Conférence de presse de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la politique en faveur de la lecture, notamment la démocratisation culturelle et la place du livre dans le cadre des nouvelles technologies, Paris le 1er octobre 1999.

Prononcé le 1er octobre 1999

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation de la manifestation "Lire en fête" du 15 au 17 octobre 1999 à Paris le 1er octobre 1999

Texte intégral

Il avait été prévu d'appareiller, ce matin, pour une brève croisière. Il ne vous aura pas échappé que je risquais de ne pas avoir tout à fait le pied marin. Merci, donc, à tous et à toutes, d'avoir bien voulu rallier le pavillon du Palais-Royal, à quinze jours de Lire en fête.
Si vous le permettez, je voudrais par avance répondre à une question - qui ne serait peut-être pas venue ce matin - mais que j'ai très souvent entendue ou lue, et que j'ai eu moi-même à me poser. Pourquoi organiser une fête du livre et de la lecture, sur une vaste échelle, puisque Lire en fête se déroule sur l'ensemble du territoire national et hors de nos frontières ?
Pourquoi, en effet, et surtout comment, parvenir à concilier ce que tout, à priori, oppose : l'acte de lire, qui demande le silence, la concentration, l'intimité, et la fête qui, elle, implique exactement le contraire ?
Et puis, question subsidiaire, pourquoi vouloir célébrer, à une date donnée, ce qui est organisé - et fort bien - à longueur d'année par les bibliothèques, les librairies, dans les foires et salons du livre où, sous des formes diverses, se nouent des liens entre auteurs et lecteurs et où se manifeste, fortement, l'engagement de l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre ?
Une partie de la réponse se trouve entre vos mains. Elle est en effet contenue dans le dossier de presse de Lire en fête - lequel sera augmenté dans chaque région par les DRAC - et je qualifierai cette réponse d'un mot : la mobilisation. C'est là, sans doute, l'un des résultats de ma décision, prise l'an dernier, de ramener la manifestation sur trois jours, en fin de semaine, pour éviter la déperdition des énergies et accroître la visibilité des initiatives. Mais cet aspect pratique n'aurait pas suffi, à lui seul, à susciter un mouvement d'ampleur.
Or, ainsi que vous pourrez le constater, cette mobilisation est forte et tend bien, au travers des milliers de manifestations qui vont se dérouler les 15, 16 et 17 octobre, à mettre, en tous lieux et en un temps, le livre et la lecture en tête. Cela, sur l'ensemble des supports de la lecture : le papier, bien sûr, le multimédia - avec une cinquantaine de sites internet - et la voix.
Les lectures à voix haute avaient fait une intéressante apparition en 1998. Elles colorent Lire en fête 1999 d'une belle vitalité. Je m'en réjouis tout particulièrement. En se déroulant dans les lieux traditionnels du livre et des textes, comme en des places moins immédiatement convenues, ces lectures, qui s'adresseront à tous les publics, qui feront aussi appel au public, vont faire de Lire en fête, sans confusion ni concurrence bien sûr, la fête d'une musique : celle des mots et des images.
Mais la partie essentielle de la réponse à l'interrogation " pourquoi une fête du livre " ?, se trouve dans la politique que je conduis depuis mon arrivée dans ce ministère, dont l'objectif fondamental est la démocratisation culturelle, c'est à dire le renforcement de l'épanouissement individuel et collectif - donc, de la démocratie - par l'accès le plus large de tous les publics aux oeuvres, à la vie et aux pratiques culturelles.
C'est pour moi une priorité.
Je place la lecture - le développement de la lecture - au cur de l'enjeu de la démocratisation culturelle, enjeu qui est celui de la rencontre, de l'échange, de l'intégration.
L'écrit est une valeur.
La lecture est essentielle dans une vision ouverte de la culture. C'est par la lecture que s'opère la transmission du patrimoine écrit et la découverte des formes contemporaines d'expression et que se renforce, par la confrontation des univers ainsi ouverts à la vie de chaque lecteur, la liberté d'expression.
A cet égard, je voudrais saluer la qualité du travail effectué dans l'ensemble du réseau de la lecture publique, dans le service public de la lecture. 21 % des français fréquentent, vous le savez, les bibliothèques, qui, en termes d'aménagement du territoire, incarnent - si je puis dire, mais les bibliothèques sont des lieux vivants - la collaboration entre les collectivités locales et l'Etat. C'est dans ce contexte que j'ai lancé le programme national des " contrats villes-lectures ".
L'objectif est le même : la démocratisation culturelle.
Il s'agit, à l'échelon d'un territoire et par le rapprochement de tous les secteurs culturels de construire, autour du livre et de la lecture, un projet de développement culturel inscrit dans la durée.
Dix-huit villes ont été labellisées en quelques mois ; de nombreux dossiers sont en cours. Ce maillage revêt à mes yeux une grande importance. C'est sur le terrain que l'ensemble des intervenants - bibliothèques publiques et scolaires, librairies, hôpitaux, prisons, écrivains, éditeurs - inventent ou renouvellent des actions en direction du public, et notamment des jeunes, qui contrairement aux idées reçues, lisent et le disent.
Le sondage, réalisé à l'occasion de " Lire en fête " par le CREDOC, à la demande du ministère de la culture et de la communication et de " Phosphore " auprès des 15-25 ans, fait apparaître des résultats tout à fait positifs. Alors qu'il est fréquent d'entendre ici ou là que le livre est dépassé, 2 % seulement des jeunes estiment qu'aimer lire est " ringard ", alors que pour 45 %, un lecteur est " ouvert " et pour 42 %, un " rêveur ". Près d'un tiers, 31 %, avec un avantage aux filles, aiment lire " passionnément " et 63 % " moyennement ".
Autant d'indications, évidemment affinées dans le sondage publié par "Phosphore", qui permettent de penser raisonnablement que le livre n'a pas fini d'avoir de l'avenir. D'autant plus que 81 % des 15-25 ans estiment en effet qu'il n'est pas menacé par l'ordinateur.
Bref, il y a là, me semble -t-il, du grain à moudre pour tous les observateurs du secteur livre et lecture qui constateront, outre des indications sur les goûts de la nouvelle génération, qu'entre 15 et 25 ans, la lecture est un plaisir quand elle est abordée comme un loisir.
Cette lecture plaisir, ce plaisir de lire qui prend souvent sa source dans l'enfance ou à l'adolescence, est éclatante dans le recueil " Histoires de lecture " publié par mon ministère avec la collaboration très active des éditeurs de livres au format de poche, que je remercie très chaleureusement.
Comme souvent lorsqu'il s'agit de textes intimes, ce petit livre - qui sera offert par les librairies pendant Lire en fête - ne se résume pas. Mais d'un mot, je voudrais dire : lisez-le, il donne envie de lire.
Tous les auteurs qui ont accepté de dévoiler leurs relations et leurs émotions avec les livres, sont de formidables prescripteurs.
Ils sont au nombre de 47, viennent d'horizons multiples, ont des métiers différents, s'appellent Isabelle Autissier, Charles Berling, Christian Lacroix, Jean-Pierre Luminet, Edgar Morin, Jean Malaurie, Sylvie Granotier, Tomi Ungerer, Andrzej Wajda, Y.B. - pour n'en citer que quelques-uns, mais tous, en racontant au fond l'histoire d'une même rencontre, nous surprennent, nous captivent, nous renvoient à nous-mêmes, à ce qui a été ou aurait pu être semblable et différent et pourraient bien, au fond, nous offrir une définition possible de l'universalité.
S'il est vrai que la lecture est le plus souvent une activité personnelle, à partager cependant et à faire partager, une fête ne peut vraiment s'envisager qu'à plusieurs, voire à beaucoup.
Je souhaite donc vivement que le plus grand nombre possible de personnes, de toutes les générations et de partout, se retrouvent dès le 15 octobre pour aller à la découverte de la variété des programmes proposés pour cette édition de Lire en fête.
Je le disais il y a un instant, la mobilisation a été forte, perçue aussi bien par les DRAC que par les services de la Direction du livre et de la lecture. Elle tient à la diversité des acteurs de la manifestation, qu'il s'agisse des municipalités, des bibliothèques publiques, des librairies, des théâtres et des compagnies théâtrales, des maisons d'écrivains, des centaines d'établissements scolaires, des fédérations départementales d'oeuvres laïques, des hôpitaux... Je remercie collectivement les responsables de ces collectivités, institutions, structures culturelles et établissements, comme je souhaite remercier l'ensemble de nos partenaires.
Je voudrais souligner l'importante participation des ministères : celui de la Justice, très impliqué dans les opérations " Lire et écrire en prison " ; celui de l'Education nationale, de la recherche et de la technologie, qui renforce ainsi notre partenariat, à suivre, instauré à l'occasion du Printemps des poètes et avec lequel nous travaillons à l'élaboration de programmes d'enseignements artistiques ; le ministère des affaires étrangères, dont les réseaux sont très actifs, puisqu'une centaine de pays fêteront aussi le livre et le lecture grâce au relais des instituts et centres culturels français à l'étranger, cependant que 52 librairies françaises à l'étranger seront aussi de la fête ; le ministère de la défense, le secrétariat d'Etat à l'Outre-mer qui accueille, cette année encore, le Salon du livre de l'outre-mer et le secrétariat à la santé et à l'action sociale qui reprend et amplifie " Lire à l'hôpital ". Sans oublier le ministère de l'agriculture et de la pêche, qui rejoint cette année Lire en fête.
D'autres partenaires nous apportent un concours précieux : Bayard-Presse Jeune, France Télévision, la Cinquième, Radio-France, notamment France-Culture et France-Info, RFI, la SNCF pour l'opération " En train de lire " et la Poste.
Et puis, vous me permettrez d'adresser un salut particulier aux très nombreux écrivains, et à leurs éditeurs, qui se rendront disponibles à l'occasion de Lire en fête pour rencontrer, en de très nombreux points du territoire, en France et Outre-mer, ceux qui sont, ou qui seront leurs lecteurs.
Peut-être deviendront-ils des rêveurs, à la manière du liseur de François Schuiten auteur de l'affiche de cette édition de Lire en fête, qui est actuellement parti pour un périple lointain au cours duquel il prendra cependant le temps de fêter le livre et la lecture, et que je remercie pour cette image qui est, en effet, une magnifique invitation au voyage.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 04 octobre 1999)