Texte intégral
Mesdames, Messieurs, c'est la troisième fois que nous nous rencontrons et la deuxième fois cette année. Il m'est particulièrement agréable d'ouvrir la réunion de ce matin, dans la mesure où elle me permet de vous présenter des travaux qui ont représenté un investissement personnel extrêmement lourd de la part d'un certain nombre d'entre vous, membres des CPC, et des collaborateurs qui m'entourent : M. de GAUDEMAR et la Direction de l'Enseignement Scolaire, dont je veux saluer l'extraordinaire implication dans ce travail.
Nous sommes parvenus, dans des rythmes assez inhabituels, mais il le fallait, à boucler un dossier dont je me souviens que je l'avais annoncé devant votre assemblée il y a quelque temps. Chacun d'entre vous devine, compte tenu de l'ensemble des sujets mis en chantier, ce que cela a pu signifier de travail pour ceux qui avaient à en connaître. Certainement, l'arrivée à terme de mon contrat à durée déterminée me stimulait pour pousser tout un chacun à accélérer les cadences quand il le fallait, car je voudrais que tout ce qui a été annoncé soit bouclé dans le temps qui m'est donné d'exercer cette responsabilité.
Trois sujets viennent donc devant vous :
- la rénovation du CAP ;
- le lycée des métiers ;
- le diplôme européen.
Deux de ces questions concernent nos diplômes. C'est par ce point que je voudrais commencer.
Vous connaissez la doctrine constante dont je me réclame : je considère que les diplômes en matière d'enseignement professionnel, diplômes dont vous êtes les producteurs, les gardiens, les garants, occupent une place centrale, non seulement dans notre système éducatif, mais en tant que garantie sociale offerte aux jeunes autant qu'aux employeurs. A ceux qui obtiennent ces diplômes sont offertes la liberté d'embauche et la reconnaissance sociale des savoirs acquis. Aux employeurs, ils garantissent la qualité des savoir-faire qu'ils emploient et ils permettent de situer un niveau d'exigence vis-à-vis du travail à accomplir. C'est donc une double garantie sociale que portent nos diplômes, d'où l'importance du soin mis à leur confection (c'est le rôle des CPC), à leur actualisation, afin qu'ils soient, suivant la formule consacrée, reconnus partout et par tous.
C'est dans cet état d'esprit qu'en particulier j'ai été conduit, avec mes collaborateurs, à reconsidérer les exigences initiales que nous formulions concernant les licences professionnelles, en sorte, par exemple, que nous ayons bien la garantie qu'il s'agissait, dans chacun des cas, d'un diplôme à valeur nationale désignant un savoir-faire exploitable dans tous les pays. C'est ce qui m'avait en particulier conduit, avec mes collaborateurs de la Direction de l'Enseignement Supérieur, à éliminer d'entrée de jeu, sur les 500 propositions qui nous étaient présentées, 300 d'entre elles parce qu'elles ne correspondaient pas à ces critères.
Je pense, dans cette circonstance, avoir fait ce qui devait être fait pour rester dans l'approche, que je viens de décrire, de ce qu'est un diplôme.
Au demeurant, je crois à la force, à la valeur, à l'exemplarité du système français en la matière. C'est la raison pour laquelle je veux attirer votre attention sur le caractère tout à fait important -j'allais dire remarquable, mais je ne voudrais pas que vous croyiez que je pratique l'autocongratulation, encore qu'en la circonstance ce n'est pas l'envie qui m'en manque ni les motifs- du projet, dorénavant projet pilote pour la Commission Européenne, dit " de professionnalisation durable ".
Au moment où se nouaient les discussions concernant les équivalences dans l'enseignement général, en particulier l'enseignement général supérieur, entre les diplômes des différents Etats membres de l'Union, j'ai proposé, au nom de la France, du temps de la Présidence française de l'Union, ce projet dit " de professionnalisation durable ", qui partait de l'idée qu'en matière d'enseignement professionnel il est extrêmement difficile d'établir un système d'équivalences, dans la mesure où la définition des savoirs et des savoir-faire qui correspondent à un diplôme professionnel est beaucoup plus précise, beaucoup plus concentrée qu'elle ne l'est dans un diplôme d'enseignement général.
Plutôt que d'adopter la posture du bunker assiégé, nous avons voulu proposer de mettre en partage les méthodes des Français au niveau européen.
Il s'agissait -il s'agit- de parvenir, avec une méthode décalquée sur celle de nos CPC, à la rédaction d'un référentiel unique, et donc reconnu partout et par tous dans l'ensemble de l'Europe, avec une méthode progressive : progressive parce que ce groupe de travail s'est constitué sur la base du volontariat des Etats ; progressive parce que nous n'avons pas prétendu épuiser, dans un seul programme, la totalité des diplômes professionnels, mais que nous avons concentré nos efforts sur deux d'entre eux dans deux domaines d'activité : en Mécanique automobile et en Hôtellerie, le premier au niveau d'un bac pro, le second au niveau d'un BTS.
C'est avec beaucoup de plaisir que nous avons vu le groupe passer d'abord d'une petite cohorte de 4 pays : Anglais, Allemands, Français, Espagnols, à 5 : les Grecs s'adjoignant à nous, et ceci avait une grande importance, dans la mesure où la Grèce est l'un des pays qui veille le plus jalousement sur l'identité de ses diplômes et est le moins favorable à l'établissement d'équivalences.
A cette petite cohorte se sont très rapidement joints 2 pays candidats à l'entrée dans l'Union : la Hongrie et la Tchéquie, et, depuis le dernier Conseil des Ministres de l'Education, où je représentais notre pays et où, une nouvelle fois, j'ai été conduit à expliquer les objectifs de cette initiative, ont demandé à nous rejoindre les Pays-Bas, la Belgique et l'Italie.
Parallèlement, dans le cadre du travail de la Conférence des Ministres de l'Education Nationale Union Européenne/Amérique Latine (présidée, côté Union Européenne, par la France et co-présidée par l'Espagne, et, côté Amérique Latine, par le Brésil et le Mexique), le Brésil décidait de figurer comme observateur de nos travaux. Le Ministre, que j'ai reçu ici à plusieurs reprises, et les Secrétaires d'Etat, puisque la République Brésilienne est une République Fédérative, ont été également accueillis dans cette Maison, le Ministre et les Secrétaires d'Etat se disant intéressés, non seulement à suivre et à comprendre la méthode, mais, le moment venu, les deux premiers diplômes étant établis, pourquoi pas, à les reconnaître eux-mêmes.
Si bien que, d'une initiative d'abord européenne et qui pouvait sembler bien fragile, nous pourrions faire chemin vers un modèle de certification universelle.
Dans les deux industries, les deux branches concernées, on voit l'intérêt immédiat de cette large certification, puisqu'il s'agit d'industries répandues dans le monde, avec des procédés de travail assez standardisés, et je pense que c'est la meilleure des bases possibles que de commencer par démontrer que c'est possible sur deux diplômes.
J'allais oublier, à côté des Latino-américains, que, dans l'accord de coopération éducative, qui est en cours d'achèvement avec la République Populaire de Chine -peut-être savez-vous que nous n'avions plus d'accord global de coopération depuis 1995 ; nous avons donc repris ce travail à zéro- entre autres choses, puisqu'il accorde il est vrai une place importante à l'enseignement professionnel, les Chinois se prononcent pour participer eux aussi, à titre d'observateurs, à ce projet pilote.
Je veux donc, dans ce moment, d'abord, saluer le remarquable travail de M. ASSERAF en la matière, car il n'échappe à aucun d'entre vous que c'est une chose d'avoir un projet, c'est une chose de parvenir à en convaincre 2, 3, 4, 5, 6, 7 de ses collègues dans un Conseil des Ministres, ce qui n'est déjà pas rien, mais que c'en est une autre de faire que l'on sorte des principes, des déclarations d'intentions pour entrer dans le concret, dans le montage de cet énorme édifice qui regroupe, suivant la méthode des CPC, les experts pédagogiques et les branches professionnelles au niveau européen, ce qui est le cas pour les deux diplômes, et d'arriver, séance après séance, à avancer dans la concrétisation du projet.
M. ASSERAF a déployé là tous les talents qu'on lui connaît, acquis de longue main dans d'autres missions que l'Etat lui a confiées, à un rythme sans précédent, me dit-on à la Commission, puisque c'est une réunion tous les 15 jours des experts des 8 pays concernés. On m'a dit : " Mais cela va coûter affreusement cher à la Commission ! ". J'y compte bien ! Plus cela lui coûtera cher, plus elle aura envie que cela aboutisse positivement.
Cela, en passant d'étape en étape par-dessus toutes les difficultés qui se sont présentées, la moindre n'étant pas que, dès la deuxième réunion, les experts allemands ont rappelé que, le système éducatif de l'Allemagne n'étant pas centralisé comme celui des Français, qui est de ce point de vue plus efficace, il y aurait grande difficulté à ce que le Ministère Fédéral aille jusqu'au bout. A la deuxième séance, nous étions menacés de voir tout l'édifice s'écrouler.
Fort heureusement, nos amis allemands comprennent bien l'enjeu de cette question. Eux-mêmes ont un besoin de rénovation de leur système d'enseignement professionnel. Le temps est passé où seul le système allemand paraissait comme le nec plus ultra de ce qu'il était possible de faire en matière d'enseignement professionnel.
J'observe que, depuis plusieurs années, le système français suscite beaucoup d'intérêt, beaucoup de missions d'expertise et, évidemment, j'imagine que, si nous conduisons notre affaire jusqu'au bout -et, maintenant, on ne voit plus très bien pourquoi elle n'irait plus jusqu'au bout- cette méthode, qui est celle que vous avez portée dans les CPC pendant des années et des années, qui naturellement dépasse de loin le temps de la mission qui m'est confiée, qui a commencé avant et se continuera après, cette méthode, pour finir, pourrait bien devenir la méthode européenne.
Ce premier succès appellera immédiatement d'autres initiatives à prendre. Qui garantit la certification dans chacun des pays ? Qui garantit la remise à niveau du contenu des diplômes ? Qui décide des diplômes qu'il faudra mettre en chantier dans l'avenir ?
C'est donc assez naturellement, et en raison même du premier succès remporté, que l'on verra naître la nécessité d'un organisme de régulation en la matière, un organisme européen, et, alors, il faudra savoir marcher sur le chemin tranquillement, de diplôme en diplôme et, je veux le croire, quelque chose de bien français -n'allez pas croire que je fais du chauvinisme...- en tout cas quelque chose de très efficace aura été mis en partage à l'échelle de l'Europe. Il n'est pas interdit non plus, de temps à autre, de se réjouir du fait que les Français ont une contribution positive en matière d'enseignement professionnel. Après tout, ce n'est pas toujours l'idée que s'en sont fait les uns ou les autres.
Vous voyez qu'une nouvelle fois, il s'agit de se donner des garanties, d'offrir des garanties sociales en matière de certification des savoirs.
C'est le même état d'esprit, celui qui a été mis en oeuvre à propos de la licence professionnelle, celui qui naît dans le cas du diplôme européen, du projet pilote dit " de professionnalisation durable " -en français s'il vous plaît dans le texte !- et qui devrait aboutir le 21 février par une déclaration commune des ministres et ensuite, dans un délai extrêmement rapproché, par la présentation des premiers diplômes (la Présidence espagnole étant depuis le début extrêmement attachée à ce projet et nous aidant beaucoup pour faire qu'il soit mené au rythme le plus enlevé possible) ; c'est toujours autour de cette valeur : la certification des diplômes, que tournent notre attention et notre vigilance.
Voilà pourquoi le CAP a été remis en chantier.
Je pense pouvoir dire ici qu'il y a eu un temps où le CAP n'avait plus bonne presse dans l'Education Nationale ; vous le savez mieux que moi. Notre initiative, en vérité, se présentait donc à la fois comme un plan de travail, mais aussi comme un véritable acte de réhabilitation.
Naturellement, bonne presse ou pas, les CPC n'ont jamais manqué à leur devoir et, d'année en année, les CPC ont continué à proposer des actualisations. J'ai été heureux de savoir que la totalité des CAP du bâtiment ont été réactualisés au cours des 2 dernières années, si j'ai bien compris ce que l'on m'en a expliqué. Donc, le travail a été continué et vous avez bien fait.
Ce diplôme n'est pas mort. Il a continué sa vie, reconnaissons-le pas toujours dans les conditions les plus faciles. Il n'empêche que cela reste le premier diplôme présent dans le pays, et c'est notre intérêt bien compris, l'intérêt économique du pays autant que l'intérêt des personnes, que, de manière solennelle, on marque quel est le premier niveau de qualification professionnelle reconnu partout et par tous dans ce pays.
C'est le CAP.
J'estime que cela n'enlève rien au reste. Cela n'enlève rien au bac pro. De toute façon, vous savez bien que, dans ce type de situation, la validation vient par l'embauche ; c'est ce que l'on constate dans l'arène économique. Je le mentionne seulement parce que, à un moment donné, quelqu'un m'en a fait l'observation en me disant : " Si vous remettez en place le CAP, que va-t-il advenir du bac pro ? ". J'avoue que la question m'a surpris. Je ne voyais pas en quoi cela s'opposait ni en quoi c'était contradictoire, mais, dans la mesure où ce serait un souci ou une angoisse, que mon propos serve à désamorcer l'un et l'autre.
Il me semble qu'il faut fixer une norme et qu'il faut le faire avec sérieux.
Il y avait donc un travail considérable à faire, non seulement pour l'organisation de la structure de l'enseignement du CAP, mais sur les programmes, et en particulier les programmes dits " de matières générales ", englobant l'éducation physique et sportive, les mathématiques, la physique, l'histoire, le français, l'éducation civique, juridique et sociale, où rien n'avait été prévu auparavant, les arts appliqués et les langues vivantes, importantes parce que c'est là qu'il a fallu rendre des arbitrages, qui sont toujours douloureux pour les gestionnaires des deniers publics que sont les ministres, parce que tout est important, mais il faut faire des choix à certains moments ; et je dois dire que, là, j'ai bénéficié d'un appui du Ministre Jacques LANG extrêmement précieux, comme vous allez le voir dans un instant.
Qu'avons-nous fait, à part la rénovation de ces contenus ? Je préfère ne pas mentionner depuis quand personne n'y avait touché, par respect pour tous ceux qui sont titulaires de ces diplômes, mais je préférerais qu'on ne l'oublie pas, entre nous en tout cas.
Plusieurs choses ont été faites.
D'abord, l'idée est de découper le CAP, au moment où on se prépare à le passer, en modules. La modularisation nous permet d'atteindre plusieurs objectifs.
Le premier : faciliter l'identification des savoirs acquis dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience.
Ce n'est pas une petite chose, puisque vous vous souvenez que la validation des acquis de l'expérience n'a pas seulement pour objectif de reconnaître, avec tout ce qui va avec, ce qui a été appris à l'école de la vie : elle a aussi pour objectif d'être un des outils qui ensuite incite à l'entrée dans la formation continue en faisant l'économie des cursus précédents.
Il me semble que, dorénavant, nous devons, pour tous les diplômes, faire cet effort supplémentaire qui permette de réaliser plus facilement le travail, à partir d'un récit de vie professionnelle, d'identification des savoir-faire auxquels ce récit renvoie.
Deuxième élément : dès lors qu'il y a des parties communes, cela facilite l'acquisition de plusieurs CAP pour un même travailleur.
Troisième élément : j'ai pu observer que, dans l'apprentissage concret, le système des modules permettait une forme d'organisation de l'enseignement dans un établissement qui consiste à regrouper, suivant le module, par niveau différent, les élèves auxquels le CAP est enseigné.
Je l'ai vu mis en oeuvre au lycée de l'Estaque à Marseille il y a maintenant plus d'un an et demi, méthode qui avait conduit d'ailleurs l'équipe pédagogique à dissoudre la notion de classes au profit de ces modules et qui donnait des résultats tout à fait extraordinaires, non seulement dans la capacité d'acquisition des jeunes, mais aussi -pourquoi le cacher ici ?- en matière de tranquillité de l'établissement et d'épanouissement des jeunes, puisqu'ils se trouvaient toujours placés en situation de réussite.
Un autre objectif me semble pouvoir être atteint de cette manière : nous avons introduit des dimensions pédagogiques nouvelles comme le PPCP, l'ECJS et, dans certains cas -et ce n'était possible qu'en travaillant de cette manière- nous avons pu mettre au point -sachant très bien qu'il va en coûter- des seuils de dédoublement qui me semblent mieux adaptés à la situation particulière des apprenants, comme l'on dit, parce qu'il faut penser aussi à la formation continue en l'espèce, extrêmement intéressante.
C'est ainsi que, pour ce qui concerne les langues vivantes, le seuil du dédoublement aura lieu au 16ème élève et, en enseignement artistique, au 19ème.
Ce n'est pas une décision facile à prendre. Je me permets de demander qu'on nous laisse le temps de la digérer avant d'en proposer l'extension et la généralisation dans des conditions qui ne seraient pas tenables et qui conduiraient à remettre en cause tout le système.
J'invite donc, quelle que soit notre satisfaction, à prendre ce qui est décidé avec modestie et le moins de bruit possible. Ce n'est pas banal... D'habitude, les ministres sont plutôt partisans du fait que l'on batte le tam-tam. Eh bien, pas moi ! Pas vu, pas pris, cela me va. Parce que, là, c'est véritablement un gros effort financier qui est fait et, soyons clairs, c'est forcément par arbitrage. On a vu souvent les arbitrages rendus dans un autre sens ; cette fois-ci, ils le sont dans le sens de l'enseignement professionnel, des valeurs auxquelles vous êtes attachés. Si je peux me permettre une recommandation : prenons-le comme du bon pain et sans en faire davantage. Pas vu, pas pris.
On me dit que l'on devrait arriver, avant la fin du mois de mars, à pouvoir signer tout cela.
J'ai oublié de dire tout à l'heure que, sur le projet pilote de professionnalisation durable -parce qu'il faut chaque fois que mes chapitres soient conclus par votre propre implication- les CPC sont impliquées dans la production de ces diplômes et elles le sont d'autant plus que, mes Amis, il faut mettre les bouchées doubles ! Ce n'est pas non plus une affaire personnelle, mais, quand on a une bonne fenêtre de tir, il faut faire très vite pour faire aboutir. Je ne peux pas vous dire ce qui se passera dans 3 mois, dans 4 mois. Est-ce que les mêmes responsables politiques ici et là auront les mêmes objectifs ? Est-ce qu'ils auront les mêmes priorités ? Quand je dis cela, je le dis pour toute l'Europe et je n'y introduis aucune espèce d'appréciation qualitative ou politicienne. C'est tout simplement ce que nous connaissons du mouvement de la vie.
Donc, il faut impérativement que tout cela soit ficelé, bouclé sous la présidence espagnole.
En plus, vous avez bien compris, j'imagine, du point de vue de l'Europe politique, l'intérêt qu'il y a à ce qu'une initiative portée, proposée par le Gouvernement français, de la couleur que vous savez, soit portée et conclue par le Gouvernement espagnol, de la couleur que vous savez. Ce qui fait que ce projet va être totalement découplé de toute autre considération que celle de l'intérêt du projet lui-même.
C'est une conjonction que l'on ne retrouvera pas forcément tout de suite. Donc, il faut faire vite et aboutir. C'est la raison pour laquelle les CPC concernées sont impliquées depuis le début et qu'elles seront saisies immédiatement. Dès que c'est " plié " à l'Europe, on revient avec le document -les membres des CPC ne seront pas surpris, ils ne le découvriront pas comme quelque chose de nouveau- et on " plie " séance tenante, parce qu'il faut que la France soit parmi les premiers pays à reconnaître ces diplômes.
Après, comme vous le savez, pour que le système fonctionne, il faut que ce soit à la libre appréciation de chaque Etat. Si les Français reconnaissent aussitôt, de quoi auront l'air les autres ? Les Espagnols vont le faire tout aussitôt, les Grecs aussi et la machine va se mettre en mouvement. Je fais le pari que ceux qui sont les plus réservés aujourd'hui vont finir par se dire qu'ils ne peuvent pas rester à côté de cela. Quelle sera la valeur pour le même segment d'activité professionnelle d'un BTS ou équivalent purement national quand existera un BTS à valeur européenne ? C'est un peu comme l'Euro : certains ont des regrets aujourd'hui.
Donc, là, à nouveau, les CPC vont être fortement sollicitées.
Dernier élément : le lycée des métiers. J'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer devant vous au moins une fois par présence.
Le lycée des métiers, comme vous le savez, est un objet qui regroupe, dans une même maquette, la généralisation des bonnes pratiques constatées en la matière un peu partout dans le pays. En ce sens, il n'est pas original, mais je ne me sentais pas astreint à un devoir d'originalité. On y trouve la voie technologique, la voie professionnelle, chacune dans sa spécificité et ses modes particuliers d'enseignement. On y trouve le Centre de validation des acquis de l'expérience, le Centre d'apprentissage public, le Centre de formation continue, et des diplômes post-bac, BTS et licence professionnelle. Tout ce que je viens de dire fonctionne déjà : ici à 100 %, là à 90 %, là-bas à 80 %, et partout produit des effets positifs.
Le lycée des métiers permet une identification par famille de métiers, une plus grande lisibilité de la voie des métiers, permet en son sein la plus grande synergie possible des équipes pédagogiques, la plus grande capacité possible de suivi des élèves et d'élaboration avec eux d'un parcours scolaire personnalisé et différencié, ouvrant continuellement différents modes pédagogiques.
J'ai l'impression de m'être déjà tellement exprimé sur le sujet que je ne veux pas vous lasser en me répétant. Mais le projet sera de nouveau présenté tout à l'heure dans le détail.
Je n'ai pas vu que ce projet ait soulevé beaucoup d'objections ; des inquiétudes sans doute, des angoisses fondées : il y a des vrais problèmes, assez contradictoires.
D'un côté, j'ai lu -pour vous citer les cas les plus extrêmes- que l'on m'accusait d'assassiner l'enseignement professionnel. Venant de l'intérieur de la Maison, j'y ai vu la marque d'un effet de lyrisme finalement assez traditionnel puisque j'ai remarqué depuis 2 ans que j'étais régulièrement accusé d'assassiner l'enseignement professionnel, ce qui fait que l'on peut plutôt m'accuser d'acharnement à piétiner le cadavre, car il y a déjà un moment qu'il devrait être mort, compte tenu des méthodes que, paraît-il, je lui applique !
En face de cette inquiétude -je la prends sur un mode plaisant, mais croyez que j'ai toujours considéré avec beaucoup de sérieux les critiques présentées- et sur un mode parallèle, j'ai observé des réactions des Chambres de métiers qui m'ont paru, elles aussi, témoigner de l'inquiétude, mais, cette fois-ci, exactement inverse, puisque l'on m'a reproché de vouloir anéantir les CFA.
Je ne me prépare à faire ni l'un ni l'autre. Telle n'est pas la situation du pays où nous pourrions-nous offrir, sous la houlette d'un ministre, une espèce de guerre de terrain, comme cela. On n'en est pas là.
Les Amis, c'est tout autre chose que l'on a devant nous : c'est un effort considérable pour organiser à flux tendus un retour de la masse de la population au travail. Vous connaissez comme moi les chiffres : 5 millions de personnes vont partir à la retraite dans les 10 prochaines années, qui n'ont pas le bon goût de partir toutes à mesure que nous sommes en capacité de les remplacer, la moitié des cadres de l'industrie dans les 5 prochaines années. 2,5 à 3 millions de postes de travail seront créés mécaniquement par la croissance, même molle. Cela représente 7 à 8 millions de postes de travail à pourvoir. Encore ne dis-je rien de ce que la décision politique peut elle-même créer comme emplois et, pour ne pas aller chercher des sujets qui pourraient susciter ici des polémiques comme les 35 heures, on pourrait simplement évoquer l'APA, qui à elle toute seule exige de nous 100 000 personnes qualifiées que nous n'avons pas.
Le cadre dans lequel nous travaillons, c'est la mobilisation pour parvenir à pourvoir, dans des conditions de niveaux de qualification optimum, ces 8 millions de postes de travail qu'il va falloir pourvoir dans les 10 ans qui viennent.
Je ne suis pas dans une logique de guerre picrocholine entre systèmes : je suis dans une phase où j'essaie d'examiner tout ce qui peut renforcer les synergies, faciliter les parcours, optimiser les sorties qualifiantes de tous les systèmes possibles pour faire en sorte que ce pays puisse tenir son rang, car, naturellement, l'exercice des métiers modernes requiert sans cesse des prérequis toujours plus élevés. Il y a peu de chance -serait-ce d'ailleurs vraiment une chance ?- que, dans les 10 prochaines années, tout d'un coup, le niveau se mette à baisser et que les entreprises, les entrepreneurs soient appelés à produire un travail de moins grande qualité.
Je le dis pour balayer tout ce qui pourrait se rapporter à je ne sais quelle bataille. Ce n'est pas de cela dont il s'agit.
Ce dont on a à discuter, c'est de la qualité de l'outil que l'on met en place, des performances que l'on peut en attendre et, s'agissant de l'Education Nationale, c'est son devoir, parce qu'elle ne s'appartient pas, parce qu'elle appartient au pays, qui commande et qui doit être servi et obéi, que les millions mis dans ces établissements donnent des résultats. Il y a beaucoup de travail à faire. C'est là-dessus que l'on doit se concentrer.
Le lycée des métiers peut préfigurer ce que peut être une manière tranquille, non dogmatique, d'unifier les outils de la voie des métiers, en tout cas tous les outils publics.
Au demeurant, s'agissant des CFA, vous savez comme moi qu'en toute hypothèse, dans nos établissements où qu'ils soient, tout aussi publics d'ailleurs, gérés par les chambres consulaires, de toute façon, les coopérations sont possibles, et elles existent déjà. Je veux bien qu'ici ou là on fasse de la théorie abstraite : dans la réalité, c'est ainsi que cela se passe. D'ailleurs, il y a parfois des situations cocasses, où l'Education Nationale est opérateur des CFA. J'ai trouvé cela cocasse en le découvrant : on m'a dit que non, que c'était tout à fait habituel et tout à fait acceptable. Parfait ! Si tout le monde est content, cela me convient.
Evidemment, ces lycées des métiers proposent aussi deux autres objectifs :
- Le premier : permettre aux régions de faire des cartes de formation plus concrètement inscrites dans les paysages économiques locaux.
- Deuxièmement, parce que le lycée des métiers est un label de qualité, est un horizon d'excellence, il trace un objectif pour tous les lycées professionnels et techniques de France.
Naturellement, cela réorganise la discussion sur les moyens ; en tout cas, cela la rend concrète. Si tout le monde doit atteindre le niveau du lycée des métiers, c'est le crayon à la main, que cela se fait, établissement par établissement. Pour arriver à la maquette, il faut ceci, ceci, cela en plus, et cela prendra tant et tant de temps.
Vous savez comme moi que l'on ne fera pas tout d'un coup parce que cela coûte beaucoup d'argent, mais on a un horizon. Donc, je pense que plus personne ne pourra dire : " On nous a oubliés, on ne compte plus ". Au contraire, on va être dans un cadre de discussion concret, technique, appuyé sur des réalités, mesurable partout le monde et discutable entre gens rationnels, et non pas dans les phantasmes.
Voilà les trois sujets qui vont être présentés dans la journée. Je ne vais pas en dire plus ; sinon, cela va décidément être trop long. M. de GAUDEMAR présidera cette séance de travail. Je lui renouvelle mes remerciements et je lui demande de les transmettre à toute son équipe, parce que je sais ce que cela a représenté de plus par rapport à tout ce que l'on vous a déjà demandé dans cette affaire.
Mesdames et Messieurs, si vous le permettez, je ferai une autre petite remarque personnelle.
Pour beaucoup d'entre vous, l'Education n'est pas seulement un service public, pas seulement un métier : c'est souvent un idéal, quelque chose qui entre dans la philosophie de la vie.
J'ai l'honneur et le bonheur d'être entouré d'une équipe d'hommes et de femmes qui sont dans cet état d'esprit.
S'agissant tout particulièrement du CAP, qui est le diplôme de base de la classe ouvrière et des employés de notre pays, au moment où sa rénovation va s'accomplir, je voudrais vous dire que cela a été de l'émotion pour ceux qui ont piloté ce projet, comprenant bien qu'ils faisaient davantage qu'améliorer une structure pédagogique : ils apportaient quelque chose à l'identité ouvrière de notre pays.
C'est singulièrement vrai pour mon Directeur de Cabinet : M. VALADAS. Il est inhabituel que l'on mentionne les personnes, et surtout celle-ci a moins le goût qu'aucune autre d'être citée, mais, puisque le déroulement normal de sa carrière va le conduire à prendre des fonctions d'Inspecteur Général de l'Education nationale, ce qui est fort lamentablement et provisoirement incompatible avec sa fonction de Directeur de Cabinet, je voulais lui donner ce témoignage de mon amitié devant vous -je ne le regarde pas, mais je sais qu'il est très gêné- parce que, véritablement, cet homme a eu à coeur, sur ce sujet, d'une manière qui n'était pas technique, mais qui était pour ainsi dire quasi viscérale, de porter ce projet de rénovation du CAP jusqu'au bout et, quand nous aurons tous fini notre travail, les autres fois aussi mais celle-là plus particulièrement, nous pourrons avoir au coeur l'idée que nous avons bien servi le peuple français et, si vous le permettez, la classe ouvrière.
Merci.
(Applaudissements)
M. de GAUDEMAR. - Merci, Monsieur le Ministre.
Comme vous pouvez rester un moment avec nous, je propose d'ouvrir déjà un échange à partir de vos propos.
Mme GOSSELIN (Pte 20ème CPC). - Je m'adresse à vous en tant que Présidente de la 20ème CPC. Je le précise parce que j'aurai une autre casquette au cours de la réunion : je représenterai aussi la Confédération CFDT, qui vous prie d'excuser son absence.
Vous avez parlé tout à l'heure, à fort juste titre, de fenêtre de tir. C'est pourquoi je prends la parole en premier lieu, parce que je veux intervenir sur un sujet un peu en décalage par rapport à l'ordre du jour qui nous rassemble ici.
Vous avez tout à l'heure redéfini -et ce n'est pas la première fois que l'on vous entend- l'exemplarité du travail réalisé par les CPC.
Vous avez également souligné le travail de conviction qui a été fait à partir de cet exemple français et qui, peut-être, va séduire de plus en plus d'autres pays de l'Union Européenne, voire plus.
Il est bien dommage -et je parle aussi de fenêtre de tir par rapport à notre calendrier national- que ce qui est possible à l'étranger ne le soit pas dans notre propre pays.
Je vais revenir sur un point, comme je l'avais déjà fait au dernier CIC, mais, malheureusement, vous nous aviez déjà quittés à ce moment-là.
Dans la 20ème CPC, qui s'occupe notamment des diplômes du sanitaire et du social, nous avons un problème depuis plusieurs années qui n'arrive pas à être tranché, car les arbitrages franco-français au sein du même Ministère de l'Education ne sont toujours pas intervenus : je veux parler du blocage de la rénovation de certains BTS menant à des professions sanitaires.
Ces blocages ne sont toujours pas résolus. Une bonne fenêtre de tir et j'allais dire aussi peut-être un calendrier peuvent nous aider.
Il n'y a pas que les organisations syndicales : les fédérations patronales concernées, dont certaines sont présentes dans cette salle, ont le même problème. Je vais vous dire comment je le perçois, de ma petite place de militante CFDT, dans un petit secteur sanitaire et social.
Je pense que le fait que les BTS aient deux chefs : à la fois l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur, n'est pas de nature à simplifier les affaires.
Par ailleurs, certains des BTS ont leurs pendants dans les IUT.
Est-ce pour toutes ces raisons ?... Toujours est-il qu'encore cela pose des problèmes sur le terrain. Cela pose des problèmes dans les entreprises entre salariés qui ont, soit le diplôme du Ministère de la Santé, mais qui est quand même un diplôme de l'Etat, garanti par l'Etat, soit les BTS qui n'ont pas été rénovés depuis maintenant plus de 20 ans. Or, on ne peut pas dire qu'il n'y ait pas eu de progrès de la science dans ces domaines-là. Donc, cela pose des problèmes.
Et puis, l'actualité me permet malheureusement de saisir cette occasion. Notre Ministre de l'Education Nationale a signé un arrêté le 8 janvier, qui est paru au Journal Officiel de samedi dernier 9 février, qui conduit à une disparité de traitement entre les diplômes de l'Etat. En clair, les BTS de l'Education Nationale sont les laissés-pour-compte des dispositions qui ont été prises par l'Education Nationale. Cet arrêté du 8 janvier donne la liste des diplômes qui permettent l'accès en plein droit à certains diplômes nationaux en licence. C'est technique, je ne m'étends pas, mais toujours est-il que les diplômes de l'Education Nationale élaborés en CPC sont maltraités à cause de cela.
J'en termine avec ma fenêtre. Je reprendrai bien sûr, dans le cours du débat naturel de l'ordre du jour qui nous réunit, la parole ultérieurement.
M. PELISSIE (Vice-Pt 20ème CPC). - Monsieur le Ministre, simplement, puisque nous avons été cités indirectement en tant que collège employeur, j'indique que j'appuie les propos de Mme GOSSELIN.
M. FAKHFAKH (CGT-FO) - Monsieur le Ministre, vous avez déclaré en préambule que vous présidiez votre 3ème CIC. Je dois dire que nous nous félicitons de la présence d'un Ministre dans une telle instance parce que, au moins, cela présente l'avantage d'avoir des réponses immédiates aux questions que l'on peut se poser, fussent-elles succinctes.
Je voudrais revenir à un propos que vous avez cité en préambule. Vous avez dit : " Le système français suscite beaucoup d'intérêt ". J'ai lu quelque part dans un document que vous connaissez : " Une société démocratique doit pouvoir y voir clair sur les finalités et les performances de son école ".
M. le MINISTRE. - Vous avez de bonnes lectures, Monsieur !
M. FAKHFAKH. - Je suis un petit peu inquiet lorsque je lis, par exemple, les chiffres de la DPD concernant les effectifs depuis 3 ans dans l'enseignement professionnel. On arrive à une baisse catastrophique au niveau de la scolarisation. J'ai fait un petit calcul : on arrive à peu près, depuis 3 ans, à 36 498 élèves en moins.
Vous me répondrez qu'il y a eu la suppression des 4èmes technologiques, qu'il y a eu une baisse démographique, mais, à mon avis, ce n'est pas suffisant.
Ce qu'il y a, c'est que, par exemple, au mois de mars 2001, vous avez saisi les organisations syndicales concernant un projet de réforme des collèges. Ce projet avait besoin d'être discuté ; vous proposiez des discussions et, malheureusement, il a été coiffé par une autre réforme : celle de M. LANG, dont je considère -excusez-moi le terme- que ce sont des rustines dans une réforme qui existait déjà.
Qu'est-ce qui arrive ? Finalement, on maintient en scolarité des élèves dans les collèges jusqu'à la classe de 3ème, alors qu'ils sont demandeurs depuis longtemps d'entrer dans la voie professionnelle.
Il existait au niveau de l'orientation des élèves après la classe de 3ème des commissions d'orientation. Pour la première fois, au mois de juin dernier, on a remplacé ces commissions par un logiciel. On fait dire au logiciel ce que l'on veut, et on lui a fait dire la chose suivante : " Il faut scolariser les élèves dans la voie professionnelle les plus âgés, et non pas les plus méritants ".
Actuellement, que constate-t-on ? Au fond, les lycées professionnels, d'une façon générale, n'étaient pas touchés par les problèmes de violence. J'ai derrière moi 32 ans de vie professionnelle dans un lycée professionnel : il n'y avait pas le moindre signe de violence. Actuellement, on y amène des élèves dont on a l'impression qu'on les oblige quand ils arrivent à l'âge de 16 ans... Finalement, un élève qui a 17 ans, pour entrer dans un lycée professionnel, est plus méritant qu'un élève motivé par une voie professionnelle et un élève qui obtient de meilleures notes par rapport à celui qui a été choisi par le logiciel. Je dis bien choisi par le logiciel.
On constate aussi -une étude a été faite dernièrement- qu'à peu près 3 élèves sur 4, quand ils sortent de l'enseignement professionnel, ont beaucoup de difficultés à trouver un premier emploi.
M. le MINISTRE. - Laissez cela aux adversaires de notre enseignement.
M. FAKHFAKH. - Mais si, Monsieur le Ministre, je vous assure que les élèves qui sortent d'un lycée professionnel avec un BEP, bien sûr pas dans toutes les formations, mais dans certaines formations, ont beaucoup de difficultés à trouver un emploi.
Il faut dire aussi un élève qui sort avec un BEP, on lui demande l'impossible. Mais qu'est-ce que c'est ?... En fait, il est capable de s'adapter à l'emploi qu'on lui donne. Or, les employeurs demandent tout de suite des compétences, des compétences, des compétences. Mais qu'on laisse la personne se former ! Après tout, dans l'Education Nationale, quand quelqu'un est reçu au concours, on lui laisse le temps de se former dans l'entreprise, autrement dit à l'IUFM.
Voilà les inquiétudes que je voulais exprimer.
Je souhaite quand même que, par exemple au niveau des organisations, l'UPA ou le MEDEF, peu importe, l'on soit un peu moins exigeant avec les élèves qui sortent du système et que, finalement, on les laisse s'adapter avant d'évaluer leurs compétences.
Vous savez, Monsieur le Ministre, on demande actuellement à nos élèves de faire une lettre de motivation qui est un véritable journal. Je ne sais même pas si quelqu'un qui sort d'une licence est capable de rédiger comme il convient une lettre de motivation.
J'interviendrai plus tard sur les points qui seront à l'ordre du jour, mais, comme l'ordre du jour appelle aussi des questions diverses, Monsieur le Ministre, je voudrais vous poser les deux questions suivantes.
Premièrement, est-ce que la licence professionnelle sera touchée par le Master dont on parle, le bac+5 ?
La deuxième question concerne le plan de carrière expérimenté l'an dernier dans 5 académies et qui, je crois, va se généraliser : il s'agit du bilan d'étape pour les élèves qui ont 15 ans.
Merci, Monsieur le Ministre.
M. SORLUT (Pt 9ème CPC). - Monsieur le Ministre, je ne voudrais pas vous traiter d'assassin de l'enseignement technique, mais je me permettrai de vous faire la remarque suivante.
Je suis industriel et je suis très inquiet de l'avenir des jeunes.
Mon inquiétude tient, d'abord, au CAP. Il faudrait quand même clarifier un peu la formation professionnelle, car il y a une bouillabaisse dans le dossier extraordinaire, qui est un travail de fourmi. Je ne veux pas faire de reproches, loin de là, mais je voudrais que l'on parle de la formation technique, professionnelle. On est actuellement dans une commission professionnelle : restons bien professionnels. Les gosses, quand ils arrivent sur le terrain, c'est pour avoir une place, du travail, etc., et, quand ils sont bien formés, ils trouvent du travail immédiatement ; cela ne pose aucun problème.
Concernant le lycée des métiers, cela fait 15-20 ans que j'en parle. Je vous ai écrit de nombreuses fois : je n'ai jamais eu de réponse. Je pense que vous n'avez pas de collaborateurs pour écrire...
Le lycée des métiers, c'est une très bonne chose, à une seule condition : qu'il y ait des enseignants et que vous puissiez marier cette opération avec des vrais professionnels. Sans professionnels, vous allez à l'échec.
Il faut que vous sachiez, aujourd'hui, que vous n'avez pas formé de professeurs de l'enseignement technique depuis 15 ou 20 ans ; et cela, c'est grave. Les chefs de travaux sont remplacés par n'importe qui dans vos lycées : c'est très grave. On va mettre, par exemple, pour l'industrie de l'habillement, un comptable ou un mécanicien, etc.
On vit un autre monde. Aujourd'hui, cette intelligence de la main, il faut la garder pire que jamais !
Mon inquiétude est la suivante. Vous avez pris du retard... Je ne veux pas dire que l'industrie n'a pas pris de retard : c'est pareil ; je ne veux faire aucune critique. Simplement, aujourd'hui, les entreprises qui restent sur le terrain à produire en France, ce sont celles qui ont participé à la formation et celles qui ont formé chez elles.
C'est pourquoi, dans le lycée des métiers, il faut y voir très clair. J'ai relu votre dossier à plusieurs reprises : c'est une vraie bouillabaisse ! L'idée est excellente, mais il faut qu'elle soit technique ; sinon, on va à l'échec.
C'est une très bonne idée, mais, sur le plan européen, aujourd'hui, on s'aperçoit que les gens ont délocalisé. Il ne faut pas croire que les autres pays ont du retard également : ils ont évolué aussi. Que ce soit une idée française, tant mieux, parce que tout le monde veut venir en France pour la créativité. On entre dans un siècle de la créativité et de la qualité. Donc, vous ne réussirez que par ces moyens, que par une collaboration avec les vrais professionnels.
Merci, Monsieur le Ministre.
M. BECHLER (APCM). - Je suis Président de la Commission de Formation à l'APCM.
Monsieur le Ministre, je voudrais vous féliciter. La dernière fois, je ne l'ai pas fait, mais, cette fois-ci, si effectivement la double moyenne est maintenue, comme j'ai pu le lire, au CAP, je vous remercie. C'était ce que j'ai souhaité la dernière fois quand je suis intervenu, et vous avez même failli oublier de me répondre, mais ce n'est pas grave.
Je voudrais vous féliciter sur un autre point : le regroupement dans les lycées des métiers des formations professionnelles et technologiques. Je pense que c'est une très bonne chose.
J'ai gardé pour la fin ce qui me convient un peu moins dans cette réforme du CAP. J'ai quand même l'impression que ce CAP ou cette réforme dévalorise ce niveau. J'espère que, là aussi, si ce n'est pas aujourd'hui mais au moins la prochaine fois, vous arriverez à me convaincre.
M. le MINISTRE. - Sûrement pas. Argumentez ! Cela ne suffit pas de me dire que cela dévalorise. Montrez en quoi cela dévalorise.
M. BECHLER. - Permettez-moi de vous dire que vous étiez récemment en Alsace, à Cernay. Je pense que l'on vous a déjà un peu tenu ce langage au niveau de la formation.
Je peux vous dire que, dans les métiers où je suis responsable et que nous exerçons en Alsace, le niveau du CAP est déjà supérieur à celui que l'on veut mettre en place avec la réforme. Cela voudrait aussi dire qu'avant c'était moins bien ailleurs que chez nous. On peut dire cela, mais ce serait un peu osé de ma part et je ne veux pas dire cela. Mais, quand je vois le niveau actuel de ce qui est mis dans le référentiel dans certains métiers que je représente et notamment les métiers de la bouche, ceux quand même qui pour l'instant souffrent le plus... Dans mon département, cette année, nous n'avons que 5 apprentis bouchers sur deux CFA. C'est quand même assez catastrophique ! Je ne sais pas si c'est à cause de la vache folle. On peut dire tout ce que l'on veut : je constate sur le terrain que l'on n'a que 5 apprentis dans un département.
Là, il y a de réels problèmes. Je veux bien qu'on oublie un peu l'alimentation, mais l'alimentation, c'est quand même encore ce que l'on a de mieux lorsqu'on se met à table. Alors, si on ne veut manger que des hambergers, etc., il faut nous le dire : on arrête les métiers et on n'aura même plus besoin de lycées des métiers !
Si vous me demandez d'argumenter le niveau, je l'ai constaté puisque ma profession : la Boulangerie, a déposé son CAP réformé au Ministère de l'Education. Je l'ai ici ; je peux vous le montrer. Par rapport au niveau du CAP que nous avions nous, il est quand même inférieur puisqu'il y a 3 produits qu'on ne fait plus sur le plan national, alors que nous les avons.
Il serait dommage qu'il y ait des CAP à deux vitesses, des CAP plus costauds et d'autres plus faibles. Là, il y a peut-être aussi du travail à faire. C'est vrai qu'ici vous faites un travail général regroupant l'ensemble des métiers, mais je crois qu'il faudrait quand même regarder d'un peu plus près pour que l'ensemble des CAP soient d'un niveau semblable.
M. de GAUDEMAR. - Le Ministre devant bientôt nous quitter, je vous demanderai d'être le plus concis possible.
M. REGNAULT (CGT). - Je vais essayer d'être concis, Monsieur de GAUDEMAR.
Monsieur le Ministre, comme j'ai eu l'occasion de le dire à votre Directeur de Cabinet lors de la réunion du Comité de coordination des programmes régionaux de l'apprentissage et de la formation, qui s'est tenu à Limoges il y a quelques jours, je partage avec vous l'idée d'inscrire la question de l'offre générale d'éducation et de formation tout au long de la vie dans une problématique beaucoup plus générale liée à l'emploi -et vous avez rappelé un certain nombre d'exigences devant lesquelles chacun de nous se trouve pour les années à venir- et aussi, bien sûr, au développement social.
Si le Ministère s'inscrit dans l'idée de développer à la fois la formation initiale et la formation continue des salariés, nous pouvons nous en féliciter, d'autant plus qu'à la CGT nous regrettons que les accords de 1970 et la loi de 1971, qui ont bâti notre système de formation professionnelle continue, auquel nous avons d'ailleurs beaucoup concouru puisque c'était un des acquis des luttes des années 1960 et notamment de 1968, n'aient pas débouché sur une implication beaucoup plus grande du service public d'Education nationale.
Aujourd'hui, on parle beaucoup de marchandisation de la formation. Si le service public d'Education que vous représentez s'inscrit dans une politique qui vise à combattre cette marchandisation et à remettre un peu les choses là où elles devraient être en termes de formation continue des salariés, mais aussi en termes de formation initiale, nous ne pouvons que nous en féliciter.
Cela dit, j'avais également émis l'idée que, si l'on pouvait se féliciter de ce retour, en quelque sorte -au-delà du travail des GRETA, bien sûr, que je ne méprise pas, au contraire, qu'il faut féliciter- il fallait aussi se méfier des effets de balancier. II faut regarder en quoi l'Education Nationale doit être effectivement un pivot de ce service public en termes d'éducation, de formation, d'orientation, de validation et d'insertion, mais certainement pas essayer de retrouver une espèce de monopole qui ne serait plus d'actualité. J'ai lu dans vos propos ou j'ai entendu dans les propos de M. VALADAS à Limoges le terme de " leadership " : je crois qu'il y a besoin de réfléchir à la place des uns et des autres sur cette question.
Je n'évoquerai pas la question du CAP et des diplômes européens pour la bonne et simple raison que nous avons reçu les documents très tardivement. Bien sûr, ce que je vous dis est aussi tributaire du débat qui existe également à la CGT sur l'ensemble des sujets que vous avez abordés, et je vous demanderai de prendre mes propos, non pas comme des positions définitives, mais bien comme des contributions au débat.
Sur le CAP, vous connaissez notre position : un diplôme doit correspondre à un emploi existant ou en voie d'exister, il doit correspondre à une qualification liée à l'emploi, mais il doit aussi constituer -vous l'avez rappelé à juste titre- une garantie collective, qu'elle soit nationale ou à d'autres niveaux de territoire plus grands.
Vous avez soulevé la question du CAP comme premier niveau de qualification, base des qualifications dans notre pays. Je crois qu'il faut prolonger le débat beaucoup plus loin au niveau des branches. Aujourd'hui, le premier niveau de qualification dans certaines branches est loin d'être le CAP, en tous les cas le niveau 5 de qualification. C'est peut-être cette articulation-là qui pose problème aujourd'hui.
Je me bornerai, pour être concis, comme l'a souhaité M. le Directeur, à la question du lycée des métiers, parce qu'il s'agit, en fin de compte, quelle que soit son appellation, d'une revendication qui est aussi celle de la CGT depuis longtemps. Mais cette idée de faire correspondre le service public d'offre de formation à la réalité territoriale doit aussi, pour nous, s'inscrire dans une logique démocratique.
Il serait dommage quand même qu'une gageure aussi importante que celle-ci se traduise par un simple dialogue entre l'Administration de l'Education Nationale et les Chambres patronales, par exemple, ou les branches, a fortiori entre le simple recteur et le représentant patronal de la région ou du territoire. Pour nous, c'est exactement le contraire, et la question du transfert de technologie, qui est fondamentale aujourd'hui dans notre pays, demande que soient mis en oeuvre des espaces où tout le monde pourrait concourir, et pas simplement réservés à ceux qui savent ou à ceux qui pensent que c'est bien pour le reste(?). Je pense que l'Education Nationale, sur la question des transferts de technologie, ne doit certainement pas être à la remorque de l'existence du marché du travail, mais doit se placer, pour reprendre votre terme, sur une vision un peu plus universelle.
Pour nous, il y a trois sujets importants qu'il faut aborder de front, ce que j'appelle par commodité " les trois concurrences ", mais vous y avez déjà un peu répondu dans des interviews :
- la concurrence entre le lycée labellisé et les autres : nous estimons que la situation de l'enseignement technique et professionnel aujourd'hui est trop dramatique pour subordonner un certain nombre de mesures à la labellisation, par exemple le suivi médical ou le suivi social. Ces mesures devraient s'appliquer à tout le monde et dans l'urgence, indépendamment du cheminement vers la labellisation, et nous estimons que cette dernière devrait être une garantie, une norme de qualité plus qu'un passeport pour obtenir certains moyens. Vous l'avez dit, cela évoque la question des moyens : ils sont là en effet. Je crois que ce qui se fait de manière particulière ne doit pas être fait au détriment de tous ;
- la concurrence entre la formation majeure du lycée des métiers et les formations mineures autour : il y a besoin de regarder vraiment avec attention quel est le sort réservé à ces différentes offres de formation. On sait très bien que, d'une région à une autre, selon qu'elles soient de mono-industrie ou de polyindustrie, la question se pose bien sûr différemment. Là aussi, il y a besoin de décliner un certain nombre de principes généraux ;
- la concurrence entre les publics : c'est peut-être celle qui aujourd'hui fait remonter dans les Conseils d'Administration un certain nombre d'inquiétudes et de craintes. J'ajouterai : d'objections, parce que ce que j'entends et ce que je lis d'un certain nombre de personnes intéressées montrent que cette espèce de marche forcée que vous entamez par l'intermédiaire des autorités rectorales suscite quand même un certain nombre d'oppositions : pas seulement de craintes et d'inquiétudes, mais d'oppositions.
Je conclurai en vous demandant de ne pas confondre vitesse et précipitation. Il y a besoin en effet de s'attaquer à un certain nombre d'enjeux et il y a besoin, pour le service public d'Education nationale, de se positionner sur un certain nombre d'endroits, où personne a sa place ne pourra le faire. Il y a besoin de multiplier les espaces de débat et, surtout, d'associer à cette démarche les premiers intéressés que sont les salariés.
Vous comprenez bien qu'en tant que représentant de la CGT ici je vous demande, Monsieur le Ministre, quels sont les espaces et les garanties que vous offrez à ce qu'il y ait vraiment une appropriation démocratique de ces enjeux qui sont, comme vous l'avez dit vous-même, très cruciaux aujourd'hui.
M. de GAUDEMAR. - Deux dernières interventions, après quoi le Ministre répondra.
M. HENRY (Pt 2ème CPC). - Monsieur le Ministre, je vous remercie de me laisser la parole.
Je suis Président de la 2ème CPC. Nous avons rénové le diplôme avec la 5ème CPC. Tout s'est bien passé.
Les industries des roches ornementales et de construction -ce sont les termes européens qui correspondent- emploient à l'heure actuelle plus de 200 000 personnes en Europe. C'est plus que la sidérurgie.
Il y a déjà quelque temps, la CEE avait mis à notre disposition la possibilité de faire une étude sur les formations dans les différents pays de la Communauté Européenne.
Nous avons réalisé un Livre Blanc. Déjà, cela correspondait aux attentes. Ce Livre Blanc permettrait -point d'interrogation actuellement ?- la circulation plus facile entre les différents pays membres de la Communauté. C'est une chose qui existe déjà. Un livret est en cours d'élaboration et même de finition sur ce plan.
Autre point : actuellement, l'Europe se trouve devant un problème : l'approche des pays, qui correspond à la mondialisation, fait qu'ils deviennent très concurrentiels. Nous ne nous en sortirons donc que par l'excellence, la qualité et l'évolution des gens que nous formons. Cela ne peut pas être autrement. Je suis en parfait accord avec vous sur ce plan.
Il faut dire aussi que l'évolution de la consommation des roches ornementales et de construction, c'est un peu comme Sisyphe qui remontait son rocher : elle est passée en 10 ans de 18 kilos à 59 kilos par habitant. C'est significatif. Cela veut dire qu'il y a un énorme bassin d'emploi et que nous sommes très confiants dans l'avenir de notre profession.
M. de GAUDEMAR. - Dernière intervention.
M. DRUAIS (SNETAA). - Pour ne pas faire injure aux autres intervenants qui souhaitaient s'exprimer devant vous, Monsieur le Ministre, j'essaierai de faire le plus court possible.
Je tiens déjà à l'affirmer : nous sommes, et nous l'avons été depuis votre arrivée et la création de ce Ministère, à votre côté. Néanmoins, le fait d'être à votre côté ne peut pas nous interdire d'avoir des remarques, voire des critiques, à faire sur l'ensemble de vos projets.
J'interviendrai donc, dans l'ordre de ce que vous avez présenté, à savoir l'ordre inverse de l'ordre du jour, sur la professionnalisation durable, le CAP et le lycée des métiers.
Nos interventions sur la professionnalisation durable, sur la formation tout au long de la vie, vous les connaissez ; elles sont connues. Notre crainte, je vais la résumer en une seule formule : il ne faut pas que le système éducatif français, il ne faut pas que la Nation reportent à plus tard la formation des jeunes. C'est bien là un enjeu essentiel et un problème fondamental qui marquent aussi notre opposition sur la question du lycée des métiers. Votre projet pour le lycée des métiers, vu du côté des enseignants, pourrait être intéressant, mais il oublie une dimension essentielle : l'orientation des jeunes. Quel avenir pour les jeunes en difficulté ? C'est bien de vouloir monter le taquet, d'avoir en perspective pour les jeunes dans la voie professionnelle la licence professionnelle, le BTS, il est bien de penser à la rénovation des bacs techno et des bacs pro, mais, pour les jeunes qui sont en difficulté, pour les jeunes au collège, pour les jeunes qui par ailleurs seraient concernés en priorité par la relance du CAP, que sera-t-il fait ?
Justement, le CAP. Découverte du texte dans des conditions un peu hasardeuses, mais, dans ce qui nous est propose ici, il y a une ambition -vous nous le dites, vous nous demandez de nous taire sur cette ambition- il y a des dédoublements, chers au monde enseignant, mais il y a aussi des seuils.
Je me permettrai de vous rappeler, au nom du monde enseignant, Monsieur le Ministre, que les seuils ont été mis en place dans la réforme précédente concernant les BEP et les bacs pro. Il s'avère que, dans les rectorats, pour des raisons budgétaires, les recteurs jouent le malthusianisme. On ne recrute pas au-delà du seuil, on ne fait pas de dédoublements, d'où des économies. On peut être inquiet quand on voit que des seuils sont fixés à 6 : est-ce qu'on va se contenter de sections en deçà de 6 ? On peut s'inquiéter quand on voit qu'en enseignement général les seuils sont prévus à 19 : est-ce qu'on va limiter les recrutements dans les académies à 18 élèves ? C'est la réalité que connaissent actuellement les BEP, que connaissent beaucoup de bacs pro, malheureusement. L'ambition est là. Qui sera là pour surveiller ? Qui sera là pour la réalisation ?
Je rappelle que le SNETAA est l'organisation du monde enseignant des lycées professionnels majoritaire depuis 50 ans. Nous avons été à la FEN, nous avons été à la FSU, nous sommes toujours là et nous espérons bien être toujours là. Vous dites qu'il y a des inquiétudes, parfois des exagérations dans les propos. Je ne sais pas si les inquiétudes du SNETAA sont déconnectées de ce que les personnels, les élèves et les parents d'élèves expriment déjà dans les établissements. Les élections professionnelles auront lieu dans 1 an. Nous verrons bien où sera la place du SNETAA.
Il ne s'agit pas de dire que les réformes du Ministère de l'Enseignement Professionnel sont des réformes négatives. Il s'agit d'essayer d'avoir des réformes qui continuent ce qui a été fait. Nous ne partons pas de rien. Vous l'avez évoqué, les CAP aujourd'hui sont dans un état de crise réel : 300 000 places de CAP en moins, mais à qui la faute ? Sûrement pas au monde enseignant, sûrement pas à notre organisation qui, il y a 15 ans, mettait déjà le doigt sur ce risque.
Aujourd'hui, des réformes dans le cadre du lycée des métiers sont prévues : réforme du BEP, réforme du bac pro. Des expérimentations sur le bac pro en 3 ans se mettent en place. Nous vous alertons, nous alertons nos partenaires sur les dangers que ces expérimentations non contrôlées, à marche forcée, peuvent poser à l'ensemble du système d'enseignement professionnel et de formation des jeunes. Je vous le redis, on ne peut se contenter d'expressions de " formation tout au long de la vie ", de " professionnalisation durable " pour -pardonnez-moi le terme- liquider l'enjeu majeur qui est de savoir quelle chance on donne aux jeunes au moment de l'orientation, au moment où ils ont besoin d'avoir en perspective de véritables projets professionnels, non pas pour après, mais au moment où ils en ont le plus besoin, c'est-à-dire au moment où, bien souvent -il faut le reconnaître aussi- l'exclusion scolaire se pose à eux.
Vos projets ne répondent pas à ce problème, à cet enjeu majeur.
M. de GAUDEMAR. - Monsieur le Ministre...
M. le MINISTRE. - Heureusement que vous avez commencé par dire que vous étiez de mon côté... parce que qu'est ce que ce serait si vous étiez contre ?
(Rires)
Pardon à tous ceux qui n'auront pas pu prendre la parole. Je suis tenu dans un horaire.
Quelques réponses néanmoins ici et là.
Peut-être qu'après tout c'est une affaire de tempérament dans la vie, mais, si on part de l'idée que tout va mal, que tout s'effondre, que le niveau baisse, qu'il n'y a plus personne dans les établissements, que les jeunes ne veulent pas travailler, que l'Education Nationale n'est bonne à rien, que les ministres sont d'une manière générale au minimum malveillants et au maximum inefficaces, alors, évidemment, tout va mal.
Tout de même, on peut, s'agissant de l'enseignement professionnel et technologique, après le diagnostic que j'ai posé tout à l'heure, sans faire de la propagande, constater que des moyens ont été investis qui sont considérables. Je veux bien, Monsieur DRUAIS et d'autres, que l'on dise ce que l'on veut, mais enfin, quand même, 6 800 postes créés en 4 ans, c'est une réalité, ce n'est pas une invention, et je ne donne que cet exemple.
Et puis, tout de même, nous avons eu +12 000 élèves dans l'enseignement professionnel à la rentrée de cette année, là où nous étions à -20 000 ou -30 000 à la rentrée 2000. L'institution Education Nationale s'est bien mobilisée parce qu'elle a eu des objectifs clairs, notamment en matière d'orientation, mais il n'est pas en mon pouvoir -ou alors, il faut que vous interveniez à d'autres endroits- d'obliger les gens à aller là où ils n'ont pas envie d'y aller quand ils n'ont pas envie d'aller. Il faut donc se demander pourquoi ils n'y vont pas. En plus, ce n'est pas vrai : ils y vont.
C'est un enseignement de qualité, un bon encadrement, de beaux établissements dans la plupart des cas. Donc, nous avons affaire ici et là à des préjugés. Comment peut-on vaincre les préjugés ? Ils ne sont pas dans les familles. Parfois, ils sont dans l'Education Nationale elle-même. Il ne faut pas vous en prendre seulement au Ministre, mais aussi à vos collègues. Moi, je fais le travail : je fais le tour de France, je fais des réunions académiques et j'explique les choses, et les collègues sont prêts à entendre, pour peu qu'on leur parle le langage simple de la conviction qui permet de démontrer, que la professionnalisation, aujourd'hui, ce n'est pas la même chose qu'il y a 30 ou 40 ans, ce n'est plus la spécialisation somme toute assez étroite et qu'au contraire c'est l'appel à l'investissement en sciences appliquées de sciences fondamentales de plus en plus nombreuses, de plus en plus transversales à des dizaines de métiers.
C'est un langage de raison et j'observe que, quand on le tient et qu'on ne fonctionne pas sur le mode de l'invective ou du larmoiement permanent, l'Institution se mobilise. Nous avons eu +12 000 inscrits cette année. C'est grâce aussi à l'intervention des enseignants et aux décisions des conseils de classe.
Mais je fais remarquer que, même dans cette situation, les conseils de classe, Monsieur, car ce ne sont pas les logiciels qui décident, contrairement à ce que vous dites...
M. FAKHFAKH. - Si.
M. le MINISTRE. - Mais non ! Enfin... il faut dire des choses raisonnables ; sinon, on ne peut pas se comprendre. Il y a des logiciels, mais il y a des conseils de classe et il y a toujours des commissions d'appel. Il ne faut pas croire que le Ministre connaît si mal son dossier qu'il ne sait pas comment fonctionne un établissement. Allons !
Il y a 300 familles qui ont demandé à envoyer leurs enfants dans l'enseignement professionnel et à qui les conseils ont dit non, sur le total national. Cela, c'est juste. Donc, vous voyez, l'attractivité existe. Les familles savent de quoi il retourne. Les décisions d'orientation sont fondées à mon avis sur un préjugé : les enseignants et les conseils qui ont pris ces décisions ont cru bien faire. C'est cela, le problème : les gens qui prennent ces décisions croient bien faire, ils pensent que c'est l'intérêt de l'enfant. Ce n'est pas par sadisme qu'ils agissent de cette manière. Ils croient que l'enseignement professionnel va sûrement être une voie où l'on va pouvoir aller moins loin. C'est donc très important de montrer que la voie professionnelle permet d'aller au post-bac. C'est très important pour le moral des familles, pour leur perception de cet ordre d'enseignement. Et c'est très important pour moi de pouvoir afficher qu'il va y avoir et qu'il y a déjà 70 licences professionnelles installées dans des lycées professionnels, parce que c'est du post-bac, c'est de l'enseignement supérieur, et parce que cela va permettre d'en finir avec cette image d'une filière courte qui, au bout du compte, s'apparente désormais à un préjugé. On ne peut vaincre ce préjugé que par des mesures d'ordre concret, qui permettent aux familles de projeter l'avenir de leurs enfants et qui permettent aussi aux enseignants de se dire que, quand ils recommandent cette voie à un jeune, ils lui proposent une voie qui va lui permettre d'aller le plus loin possible. C'est très important.
J'ajoute ceci, compte tenu du milieu social dont je suis même moi-même originaire : l'ambition sociale est socialement déterminée. Tout le monde ne sait pas ce qu'est que l'ambition sociale et, dans nombre de régions de France, quand vous interrogez un jeune, il vous répond qu'il veut faire comme son père ou comme sa mère, ce qui est certes bien et respectueux de la dignité de ses parents, mais qui prouve ce déterminisme : on ne sait pas aller plus loin parce qu'on ne sait pas que cela existe et, comme on ne sait pas que cela existe, alors, on est cloué au sol à l'endroit où la détermination sociale nous a mené.
Moi, je veux que les gamins qui entrent dans ces établissements, quand ils commencent un CAP, sachent que, s'ils travaillent bien, ils peuvent aller à bac pro, à BTS, être ingénieur et qu'ils ont droit, comme tous les autres enfants de France, à réaliser un bel avenir à partir de leur motivation et de leur mérite.
Ce que je dis là ne sont pas des choses que j'invente : ce sont des choses que j'ai vues. Je prendrai l'exemple des petites jeunes filles et des petits jeunes gens qui sont dans le lycée du cuir à Roman(s). Cela commence par la formation CAP. Je peux vous dire qu'à niveau CAP il y a des choses à faire pratiques et, après tout, on pourrait se dire " Oh là là !... ". Eh bien, ces jeunes gens rayonnent. Pourquoi ? Parce que, dans le même établissement, deux portes plus loin, il y a le BTS, où il y a des jeunes comme eux qui ont fait ce trajet, qui ont commencé là, qui ont continué et qui sont STS.
Pour moi, ce n'est pas une petite chose que de mettre dans un même établissement tout ce qui permet à un jeune de construire un parcours scolaire de réussite parce qu'il sait que c'est possible et que c'est possible aussi pour lui et qu'il ne peut pas le demander à sa famille ou autour de lui parce que, dans sa famille ou autour de lui, on ne sait pas que cela existe.
Le lycée des métiers est aussi une réponse à cette ambition sociale pour notre peuple. Donc, il faut le prendre pour ce que c'est.
Tout à l'heure, la CGT pointait une série de difficultés réelles, concrètes. Bien sûr, nous aurons à certains endroits des difficultés. Comment va-t-on faire là où il y a un bassin d'emploi ? Vous avez mille fois raison de dire qu'on ne peut pas décalquer la structure de formation sur la pure et simple demande industrielle locale. Maintenant, il faut quand même en tenir compte : nous sommes dans le réel. Mais, en même temps, nous savons tous -l'histoire de tout l'enseignement professionnel en atteste- que la formation, c'est à la fois la réponse à une demande qui vient du tissu économique, mais c'est aussi une offre. Là où on est capable de faire des formations qui ne correspondent pas forcément à des emplois qui existent, en quelque sorte, on ensemence et on voit ensuite apparaître les métiers, les entreprises correspondant aux formations que l'on a données. On est obligé de concilier tout cela. A d'autres endroits, on ne peut pas par un établissement décrire une seule famille de métiers parce que ce n'est pas la réalité du bassin d'emploi local.
Il va falloir qu'au cas par cas toutes ces questions soient réglées, avec de l'imagination, mais, bien évidemment, en se fixant pour objectifs les normes Qualité du lycée des métiers. Je suis mille fois d'accord avec vous pour dire : " Il faudrait que, dans tous les établissements, il y ait ceci et cela". Mais ce n'est pas le cas. Donc, maintenant, nous pouvons planifier et avancer concrètement, établissement par établissement, puisqu'il s'agit d'atteindre un label de qualité. C'est un horizon qui est proposé et, comme pour tous les horizons, les étapes sont promises à chacun de ceux qui veulent bien les franchir.
En particulier, sur la question de l'appropriation démocratique d'un projet, il faut ici que l'on s'entende bien. Je vais vous dire les choses comme je les pense en tant qu'homme politique.
L'Education Nationale -et la France d'une manière générale- n'est pas une République fédérative. Par conséquent, il y a la légitimité d'un pouvoir politique qui s'exerce complètement. Par conséquent, d'accord ou pas d'accord, le lycée des métiers se fera pour une raison : parce que je l'ai décidé et que je suis légitime à le décider parce que c'est cela, la République. Ce n'est pas le marchandage permanent. En régime républicain, c'est comme cela.
Pardon de la brutalité de la formule. Vous comprenez tous bien les amodiations qui vont avec. On consulte, on écoute. Je ne peux pas laisser dire que l'on aurait appris par surprise le lycée des métiers, ou que d'autres découvrent le projet " professionnalisation durable ". Mais alors, à quoi aura servi la rédaction de 4 comptes rendus depuis que je suis Ministre, appelés successivement " Bilan d'étape ", " 50 actions ", " 78 actions ", etc. ? Personne n'est pris au dépourvu. Je me suis exprimé des dizaines de fois sur le sujet en rencontres bilatérales et dans des congrès, et d'abord le vôtre, Monsieur le responsable du SNETAA. Vous m'avez fait l'amitié de m'inviter à un colloque qui était à côté du congrès, où j'ai pu précisément parler de ce lycée des métiers. Aucune surprise. J'ai visité 80 établissements dans le pays pour m'assurer point par point -les gens ne savaient pas toujours ce que je venais voir- que ce qui était dans la maquette, que l'on avait déjà recensé, correspondait à des modes opératoires praticables, réalistes.
C'est pour cela d'ailleurs qu'un certain nombre de discussions sont rendues difficiles pour un certain nombre de mes interlocuteurs parce que, quand on me dit : " Cela ne marchera pas, ce n'est pas possible ", il faut aller voir. Cela marche déjà. On m'a dit que les licences professionnelles dans les lycées, cela ne marcherait pas : il y en a déjà 70. Qui va expliquer à ceux qui les font fonctionner que cela ne marche pas ?
Vous n'avez pas voulu les uns et les autres que je maintienne comme un de mes objectifs dans le lycée des métiers la mixité des publics, c'est-à-dire mettre des gens de formation continue dans des classes de formation initiale. Soit ! Il aurait suffi que je l'écrive pour que, peut-être, ici ou là, on se livre à des mises en oeuvre mécaniques et brutales. Mais ce que je veux vous dire, c'est que dans des dizaines de sections cela se fait déjà -je dis bien des dizaines- au bénéfice de l'adulte et des jeunes.
Mais je suis d'accord pour dire qu'une décision ministérielle en la circonstance n'ajouterait rien. Laissons faire le terrain. Les méthodes vont être validées et les protocoles de travail certainement mieux assurés. On ne peut pas faire cela dans toutes les sections, pour tous les métiers, pour toutes les formations continues, j'en suis bien d'accord ; donc, je m'en remets à l'inventivité du terrain. En tout cas, le terrain sait que le Ministre est d'accord pour que cela se fasse.
Cet exemple, parmi d'autres, montre de quelle manière a été pensé ce projet : certainement pas par surprise, certainement pas par a priori, sûrement pas par dogmatisme. Il s'agit évidemment d'atteindre l'objectif qui est d'améliorer l'attractivité de la voie professionnelle, d'élever le niveau des jeunes qui y viennent.
Après, des CAP qui soient les mêmes pour tout le pays ? Non, mais vous plaisantez ? C'est votre travail de le faire. Je ne suis que Ministre : je ne suis pas Président d'une CPC ni rédacteur de référentiels. Si vous voulez de bons CAP, débrouillez-vous, c'est votre affaire. C'est vous qui le faites, et vous n'avez pas entendu dire jusqu'à présent que le Ministre dans son bureau ait changé le contenu d'un référentiel. Non. Moi, je ne me mêle pas de boulangerie parce que je pense que vous êtes meilleurs que moi sur le sujet.
D'ailleurs, au passage, j'apprécierais aussi que les gens ne se mêlent pas d'Education nationale, parce qu'enseigner aussi c'est un métier. Il n'est pas vrai que, sur ce métier, tout le monde puisse, comme cela, avoir un avis. Qui se mêlerait ici d'expliquer comment on va monter une centrale nucléaire ? Personne. Pourtant, tout le monde se sent habilité à donner un avis sur la manière d'enseigner. Je ne suis pas d'accord. C'est un métier. Soit dit entre parenthèses concernant les industries textiles, il reste à prouver qui, de l'Education nationale ou de l'industrie textile, a le plus souvent raté les marches de son époque.
(Mouvements divers)
Oui... Vous me parlez franchement, vous me parlez rudement : eh bien, je vous réponds de la même façon parce que je suis, comme vous, un homme fait d'un bloc et je défends ma maison.
M. SORLUT. - Vous parlez de textile ou d'habillement ? Ce sont deux choses différentes !
M. le MINISTRE. - Oui, je m'en doute ! D'ailleurs, je commence à y connaître quelque chose, quoi que ce ne soit pas ma formation. Nous avons de très beaux centres de formation professionnelle en Chine. Là, il s'agit d'habillement.
M. SORLUT. - C'est pourquoi vous m'avez mis en boîte lorsque je vous ai dit qu'à 20 ans j'étais allé en Chine pour justement...
M. le MINISTRE. - Eh bien, vous n'irez pas là-bas, vous tâcherez de faire des textiles intelligents et vous verrez que, dans la compétition mondiale, c'est nous qui gagnerons, parce que c'est par l'avantage technique que l'on gagne et sûrement pas par des arrangements sociaux à la noix, qui n'ont jamais mené à rien. Si le chantier naval de l'Atlantique est redevenu le premier chantier naval de paquebots du monde, c'est parce que l'avantage technique a été creusé par les équipes du chantier naval de l'Atlantique, et pas parce que l'on s'y est pris par d'autres moyens. Pour le textile, je vous dis ma conviction, et je l'ai dite partout où je suis passé : je suis persuadé que c'est par l'avance technique que nous referons le trou et que nous repasserons en tête dans ce domaine comme dans de nombreux autres.
M. SORLUT. - Mais, Monsieur le Ministre...
M. le MINISTRE. - Non, je ne peux pas faire un dialogue avec vous sur le textile, mais vous voyez que je ne suis pas totalement ignorant du sujet.
Sur le CAP premier niveau, entendons-nous bien. Je ne dis pas que dans tous les métiers nous devons rétablir le CAP comme premier niveau. Simplement, je dis que le CAP est le premier diplôme, le premier niveau de qualification professionnelle que nous reconnaissons. Donc, nous fortifions cette position.
Maintenant, dans de très nombreuses industries, le premier niveau d'embauche demandé, c'est le bac pro. Ce n'est pas moi qui vais leur dire qui elles doivent embaucher. Qu'elles embauchent d'abord des bacs pro, c'est bien. Cela montre que le niveau technique aussi de nos industries et de nos productions a augmenté. Ce n'est pas moi, le Ministre, qui vais les obliger à prendre des CAP. Quel sens cela aurait ?
Pourquoi je veux stabiliser le premier niveau de diplôme professionnel, Monsieur DRUAIS et quelques autres ? Parce que, si ce n'est pas nous qui le faisons collectivement par les CPC, dans lesquelles sont présents les organisations patronales professionnelles, les experts pédagogiques, les organisations professionnelles de salariés, à votre avis, qui va le faire ? Je ne cache pas mon jeu. Je suis hostile au certificat de compétence. Donc, si je veux être conséquent, cohérent avec moi-même, je dois faire l'effort de présenter une politique cohérente de certification des savoirs, qui commence donc par le CAP.
C'est parce que nous faisons comme cela, avec des programmes comme ceux que nous avons là, de cette ampleur, que nous assurons une bonne formation initiale de nos salariés et, donc, que nous les mettons en meilleures conditions pour leur requalification. C'est pour cela que nous parlons de professionnalisation durable.
On dénigre souvent la France au profit d'une espèce d'admiration béate et acritique des modèles étrangers, comme par exemple on fait la différence entre le nombre de ceux qui passent en formation continue dans les pays anglo-saxons et dans notre pays. Certes, nous avons de gros efforts à faire, c'est sûr que nous pouvons faire beaucoup mieux, que la formation continue doit peut-être être moins réservée aux plus hauts diplômés des plus grosses entreprises du pays, nous le savons tous, et ce n'est pas moi qui ait dit que 80 % de l'argent déployé là-dedans n'atteignait pas son objectif : c'est la Cour des Comptes. Mais, en attendant, après cet examen lucide, il ne faut pas se laisser impressionner : si les Anglo-saxons font un tel recours à la formation continue, c'est parce que leur formation initiale ne vaut rien, qu'elle est trop étroite, qu'on a travaillé sur des certificats de compétence trop étroits. Ils sont donc obligés de repasser les gens sans cesse à la formation pour avoir la main-d'oeuvre dont ils ont besoin et, d'ailleurs, ils ne l'ont pas, ce qui explique l'état dans lequel se trouve l'industrie de ces pays et comment ils compensent par l'immigration. C'est comme cela qu'ils font aux Etats-Unis et en partie en Grande-Bretagne.
Certes, il faut être capable de se critiquer, mais il faut aussi être capable d'apprécier les performances atteintes par notre système et ne pas tout le temps penser que nous sommes entrés dans la phase finale de la décadence et de l'agonie de l'industrie française et de son système éducatif.
J'ai répondu à l'essentiel de ce qui m'a été dit.
Je reviens sur cette affaire : l'enseignement professionnel et technologique n'est pas en déclin dans ce pays. C'est le contraire. Je demande à chacun d'assumer ses responsabilités, si je peux me le permettre, mais, moi, vous savez, je passerai. Chacun de nous a une responsabilité ; il faut faire attention à ce que l'on dit. Si nous-mêmes commençons à dire que les jeunes qui ont des diplômes professionnels ont du mal à trouver du travail... Vous savez, moi, cela va : ma vie est faite, mais cela m'horripile d'entendre cela, parce que ce n'est pas vrai.
Deux enquêtes " Génération 1992 " et " Génération 1998 " ont été éditées par le Centre d'Etude et de Recherche sur les Qualifications. Les deux prouvent la même chose : les diplômés sont les premiers à trouver du travail, et le délai pour trouver du travail est de plus en plus court et sera de plus en plus court à mesure que l'on avance dans une période de flux tendus de retour à l'emploi. Il y a des pénuries d'embauche dans des dizaines de branches parce qu'on a pris du retard à organiser, à comprendre.
Je peux pas, Monsieur, obliger les gens à aller dans vos CAP de boucher. Je ne peux pas. Ce que je peux faire, c'est que l'on sache qu'un boucher est bien payé.
M. BECHLER. - ...
M. le MINISTRE. - Mais il est très bien payé. Ne vous fâchez pas pour la boucherie ou je ne cite plus jamais personne !
(Rires)
Je réponds à des gens qui me posent des questions.
CARREFOUR m'écrit. Il écrit au Ministre pour trouver des employés maintenant ! Je ne vous dis pas le prix qu'il propose. C'est drôlement bien payé. Je me demande pourquoi j'ai fait des études de philo ! Au moins, je saurais faire quelque chose de mes 10 doigts si j'avais fait boucher.
Donc, il n'est pas vrai, ne laissez pas accréditer l'idée, qui est novice y compris pour le travail des CPC, que nos diplômes ne seraient pas actuels, qu'ils seraient dépassés, que les diplômés auraient du mal à trouver du travail. Ce n'est pas vrai. C'est le contraire qui est vrai.
L'autre jour, à l'Assemblée Nationale, je bouillais. On posait une question technique à laquelle a répondu le secrétaire d'Etat à la formation professionnelle, et la réponse était parfaite, mais ce qui me faisait enrager, c'est de voir que quelqu'un pouvait depuis les bancs, en l'occurrence de l'Opposition, laisser entendre que, quand on avait un bac pro, en plus, il fallait avoir un contrat de qualification.
Eh bien, moi, je ne suis pas d'accord avec cela ! Bac pro : embauche. Les contrats de qualification ne sont pas faits pour ces types de public. C'est un détournement de l'utilisation du contrat de qualification ; ou alors, qu'est-ce que nous faisons ensemble ? Pourquoi on se donne tout ce mal ? Pourquoi on crée des CAP ? Pourquoi on fait des bacs pro ? Pourquoi on renforce tous ces dispositifs ? On pourrait adopter la formule que d'aucuns me proposent : l'Education Nationale certifie les connaissances et les entreprises les compétences. Très bien. L'Education Nationale enseigne l'anglais, le français, les mathématiques, la physique, le sport, l'éducation civique et, pour le reste, je vous les envoie. 690 000 ! Vous avez la place dans vos entreprises pour accueillir 690 000 ? Je vous ai déjà dit comment on fait : au bout de 24, vous dédoublez !
(Rires)
Et cela s'appelle Education Nationale.
Tout cela est aberrant ! Cela ne tient pas debout. Ces propositions n'ont pas de sens et le dénigrement de l'Education Nationale ne mène à rien. Il vaut mieux discuter le crayon à la main sérieusement, diplôme par diplôme, pour savoir de quoi on parle.
Je dis aux responsables des entreprises -je ne sais pas quand j'aurai l'occasion de vous revoir ; donc, je parle aussi avec passion : franchement, si l'on pouvait éviter d'entendre à la télévision des uns ou des autres qu'il faut rapprocher l'école de l'entreprise pour moderniser les diplômes... Il n'y a pas que l'école qui ne connaît pas l'entreprise : il y a souvent l'entreprise qui ne connaît rien à l'école, et un certain nombre de porte-parole feraient bien au moins de savoir qu'il existe des CPC et que, s'ils ne sont pas contents, ils peuvent s'adresser à leurs représentants, parce qu'il n'est pas toujours prouvé que les gens qui parlent savent vraiment de quoi ils parlent. Vous en êtes conscients comme moi.
Il faut tous que l'on fasse un effort. C'est à cette mobilisation que j'appelle, à la sortie de rôles pré-convenus, pré-conditionnés. Nous avons cause commune dans cette affaire. Il faut que tout le monde s'engage. Je l'ai fait, mes collaborateurs de même, nous tous là.
J'espère que le ton un peu rude que j'ai adopté pour conclure ne vous a pas choqués, mais, après tout, j'ai cru remarquer que c'était le style de la Maison. Donc, ma foi, je suis au diapason. Je dirai comme M. DRUAIS : c'est parce que je suis de votre côté.
(Source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 26 avril 2002)
Nous sommes parvenus, dans des rythmes assez inhabituels, mais il le fallait, à boucler un dossier dont je me souviens que je l'avais annoncé devant votre assemblée il y a quelque temps. Chacun d'entre vous devine, compte tenu de l'ensemble des sujets mis en chantier, ce que cela a pu signifier de travail pour ceux qui avaient à en connaître. Certainement, l'arrivée à terme de mon contrat à durée déterminée me stimulait pour pousser tout un chacun à accélérer les cadences quand il le fallait, car je voudrais que tout ce qui a été annoncé soit bouclé dans le temps qui m'est donné d'exercer cette responsabilité.
Trois sujets viennent donc devant vous :
- la rénovation du CAP ;
- le lycée des métiers ;
- le diplôme européen.
Deux de ces questions concernent nos diplômes. C'est par ce point que je voudrais commencer.
Vous connaissez la doctrine constante dont je me réclame : je considère que les diplômes en matière d'enseignement professionnel, diplômes dont vous êtes les producteurs, les gardiens, les garants, occupent une place centrale, non seulement dans notre système éducatif, mais en tant que garantie sociale offerte aux jeunes autant qu'aux employeurs. A ceux qui obtiennent ces diplômes sont offertes la liberté d'embauche et la reconnaissance sociale des savoirs acquis. Aux employeurs, ils garantissent la qualité des savoir-faire qu'ils emploient et ils permettent de situer un niveau d'exigence vis-à-vis du travail à accomplir. C'est donc une double garantie sociale que portent nos diplômes, d'où l'importance du soin mis à leur confection (c'est le rôle des CPC), à leur actualisation, afin qu'ils soient, suivant la formule consacrée, reconnus partout et par tous.
C'est dans cet état d'esprit qu'en particulier j'ai été conduit, avec mes collaborateurs, à reconsidérer les exigences initiales que nous formulions concernant les licences professionnelles, en sorte, par exemple, que nous ayons bien la garantie qu'il s'agissait, dans chacun des cas, d'un diplôme à valeur nationale désignant un savoir-faire exploitable dans tous les pays. C'est ce qui m'avait en particulier conduit, avec mes collaborateurs de la Direction de l'Enseignement Supérieur, à éliminer d'entrée de jeu, sur les 500 propositions qui nous étaient présentées, 300 d'entre elles parce qu'elles ne correspondaient pas à ces critères.
Je pense, dans cette circonstance, avoir fait ce qui devait être fait pour rester dans l'approche, que je viens de décrire, de ce qu'est un diplôme.
Au demeurant, je crois à la force, à la valeur, à l'exemplarité du système français en la matière. C'est la raison pour laquelle je veux attirer votre attention sur le caractère tout à fait important -j'allais dire remarquable, mais je ne voudrais pas que vous croyiez que je pratique l'autocongratulation, encore qu'en la circonstance ce n'est pas l'envie qui m'en manque ni les motifs- du projet, dorénavant projet pilote pour la Commission Européenne, dit " de professionnalisation durable ".
Au moment où se nouaient les discussions concernant les équivalences dans l'enseignement général, en particulier l'enseignement général supérieur, entre les diplômes des différents Etats membres de l'Union, j'ai proposé, au nom de la France, du temps de la Présidence française de l'Union, ce projet dit " de professionnalisation durable ", qui partait de l'idée qu'en matière d'enseignement professionnel il est extrêmement difficile d'établir un système d'équivalences, dans la mesure où la définition des savoirs et des savoir-faire qui correspondent à un diplôme professionnel est beaucoup plus précise, beaucoup plus concentrée qu'elle ne l'est dans un diplôme d'enseignement général.
Plutôt que d'adopter la posture du bunker assiégé, nous avons voulu proposer de mettre en partage les méthodes des Français au niveau européen.
Il s'agissait -il s'agit- de parvenir, avec une méthode décalquée sur celle de nos CPC, à la rédaction d'un référentiel unique, et donc reconnu partout et par tous dans l'ensemble de l'Europe, avec une méthode progressive : progressive parce que ce groupe de travail s'est constitué sur la base du volontariat des Etats ; progressive parce que nous n'avons pas prétendu épuiser, dans un seul programme, la totalité des diplômes professionnels, mais que nous avons concentré nos efforts sur deux d'entre eux dans deux domaines d'activité : en Mécanique automobile et en Hôtellerie, le premier au niveau d'un bac pro, le second au niveau d'un BTS.
C'est avec beaucoup de plaisir que nous avons vu le groupe passer d'abord d'une petite cohorte de 4 pays : Anglais, Allemands, Français, Espagnols, à 5 : les Grecs s'adjoignant à nous, et ceci avait une grande importance, dans la mesure où la Grèce est l'un des pays qui veille le plus jalousement sur l'identité de ses diplômes et est le moins favorable à l'établissement d'équivalences.
A cette petite cohorte se sont très rapidement joints 2 pays candidats à l'entrée dans l'Union : la Hongrie et la Tchéquie, et, depuis le dernier Conseil des Ministres de l'Education, où je représentais notre pays et où, une nouvelle fois, j'ai été conduit à expliquer les objectifs de cette initiative, ont demandé à nous rejoindre les Pays-Bas, la Belgique et l'Italie.
Parallèlement, dans le cadre du travail de la Conférence des Ministres de l'Education Nationale Union Européenne/Amérique Latine (présidée, côté Union Européenne, par la France et co-présidée par l'Espagne, et, côté Amérique Latine, par le Brésil et le Mexique), le Brésil décidait de figurer comme observateur de nos travaux. Le Ministre, que j'ai reçu ici à plusieurs reprises, et les Secrétaires d'Etat, puisque la République Brésilienne est une République Fédérative, ont été également accueillis dans cette Maison, le Ministre et les Secrétaires d'Etat se disant intéressés, non seulement à suivre et à comprendre la méthode, mais, le moment venu, les deux premiers diplômes étant établis, pourquoi pas, à les reconnaître eux-mêmes.
Si bien que, d'une initiative d'abord européenne et qui pouvait sembler bien fragile, nous pourrions faire chemin vers un modèle de certification universelle.
Dans les deux industries, les deux branches concernées, on voit l'intérêt immédiat de cette large certification, puisqu'il s'agit d'industries répandues dans le monde, avec des procédés de travail assez standardisés, et je pense que c'est la meilleure des bases possibles que de commencer par démontrer que c'est possible sur deux diplômes.
J'allais oublier, à côté des Latino-américains, que, dans l'accord de coopération éducative, qui est en cours d'achèvement avec la République Populaire de Chine -peut-être savez-vous que nous n'avions plus d'accord global de coopération depuis 1995 ; nous avons donc repris ce travail à zéro- entre autres choses, puisqu'il accorde il est vrai une place importante à l'enseignement professionnel, les Chinois se prononcent pour participer eux aussi, à titre d'observateurs, à ce projet pilote.
Je veux donc, dans ce moment, d'abord, saluer le remarquable travail de M. ASSERAF en la matière, car il n'échappe à aucun d'entre vous que c'est une chose d'avoir un projet, c'est une chose de parvenir à en convaincre 2, 3, 4, 5, 6, 7 de ses collègues dans un Conseil des Ministres, ce qui n'est déjà pas rien, mais que c'en est une autre de faire que l'on sorte des principes, des déclarations d'intentions pour entrer dans le concret, dans le montage de cet énorme édifice qui regroupe, suivant la méthode des CPC, les experts pédagogiques et les branches professionnelles au niveau européen, ce qui est le cas pour les deux diplômes, et d'arriver, séance après séance, à avancer dans la concrétisation du projet.
M. ASSERAF a déployé là tous les talents qu'on lui connaît, acquis de longue main dans d'autres missions que l'Etat lui a confiées, à un rythme sans précédent, me dit-on à la Commission, puisque c'est une réunion tous les 15 jours des experts des 8 pays concernés. On m'a dit : " Mais cela va coûter affreusement cher à la Commission ! ". J'y compte bien ! Plus cela lui coûtera cher, plus elle aura envie que cela aboutisse positivement.
Cela, en passant d'étape en étape par-dessus toutes les difficultés qui se sont présentées, la moindre n'étant pas que, dès la deuxième réunion, les experts allemands ont rappelé que, le système éducatif de l'Allemagne n'étant pas centralisé comme celui des Français, qui est de ce point de vue plus efficace, il y aurait grande difficulté à ce que le Ministère Fédéral aille jusqu'au bout. A la deuxième séance, nous étions menacés de voir tout l'édifice s'écrouler.
Fort heureusement, nos amis allemands comprennent bien l'enjeu de cette question. Eux-mêmes ont un besoin de rénovation de leur système d'enseignement professionnel. Le temps est passé où seul le système allemand paraissait comme le nec plus ultra de ce qu'il était possible de faire en matière d'enseignement professionnel.
J'observe que, depuis plusieurs années, le système français suscite beaucoup d'intérêt, beaucoup de missions d'expertise et, évidemment, j'imagine que, si nous conduisons notre affaire jusqu'au bout -et, maintenant, on ne voit plus très bien pourquoi elle n'irait plus jusqu'au bout- cette méthode, qui est celle que vous avez portée dans les CPC pendant des années et des années, qui naturellement dépasse de loin le temps de la mission qui m'est confiée, qui a commencé avant et se continuera après, cette méthode, pour finir, pourrait bien devenir la méthode européenne.
Ce premier succès appellera immédiatement d'autres initiatives à prendre. Qui garantit la certification dans chacun des pays ? Qui garantit la remise à niveau du contenu des diplômes ? Qui décide des diplômes qu'il faudra mettre en chantier dans l'avenir ?
C'est donc assez naturellement, et en raison même du premier succès remporté, que l'on verra naître la nécessité d'un organisme de régulation en la matière, un organisme européen, et, alors, il faudra savoir marcher sur le chemin tranquillement, de diplôme en diplôme et, je veux le croire, quelque chose de bien français -n'allez pas croire que je fais du chauvinisme...- en tout cas quelque chose de très efficace aura été mis en partage à l'échelle de l'Europe. Il n'est pas interdit non plus, de temps à autre, de se réjouir du fait que les Français ont une contribution positive en matière d'enseignement professionnel. Après tout, ce n'est pas toujours l'idée que s'en sont fait les uns ou les autres.
Vous voyez qu'une nouvelle fois, il s'agit de se donner des garanties, d'offrir des garanties sociales en matière de certification des savoirs.
C'est le même état d'esprit, celui qui a été mis en oeuvre à propos de la licence professionnelle, celui qui naît dans le cas du diplôme européen, du projet pilote dit " de professionnalisation durable " -en français s'il vous plaît dans le texte !- et qui devrait aboutir le 21 février par une déclaration commune des ministres et ensuite, dans un délai extrêmement rapproché, par la présentation des premiers diplômes (la Présidence espagnole étant depuis le début extrêmement attachée à ce projet et nous aidant beaucoup pour faire qu'il soit mené au rythme le plus enlevé possible) ; c'est toujours autour de cette valeur : la certification des diplômes, que tournent notre attention et notre vigilance.
Voilà pourquoi le CAP a été remis en chantier.
Je pense pouvoir dire ici qu'il y a eu un temps où le CAP n'avait plus bonne presse dans l'Education Nationale ; vous le savez mieux que moi. Notre initiative, en vérité, se présentait donc à la fois comme un plan de travail, mais aussi comme un véritable acte de réhabilitation.
Naturellement, bonne presse ou pas, les CPC n'ont jamais manqué à leur devoir et, d'année en année, les CPC ont continué à proposer des actualisations. J'ai été heureux de savoir que la totalité des CAP du bâtiment ont été réactualisés au cours des 2 dernières années, si j'ai bien compris ce que l'on m'en a expliqué. Donc, le travail a été continué et vous avez bien fait.
Ce diplôme n'est pas mort. Il a continué sa vie, reconnaissons-le pas toujours dans les conditions les plus faciles. Il n'empêche que cela reste le premier diplôme présent dans le pays, et c'est notre intérêt bien compris, l'intérêt économique du pays autant que l'intérêt des personnes, que, de manière solennelle, on marque quel est le premier niveau de qualification professionnelle reconnu partout et par tous dans ce pays.
C'est le CAP.
J'estime que cela n'enlève rien au reste. Cela n'enlève rien au bac pro. De toute façon, vous savez bien que, dans ce type de situation, la validation vient par l'embauche ; c'est ce que l'on constate dans l'arène économique. Je le mentionne seulement parce que, à un moment donné, quelqu'un m'en a fait l'observation en me disant : " Si vous remettez en place le CAP, que va-t-il advenir du bac pro ? ". J'avoue que la question m'a surpris. Je ne voyais pas en quoi cela s'opposait ni en quoi c'était contradictoire, mais, dans la mesure où ce serait un souci ou une angoisse, que mon propos serve à désamorcer l'un et l'autre.
Il me semble qu'il faut fixer une norme et qu'il faut le faire avec sérieux.
Il y avait donc un travail considérable à faire, non seulement pour l'organisation de la structure de l'enseignement du CAP, mais sur les programmes, et en particulier les programmes dits " de matières générales ", englobant l'éducation physique et sportive, les mathématiques, la physique, l'histoire, le français, l'éducation civique, juridique et sociale, où rien n'avait été prévu auparavant, les arts appliqués et les langues vivantes, importantes parce que c'est là qu'il a fallu rendre des arbitrages, qui sont toujours douloureux pour les gestionnaires des deniers publics que sont les ministres, parce que tout est important, mais il faut faire des choix à certains moments ; et je dois dire que, là, j'ai bénéficié d'un appui du Ministre Jacques LANG extrêmement précieux, comme vous allez le voir dans un instant.
Qu'avons-nous fait, à part la rénovation de ces contenus ? Je préfère ne pas mentionner depuis quand personne n'y avait touché, par respect pour tous ceux qui sont titulaires de ces diplômes, mais je préférerais qu'on ne l'oublie pas, entre nous en tout cas.
Plusieurs choses ont été faites.
D'abord, l'idée est de découper le CAP, au moment où on se prépare à le passer, en modules. La modularisation nous permet d'atteindre plusieurs objectifs.
Le premier : faciliter l'identification des savoirs acquis dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience.
Ce n'est pas une petite chose, puisque vous vous souvenez que la validation des acquis de l'expérience n'a pas seulement pour objectif de reconnaître, avec tout ce qui va avec, ce qui a été appris à l'école de la vie : elle a aussi pour objectif d'être un des outils qui ensuite incite à l'entrée dans la formation continue en faisant l'économie des cursus précédents.
Il me semble que, dorénavant, nous devons, pour tous les diplômes, faire cet effort supplémentaire qui permette de réaliser plus facilement le travail, à partir d'un récit de vie professionnelle, d'identification des savoir-faire auxquels ce récit renvoie.
Deuxième élément : dès lors qu'il y a des parties communes, cela facilite l'acquisition de plusieurs CAP pour un même travailleur.
Troisième élément : j'ai pu observer que, dans l'apprentissage concret, le système des modules permettait une forme d'organisation de l'enseignement dans un établissement qui consiste à regrouper, suivant le module, par niveau différent, les élèves auxquels le CAP est enseigné.
Je l'ai vu mis en oeuvre au lycée de l'Estaque à Marseille il y a maintenant plus d'un an et demi, méthode qui avait conduit d'ailleurs l'équipe pédagogique à dissoudre la notion de classes au profit de ces modules et qui donnait des résultats tout à fait extraordinaires, non seulement dans la capacité d'acquisition des jeunes, mais aussi -pourquoi le cacher ici ?- en matière de tranquillité de l'établissement et d'épanouissement des jeunes, puisqu'ils se trouvaient toujours placés en situation de réussite.
Un autre objectif me semble pouvoir être atteint de cette manière : nous avons introduit des dimensions pédagogiques nouvelles comme le PPCP, l'ECJS et, dans certains cas -et ce n'était possible qu'en travaillant de cette manière- nous avons pu mettre au point -sachant très bien qu'il va en coûter- des seuils de dédoublement qui me semblent mieux adaptés à la situation particulière des apprenants, comme l'on dit, parce qu'il faut penser aussi à la formation continue en l'espèce, extrêmement intéressante.
C'est ainsi que, pour ce qui concerne les langues vivantes, le seuil du dédoublement aura lieu au 16ème élève et, en enseignement artistique, au 19ème.
Ce n'est pas une décision facile à prendre. Je me permets de demander qu'on nous laisse le temps de la digérer avant d'en proposer l'extension et la généralisation dans des conditions qui ne seraient pas tenables et qui conduiraient à remettre en cause tout le système.
J'invite donc, quelle que soit notre satisfaction, à prendre ce qui est décidé avec modestie et le moins de bruit possible. Ce n'est pas banal... D'habitude, les ministres sont plutôt partisans du fait que l'on batte le tam-tam. Eh bien, pas moi ! Pas vu, pas pris, cela me va. Parce que, là, c'est véritablement un gros effort financier qui est fait et, soyons clairs, c'est forcément par arbitrage. On a vu souvent les arbitrages rendus dans un autre sens ; cette fois-ci, ils le sont dans le sens de l'enseignement professionnel, des valeurs auxquelles vous êtes attachés. Si je peux me permettre une recommandation : prenons-le comme du bon pain et sans en faire davantage. Pas vu, pas pris.
On me dit que l'on devrait arriver, avant la fin du mois de mars, à pouvoir signer tout cela.
J'ai oublié de dire tout à l'heure que, sur le projet pilote de professionnalisation durable -parce qu'il faut chaque fois que mes chapitres soient conclus par votre propre implication- les CPC sont impliquées dans la production de ces diplômes et elles le sont d'autant plus que, mes Amis, il faut mettre les bouchées doubles ! Ce n'est pas non plus une affaire personnelle, mais, quand on a une bonne fenêtre de tir, il faut faire très vite pour faire aboutir. Je ne peux pas vous dire ce qui se passera dans 3 mois, dans 4 mois. Est-ce que les mêmes responsables politiques ici et là auront les mêmes objectifs ? Est-ce qu'ils auront les mêmes priorités ? Quand je dis cela, je le dis pour toute l'Europe et je n'y introduis aucune espèce d'appréciation qualitative ou politicienne. C'est tout simplement ce que nous connaissons du mouvement de la vie.
Donc, il faut impérativement que tout cela soit ficelé, bouclé sous la présidence espagnole.
En plus, vous avez bien compris, j'imagine, du point de vue de l'Europe politique, l'intérêt qu'il y a à ce qu'une initiative portée, proposée par le Gouvernement français, de la couleur que vous savez, soit portée et conclue par le Gouvernement espagnol, de la couleur que vous savez. Ce qui fait que ce projet va être totalement découplé de toute autre considération que celle de l'intérêt du projet lui-même.
C'est une conjonction que l'on ne retrouvera pas forcément tout de suite. Donc, il faut faire vite et aboutir. C'est la raison pour laquelle les CPC concernées sont impliquées depuis le début et qu'elles seront saisies immédiatement. Dès que c'est " plié " à l'Europe, on revient avec le document -les membres des CPC ne seront pas surpris, ils ne le découvriront pas comme quelque chose de nouveau- et on " plie " séance tenante, parce qu'il faut que la France soit parmi les premiers pays à reconnaître ces diplômes.
Après, comme vous le savez, pour que le système fonctionne, il faut que ce soit à la libre appréciation de chaque Etat. Si les Français reconnaissent aussitôt, de quoi auront l'air les autres ? Les Espagnols vont le faire tout aussitôt, les Grecs aussi et la machine va se mettre en mouvement. Je fais le pari que ceux qui sont les plus réservés aujourd'hui vont finir par se dire qu'ils ne peuvent pas rester à côté de cela. Quelle sera la valeur pour le même segment d'activité professionnelle d'un BTS ou équivalent purement national quand existera un BTS à valeur européenne ? C'est un peu comme l'Euro : certains ont des regrets aujourd'hui.
Donc, là, à nouveau, les CPC vont être fortement sollicitées.
Dernier élément : le lycée des métiers. J'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer devant vous au moins une fois par présence.
Le lycée des métiers, comme vous le savez, est un objet qui regroupe, dans une même maquette, la généralisation des bonnes pratiques constatées en la matière un peu partout dans le pays. En ce sens, il n'est pas original, mais je ne me sentais pas astreint à un devoir d'originalité. On y trouve la voie technologique, la voie professionnelle, chacune dans sa spécificité et ses modes particuliers d'enseignement. On y trouve le Centre de validation des acquis de l'expérience, le Centre d'apprentissage public, le Centre de formation continue, et des diplômes post-bac, BTS et licence professionnelle. Tout ce que je viens de dire fonctionne déjà : ici à 100 %, là à 90 %, là-bas à 80 %, et partout produit des effets positifs.
Le lycée des métiers permet une identification par famille de métiers, une plus grande lisibilité de la voie des métiers, permet en son sein la plus grande synergie possible des équipes pédagogiques, la plus grande capacité possible de suivi des élèves et d'élaboration avec eux d'un parcours scolaire personnalisé et différencié, ouvrant continuellement différents modes pédagogiques.
J'ai l'impression de m'être déjà tellement exprimé sur le sujet que je ne veux pas vous lasser en me répétant. Mais le projet sera de nouveau présenté tout à l'heure dans le détail.
Je n'ai pas vu que ce projet ait soulevé beaucoup d'objections ; des inquiétudes sans doute, des angoisses fondées : il y a des vrais problèmes, assez contradictoires.
D'un côté, j'ai lu -pour vous citer les cas les plus extrêmes- que l'on m'accusait d'assassiner l'enseignement professionnel. Venant de l'intérieur de la Maison, j'y ai vu la marque d'un effet de lyrisme finalement assez traditionnel puisque j'ai remarqué depuis 2 ans que j'étais régulièrement accusé d'assassiner l'enseignement professionnel, ce qui fait que l'on peut plutôt m'accuser d'acharnement à piétiner le cadavre, car il y a déjà un moment qu'il devrait être mort, compte tenu des méthodes que, paraît-il, je lui applique !
En face de cette inquiétude -je la prends sur un mode plaisant, mais croyez que j'ai toujours considéré avec beaucoup de sérieux les critiques présentées- et sur un mode parallèle, j'ai observé des réactions des Chambres de métiers qui m'ont paru, elles aussi, témoigner de l'inquiétude, mais, cette fois-ci, exactement inverse, puisque l'on m'a reproché de vouloir anéantir les CFA.
Je ne me prépare à faire ni l'un ni l'autre. Telle n'est pas la situation du pays où nous pourrions-nous offrir, sous la houlette d'un ministre, une espèce de guerre de terrain, comme cela. On n'en est pas là.
Les Amis, c'est tout autre chose que l'on a devant nous : c'est un effort considérable pour organiser à flux tendus un retour de la masse de la population au travail. Vous connaissez comme moi les chiffres : 5 millions de personnes vont partir à la retraite dans les 10 prochaines années, qui n'ont pas le bon goût de partir toutes à mesure que nous sommes en capacité de les remplacer, la moitié des cadres de l'industrie dans les 5 prochaines années. 2,5 à 3 millions de postes de travail seront créés mécaniquement par la croissance, même molle. Cela représente 7 à 8 millions de postes de travail à pourvoir. Encore ne dis-je rien de ce que la décision politique peut elle-même créer comme emplois et, pour ne pas aller chercher des sujets qui pourraient susciter ici des polémiques comme les 35 heures, on pourrait simplement évoquer l'APA, qui à elle toute seule exige de nous 100 000 personnes qualifiées que nous n'avons pas.
Le cadre dans lequel nous travaillons, c'est la mobilisation pour parvenir à pourvoir, dans des conditions de niveaux de qualification optimum, ces 8 millions de postes de travail qu'il va falloir pourvoir dans les 10 ans qui viennent.
Je ne suis pas dans une logique de guerre picrocholine entre systèmes : je suis dans une phase où j'essaie d'examiner tout ce qui peut renforcer les synergies, faciliter les parcours, optimiser les sorties qualifiantes de tous les systèmes possibles pour faire en sorte que ce pays puisse tenir son rang, car, naturellement, l'exercice des métiers modernes requiert sans cesse des prérequis toujours plus élevés. Il y a peu de chance -serait-ce d'ailleurs vraiment une chance ?- que, dans les 10 prochaines années, tout d'un coup, le niveau se mette à baisser et que les entreprises, les entrepreneurs soient appelés à produire un travail de moins grande qualité.
Je le dis pour balayer tout ce qui pourrait se rapporter à je ne sais quelle bataille. Ce n'est pas de cela dont il s'agit.
Ce dont on a à discuter, c'est de la qualité de l'outil que l'on met en place, des performances que l'on peut en attendre et, s'agissant de l'Education Nationale, c'est son devoir, parce qu'elle ne s'appartient pas, parce qu'elle appartient au pays, qui commande et qui doit être servi et obéi, que les millions mis dans ces établissements donnent des résultats. Il y a beaucoup de travail à faire. C'est là-dessus que l'on doit se concentrer.
Le lycée des métiers peut préfigurer ce que peut être une manière tranquille, non dogmatique, d'unifier les outils de la voie des métiers, en tout cas tous les outils publics.
Au demeurant, s'agissant des CFA, vous savez comme moi qu'en toute hypothèse, dans nos établissements où qu'ils soient, tout aussi publics d'ailleurs, gérés par les chambres consulaires, de toute façon, les coopérations sont possibles, et elles existent déjà. Je veux bien qu'ici ou là on fasse de la théorie abstraite : dans la réalité, c'est ainsi que cela se passe. D'ailleurs, il y a parfois des situations cocasses, où l'Education Nationale est opérateur des CFA. J'ai trouvé cela cocasse en le découvrant : on m'a dit que non, que c'était tout à fait habituel et tout à fait acceptable. Parfait ! Si tout le monde est content, cela me convient.
Evidemment, ces lycées des métiers proposent aussi deux autres objectifs :
- Le premier : permettre aux régions de faire des cartes de formation plus concrètement inscrites dans les paysages économiques locaux.
- Deuxièmement, parce que le lycée des métiers est un label de qualité, est un horizon d'excellence, il trace un objectif pour tous les lycées professionnels et techniques de France.
Naturellement, cela réorganise la discussion sur les moyens ; en tout cas, cela la rend concrète. Si tout le monde doit atteindre le niveau du lycée des métiers, c'est le crayon à la main, que cela se fait, établissement par établissement. Pour arriver à la maquette, il faut ceci, ceci, cela en plus, et cela prendra tant et tant de temps.
Vous savez comme moi que l'on ne fera pas tout d'un coup parce que cela coûte beaucoup d'argent, mais on a un horizon. Donc, je pense que plus personne ne pourra dire : " On nous a oubliés, on ne compte plus ". Au contraire, on va être dans un cadre de discussion concret, technique, appuyé sur des réalités, mesurable partout le monde et discutable entre gens rationnels, et non pas dans les phantasmes.
Voilà les trois sujets qui vont être présentés dans la journée. Je ne vais pas en dire plus ; sinon, cela va décidément être trop long. M. de GAUDEMAR présidera cette séance de travail. Je lui renouvelle mes remerciements et je lui demande de les transmettre à toute son équipe, parce que je sais ce que cela a représenté de plus par rapport à tout ce que l'on vous a déjà demandé dans cette affaire.
Mesdames et Messieurs, si vous le permettez, je ferai une autre petite remarque personnelle.
Pour beaucoup d'entre vous, l'Education n'est pas seulement un service public, pas seulement un métier : c'est souvent un idéal, quelque chose qui entre dans la philosophie de la vie.
J'ai l'honneur et le bonheur d'être entouré d'une équipe d'hommes et de femmes qui sont dans cet état d'esprit.
S'agissant tout particulièrement du CAP, qui est le diplôme de base de la classe ouvrière et des employés de notre pays, au moment où sa rénovation va s'accomplir, je voudrais vous dire que cela a été de l'émotion pour ceux qui ont piloté ce projet, comprenant bien qu'ils faisaient davantage qu'améliorer une structure pédagogique : ils apportaient quelque chose à l'identité ouvrière de notre pays.
C'est singulièrement vrai pour mon Directeur de Cabinet : M. VALADAS. Il est inhabituel que l'on mentionne les personnes, et surtout celle-ci a moins le goût qu'aucune autre d'être citée, mais, puisque le déroulement normal de sa carrière va le conduire à prendre des fonctions d'Inspecteur Général de l'Education nationale, ce qui est fort lamentablement et provisoirement incompatible avec sa fonction de Directeur de Cabinet, je voulais lui donner ce témoignage de mon amitié devant vous -je ne le regarde pas, mais je sais qu'il est très gêné- parce que, véritablement, cet homme a eu à coeur, sur ce sujet, d'une manière qui n'était pas technique, mais qui était pour ainsi dire quasi viscérale, de porter ce projet de rénovation du CAP jusqu'au bout et, quand nous aurons tous fini notre travail, les autres fois aussi mais celle-là plus particulièrement, nous pourrons avoir au coeur l'idée que nous avons bien servi le peuple français et, si vous le permettez, la classe ouvrière.
Merci.
(Applaudissements)
M. de GAUDEMAR. - Merci, Monsieur le Ministre.
Comme vous pouvez rester un moment avec nous, je propose d'ouvrir déjà un échange à partir de vos propos.
Mme GOSSELIN (Pte 20ème CPC). - Je m'adresse à vous en tant que Présidente de la 20ème CPC. Je le précise parce que j'aurai une autre casquette au cours de la réunion : je représenterai aussi la Confédération CFDT, qui vous prie d'excuser son absence.
Vous avez parlé tout à l'heure, à fort juste titre, de fenêtre de tir. C'est pourquoi je prends la parole en premier lieu, parce que je veux intervenir sur un sujet un peu en décalage par rapport à l'ordre du jour qui nous rassemble ici.
Vous avez tout à l'heure redéfini -et ce n'est pas la première fois que l'on vous entend- l'exemplarité du travail réalisé par les CPC.
Vous avez également souligné le travail de conviction qui a été fait à partir de cet exemple français et qui, peut-être, va séduire de plus en plus d'autres pays de l'Union Européenne, voire plus.
Il est bien dommage -et je parle aussi de fenêtre de tir par rapport à notre calendrier national- que ce qui est possible à l'étranger ne le soit pas dans notre propre pays.
Je vais revenir sur un point, comme je l'avais déjà fait au dernier CIC, mais, malheureusement, vous nous aviez déjà quittés à ce moment-là.
Dans la 20ème CPC, qui s'occupe notamment des diplômes du sanitaire et du social, nous avons un problème depuis plusieurs années qui n'arrive pas à être tranché, car les arbitrages franco-français au sein du même Ministère de l'Education ne sont toujours pas intervenus : je veux parler du blocage de la rénovation de certains BTS menant à des professions sanitaires.
Ces blocages ne sont toujours pas résolus. Une bonne fenêtre de tir et j'allais dire aussi peut-être un calendrier peuvent nous aider.
Il n'y a pas que les organisations syndicales : les fédérations patronales concernées, dont certaines sont présentes dans cette salle, ont le même problème. Je vais vous dire comment je le perçois, de ma petite place de militante CFDT, dans un petit secteur sanitaire et social.
Je pense que le fait que les BTS aient deux chefs : à la fois l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur, n'est pas de nature à simplifier les affaires.
Par ailleurs, certains des BTS ont leurs pendants dans les IUT.
Est-ce pour toutes ces raisons ?... Toujours est-il qu'encore cela pose des problèmes sur le terrain. Cela pose des problèmes dans les entreprises entre salariés qui ont, soit le diplôme du Ministère de la Santé, mais qui est quand même un diplôme de l'Etat, garanti par l'Etat, soit les BTS qui n'ont pas été rénovés depuis maintenant plus de 20 ans. Or, on ne peut pas dire qu'il n'y ait pas eu de progrès de la science dans ces domaines-là. Donc, cela pose des problèmes.
Et puis, l'actualité me permet malheureusement de saisir cette occasion. Notre Ministre de l'Education Nationale a signé un arrêté le 8 janvier, qui est paru au Journal Officiel de samedi dernier 9 février, qui conduit à une disparité de traitement entre les diplômes de l'Etat. En clair, les BTS de l'Education Nationale sont les laissés-pour-compte des dispositions qui ont été prises par l'Education Nationale. Cet arrêté du 8 janvier donne la liste des diplômes qui permettent l'accès en plein droit à certains diplômes nationaux en licence. C'est technique, je ne m'étends pas, mais toujours est-il que les diplômes de l'Education Nationale élaborés en CPC sont maltraités à cause de cela.
J'en termine avec ma fenêtre. Je reprendrai bien sûr, dans le cours du débat naturel de l'ordre du jour qui nous réunit, la parole ultérieurement.
M. PELISSIE (Vice-Pt 20ème CPC). - Monsieur le Ministre, simplement, puisque nous avons été cités indirectement en tant que collège employeur, j'indique que j'appuie les propos de Mme GOSSELIN.
M. FAKHFAKH (CGT-FO) - Monsieur le Ministre, vous avez déclaré en préambule que vous présidiez votre 3ème CIC. Je dois dire que nous nous félicitons de la présence d'un Ministre dans une telle instance parce que, au moins, cela présente l'avantage d'avoir des réponses immédiates aux questions que l'on peut se poser, fussent-elles succinctes.
Je voudrais revenir à un propos que vous avez cité en préambule. Vous avez dit : " Le système français suscite beaucoup d'intérêt ". J'ai lu quelque part dans un document que vous connaissez : " Une société démocratique doit pouvoir y voir clair sur les finalités et les performances de son école ".
M. le MINISTRE. - Vous avez de bonnes lectures, Monsieur !
M. FAKHFAKH. - Je suis un petit peu inquiet lorsque je lis, par exemple, les chiffres de la DPD concernant les effectifs depuis 3 ans dans l'enseignement professionnel. On arrive à une baisse catastrophique au niveau de la scolarisation. J'ai fait un petit calcul : on arrive à peu près, depuis 3 ans, à 36 498 élèves en moins.
Vous me répondrez qu'il y a eu la suppression des 4èmes technologiques, qu'il y a eu une baisse démographique, mais, à mon avis, ce n'est pas suffisant.
Ce qu'il y a, c'est que, par exemple, au mois de mars 2001, vous avez saisi les organisations syndicales concernant un projet de réforme des collèges. Ce projet avait besoin d'être discuté ; vous proposiez des discussions et, malheureusement, il a été coiffé par une autre réforme : celle de M. LANG, dont je considère -excusez-moi le terme- que ce sont des rustines dans une réforme qui existait déjà.
Qu'est-ce qui arrive ? Finalement, on maintient en scolarité des élèves dans les collèges jusqu'à la classe de 3ème, alors qu'ils sont demandeurs depuis longtemps d'entrer dans la voie professionnelle.
Il existait au niveau de l'orientation des élèves après la classe de 3ème des commissions d'orientation. Pour la première fois, au mois de juin dernier, on a remplacé ces commissions par un logiciel. On fait dire au logiciel ce que l'on veut, et on lui a fait dire la chose suivante : " Il faut scolariser les élèves dans la voie professionnelle les plus âgés, et non pas les plus méritants ".
Actuellement, que constate-t-on ? Au fond, les lycées professionnels, d'une façon générale, n'étaient pas touchés par les problèmes de violence. J'ai derrière moi 32 ans de vie professionnelle dans un lycée professionnel : il n'y avait pas le moindre signe de violence. Actuellement, on y amène des élèves dont on a l'impression qu'on les oblige quand ils arrivent à l'âge de 16 ans... Finalement, un élève qui a 17 ans, pour entrer dans un lycée professionnel, est plus méritant qu'un élève motivé par une voie professionnelle et un élève qui obtient de meilleures notes par rapport à celui qui a été choisi par le logiciel. Je dis bien choisi par le logiciel.
On constate aussi -une étude a été faite dernièrement- qu'à peu près 3 élèves sur 4, quand ils sortent de l'enseignement professionnel, ont beaucoup de difficultés à trouver un premier emploi.
M. le MINISTRE. - Laissez cela aux adversaires de notre enseignement.
M. FAKHFAKH. - Mais si, Monsieur le Ministre, je vous assure que les élèves qui sortent d'un lycée professionnel avec un BEP, bien sûr pas dans toutes les formations, mais dans certaines formations, ont beaucoup de difficultés à trouver un emploi.
Il faut dire aussi un élève qui sort avec un BEP, on lui demande l'impossible. Mais qu'est-ce que c'est ?... En fait, il est capable de s'adapter à l'emploi qu'on lui donne. Or, les employeurs demandent tout de suite des compétences, des compétences, des compétences. Mais qu'on laisse la personne se former ! Après tout, dans l'Education Nationale, quand quelqu'un est reçu au concours, on lui laisse le temps de se former dans l'entreprise, autrement dit à l'IUFM.
Voilà les inquiétudes que je voulais exprimer.
Je souhaite quand même que, par exemple au niveau des organisations, l'UPA ou le MEDEF, peu importe, l'on soit un peu moins exigeant avec les élèves qui sortent du système et que, finalement, on les laisse s'adapter avant d'évaluer leurs compétences.
Vous savez, Monsieur le Ministre, on demande actuellement à nos élèves de faire une lettre de motivation qui est un véritable journal. Je ne sais même pas si quelqu'un qui sort d'une licence est capable de rédiger comme il convient une lettre de motivation.
J'interviendrai plus tard sur les points qui seront à l'ordre du jour, mais, comme l'ordre du jour appelle aussi des questions diverses, Monsieur le Ministre, je voudrais vous poser les deux questions suivantes.
Premièrement, est-ce que la licence professionnelle sera touchée par le Master dont on parle, le bac+5 ?
La deuxième question concerne le plan de carrière expérimenté l'an dernier dans 5 académies et qui, je crois, va se généraliser : il s'agit du bilan d'étape pour les élèves qui ont 15 ans.
Merci, Monsieur le Ministre.
M. SORLUT (Pt 9ème CPC). - Monsieur le Ministre, je ne voudrais pas vous traiter d'assassin de l'enseignement technique, mais je me permettrai de vous faire la remarque suivante.
Je suis industriel et je suis très inquiet de l'avenir des jeunes.
Mon inquiétude tient, d'abord, au CAP. Il faudrait quand même clarifier un peu la formation professionnelle, car il y a une bouillabaisse dans le dossier extraordinaire, qui est un travail de fourmi. Je ne veux pas faire de reproches, loin de là, mais je voudrais que l'on parle de la formation technique, professionnelle. On est actuellement dans une commission professionnelle : restons bien professionnels. Les gosses, quand ils arrivent sur le terrain, c'est pour avoir une place, du travail, etc., et, quand ils sont bien formés, ils trouvent du travail immédiatement ; cela ne pose aucun problème.
Concernant le lycée des métiers, cela fait 15-20 ans que j'en parle. Je vous ai écrit de nombreuses fois : je n'ai jamais eu de réponse. Je pense que vous n'avez pas de collaborateurs pour écrire...
Le lycée des métiers, c'est une très bonne chose, à une seule condition : qu'il y ait des enseignants et que vous puissiez marier cette opération avec des vrais professionnels. Sans professionnels, vous allez à l'échec.
Il faut que vous sachiez, aujourd'hui, que vous n'avez pas formé de professeurs de l'enseignement technique depuis 15 ou 20 ans ; et cela, c'est grave. Les chefs de travaux sont remplacés par n'importe qui dans vos lycées : c'est très grave. On va mettre, par exemple, pour l'industrie de l'habillement, un comptable ou un mécanicien, etc.
On vit un autre monde. Aujourd'hui, cette intelligence de la main, il faut la garder pire que jamais !
Mon inquiétude est la suivante. Vous avez pris du retard... Je ne veux pas dire que l'industrie n'a pas pris de retard : c'est pareil ; je ne veux faire aucune critique. Simplement, aujourd'hui, les entreprises qui restent sur le terrain à produire en France, ce sont celles qui ont participé à la formation et celles qui ont formé chez elles.
C'est pourquoi, dans le lycée des métiers, il faut y voir très clair. J'ai relu votre dossier à plusieurs reprises : c'est une vraie bouillabaisse ! L'idée est excellente, mais il faut qu'elle soit technique ; sinon, on va à l'échec.
C'est une très bonne idée, mais, sur le plan européen, aujourd'hui, on s'aperçoit que les gens ont délocalisé. Il ne faut pas croire que les autres pays ont du retard également : ils ont évolué aussi. Que ce soit une idée française, tant mieux, parce que tout le monde veut venir en France pour la créativité. On entre dans un siècle de la créativité et de la qualité. Donc, vous ne réussirez que par ces moyens, que par une collaboration avec les vrais professionnels.
Merci, Monsieur le Ministre.
M. BECHLER (APCM). - Je suis Président de la Commission de Formation à l'APCM.
Monsieur le Ministre, je voudrais vous féliciter. La dernière fois, je ne l'ai pas fait, mais, cette fois-ci, si effectivement la double moyenne est maintenue, comme j'ai pu le lire, au CAP, je vous remercie. C'était ce que j'ai souhaité la dernière fois quand je suis intervenu, et vous avez même failli oublier de me répondre, mais ce n'est pas grave.
Je voudrais vous féliciter sur un autre point : le regroupement dans les lycées des métiers des formations professionnelles et technologiques. Je pense que c'est une très bonne chose.
J'ai gardé pour la fin ce qui me convient un peu moins dans cette réforme du CAP. J'ai quand même l'impression que ce CAP ou cette réforme dévalorise ce niveau. J'espère que, là aussi, si ce n'est pas aujourd'hui mais au moins la prochaine fois, vous arriverez à me convaincre.
M. le MINISTRE. - Sûrement pas. Argumentez ! Cela ne suffit pas de me dire que cela dévalorise. Montrez en quoi cela dévalorise.
M. BECHLER. - Permettez-moi de vous dire que vous étiez récemment en Alsace, à Cernay. Je pense que l'on vous a déjà un peu tenu ce langage au niveau de la formation.
Je peux vous dire que, dans les métiers où je suis responsable et que nous exerçons en Alsace, le niveau du CAP est déjà supérieur à celui que l'on veut mettre en place avec la réforme. Cela voudrait aussi dire qu'avant c'était moins bien ailleurs que chez nous. On peut dire cela, mais ce serait un peu osé de ma part et je ne veux pas dire cela. Mais, quand je vois le niveau actuel de ce qui est mis dans le référentiel dans certains métiers que je représente et notamment les métiers de la bouche, ceux quand même qui pour l'instant souffrent le plus... Dans mon département, cette année, nous n'avons que 5 apprentis bouchers sur deux CFA. C'est quand même assez catastrophique ! Je ne sais pas si c'est à cause de la vache folle. On peut dire tout ce que l'on veut : je constate sur le terrain que l'on n'a que 5 apprentis dans un département.
Là, il y a de réels problèmes. Je veux bien qu'on oublie un peu l'alimentation, mais l'alimentation, c'est quand même encore ce que l'on a de mieux lorsqu'on se met à table. Alors, si on ne veut manger que des hambergers, etc., il faut nous le dire : on arrête les métiers et on n'aura même plus besoin de lycées des métiers !
Si vous me demandez d'argumenter le niveau, je l'ai constaté puisque ma profession : la Boulangerie, a déposé son CAP réformé au Ministère de l'Education. Je l'ai ici ; je peux vous le montrer. Par rapport au niveau du CAP que nous avions nous, il est quand même inférieur puisqu'il y a 3 produits qu'on ne fait plus sur le plan national, alors que nous les avons.
Il serait dommage qu'il y ait des CAP à deux vitesses, des CAP plus costauds et d'autres plus faibles. Là, il y a peut-être aussi du travail à faire. C'est vrai qu'ici vous faites un travail général regroupant l'ensemble des métiers, mais je crois qu'il faudrait quand même regarder d'un peu plus près pour que l'ensemble des CAP soient d'un niveau semblable.
M. de GAUDEMAR. - Le Ministre devant bientôt nous quitter, je vous demanderai d'être le plus concis possible.
M. REGNAULT (CGT). - Je vais essayer d'être concis, Monsieur de GAUDEMAR.
Monsieur le Ministre, comme j'ai eu l'occasion de le dire à votre Directeur de Cabinet lors de la réunion du Comité de coordination des programmes régionaux de l'apprentissage et de la formation, qui s'est tenu à Limoges il y a quelques jours, je partage avec vous l'idée d'inscrire la question de l'offre générale d'éducation et de formation tout au long de la vie dans une problématique beaucoup plus générale liée à l'emploi -et vous avez rappelé un certain nombre d'exigences devant lesquelles chacun de nous se trouve pour les années à venir- et aussi, bien sûr, au développement social.
Si le Ministère s'inscrit dans l'idée de développer à la fois la formation initiale et la formation continue des salariés, nous pouvons nous en féliciter, d'autant plus qu'à la CGT nous regrettons que les accords de 1970 et la loi de 1971, qui ont bâti notre système de formation professionnelle continue, auquel nous avons d'ailleurs beaucoup concouru puisque c'était un des acquis des luttes des années 1960 et notamment de 1968, n'aient pas débouché sur une implication beaucoup plus grande du service public d'Education nationale.
Aujourd'hui, on parle beaucoup de marchandisation de la formation. Si le service public d'Education que vous représentez s'inscrit dans une politique qui vise à combattre cette marchandisation et à remettre un peu les choses là où elles devraient être en termes de formation continue des salariés, mais aussi en termes de formation initiale, nous ne pouvons que nous en féliciter.
Cela dit, j'avais également émis l'idée que, si l'on pouvait se féliciter de ce retour, en quelque sorte -au-delà du travail des GRETA, bien sûr, que je ne méprise pas, au contraire, qu'il faut féliciter- il fallait aussi se méfier des effets de balancier. II faut regarder en quoi l'Education Nationale doit être effectivement un pivot de ce service public en termes d'éducation, de formation, d'orientation, de validation et d'insertion, mais certainement pas essayer de retrouver une espèce de monopole qui ne serait plus d'actualité. J'ai lu dans vos propos ou j'ai entendu dans les propos de M. VALADAS à Limoges le terme de " leadership " : je crois qu'il y a besoin de réfléchir à la place des uns et des autres sur cette question.
Je n'évoquerai pas la question du CAP et des diplômes européens pour la bonne et simple raison que nous avons reçu les documents très tardivement. Bien sûr, ce que je vous dis est aussi tributaire du débat qui existe également à la CGT sur l'ensemble des sujets que vous avez abordés, et je vous demanderai de prendre mes propos, non pas comme des positions définitives, mais bien comme des contributions au débat.
Sur le CAP, vous connaissez notre position : un diplôme doit correspondre à un emploi existant ou en voie d'exister, il doit correspondre à une qualification liée à l'emploi, mais il doit aussi constituer -vous l'avez rappelé à juste titre- une garantie collective, qu'elle soit nationale ou à d'autres niveaux de territoire plus grands.
Vous avez soulevé la question du CAP comme premier niveau de qualification, base des qualifications dans notre pays. Je crois qu'il faut prolonger le débat beaucoup plus loin au niveau des branches. Aujourd'hui, le premier niveau de qualification dans certaines branches est loin d'être le CAP, en tous les cas le niveau 5 de qualification. C'est peut-être cette articulation-là qui pose problème aujourd'hui.
Je me bornerai, pour être concis, comme l'a souhaité M. le Directeur, à la question du lycée des métiers, parce qu'il s'agit, en fin de compte, quelle que soit son appellation, d'une revendication qui est aussi celle de la CGT depuis longtemps. Mais cette idée de faire correspondre le service public d'offre de formation à la réalité territoriale doit aussi, pour nous, s'inscrire dans une logique démocratique.
Il serait dommage quand même qu'une gageure aussi importante que celle-ci se traduise par un simple dialogue entre l'Administration de l'Education Nationale et les Chambres patronales, par exemple, ou les branches, a fortiori entre le simple recteur et le représentant patronal de la région ou du territoire. Pour nous, c'est exactement le contraire, et la question du transfert de technologie, qui est fondamentale aujourd'hui dans notre pays, demande que soient mis en oeuvre des espaces où tout le monde pourrait concourir, et pas simplement réservés à ceux qui savent ou à ceux qui pensent que c'est bien pour le reste(?). Je pense que l'Education Nationale, sur la question des transferts de technologie, ne doit certainement pas être à la remorque de l'existence du marché du travail, mais doit se placer, pour reprendre votre terme, sur une vision un peu plus universelle.
Pour nous, il y a trois sujets importants qu'il faut aborder de front, ce que j'appelle par commodité " les trois concurrences ", mais vous y avez déjà un peu répondu dans des interviews :
- la concurrence entre le lycée labellisé et les autres : nous estimons que la situation de l'enseignement technique et professionnel aujourd'hui est trop dramatique pour subordonner un certain nombre de mesures à la labellisation, par exemple le suivi médical ou le suivi social. Ces mesures devraient s'appliquer à tout le monde et dans l'urgence, indépendamment du cheminement vers la labellisation, et nous estimons que cette dernière devrait être une garantie, une norme de qualité plus qu'un passeport pour obtenir certains moyens. Vous l'avez dit, cela évoque la question des moyens : ils sont là en effet. Je crois que ce qui se fait de manière particulière ne doit pas être fait au détriment de tous ;
- la concurrence entre la formation majeure du lycée des métiers et les formations mineures autour : il y a besoin de regarder vraiment avec attention quel est le sort réservé à ces différentes offres de formation. On sait très bien que, d'une région à une autre, selon qu'elles soient de mono-industrie ou de polyindustrie, la question se pose bien sûr différemment. Là aussi, il y a besoin de décliner un certain nombre de principes généraux ;
- la concurrence entre les publics : c'est peut-être celle qui aujourd'hui fait remonter dans les Conseils d'Administration un certain nombre d'inquiétudes et de craintes. J'ajouterai : d'objections, parce que ce que j'entends et ce que je lis d'un certain nombre de personnes intéressées montrent que cette espèce de marche forcée que vous entamez par l'intermédiaire des autorités rectorales suscite quand même un certain nombre d'oppositions : pas seulement de craintes et d'inquiétudes, mais d'oppositions.
Je conclurai en vous demandant de ne pas confondre vitesse et précipitation. Il y a besoin en effet de s'attaquer à un certain nombre d'enjeux et il y a besoin, pour le service public d'Education nationale, de se positionner sur un certain nombre d'endroits, où personne a sa place ne pourra le faire. Il y a besoin de multiplier les espaces de débat et, surtout, d'associer à cette démarche les premiers intéressés que sont les salariés.
Vous comprenez bien qu'en tant que représentant de la CGT ici je vous demande, Monsieur le Ministre, quels sont les espaces et les garanties que vous offrez à ce qu'il y ait vraiment une appropriation démocratique de ces enjeux qui sont, comme vous l'avez dit vous-même, très cruciaux aujourd'hui.
M. de GAUDEMAR. - Deux dernières interventions, après quoi le Ministre répondra.
M. HENRY (Pt 2ème CPC). - Monsieur le Ministre, je vous remercie de me laisser la parole.
Je suis Président de la 2ème CPC. Nous avons rénové le diplôme avec la 5ème CPC. Tout s'est bien passé.
Les industries des roches ornementales et de construction -ce sont les termes européens qui correspondent- emploient à l'heure actuelle plus de 200 000 personnes en Europe. C'est plus que la sidérurgie.
Il y a déjà quelque temps, la CEE avait mis à notre disposition la possibilité de faire une étude sur les formations dans les différents pays de la Communauté Européenne.
Nous avons réalisé un Livre Blanc. Déjà, cela correspondait aux attentes. Ce Livre Blanc permettrait -point d'interrogation actuellement ?- la circulation plus facile entre les différents pays membres de la Communauté. C'est une chose qui existe déjà. Un livret est en cours d'élaboration et même de finition sur ce plan.
Autre point : actuellement, l'Europe se trouve devant un problème : l'approche des pays, qui correspond à la mondialisation, fait qu'ils deviennent très concurrentiels. Nous ne nous en sortirons donc que par l'excellence, la qualité et l'évolution des gens que nous formons. Cela ne peut pas être autrement. Je suis en parfait accord avec vous sur ce plan.
Il faut dire aussi que l'évolution de la consommation des roches ornementales et de construction, c'est un peu comme Sisyphe qui remontait son rocher : elle est passée en 10 ans de 18 kilos à 59 kilos par habitant. C'est significatif. Cela veut dire qu'il y a un énorme bassin d'emploi et que nous sommes très confiants dans l'avenir de notre profession.
M. de GAUDEMAR. - Dernière intervention.
M. DRUAIS (SNETAA). - Pour ne pas faire injure aux autres intervenants qui souhaitaient s'exprimer devant vous, Monsieur le Ministre, j'essaierai de faire le plus court possible.
Je tiens déjà à l'affirmer : nous sommes, et nous l'avons été depuis votre arrivée et la création de ce Ministère, à votre côté. Néanmoins, le fait d'être à votre côté ne peut pas nous interdire d'avoir des remarques, voire des critiques, à faire sur l'ensemble de vos projets.
J'interviendrai donc, dans l'ordre de ce que vous avez présenté, à savoir l'ordre inverse de l'ordre du jour, sur la professionnalisation durable, le CAP et le lycée des métiers.
Nos interventions sur la professionnalisation durable, sur la formation tout au long de la vie, vous les connaissez ; elles sont connues. Notre crainte, je vais la résumer en une seule formule : il ne faut pas que le système éducatif français, il ne faut pas que la Nation reportent à plus tard la formation des jeunes. C'est bien là un enjeu essentiel et un problème fondamental qui marquent aussi notre opposition sur la question du lycée des métiers. Votre projet pour le lycée des métiers, vu du côté des enseignants, pourrait être intéressant, mais il oublie une dimension essentielle : l'orientation des jeunes. Quel avenir pour les jeunes en difficulté ? C'est bien de vouloir monter le taquet, d'avoir en perspective pour les jeunes dans la voie professionnelle la licence professionnelle, le BTS, il est bien de penser à la rénovation des bacs techno et des bacs pro, mais, pour les jeunes qui sont en difficulté, pour les jeunes au collège, pour les jeunes qui par ailleurs seraient concernés en priorité par la relance du CAP, que sera-t-il fait ?
Justement, le CAP. Découverte du texte dans des conditions un peu hasardeuses, mais, dans ce qui nous est propose ici, il y a une ambition -vous nous le dites, vous nous demandez de nous taire sur cette ambition- il y a des dédoublements, chers au monde enseignant, mais il y a aussi des seuils.
Je me permettrai de vous rappeler, au nom du monde enseignant, Monsieur le Ministre, que les seuils ont été mis en place dans la réforme précédente concernant les BEP et les bacs pro. Il s'avère que, dans les rectorats, pour des raisons budgétaires, les recteurs jouent le malthusianisme. On ne recrute pas au-delà du seuil, on ne fait pas de dédoublements, d'où des économies. On peut être inquiet quand on voit que des seuils sont fixés à 6 : est-ce qu'on va se contenter de sections en deçà de 6 ? On peut s'inquiéter quand on voit qu'en enseignement général les seuils sont prévus à 19 : est-ce qu'on va limiter les recrutements dans les académies à 18 élèves ? C'est la réalité que connaissent actuellement les BEP, que connaissent beaucoup de bacs pro, malheureusement. L'ambition est là. Qui sera là pour surveiller ? Qui sera là pour la réalisation ?
Je rappelle que le SNETAA est l'organisation du monde enseignant des lycées professionnels majoritaire depuis 50 ans. Nous avons été à la FEN, nous avons été à la FSU, nous sommes toujours là et nous espérons bien être toujours là. Vous dites qu'il y a des inquiétudes, parfois des exagérations dans les propos. Je ne sais pas si les inquiétudes du SNETAA sont déconnectées de ce que les personnels, les élèves et les parents d'élèves expriment déjà dans les établissements. Les élections professionnelles auront lieu dans 1 an. Nous verrons bien où sera la place du SNETAA.
Il ne s'agit pas de dire que les réformes du Ministère de l'Enseignement Professionnel sont des réformes négatives. Il s'agit d'essayer d'avoir des réformes qui continuent ce qui a été fait. Nous ne partons pas de rien. Vous l'avez évoqué, les CAP aujourd'hui sont dans un état de crise réel : 300 000 places de CAP en moins, mais à qui la faute ? Sûrement pas au monde enseignant, sûrement pas à notre organisation qui, il y a 15 ans, mettait déjà le doigt sur ce risque.
Aujourd'hui, des réformes dans le cadre du lycée des métiers sont prévues : réforme du BEP, réforme du bac pro. Des expérimentations sur le bac pro en 3 ans se mettent en place. Nous vous alertons, nous alertons nos partenaires sur les dangers que ces expérimentations non contrôlées, à marche forcée, peuvent poser à l'ensemble du système d'enseignement professionnel et de formation des jeunes. Je vous le redis, on ne peut se contenter d'expressions de " formation tout au long de la vie ", de " professionnalisation durable " pour -pardonnez-moi le terme- liquider l'enjeu majeur qui est de savoir quelle chance on donne aux jeunes au moment de l'orientation, au moment où ils ont besoin d'avoir en perspective de véritables projets professionnels, non pas pour après, mais au moment où ils en ont le plus besoin, c'est-à-dire au moment où, bien souvent -il faut le reconnaître aussi- l'exclusion scolaire se pose à eux.
Vos projets ne répondent pas à ce problème, à cet enjeu majeur.
M. de GAUDEMAR. - Monsieur le Ministre...
M. le MINISTRE. - Heureusement que vous avez commencé par dire que vous étiez de mon côté... parce que qu'est ce que ce serait si vous étiez contre ?
(Rires)
Pardon à tous ceux qui n'auront pas pu prendre la parole. Je suis tenu dans un horaire.
Quelques réponses néanmoins ici et là.
Peut-être qu'après tout c'est une affaire de tempérament dans la vie, mais, si on part de l'idée que tout va mal, que tout s'effondre, que le niveau baisse, qu'il n'y a plus personne dans les établissements, que les jeunes ne veulent pas travailler, que l'Education Nationale n'est bonne à rien, que les ministres sont d'une manière générale au minimum malveillants et au maximum inefficaces, alors, évidemment, tout va mal.
Tout de même, on peut, s'agissant de l'enseignement professionnel et technologique, après le diagnostic que j'ai posé tout à l'heure, sans faire de la propagande, constater que des moyens ont été investis qui sont considérables. Je veux bien, Monsieur DRUAIS et d'autres, que l'on dise ce que l'on veut, mais enfin, quand même, 6 800 postes créés en 4 ans, c'est une réalité, ce n'est pas une invention, et je ne donne que cet exemple.
Et puis, tout de même, nous avons eu +12 000 élèves dans l'enseignement professionnel à la rentrée de cette année, là où nous étions à -20 000 ou -30 000 à la rentrée 2000. L'institution Education Nationale s'est bien mobilisée parce qu'elle a eu des objectifs clairs, notamment en matière d'orientation, mais il n'est pas en mon pouvoir -ou alors, il faut que vous interveniez à d'autres endroits- d'obliger les gens à aller là où ils n'ont pas envie d'y aller quand ils n'ont pas envie d'aller. Il faut donc se demander pourquoi ils n'y vont pas. En plus, ce n'est pas vrai : ils y vont.
C'est un enseignement de qualité, un bon encadrement, de beaux établissements dans la plupart des cas. Donc, nous avons affaire ici et là à des préjugés. Comment peut-on vaincre les préjugés ? Ils ne sont pas dans les familles. Parfois, ils sont dans l'Education Nationale elle-même. Il ne faut pas vous en prendre seulement au Ministre, mais aussi à vos collègues. Moi, je fais le travail : je fais le tour de France, je fais des réunions académiques et j'explique les choses, et les collègues sont prêts à entendre, pour peu qu'on leur parle le langage simple de la conviction qui permet de démontrer, que la professionnalisation, aujourd'hui, ce n'est pas la même chose qu'il y a 30 ou 40 ans, ce n'est plus la spécialisation somme toute assez étroite et qu'au contraire c'est l'appel à l'investissement en sciences appliquées de sciences fondamentales de plus en plus nombreuses, de plus en plus transversales à des dizaines de métiers.
C'est un langage de raison et j'observe que, quand on le tient et qu'on ne fonctionne pas sur le mode de l'invective ou du larmoiement permanent, l'Institution se mobilise. Nous avons eu +12 000 inscrits cette année. C'est grâce aussi à l'intervention des enseignants et aux décisions des conseils de classe.
Mais je fais remarquer que, même dans cette situation, les conseils de classe, Monsieur, car ce ne sont pas les logiciels qui décident, contrairement à ce que vous dites...
M. FAKHFAKH. - Si.
M. le MINISTRE. - Mais non ! Enfin... il faut dire des choses raisonnables ; sinon, on ne peut pas se comprendre. Il y a des logiciels, mais il y a des conseils de classe et il y a toujours des commissions d'appel. Il ne faut pas croire que le Ministre connaît si mal son dossier qu'il ne sait pas comment fonctionne un établissement. Allons !
Il y a 300 familles qui ont demandé à envoyer leurs enfants dans l'enseignement professionnel et à qui les conseils ont dit non, sur le total national. Cela, c'est juste. Donc, vous voyez, l'attractivité existe. Les familles savent de quoi il retourne. Les décisions d'orientation sont fondées à mon avis sur un préjugé : les enseignants et les conseils qui ont pris ces décisions ont cru bien faire. C'est cela, le problème : les gens qui prennent ces décisions croient bien faire, ils pensent que c'est l'intérêt de l'enfant. Ce n'est pas par sadisme qu'ils agissent de cette manière. Ils croient que l'enseignement professionnel va sûrement être une voie où l'on va pouvoir aller moins loin. C'est donc très important de montrer que la voie professionnelle permet d'aller au post-bac. C'est très important pour le moral des familles, pour leur perception de cet ordre d'enseignement. Et c'est très important pour moi de pouvoir afficher qu'il va y avoir et qu'il y a déjà 70 licences professionnelles installées dans des lycées professionnels, parce que c'est du post-bac, c'est de l'enseignement supérieur, et parce que cela va permettre d'en finir avec cette image d'une filière courte qui, au bout du compte, s'apparente désormais à un préjugé. On ne peut vaincre ce préjugé que par des mesures d'ordre concret, qui permettent aux familles de projeter l'avenir de leurs enfants et qui permettent aussi aux enseignants de se dire que, quand ils recommandent cette voie à un jeune, ils lui proposent une voie qui va lui permettre d'aller le plus loin possible. C'est très important.
J'ajoute ceci, compte tenu du milieu social dont je suis même moi-même originaire : l'ambition sociale est socialement déterminée. Tout le monde ne sait pas ce qu'est que l'ambition sociale et, dans nombre de régions de France, quand vous interrogez un jeune, il vous répond qu'il veut faire comme son père ou comme sa mère, ce qui est certes bien et respectueux de la dignité de ses parents, mais qui prouve ce déterminisme : on ne sait pas aller plus loin parce qu'on ne sait pas que cela existe et, comme on ne sait pas que cela existe, alors, on est cloué au sol à l'endroit où la détermination sociale nous a mené.
Moi, je veux que les gamins qui entrent dans ces établissements, quand ils commencent un CAP, sachent que, s'ils travaillent bien, ils peuvent aller à bac pro, à BTS, être ingénieur et qu'ils ont droit, comme tous les autres enfants de France, à réaliser un bel avenir à partir de leur motivation et de leur mérite.
Ce que je dis là ne sont pas des choses que j'invente : ce sont des choses que j'ai vues. Je prendrai l'exemple des petites jeunes filles et des petits jeunes gens qui sont dans le lycée du cuir à Roman(s). Cela commence par la formation CAP. Je peux vous dire qu'à niveau CAP il y a des choses à faire pratiques et, après tout, on pourrait se dire " Oh là là !... ". Eh bien, ces jeunes gens rayonnent. Pourquoi ? Parce que, dans le même établissement, deux portes plus loin, il y a le BTS, où il y a des jeunes comme eux qui ont fait ce trajet, qui ont commencé là, qui ont continué et qui sont STS.
Pour moi, ce n'est pas une petite chose que de mettre dans un même établissement tout ce qui permet à un jeune de construire un parcours scolaire de réussite parce qu'il sait que c'est possible et que c'est possible aussi pour lui et qu'il ne peut pas le demander à sa famille ou autour de lui parce que, dans sa famille ou autour de lui, on ne sait pas que cela existe.
Le lycée des métiers est aussi une réponse à cette ambition sociale pour notre peuple. Donc, il faut le prendre pour ce que c'est.
Tout à l'heure, la CGT pointait une série de difficultés réelles, concrètes. Bien sûr, nous aurons à certains endroits des difficultés. Comment va-t-on faire là où il y a un bassin d'emploi ? Vous avez mille fois raison de dire qu'on ne peut pas décalquer la structure de formation sur la pure et simple demande industrielle locale. Maintenant, il faut quand même en tenir compte : nous sommes dans le réel. Mais, en même temps, nous savons tous -l'histoire de tout l'enseignement professionnel en atteste- que la formation, c'est à la fois la réponse à une demande qui vient du tissu économique, mais c'est aussi une offre. Là où on est capable de faire des formations qui ne correspondent pas forcément à des emplois qui existent, en quelque sorte, on ensemence et on voit ensuite apparaître les métiers, les entreprises correspondant aux formations que l'on a données. On est obligé de concilier tout cela. A d'autres endroits, on ne peut pas par un établissement décrire une seule famille de métiers parce que ce n'est pas la réalité du bassin d'emploi local.
Il va falloir qu'au cas par cas toutes ces questions soient réglées, avec de l'imagination, mais, bien évidemment, en se fixant pour objectifs les normes Qualité du lycée des métiers. Je suis mille fois d'accord avec vous pour dire : " Il faudrait que, dans tous les établissements, il y ait ceci et cela". Mais ce n'est pas le cas. Donc, maintenant, nous pouvons planifier et avancer concrètement, établissement par établissement, puisqu'il s'agit d'atteindre un label de qualité. C'est un horizon qui est proposé et, comme pour tous les horizons, les étapes sont promises à chacun de ceux qui veulent bien les franchir.
En particulier, sur la question de l'appropriation démocratique d'un projet, il faut ici que l'on s'entende bien. Je vais vous dire les choses comme je les pense en tant qu'homme politique.
L'Education Nationale -et la France d'une manière générale- n'est pas une République fédérative. Par conséquent, il y a la légitimité d'un pouvoir politique qui s'exerce complètement. Par conséquent, d'accord ou pas d'accord, le lycée des métiers se fera pour une raison : parce que je l'ai décidé et que je suis légitime à le décider parce que c'est cela, la République. Ce n'est pas le marchandage permanent. En régime républicain, c'est comme cela.
Pardon de la brutalité de la formule. Vous comprenez tous bien les amodiations qui vont avec. On consulte, on écoute. Je ne peux pas laisser dire que l'on aurait appris par surprise le lycée des métiers, ou que d'autres découvrent le projet " professionnalisation durable ". Mais alors, à quoi aura servi la rédaction de 4 comptes rendus depuis que je suis Ministre, appelés successivement " Bilan d'étape ", " 50 actions ", " 78 actions ", etc. ? Personne n'est pris au dépourvu. Je me suis exprimé des dizaines de fois sur le sujet en rencontres bilatérales et dans des congrès, et d'abord le vôtre, Monsieur le responsable du SNETAA. Vous m'avez fait l'amitié de m'inviter à un colloque qui était à côté du congrès, où j'ai pu précisément parler de ce lycée des métiers. Aucune surprise. J'ai visité 80 établissements dans le pays pour m'assurer point par point -les gens ne savaient pas toujours ce que je venais voir- que ce qui était dans la maquette, que l'on avait déjà recensé, correspondait à des modes opératoires praticables, réalistes.
C'est pour cela d'ailleurs qu'un certain nombre de discussions sont rendues difficiles pour un certain nombre de mes interlocuteurs parce que, quand on me dit : " Cela ne marchera pas, ce n'est pas possible ", il faut aller voir. Cela marche déjà. On m'a dit que les licences professionnelles dans les lycées, cela ne marcherait pas : il y en a déjà 70. Qui va expliquer à ceux qui les font fonctionner que cela ne marche pas ?
Vous n'avez pas voulu les uns et les autres que je maintienne comme un de mes objectifs dans le lycée des métiers la mixité des publics, c'est-à-dire mettre des gens de formation continue dans des classes de formation initiale. Soit ! Il aurait suffi que je l'écrive pour que, peut-être, ici ou là, on se livre à des mises en oeuvre mécaniques et brutales. Mais ce que je veux vous dire, c'est que dans des dizaines de sections cela se fait déjà -je dis bien des dizaines- au bénéfice de l'adulte et des jeunes.
Mais je suis d'accord pour dire qu'une décision ministérielle en la circonstance n'ajouterait rien. Laissons faire le terrain. Les méthodes vont être validées et les protocoles de travail certainement mieux assurés. On ne peut pas faire cela dans toutes les sections, pour tous les métiers, pour toutes les formations continues, j'en suis bien d'accord ; donc, je m'en remets à l'inventivité du terrain. En tout cas, le terrain sait que le Ministre est d'accord pour que cela se fasse.
Cet exemple, parmi d'autres, montre de quelle manière a été pensé ce projet : certainement pas par surprise, certainement pas par a priori, sûrement pas par dogmatisme. Il s'agit évidemment d'atteindre l'objectif qui est d'améliorer l'attractivité de la voie professionnelle, d'élever le niveau des jeunes qui y viennent.
Après, des CAP qui soient les mêmes pour tout le pays ? Non, mais vous plaisantez ? C'est votre travail de le faire. Je ne suis que Ministre : je ne suis pas Président d'une CPC ni rédacteur de référentiels. Si vous voulez de bons CAP, débrouillez-vous, c'est votre affaire. C'est vous qui le faites, et vous n'avez pas entendu dire jusqu'à présent que le Ministre dans son bureau ait changé le contenu d'un référentiel. Non. Moi, je ne me mêle pas de boulangerie parce que je pense que vous êtes meilleurs que moi sur le sujet.
D'ailleurs, au passage, j'apprécierais aussi que les gens ne se mêlent pas d'Education nationale, parce qu'enseigner aussi c'est un métier. Il n'est pas vrai que, sur ce métier, tout le monde puisse, comme cela, avoir un avis. Qui se mêlerait ici d'expliquer comment on va monter une centrale nucléaire ? Personne. Pourtant, tout le monde se sent habilité à donner un avis sur la manière d'enseigner. Je ne suis pas d'accord. C'est un métier. Soit dit entre parenthèses concernant les industries textiles, il reste à prouver qui, de l'Education nationale ou de l'industrie textile, a le plus souvent raté les marches de son époque.
(Mouvements divers)
Oui... Vous me parlez franchement, vous me parlez rudement : eh bien, je vous réponds de la même façon parce que je suis, comme vous, un homme fait d'un bloc et je défends ma maison.
M. SORLUT. - Vous parlez de textile ou d'habillement ? Ce sont deux choses différentes !
M. le MINISTRE. - Oui, je m'en doute ! D'ailleurs, je commence à y connaître quelque chose, quoi que ce ne soit pas ma formation. Nous avons de très beaux centres de formation professionnelle en Chine. Là, il s'agit d'habillement.
M. SORLUT. - C'est pourquoi vous m'avez mis en boîte lorsque je vous ai dit qu'à 20 ans j'étais allé en Chine pour justement...
M. le MINISTRE. - Eh bien, vous n'irez pas là-bas, vous tâcherez de faire des textiles intelligents et vous verrez que, dans la compétition mondiale, c'est nous qui gagnerons, parce que c'est par l'avantage technique que l'on gagne et sûrement pas par des arrangements sociaux à la noix, qui n'ont jamais mené à rien. Si le chantier naval de l'Atlantique est redevenu le premier chantier naval de paquebots du monde, c'est parce que l'avantage technique a été creusé par les équipes du chantier naval de l'Atlantique, et pas parce que l'on s'y est pris par d'autres moyens. Pour le textile, je vous dis ma conviction, et je l'ai dite partout où je suis passé : je suis persuadé que c'est par l'avance technique que nous referons le trou et que nous repasserons en tête dans ce domaine comme dans de nombreux autres.
M. SORLUT. - Mais, Monsieur le Ministre...
M. le MINISTRE. - Non, je ne peux pas faire un dialogue avec vous sur le textile, mais vous voyez que je ne suis pas totalement ignorant du sujet.
Sur le CAP premier niveau, entendons-nous bien. Je ne dis pas que dans tous les métiers nous devons rétablir le CAP comme premier niveau. Simplement, je dis que le CAP est le premier diplôme, le premier niveau de qualification professionnelle que nous reconnaissons. Donc, nous fortifions cette position.
Maintenant, dans de très nombreuses industries, le premier niveau d'embauche demandé, c'est le bac pro. Ce n'est pas moi qui vais leur dire qui elles doivent embaucher. Qu'elles embauchent d'abord des bacs pro, c'est bien. Cela montre que le niveau technique aussi de nos industries et de nos productions a augmenté. Ce n'est pas moi, le Ministre, qui vais les obliger à prendre des CAP. Quel sens cela aurait ?
Pourquoi je veux stabiliser le premier niveau de diplôme professionnel, Monsieur DRUAIS et quelques autres ? Parce que, si ce n'est pas nous qui le faisons collectivement par les CPC, dans lesquelles sont présents les organisations patronales professionnelles, les experts pédagogiques, les organisations professionnelles de salariés, à votre avis, qui va le faire ? Je ne cache pas mon jeu. Je suis hostile au certificat de compétence. Donc, si je veux être conséquent, cohérent avec moi-même, je dois faire l'effort de présenter une politique cohérente de certification des savoirs, qui commence donc par le CAP.
C'est parce que nous faisons comme cela, avec des programmes comme ceux que nous avons là, de cette ampleur, que nous assurons une bonne formation initiale de nos salariés et, donc, que nous les mettons en meilleures conditions pour leur requalification. C'est pour cela que nous parlons de professionnalisation durable.
On dénigre souvent la France au profit d'une espèce d'admiration béate et acritique des modèles étrangers, comme par exemple on fait la différence entre le nombre de ceux qui passent en formation continue dans les pays anglo-saxons et dans notre pays. Certes, nous avons de gros efforts à faire, c'est sûr que nous pouvons faire beaucoup mieux, que la formation continue doit peut-être être moins réservée aux plus hauts diplômés des plus grosses entreprises du pays, nous le savons tous, et ce n'est pas moi qui ait dit que 80 % de l'argent déployé là-dedans n'atteignait pas son objectif : c'est la Cour des Comptes. Mais, en attendant, après cet examen lucide, il ne faut pas se laisser impressionner : si les Anglo-saxons font un tel recours à la formation continue, c'est parce que leur formation initiale ne vaut rien, qu'elle est trop étroite, qu'on a travaillé sur des certificats de compétence trop étroits. Ils sont donc obligés de repasser les gens sans cesse à la formation pour avoir la main-d'oeuvre dont ils ont besoin et, d'ailleurs, ils ne l'ont pas, ce qui explique l'état dans lequel se trouve l'industrie de ces pays et comment ils compensent par l'immigration. C'est comme cela qu'ils font aux Etats-Unis et en partie en Grande-Bretagne.
Certes, il faut être capable de se critiquer, mais il faut aussi être capable d'apprécier les performances atteintes par notre système et ne pas tout le temps penser que nous sommes entrés dans la phase finale de la décadence et de l'agonie de l'industrie française et de son système éducatif.
J'ai répondu à l'essentiel de ce qui m'a été dit.
Je reviens sur cette affaire : l'enseignement professionnel et technologique n'est pas en déclin dans ce pays. C'est le contraire. Je demande à chacun d'assumer ses responsabilités, si je peux me le permettre, mais, moi, vous savez, je passerai. Chacun de nous a une responsabilité ; il faut faire attention à ce que l'on dit. Si nous-mêmes commençons à dire que les jeunes qui ont des diplômes professionnels ont du mal à trouver du travail... Vous savez, moi, cela va : ma vie est faite, mais cela m'horripile d'entendre cela, parce que ce n'est pas vrai.
Deux enquêtes " Génération 1992 " et " Génération 1998 " ont été éditées par le Centre d'Etude et de Recherche sur les Qualifications. Les deux prouvent la même chose : les diplômés sont les premiers à trouver du travail, et le délai pour trouver du travail est de plus en plus court et sera de plus en plus court à mesure que l'on avance dans une période de flux tendus de retour à l'emploi. Il y a des pénuries d'embauche dans des dizaines de branches parce qu'on a pris du retard à organiser, à comprendre.
Je peux pas, Monsieur, obliger les gens à aller dans vos CAP de boucher. Je ne peux pas. Ce que je peux faire, c'est que l'on sache qu'un boucher est bien payé.
M. BECHLER. - ...
M. le MINISTRE. - Mais il est très bien payé. Ne vous fâchez pas pour la boucherie ou je ne cite plus jamais personne !
(Rires)
Je réponds à des gens qui me posent des questions.
CARREFOUR m'écrit. Il écrit au Ministre pour trouver des employés maintenant ! Je ne vous dis pas le prix qu'il propose. C'est drôlement bien payé. Je me demande pourquoi j'ai fait des études de philo ! Au moins, je saurais faire quelque chose de mes 10 doigts si j'avais fait boucher.
Donc, il n'est pas vrai, ne laissez pas accréditer l'idée, qui est novice y compris pour le travail des CPC, que nos diplômes ne seraient pas actuels, qu'ils seraient dépassés, que les diplômés auraient du mal à trouver du travail. Ce n'est pas vrai. C'est le contraire qui est vrai.
L'autre jour, à l'Assemblée Nationale, je bouillais. On posait une question technique à laquelle a répondu le secrétaire d'Etat à la formation professionnelle, et la réponse était parfaite, mais ce qui me faisait enrager, c'est de voir que quelqu'un pouvait depuis les bancs, en l'occurrence de l'Opposition, laisser entendre que, quand on avait un bac pro, en plus, il fallait avoir un contrat de qualification.
Eh bien, moi, je ne suis pas d'accord avec cela ! Bac pro : embauche. Les contrats de qualification ne sont pas faits pour ces types de public. C'est un détournement de l'utilisation du contrat de qualification ; ou alors, qu'est-ce que nous faisons ensemble ? Pourquoi on se donne tout ce mal ? Pourquoi on crée des CAP ? Pourquoi on fait des bacs pro ? Pourquoi on renforce tous ces dispositifs ? On pourrait adopter la formule que d'aucuns me proposent : l'Education Nationale certifie les connaissances et les entreprises les compétences. Très bien. L'Education Nationale enseigne l'anglais, le français, les mathématiques, la physique, le sport, l'éducation civique et, pour le reste, je vous les envoie. 690 000 ! Vous avez la place dans vos entreprises pour accueillir 690 000 ? Je vous ai déjà dit comment on fait : au bout de 24, vous dédoublez !
(Rires)
Et cela s'appelle Education Nationale.
Tout cela est aberrant ! Cela ne tient pas debout. Ces propositions n'ont pas de sens et le dénigrement de l'Education Nationale ne mène à rien. Il vaut mieux discuter le crayon à la main sérieusement, diplôme par diplôme, pour savoir de quoi on parle.
Je dis aux responsables des entreprises -je ne sais pas quand j'aurai l'occasion de vous revoir ; donc, je parle aussi avec passion : franchement, si l'on pouvait éviter d'entendre à la télévision des uns ou des autres qu'il faut rapprocher l'école de l'entreprise pour moderniser les diplômes... Il n'y a pas que l'école qui ne connaît pas l'entreprise : il y a souvent l'entreprise qui ne connaît rien à l'école, et un certain nombre de porte-parole feraient bien au moins de savoir qu'il existe des CPC et que, s'ils ne sont pas contents, ils peuvent s'adresser à leurs représentants, parce qu'il n'est pas toujours prouvé que les gens qui parlent savent vraiment de quoi ils parlent. Vous en êtes conscients comme moi.
Il faut tous que l'on fasse un effort. C'est à cette mobilisation que j'appelle, à la sortie de rôles pré-convenus, pré-conditionnés. Nous avons cause commune dans cette affaire. Il faut que tout le monde s'engage. Je l'ai fait, mes collaborateurs de même, nous tous là.
J'espère que le ton un peu rude que j'ai adopté pour conclure ne vous a pas choqués, mais, après tout, j'ai cru remarquer que c'était le style de la Maison. Donc, ma foi, je suis au diapason. Je dirai comme M. DRUAIS : c'est parce que je suis de votre côté.
(Source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 26 avril 2002)