Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT à RTL le 2 mai 2002, sur les consignes de vote pour le deuxième tour des présidentielles de mai 2002 et la mobilisation de la société civile lors des manifestations du 1er mai.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief Vous êtes, jusqu'à fin mai encore, la secrétaire général de la CFDT. Vous quittez bientôt ce poste et vous étiez évidemment parmi ceux qui appelaient à la manifestation d'hier. 1,3 millions personnes dans toute la France, comment l'avez-vous vécu ? Est-ce la société civile qui se mobilise, comme le disait A. Duhamel ?
- "C'est la société civile qui se mobilise. Ce sont des gens venus de partout, de sensibilités politiques à l'évidence très différentes."
Pas seulement la gauche, c'est cela ?
- "Evidemment non. Quand j'entends que c'était une manifestation de gauche dans la rue, les gens qui disent cela n'ont rien compris au film du 21 avril. Les gens n'ont pas envie d'être récupérés de cette manière-là, et moi-même, nous étions dans ceux, avec d'autres syndicats, qui appelions à cette manifestation. Je n'ai pas envie de les revendiquer tous. Ils sont venus affirmer du plus profond d'eux-mêmes les valeurs auxquelles ils sont attachés, la France dans laquelle ils veulent vivre demain. Donc, c'était une manifestation tout à fait positive, dynamique. Maintenant, l'efficacité de cette manifestation, la mobilisation de la rue, elle doit se transformer par une mobilisation dans les urnes, et c'est là qu'on mesurera la vraie efficacité d'hier."
Pas d'autosatisfaction donc, et ce n'est pas une sorte de troisième tour dans la rue avant le deuxième tour ?
- "Ce qui compte, c'est le résultat de dimanche soir. Il faut donc maintenant s'attacher encore et toujours à aller voter, à refuser l'abstention, à ne pas tomber dans le piège du vote blanc, car on le sait bien, c'est grossir artificiellement le score de l'extrême droite en France, et c'est assurer une hypothèque énorme sur notre vie politique, sur notre vie démocratique demain. Il faut donc à toute fin se garder de cela et aller voter pour évidemment le seul candidat qui reste aujourd'hui défenseur du camp des démocrates, c'est J. Chirac. Il faut donc mettre le bulletin de J. Chirac dans l'urne."
Voilà une position très claire, ce qui n'est pas le cas de M. Blondel de F.O. Cela vous déçoit ?
- "Chacun prend les positions qu'il croit devoir prendre."
"No comment" donc de la part de N. Notat. Revenons quand même sur les causes de ce vote Le Pen. Les composantes de ce vote interpellent, j'imagine, les syndicalistes comme vous : un pourcentage important d'ouvriers, de chômeurs. Est-ce que cela veut dire que les syndicats - et que la gauche en général - ont failli pour entendre le mécontentement des classes populaires ?
- "Deux réactions à votre question. D'abord, il y a, oui, des ouvriers, des employés, il y a des cadres, il y a des techniciens, il y a d'autres de différentes couches socioprofessionnelles qui ont voté pour l'extrême droite. Ces gens-là, il faut d'abord se garder d'explications à mon avis trop simples et trop rapides sur ce qui fonde le sens de leur vote. Mais, c'est évident, il y a chez beaucoup de ces gens-là, des frustrations, des mécontentements, de l'insatisfaction par rapport à la classe politique en général. Simplement, ce qu'il faut toujours et encore leur expliquer, c'est que confier leur mécontentement, confier ses frustrations à l'extrême droite est une impasse, c'est un contresens au regard de leurs propres intérêts. Il faut à cet égard faire encore un travail d'explication. Alors, vous me dites : "Faillite ou pas faillite syndicale" ? Ecoutez, ce n'est pas d'aujourd'hui en France que l'on sait que le taux de syndicalisation est faible. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on sait que ce pays fonctionne avec une prééminence de l'acte et de l'action politiques sur tous les autres actes et actions de la société civile. Voilà aujourd'hui la démonstration et, d'ailleurs, on remarque quoi ? Que lorsque nous sommes présents dans les entreprises ou dans les cités, lorsque nous avons un réseau, nous organisons ce lien social, ce lien de solidarité, il y a moins de voix au FN."
Il y a un papier d'E. Maire dans le Nouvel Observateur cette semaine, qui dit : "Finalement, la gauche a donné trop d'importance aux structures politiques, ne regarde pas et a méprisé un peu la société civile qui s'exprime par les syndicats". Vous êtes d'accord ?
- "J'ai passé mon temps à expliquer que c'était une erreur que de ne fonctionner que sur l'appareil politique, que sur l'Assemblée nationale et qu'il fallait pour des politiques, aujourd'hui, être en permanence en relation avec les corps intermédiaires. C'est une réalité. Cela a été un paroxysme avec le Gouvernement précédent. Mais c'est une culture française que de fonctionner comme cela, de ne compter que sur l'Etat et de ne pas concevoir qu'entre l'Etat et le citoyen, entre l'Etat et le marché, il faut des corps intermédiaires. Il faut des gens qui rassemblent, il faut des gens qui permettent aux individus, aux salariés, aux citoyens de trouver des lieux d'expression, de trouver des lieux où on peut se forger ses propres opinions, et ne pas se tromper dans ceux à qui l'on fait confiance pour défendre ses intérêts."
Quand on voit le résultat qui s'approche pour J. Chirac - il n'y a pas de chiffres, pas de sondages, et ce n'est pas très important - mais si c'est assez massif, est-ce qu'à votre avis, il faut que le prochain gouvernement, que les prochaines structures, la représentation nationale incluent ce vote, c'est-à-dire prennent en compte ce vote qui ne sera pas un vote de la droite classique, de l'opposition d'hier ? Est-ce qu'il faut un gouvernement d'ouverture, comme on disait à une époque ?
- "Si les gens qui nous gouvernent ne changent rien à leurs projets et à leurs pratiques politiques après ce qui s'est passé le 21 avril, là, il y a danger et ils n'auront rien compris. Je crois que nous allons attendre du président de la République de demain, d'un gouvernement demain, qu'ils nous disent ce qu'ils ont compris et ce qu'ils ont entendu. Nous avons besoin de savoir ce qu'ils vont tirer, au niveau des responsabilités qui vont être les leurs, de ce qui s'est passé ce 21 avril. On a besoin de connaître, en fait, le projet qui va les guider dans les actes qu'ils vont poser, plus qu'un ensemble de mesures ou de mesurettes symboliques qui vont s'additionner les unes aux autres, on a besoin qu'elles fassent sens. On a besoin de comprendre au service de quelles valeurs, au service de quel projet, au service de grands principes ce Gouvernement a envie de travailler et comment il va le faire avec les forces sociales évidemment. Pas du laisser-faire, plus de dirigisme, une bonne articulation entre l'impulsion, l'action de l'Etat et les forces intermédiaires."
Vous avez déjà démenti toute entrée dans la politique. On a donné votre nom comme ministre, comme Premier ministre... Vous avez déjà dit "non". Donc, on ne va pas vous le faire répéter. En revanche, le quotidien Le Monde révèle aujourd'hui que vous avez comme projet personnel, après votre départ de la CFDT, de créer une entreprise d'évaluation des entreprises au service des investisseurs, sur des critères très spécifiques. Vous allez m'expliquer : critères de rentabilité économique mais aussi de performance sociale et environnementale, concrètement, cela veut dire quoi ?
- "J'ai une conviction, cela n'étonnera personne, c'est que la performance d'une entreprise, sa compétitivité même n'est pas que financière et boursière. De plus en plus, la performance est globale. Elle doit donc intégrer la responsabilité sociale, la stratégie sociale, la manière dont les entreprises se comportent avec leur environnement."
Bien accepter ses salariés, ne pas polluer, et en même temps être rentable ?
- "Bien évidemment. C'est un ensemble qui fait la performance, qui fait le développement durable de l'entreprise. Et donc, aujourd'hui, il y a des agences qui renseignent les investisseurs sur les aspects financiers, sur les aspects de bonne gestion. Nous pensons qu'il faut faire arriver au même niveau d'importance, à la même échelle d'intervention, des agences qui renseignent aussi les investisseurs sur la manière dont les entreprises s'acquittent de leurs responsabilités, de leurs pratiques sociales, environnementales et de leurs relations à la société civile."
Cela peut aider à faire mieux comprendre la mondialisation, à mieux la faire
accepter ?
- "Vous comprenez bien que si les entreprises, aujourd'hui, ne sont pas encore convaincues de cela, elles en seront de plus en plus contraintes. Une entreprise qui déciderait véritablement - les multinationales - de fonctionner comme cela, à ce moment-là, elles deviennent de vrais vecteurs de développement économique, social, environnemental, disons de développement durable dans le monde, sur la planète, et, à ce moment, nous avançons, modestement, avec une forme particulière, vers la régulation de la mondialisation aussi."
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 mai 2002)