Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le site "www.lioneljospin.net", le 11 avril 2002, intitulé "Nos efforts ne sont pas vains".

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Texte intégral

La logique de guerre est à l'oeuvre au Proche Orient, au détriment de la patiente construction de la paix impulsée depuis Oslo. Comment retrouver le chemin de la paix et quel rôle peut jouer la France pour aider ces deux peuples à retrouver la raison. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin répond en exclusivité à nos questions. Il revient sur les évolutions récentes des Etats-Unis et sur la nécessaire prise de conscience de l'inéluctabilité d'une solution politique.

1/ En dépit de la situation actuelle très dégradée, est-il toujours possible de forcer le chemin de la paix ?
Il est en tout cas impensable de baisser les bras, et aujourd'hui urgent de continuer à agir en faveur de la paix. C'est ce que nous faisons quotidiennement, par tous les moyens disponibles car il est évident que les peuples israélien et palestinien vivront toujours côte à côte et que deux Etats, israélien et palestinien, qui coexisteront, représenteront l'un pour l'autre la meilleure garantie de sécurité à long terme.
Nous agissons sur plusieurs fronts : nous menons un travail incessant de persuasion auprès de nos partenaires européens pour que l'Europe s'unisse sur une position forte et soit alors en mesure de peser plus ; nous appelons depuis plusieurs mois les Etats-Unis à se réengager pour amener les parties sur la voie d'un règlement, ce qui semble s'amorcer ; nous maintenons un contact étroit avec les responsables d'Israël, comme avec les pays arabes ; nous oeuvrons au sein du Conseil de sécurité ; chaque fois que cela apparaît utile, nous formulons des propositions sur les voies possibles d'une sortie de crise.
Malgré les tragiques évolutions sur le terrain, nos efforts ne sont pas vains. Conjugués avec l'expression de certains autres pays, ils ont souligné l'urgence qu'impose la situation. Ceci a pu contribuer au tournant que vient d'engager le Président Bush et qui offre une base nouvelle pour une action euro-américaine plus efficace ; les idées du Prince Abdallah d'Arabie endossées par le sommet arabe de Beyrouth sont neuves et très importantes pour la réussite d'un futur processus de paix ; les résolutions récentes du Conseil de sécurité votées par les Etats-Unis ont évoqué pour la première fois la vision de deux Etats, "Israël et la Palestine", vivant côte à côte. Alors que les violences se déchaînent, la nécessité d'une sortie politique de la crise s'impose toujours plus aux esprits. Le gouvernement français ne cesse d'oeuvrer en faveur de cette prise de conscience qu'un règlement politique est à la fois nécessaire et inéluctable. Il l'a fait en formulant notamment en début d'année des propositions qui visaient à réintroduire une perspective politique dans une scène israélo-palestinienne dévastée par la violence, et où l'idée même de processus politique avait été écartée.
2/ Quel regard portez-vous sur l'action diplomatique au Proche-Orient menée par le gouvernement Jospin ?
Ce gouvernement a constamment agi au Proche-Orient, sans parti-pris et animé par la seule volonté d'être utile à la paix : en s'efforçant de contribuer aux efforts engagés par les Etats-Unis (ainsi lors des négociations de Camp David à l'été 2000) ou par la communauté internationale (ainsi la réunion de Charm El Cheikh en octobre 2000) ; en entretenant un dialogue politique permanent, sans tabou, et au besoin critique, avec Israël comme avec les pays arabes ; en inspirant souvent la position officielle de l'Union européenne, qu'il s'agisse de la déclaration de Berlin de 1999 sur un Etat palestinien viable, pacifique et démocratique ou, plus récemment, des déclarations de Laecken et Barcelone.
De manière générale, nous nous sommes efforcés d'être lucides dans nos analyses et utiles dans notre action diplomatique. Durant l'année 2000, nous avions commencé d'explorer avec certains de nos partenaires proche-orientaux, la perspective de l'après-paix ; nous avons aussi aidé à élaborer des formules de compromis dans le but de désamorcer les enjeux les plus sensibles d'un règlement final lorsque ceux-ci ont été posés sur la table par la médiation du Président Clinton ; lorsque la violence a repris le dessus nous nous sommes attachés à mobiliser tous nos partenaires afin que l'action diplomatique prenne en compte les points de malentendus et de frictions (le terrorisme, les colonies, etc), et les traite en fonction d'une véritable perspective politique ; enfin, nous avons toujours tenu la balance égale entre deux exigences indissociables : le besoin de sécurité des Israéliens, récemment exacerbé par l'épreuve du terrorisme, et l'aspiration des Palestiniens à des conditions de vie dignes et à un Etat viable.
S'agissant de la crise au Proche-Orient, notre action diplomatique a été fondée sur la conviction que la paix est inéluctable, mais aussi qu'elle ne peut résulter que du courage politique des protagonistes, soutenu par une convergence de positions politiques fortes des Etats-Unis, de l'Europe, du monde arabe.
(source http://www.lioneljospin.net, le 11 avril 2002)