier vos auditeurs comparant avec les pays qui nous entourent, disent " Mais enfin, pourquoi avez-vous tant de boulets aux pieds ? ". Qu'est-ce qui fait que ce pays qui a tout pour lui est, en même temps, d'une certaine manière, cloué ? Eh bien, cela, c'est la question de cette élection. Alors, il y a ceux qui répondent " Il faut, pour l'avenir, continuer comme on fait depuis vingt ans " et ceux qui disent " La clé de cet avenir, c'est un changement profond d'équipe et de pensées ".
PIERRE GANZ
Alors, changement profond, est-ce que ça peut être aussi un changement de mode de fonctionnement de la présidence de la République et du rôle du président ? Lionel JOSPIN, hier soir, plaidait pour un chef d'Etat actif qui travaille avec le gouvernement, " ne se tient pas en retrait ", disait-il. Est-ce que c'est votre vision de la fonction ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vais plus loin, vous le savez. Si vous me posez la question, c'est que vous connaissez la réponse. Je vais plus loin. Je dis " Si on fait élire le président de la République au suffrage universel, c'est pour qu'il soit responsable ". Assez de ce que nous avons vécu pendant des années, du genre " Ce n'est pas moi, c'est l'autre ".
PIERRE GANZ
C'est-à-dire ces cinq dernières années ?
FRANÇOIS BAYROU
Pas seulement ces cinq dernières années. Il y a eu des précédents du président en retrait. S'il est élu au suffrage universel, il faut un président qui assume, qui assure et qui gouverne.
PIERRE GANZ
Concrètement, assumer, ça veut dire, par exemple, on perd une élection législative anticipée, on démissionne ?
FRANÇOIS BAYROU
Ca, ça appartient au passé. Je n'ai pas envie de faire de polémique sur ce sujet mais, dans mon esprit surtout, on ne convoque pas d'élection législative anticipée sauf crise grave mais je ferme la parenthèse sur ce sujet. Il faut que le président de la République soit désormais à la tête de l'action gouvernementale comme le capitaine est à la barre du navire.
PIERRE GANZ
Vous rejoignez JOSPIN, là.
FRANÇOIS BAYROU
Ca n'est pas que je rejoigne JOSPIN, c'est JOSPIN qui me rejoint, alors, ou, plus exactement, nous pensons la même chose. Il suffit de lire mon dernier livre qui est sorti trois ou quatre mois avant que monsieur JOSPIN ne s'exprime sur ce point, qui s'appelle " Relève " chez Grasset, pour vérifier que ce que je dis était déjà écrit. Et la preuve, je propose que le président de la République soit désormais reconnu comme le responsable auquel le Premier ministre, non pas obéit, mais avec lequel le Premier ministre s'accorde, c'est-à-dire que l'un fixe la ligne et l'autre applique cette ligne, ou en tout cas s'entend avec cette ligne
PIERRE GANZ
Alors, ça veut dire quoi politiquement ?
FRANÇOIS BAYROU
Donc, la cohabitation n'est pas le système, je l'ai toujours combattue, et je continuerai à la combattre.
PIERRE GANZ
Ca veut dire quoi politiquement dans l'organisation d'une majorité ? Est-ce qu'il faut qu'un président de la République ait une formation unique ? Il y a, demain samedi, une réunion, une création de l'Union en mouvement dont on sait que c'est une machine à soutien de Jacques CHIRAC. Est-ce que c'est la bonne formule ?
FRANÇOIS BAYROU
A mes yeux, ce n'est pas la bonne formule et il y a un débat sur ce point qui commence. Il faut que ce débat soit clair. En France, on se demande depuis longtemps quelle est la bonne organisation de la droite et du centre. Alors, une pensée court, et elle est, c'est vrai, sans doute majoritaire parmi les électeurs avant qu'ils y réfléchissent, c'est de dire " Ecoutez, ramassons tout ça en une seule formation
PIERRE GANZ
Oui, 79 %
FRANÇOIS BAYROU
Une seule, modèle unique et parti unique. Je suis persuadé que c'est une erreur mais, après tout, c'est un débat qu'il faut avoir. Et c'est pourquoi après avoir longtemps dit " Je ne me rendrai pas à Toulouse ", j'ai décidé que j'irai
PIERRE GANZ
Vous irez demain à Toulouse
FRANÇOIS BAYROU
J'irai demain à Toulouse parce que, après tout, ceux qui y seront sont mes amis, parce qu'on dit " Il s'agit d'une réunion qui prépare le rassemblement du deuxième tour. De ce rassemblement du deuxième tour, je serai et puisqu'il y a un débat qui commence et qui s'amorce, puisque les élections présidentielles et législatives vont jouer un rôle dans ce débat, ce que j'ai à dire, j'ai décidé d'aller le dire les yeux dans les yeux à ceux qui seront à Toulouse demain si, du moins, on me donne les cinq minutes de temps de parole nécessaires pour le faire parce que c'est un débat très important pour l'avenir. Est-ce que nous allons choisir le pluralisme ou est-ce que nous allons choisir, au contraire, le modèle unique ? Ma conviction est que le modèle unique n'est pas ce qui convient à un pays moderne.
PIERRE GANZ
Donc, vous allez à Toulouse devant ces personnes réunies à l'Union en mouvement pour leur dire " L'Union en mouvement, ce n'est pas la solution " ?
FRANÇOIS BAYROU
Pour leur dire " Chacun aujourd'hui réfléchit, chacun a le droit d'avoir cette position, je vais vous exprimer les miennes ". Je crois qu'il y a, dans l'opposition, une demande de clarification. Jusqu'à maintenant, tout se passait sous la table. Vous n'avez pas souvenir que cette réunion ait été préparée par un débat avec des militants, par exemple, ou avec des adhérents ou avec des sympathisants ? On est entre responsables au sommet parlementaire qui, dans les couloirs, décident entre eux, ils ont une légitimité mais pas la seule, ils décident entre eux qu'ils vont faire ceci ou cela. Il faut que, désormais, puisque la campagne s'ouvre, les débats deviennent ouverts et publics. Moi, j'ai décidé d'assumer ma voie dans ce débat et donc je serai à Toulouse demain pour dire, avec amitié et respect mais détermination, ce que je pense de l'avenir de l'opposition et de la France.
PIERRE GANZ
Vous jouez un peu votre va-tout devant une situation, des sondages, qui n'est pas bien bonne, votre parti qui tangue ?
FRANÇOIS BAYROU
Je sais bien Il s'agit, vous comprenez, il ne s'agit en rien de situation personnelle
PIERRE GANZ
Ca peut être aussi la situation de l'UDF.
FRANÇOIS BAYROU
Il s'agit de savoir, oui, il s'agit de savoir ce que nous allons faire pour notre pays. Les citoyens qui nous écoutent, quelquefois navrés, ont besoin d'y voir clair. Et bien, moi, j'ai décidé de participer à cette clarté.
PIERRE GANZ
Si vous faites un mauvais score, ça affaiblit Jacques CHIRAC au second tour ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, sans doute, ça n'est pas la véritable question. Ne parlons pas de score, parlons de messages, parlons de ce que nous avons à dire les uns et les autres et, à ce moment-là, les Français jugeront.
PIERRE GANZ
François BAYROU, alors allons un tout petit peu sur votre message. Jean-Pierre CHEVENEMENT qui, pour l'instant, est le troisième homme d'ailleurs dans les sondages, joue la carte de la souveraineté et de la Nation. Vous, vous jouez celle de l'Europe. L'un a trouvé un vaste écho, vous pas. Est-ce que les Français s'intéressent à l'Europe ?
FRANÇOIS BAYROU
Je suis persuadé que oui et que, en tout cas, le devoir est de leur en parler. Nous venons de faire le pas vers une monnaie, la même monnaie pour 300 millions d'Européens. Ca s'est formidablement passé alors que CHEVENEMENT et quelques autres nous avaient dit que ça allait être une catastrophe. On nous avait prédit les pires cataclysmes, le fait que les vieilles dames, nous disait-on, défileraient dans les rues parce qu'elles ne s'y reconnaîtraient pas. C'était oublier qu'elles sont meilleures en calcul mental quelquefois que ceux qui profèrent de telles bêtises. Et puis, maintenant, nous avons une monnaie. La véritable question qui se pose, c'est : est-ce qu'on s'arrête là et alors, on n'aura rien fait, que pour le commerce ou bien est-ce qu'on va plus loin et on décide que, en face de la puissance américaine, de l'hyper puissance américaine, nous allons construire une vraie puissance européenne capable de s'exprimer en notre nom en particulier, au nom de la France ?
PIERRE GANZ
Et vous pensez que les Français, aujourd'hui, sont prêts à participer à cette construction ? Est-ce qu'ils n'ont pas un peu peur de perdre leurs habitudes, leurs réflexes, y compris sur le plan des relations avec les institutions politiques ?
FRANÇOIS BAYROU
Je suis persuadé qu'il n'y a pas un Français conscient aujourd'hui qui ne se pose la question. Alors, il considère qu'il y a de la vie quotidienne et que la vie quotidienne est très importante mais je vais prendre un exemple. Est-ce que ce que nous construisons, c'est la poursuite d'une défense nationale ou est-ce que nous bâtissons à terme une armée européenne ou une défense européenne ? Moi, je suis très frappé de la perte de morale de la défense et de l'armée en France
PIERRE GANZ
Et ça serait mieux avec une défense européenne ?
FRANÇOIS BAYROU
Les officiers sont désespérés, ils ont le sentiment qu'on ne sait pas où l'on va. Il y a eu des problèmes, ils ont très mal vécu ce qui s'est passé en France avec les gendarmes. Ils ont le sentiment que, c'est quand on défile en uniforme ou quand, qu'on se fait entendre dans ce pays. Ils n'ont pas tort. Et puis, ils voient que ça manque de perspective. Ils voient bien que la France, seule, n'aura pas les moyens avant très longtemps, par exemple, de construire le deuxième porte-avions si nécessaire puisque quand on a un porte-avions, c'est comme si on n'avait rien pendant une partie de l'année
PIERRE GANZ
François BAYROU
FRANÇOIS BAYROU
Et donc, attendez, oui, puisque vous m'interrogez, laissez-moi aller au bout de cette réponse. Donc, je considère qu'il faut clarifier, là encore, cette question. Moi, je dis que la responsabilité, c'est de dire que si nous voulons faire entendre dans le monde, et ceux qui vous écoutent sont bien placés pour le savoir, notre voix, eh bien il faut être capable de bâtir en face des Etats-Unis quelque chose qui pèse autant que les Etats-Unis.
PIERRE GANZ
Jacques CHIRAC ou Lionel JOSPIN ne diraient pas le contraire, vous faites quel bilan de leur participation à la construction européenne ces cinq dernières années ?
FRANÇOIS BAYROU
Je fais un bilan critique parce que le traité de Nice est une mauvaise affaire pour l'Europe, que je l'ai dit et qu'ils l'ont négocié ensemble. Et donc, on a plutôt reculé que l'on a avancé. Alors, j'ai beaucoup d'espoir dans la Convention et dans Valéry GISCARD D'ESTAING pour des propositions audacieuses et habiles pour que l'Europe sorte enfin de l'ornière dans laquelle elle est.
PIERRE GANZ
Est-ce que vous estimez, François BAYROU, que l'Europe doit être un modèle
FRANÇOIS BAYROU
J'estime que l'Europe doit être un modèle et doit défendre ce modèle. Je pense au Proche-Orient, par exemple. Hélas, on a l'impression qu'on s'enfonce jour après jour dans une situation vraiment terrible et à laquelle on n'aperçoit aucune issue, à laquelle les, j'allais dire, belligérants
PIERRE GANZ
On y est presque.
FRANÇOIS BAYROU
On y est presque. Les acteurs de ce drame sont de plus en plus engagés sans apercevoir aucune issue. Or, il y a une zone dans le monde, il y a une région dans le monde dans laquelle on s'est fait trois guerres civiles qui ont fait des millions de victimes en 75 ans, en trois quarts de siècle. Eh bien, je suis persuadé qu'il y a, dans les décisions que nous avons prises après la guerre en 45 en Europe, qu'il y a un chemin pour les peuples qui sont dans des guerres sans fin. Ce modèle seulement, il faut y croire, il faut le défendre et il faut imaginer, le proposer ou, en tout cas, le mettre sur la table pour que les peuples qui en ont besoin y réfléchissent.
PIERRE GANZ
Vous allez vous rendre dans cette région dans le cadre de cette campagne ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, je serai probablement en Israël et en Palestine du 4 au 7 mars.
PIERRE GANZ
Pour tenir ce discours ? Vous pensez que, aujourd'hui, dans l'état de belligérance, on peut tenir ce discours ?
FRANÇOIS BAYROU
Pour tenir avec réserve, respect, sans donner de leçon mais simplement pour que l'Europe et les responsables politiques européens ne soient pas, comme ils le sont trop, complètement absents de l'attention, de la solidarité et de l'inquiétude de ceux qui, sur le terrain, vivent le drame que nous savons.
PIERRE GANZ
En un mot, vous avez l'impression que les hommes politiques, et les Français avec eux, sont un peu nombrilistes à ne regarder que les problèmes franco-français ?
FRANÇOIS BAYROU
Vous le savez bien et tous ceux qui vous écoutent au travers du monde le savent.
PIERRE GANZ
Et vous, votre sentiment ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que en tout cas les responsables politiques ne font pas leur travail de "conscientisation", c'est un mot compliqué. Ils ne travaillent pas à la conscience qu'il faut avoir, à la conscience nécessaire qu'il faut avoir des enjeux du monde. Ils se contentent trop de gouverner avec des sondages, d'écrire dans leurs discours les mots que les sondages attendent, ce qui fait d'ailleurs des discours pas très audibles ou pas très intéressants.
PIERRE GANZ
Merci à vous, François BAYROU. Bonne journée !
FRANÇOIS BAYROU
Merci, Pierre GANZ.
(source http://www.bayrou.net, le 4 mars 2002)