Texte intégral
II refoule l'expression "agriculture durable " ,trop fourre-tout à son goût. Pourtant, la sensibilité de cet homme de conviction l'en rapproche peut-être plus qu'il n'ose le dire. En témoigne, son désir de dialoguer plus directement avec ses "collègues " des pays en voie de développement (pour les ralliera une vision de l'agriculture qui autorise leur soutien).
"Pour exister, il faut savoir aussi se protéger " dit-il
Valeurs Vertes :" Nourrir la population à un coût modéré ? Mission accomplie !"*entend-on dire aujourd'hui. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Michel Lemetayer: Mission accomplie, sans doute, au moins pour l'Europe. Mais on ne peut s'arrêter là, ce serait nier l'existence de la faim dans le monde. Le modèle européen, à travers l'un des objectifs de la PAC qui était, non seulement de satisfaire les besoins alimentaires des européens après-guerre, mais aussi d'assurer un revenu aux agriculteurs, devrait être regardé plus attentivement par les pays en voie de développement. Eux aussi, pour se développer, devraient en tirer les leçons les plus positives plutôt que d'écouter les sirènes du libre-échange à tout crin.
V.V.: Dans un entretien accordé au Monde **, le directeur général du FMI, incrimine la PAC parmi les causes de la déconfiture de l'Argentine. Comment réagissez-vous à cet argument ?
J.-M.L :L'argument n'est pas nouveau. Et j'observe qu'il ressort de préférence à chaque fois que d'importantes discussions mondiales ont cours. Maintenant, regardons ce qui se passe sur le terrain :quand le prix du lait acheté au producteur, d'ailleurs plus faible que celui pratiqué en Europe, arrive sur le marché à un prix pour le consommateur supérieur à celui que paie un européen, est-ce la faute de la PAC? Je pense que les difficultés de l'Argentine sont autrement plus profondes et plus larges. Ses déboires sont graves pour tout le monde ;personne n'y a intérêt. Mais l'argument de la responsabilité de la PAC, à l'approche des négociations internationales à venir, n'est sans doute pas dénué d'arrière-pensées.
V.V. Après Doha, tout n'est donc pas "gagné "?
J.-M.L.: On attend de l'OMC des règles du jeu. A Doha, il a été convenu que les soutiens à l'exportation sous la forme des restitutions allaient évoluer et que dans la discussion, toutes les formes de soutien à l'agriculture (aide alimentaire comprise)allaient être mises sur la table. Mais tout doit être mis sur la table. Il faut avoir le courage de parler aussi des aspects non commerciaux de l'agriculture: l'environnement le bien-être animal, le développement rural, l'aménagement du territoire...pour répondre aux nouvelles attentes de la société.
Je ne crois pas qu'à terme, ces attentes ne soient pas partagées par l'ensemble des habitants de cette planète et donc, les pays en voie de développement n'ont pas intérêt à privilégier des règles du jeu les conduisant uniquement vers de la production à bas prix, quelles qu'en soient les conséquences environnementales et sociales.
V.V.: Comment comptez-vous participer à la mondialisation de l'" agriculture durable " ??
J.-M.L.: J'ai été surpris de voir à Doha à quel point les PVD semblaient mieux se retrouver dans les discours libéraux du groupe de Cairns ***. Beaucoup mieux que dans les nôtres. Sans doute devrions-nous dialoguer plus directement avec eux et leur expliquer mieux notre système.
V.V.: Pourquoi cet attachement à notre modèle?
J.-M.L.: Il y a du bon puisqu'à l'évidence, la place du paysan a été mieux préservée, comparé à ce qui s'est passé dans le reste du monde.
Nous avons le devoir de convaincre les PVD qu'un certain niveau de protection, dans nos activités, peut être justifié. Eux comme nous avons besoin de se protéger pour exister. Ils doivent savoir qu'ils aborderont d'autant mieux nos marchés s'ils intègrent les démarches qualitatives couramment englobées dans la formule "agriculture durable ". D'où notre combat pour qu'à l'OMC l'on parle aussi de "compétitivité équitable " c'est-à-dire que l'on tienne compte dans le commerce des contraintes de production des uns et des autres, puisque les cahiers des charges ne sont pas partout les mêmes.
V.V.: Et la notion de l'" avantage comparatif "?
J.-M.L.: L'attitude qui consiste à se dire "Je sais que je peux produire moins cher que les autres, donc, j'inonde le marché et tant pis pour les autres " ne me semble pas viable à long terme. Non au moins disant mondial.
V.V.: Quelle est votre position sur les OGM, dont la culture se développe principalement dans les pays en voie de développement ?
J.-M.L.: Tous les risques ne sont pas encore bien cernés. Je suis pour plus de recherche sur les OGM. Détruire la recherche, c'est cultiver notre dépendance, ai-je
coutume de dire.
V.V.: Et pour vous, qu'est-ce que " l'agriculture durable "?
J.M.-L.: On ne peut délocaliser les sols. C'est là que réside la durabilité, pour nous agriculteurs. Mais je veux bien de cette formule, si elle signifie assumer son métier, en vivre, et donner envie aux nouvelles générations de s'installer. Au delà de la crise du revenu, nous devons sortir l'agriculture de la crise morale qu'elle connaît.
Entretien avec Michèle Bernard Royer
Superficies mondiales ensemencées en OGM par pays*1000 ha
1996 1997 1998 1999
Europe des 15 0 0 22 0
France2
Espagne20
Etats Unis 1.445 7165 20830 28643
Argentine 50 1.468 3529 5807
Canada 106 1677 2750 4010
Chine 1000 1000 1100 1300
Brésil 1178
Autres 200 3093 525
Constat communautaire
"Entre l'enthousiasme excessif de certains "croisés " des OGM et le radicalisme d'une minorité de leurs opposants, il y a un besoin urgent de trouver une place pour un compromis raisonnable, basé sur des arguments scientifiques solides et mesurés en faveur d'une évaluation et d'une gestion prudente du risque " constate Philippe Busquin, commissaire européen chargé de la recherche, en ouvrant le 9 octobre 2001 la Table ronde européenne sur la sécurité des OGM " un exercice pour rapprocher la science de la société, en impliquant les scientifiques et les parties intéressées dans une discussion sur les résultats de la recherche et dans une réflexion commune en vue de mieux coordonner les recherches à l'avenir en Europe."
*Expression de Philippe Lacombe, directeur scientifique de l'INRA lors du colloque de la SAF (société des agriculteurs de France),le 23 janvier dernier, à propos de la mission assignée aux agriculteurs européens dans le cadre de la politique agricole commune.
**Horst Köhler, directeur général du Fonds Monétaire International: "Les européens, en maintenant leur vieux système de protection agricole, ne sont pas sans reproche non plus." Le Monde, 23 janvier 2002.
***Groupe de Cairns: 14 pays dont l'Australie, la Nouvelle Zélande, le Canada, l'Argentine et le Brésil
Retour de Doha: compter avec les PVD
Pour la FNSEA "pour la première fois depuis la création du Gatt qui a précédé l'OMC, les pays en développement (PVD)ont pesé sur les négociations et obtenu gain de cause sur la prise en compte de leurs revendications." Au final, un résultat "moins pire " que celui attendu. Mais gare:"La direction est mécaniquement tracée :érosion de la préférence communautaire, réduction des soutiens, élimination à terme des subventions à l'exportation. La grande leçon de Doha, c'est l'isolement de l'Europe sur l'agriculture et l'hostilité des PVD à l'encontre de la PAC,due probablement à la propagande des pays du groupe de Cairns qui n'arrêtent pas de répéter qu'un agriculteur protégé et subventionné en Europe signifie la mort de 10 agriculteurs dans les pays en développement Que l'on ne s'y trompe pas, si rien n'est fait pour expliquer la PAC aux PVD et si le rapport de force sur l'agriculture n'est pas inversé, l'Europe et la PAC feront figure d'accusés dans les négociations et la situation deviendra très vite intenable ".
(d'après l'Information Agricole ,journal de la FNSEA).
(Source http://www.fnsea.fr, le 7 mai 2002)