Interview de M. Robert Hue, président du PCF et candidat à l'élection présidentielle, à France 2 le 10 avril 2002, sur les perspectives du premier tour, le rôle de la candidature communiste pour ancrer la gauche vraiment à gauche, et sur ses propositions dans le domaine social concernant notamment les retraites et les 35 heures.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde - Quand on regarde les derniers sondages, on a le sentiment que ça patine sérieusement à gauche : le candidat Jospin perd au premier tour, vous-même vous êtes dans une fourchette entre 4 et 6. Qu'est ce qui se passe ?
- "Je crois qu'il faut regarder les sondages naturellement, mais il y a quelque chose d'évident maintenant, à 10 jours du premier tour de la présidentielle, que nous n'avons jamais connu dans une présidentielle - j'ai eu l'honneur de conduire les couleurs communistes dans la précédente présidentielle - : il y a une grande incertitude dans l'opinion. Donc, les sondages, il faut les prendre avec beaucoup de précaution. Cette grande incertitude est claire, elle est exprimée : un Français sur deux actuellement, à 10 jours du premier tour, n'a pas encore décidé de ce qu'il fera, du vote qu'il aura définitivement. Donc, tout est ouvert, et effectivement il y a une campagne qui doit à mon avis aujourd'hui venir sur les questions essentielles, les questions qui font la vie des gens. Si on ne pose pas les questions essentielles dans cette campagne - un certain nombre de candidats s'efforcent de poser les questions : l'emploi, les problèmes de retraite, les problèmes qui font effectivement la vie quotidienne des gens, c'est de cela que les gens ont envie que l'on parle dans cette campagne. Or, il faut bien dire que de ce point de vue, les questions ne viennent pas suffisamment, le débat n'est pas de proximité."
L. Jospin fait une campagne trop au centre, vous avez dénoncé la dérive droitière...
- "Aujourd'hui, la vie montre bien que je ne me suis pas trompé, de ce point de vue en tous les cas : il était clair que dès le départ, pour L. Jospin, de vouloir regarder du côté du centre et de la droite, il faut dire les choses, en début de campagne, était de nature à troubler. Et j'ai d'emblée posé le problème de ma présence dans cette campagne, celle du candidat communiste, c'est à dire d'ancrer à gauche, d'ancrer dans le social cette campagne. Aujourd'hui L. Jospin prend en compte une partie de ce que j'ai dit et il voit bien que l'opinion de ce point de vue réagi à sa propre démarche."
Il a remarqué d'ailleurs une de vos dispositions, sur la retraite progressive...
- "Je ne vais pas m'en plaindre, sur la retraite notamment pour les hommes et les femmes qui ont commencé à travailler à 14 ans et où j'ai proposé, il y a trois mois déjà, qu'on puisse leur faire bénéficier du droit à la retraite avant 60 ans, quand ils avaient naturellement cotisé 40 annuités. Il ne le voulait pas, L. Jospin ! Aujourd'hui, il est obligé de le faire. Mais bon, ce rôle dans la campagne, on le sent bien, le Parti communiste.. Et d'ailleurs, ce premier tour va apparaître vraiment de plus en plus comme ça pour la gauche. Je vois bien qu'il y a une gauche qui doit se ressaisir..."

Oui, parce qu'il y a A. Laguiller qui joue ce rôle d'aiguillon avec un certain succès.
- "Mais A. Laguiller ne joue pas pour la gauche aujourd'hui, elle le dit clairement : "Je ne choisis pas entre la gauche et la droite". Et de ce point de vue, ce n'est pas de ce côté là à mon avis qu'il y a l'efficacité. Ce n'est pas polémique à son égard, moi, mon adversaire c'est la droite, c'est Chirac, ce n'est pas du côté d'A. Laguiller ; mais il faut être utile, il faut être efficace. Je crois effectivement que dans cette campagne, dans les 10 jours qui restent, la meilleure façon que la gauche reste en position de pouvoir battre la droite - parce que c'est quand même la question -, c'est de donner au Parti Communiste plus de force pour qu'il fasse entendre - ce qui effectivement a été d'emblée sa position sur les questions sociales, sur la nécessité de rester à gauche et qu'aujourd'hui, L. Jospin est obligé de prendre en compte."
Un sondage à paraître dans l'hebdomadaire L'Express aujourd'hui, dit que les Français considèrent que globalement, le social n'est pas suffisamment traité dans cette campagne : 79 % estiment qu'on ne parle pas assez d'emploi, 46 % trouvent qu'on ne parle pas assez des retraites ; mais, plus surprenant, les solutions qu'il préconise pour réduire le chômage, 58 % pensent qu'il faut baisser les charges sociales, et 57 % trouvent que la loi sur les 35 heures est une mauvaise loi. Alors, ça, c'est quand même très étonnant, parce que ça ne va pas du tout dans le sens des propositions de la gauche."
- "Oui, mais il faut dire que pour le moment les Françaises et les Français, qu'ont-ils entendu comme propositions à propos de l'emploi ? Ils ont entendu le harcèlement du Medef pendant des mois et des mois, et encore dans la dernière période..."
Oui, mais ils trouvent que les 35 heures, ce n'est pas bien...
- "Oui, mais l'idée de faire baisser les charges sociales patronales, parce que c'est ce qui est derrière l'idée avancée, n'est pas la solution. On sait très bien que depuis des années et des années, il y a des cadeaux qui sont faits au patronat et avec ces cadeaux ils licencient, ils mettent en uvre des plans sociaux. Il faut une baisse des charges, y compris dans l'entreprise - peut-être vais-je surprendre ? -, il faut que ce soit une baisse des charges financières pour les entreprises qui jouent l'emploi, pour les entreprises qui jouent les salaires. Actuellement, il faut - et c'est ce que je propose dans cette campagne, en urgence, et quel que soit le président de la République élu, il devra en tenir compte - une relance de l'emploi et de la croissance par les salaires directs. Il faut augmenter les bas salaires, il faut augmenter le Smic, il faut augmenter les retraites et les minima sociaux... C'est ça qui va dynamiser l'économie. Aujourd'hui, personne n'en parle, comme on n'entend parler de la retraite que par ce qu'on en dit de son évolution. Moi, je dis qu'il faut le maintien du droit à la retraite pleine et entière à 60 ans. Et là; il faut que le débat se poursuive, y compris à gauche, parce que je sens que les thèses patronales ne sont pas insensibles parfois - alors, à droite, je ne me fais pas d'illusions ! - du côté de la gauche, également du côté de L. Jospin. Il faut qu'on entende mieux ce que disent les Français en la matière."
Sur les 35 heures, ils vous disent qu'il faut corriger un peu la loi...
- "Mais bien sûr ! Et je propose moi une loi qui aménage celle des 35 heures aujourd'hui. Regardez, je ne prendrais pas tous les secteurs : mais dans le domaine de la Fonction publique, on le voit bien dans les hôpitaux, on le voit bien dans toute une série d'établissements à caractère public, la loi ne peut pas s'appliquer faute de moyens nécessaires pour qu'effectivement, les emplois soient créés, qu'on crée des conditions par exemple à l'hôpital pour ne pas fermer les services et maintenir les effectifs nécessaires."
Vous avez dit récemment que la majorité plurielle a vécu. Cela veut dire que vous sortez de la majorité plurielle ?
- "Non, je crois que c'est en se rassemblant que la gauche, dans sa pluralité, gagnera."
Alors, pourquoi vous dîtes ça ?
- "Mais aujourd'hui, la majorité plurielle, qui a effectivement été conçue pour répondre à la dissolution de J. Chirac, a obtenu un certain nombre de résultats très positifs, mais incontestablement, vous le dîtes vous-même dans vos enquêtes que vous présentez, les Français contestent une partie de ce qu'elle a mis en uvre ces derniers temps. Il faut donc une autre politique à gauche et mieux ancrée à gauche."
Franchement, ce n'est pas un effet de campagne ? Vous allez quand même rester au Gouvernement...
- "Accordez-moi que je dis depuis le début à L. Jospin, qu'il faut ancrer plus dans le social. Et de ce point de vue, les communistes sont décisifs et ils seront décisifs le 21 avril. Et il vaut mieux effectivement entendre les Français sur ces questions sociales/ L'avenir ensuite, on verra, il faut battre la droite."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 avril 2002)