Interviews de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, dans "Le Progrès de Lyon" et à TF1 le 15 janvier 2002, sur les propositions des entrepreneurs sur l'assurance maladie et les 35 heures, dans le cadre de l'élection présidentielle d'avril 2002.

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Média : La Tribune Le Progrès - Le Progrès

Texte intégral

Pour le patron du Medef, faire aux Français des propositions au nom des entrepreneurs est une démarche tout à fait logique. Et même nécessaire dans un pays socialement aussi " immature " que la France.
Vous déclarez aujourd'hui votre candidature à la présidentielle ?
Certains croient que dire des choses fondamentales sur l'avenir du pays, c'est être en politique, donc vouloir exercer le pouvoir... Ils ont tout faux !
Nous nous exprimons au nom des entrepreneurs, qui ont en charge la création et le développement des entreprises, c'est-à-dire la croissance et l'emploi. Et nous nous adressons aux Français, de façon à les rendre conscients des enjeux, en espérant que les forces politiques s'en inspireront au maximum.
C'est une démarche de démocratie sociale, qui respecte la démocratie politique. Si les forces politiques, de majorité ou d'opposition, étaient en mesure d'établir un véritable partenariat avec tous ceux qui représentent l'entreprise, nous serions au travail, dans le silence. C'est d'ailleurs ce qui se passe partout ailleurs : l'absence de partenariat entre ceux qui gouvernent et ceux qui produisent témoigne d'une immaturité profonde dans notre pays, elle nous conduit aujourd'hui à prendre la parole.
Alors pourquoi cette manifestation à Lyon de tous les syndicats contre votre démarche ?
Nous sommes demandeurs d'un dialogue constant avec des syndicats forts et représentatifs. Mais crier dans la rue, quand les entrepreneurs se rassemblent pour proposer au pays la meilleure manière de réussir, c'est, de la part de certains syndicats, une preuve de faiblesse, un comportement archaïque ! Ils feraient mieux de réfléchir à nos propositions et d'en discuter avec nous.
Par votre démarche, vous ne discréditez pas les politiques ?
On a beaucoup reproché à l'organisation des entrepreneurs son incapacité à formuler des propositions, son caractère défensif et geignard. Et aujourd'hui que cette attitude est mise au rancart, on nous reproche de faire de la politique, de faire insulte à ceux qui n'ont pas d'idées en en ayant... De qui se fout-on ? !
Que proposerez-vous à Lyon ?
Nous avons organisé des réunions dans toute la France, auxquelles ont participé des milliers d'entrepreneurs, pour avancer des propositions. C'est la synthèse de ces propositions que nous présenterons à Lyon au vote des entrepreneurs, autour de trois thèmes. Le premier est " Pour une France qui gagne ", avec des résolutions sur la formation, la liberté du travail et l'harmonisation fiscale européenne. Le second est " Pour une France qui dialogue ", c'est-à-dire le dialogue avec les pouvoirs publics, avec les partenaires sociaux, et avec la société. Enfin, " Pour une France qui réforme ", avec bien sûr des propositions sur la sécurité sociale.
Dont vous êtes sortis...
Oui, et nous nous en félicitons, quand nous voyons des médecins libéraux, qui sont leur propre employeur, demander directement à Jospin une augmentation de leurs émoluments : c'est une marque de fonctionnarisation totale du monde de la santé, où nous n'avons plus rien à faire... Donc, des résolutions sur la réforme de l'assurance maladie et des retraites, et sur la réforme de l'Etat. L'ensemble dessine une vision, avec des objectifs précis. Mais pas un programme détaillé de mesures : elles seraient à discuter avec un gouvernement qui serait intéressé.
Vous voulez la mise en concurrence de l'assurance-maladie - au risque de la faire exploser ?
N'est-elle pas déjà en train d'exploser ? Grève des infirmières, des échographes, des urgentistes et des généralistes, affichage d'objectifs irréalistes, refus des économies proposées par la CNAM elle-même, ponctions financières en faveur des 35 heures... La crise est grave, et c'est presque une question de dignité de ne pas participer à une gestion paritaire aussi dégradée. Nous faisons donc des propositions pour une assurance-maladie qui fonctionnera mieux, qui sera à la fois mieux adaptée aux besoins et moins coûteuse.
Au fond, vous estimez que les entreprises n'ont pas à participer à la gestion de l'assurance-maladie...
Dans notre société, il y a des " risques " liés à l'entreprise, qui sont les accidents du travail, le chômage et la retraite. En revanche, la famille et la maladie concernent l'ensemble de la population, et devraient être financées par une fiscalité de type CSG, et non plus par des cotisations assises sur l'activité des entreprises.
Que faire des 35 heures ?
Toute loi doit pouvoir être appliquée avec un minimum de réalisme. Le meilleur exemple en est la loi sur la présomption d'innocence, dont on s'est aperçu qu'elle était inadaptée. On a donc nommé quelqu'un pour étudier des aménagements, et personne n'a jugé que c'était déchoir politiquement que de revoir la loi... Mais la loi sur les 35 heures est devenue une espèce de Table de la loi et des prophètes, un texte sacré auquel on dit qu'on ne touchera plus : c'est de la déraison démocratique. Nous demandons simplement qu'on aménage la loi, afin qu'elle puisse s'appliquer. Le gouvernement en a d'ailleurs donné l'exemple avec les entreprises de moins de vingt employés, grâce à un " truc " qui permet de différer l'application de la loi, sans toucher à la loi. Mais si on n'est pas capable d'un tel aménagement, alors bien sûr, il faudra abroger la loi.
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCIS BROCHET
(source http://www.medef.fr, le 15 janvier 2002)
TF1 le 15 janvier 2002
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Ernest-Antoine Seillière bonsoir.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonsoir.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : On vous a vu, sur cette image, lors des vux des forces vives à l'Elysée, vous étiez vous aussi pris d'hilarité, devant cette hilarité générale des deux hauts responsables. Vous le connaissez bien Lionel Jospin. Là, j'ai lu le livre de Jean Bothorel et de Philippe Sassier, vous étiez à l'école avec lui, en tout cas à Sciences Po et à l'ENA.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, c'est un ancien camarade. Nous avons gardé des relations personnelles, je dirais, très camarades, et c'est vrai qu'à l'Elysée, il y a eu un bref moment de grande gaieté autour du fait que le Président de la République avait lu quelque chose de très particulier, un livre très spécialisé et que le Premier ministre lui a dit : " ah, lui, il a le temps de lire, il a du temps ". Et ça a amusé, en effet, les uns les autres.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Alors, visiblement, c'est un bon camarade. Est-ce que ça a été un bon Premier ministre ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, ça, c'est autre chose, c'est de LA politique. Nous, les entrepreneurs, évidemment, avons à juger de ce qui peut faire la réussite de notre pays. C'est ça qui nous importe et nous sommes évidemment décidés à ne plus nous taire quand certaines mesures ou certaines dispositions d'un gouvernement ou d'une majorité parlementaire nous semblent être contraires à l'intérêt du pays, à l'intérêt de la réussite des entreprises, de leurs salariés, des entrepreneurs.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Alors, j'imagine que, par exemple, vous n'avez pas dû être content de l'entendre, on va l'écouter d'ailleurs, dire ce qu'il pense de la liberté de licenciement. Ecoutez-le.
LIONEL JOSPIN : Je dirais que ce gouvernement, et il sera aisé d'en faire la démonstration, a montré qu'à travers ces années, il a pris en compte les besoins des entreprises de notre pays et notamment le principe de la liberté d'entreprendre. Mais la liberté d'entreprendre n'est pas la liberté de licencier, et parmi les principes fondamentaux de notre droit, repris dans le préambule de la Constitution, il y a aussi le droit au travail. Et vous comprendrez qu'un gouvernement comme le mien soit aussi très sensible à cette affirmation du droit au travail.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Alors, on sent bien et vous l'avez exprimé dès la décision du Conseil constitutionnel que, au fond, vous buvez du petit lait. Parce que vous étiez opposé à cet article de la loi, le Conseil constitutionnel décide de le retoquer. Mais est-ce que vous pensez aux salariés qui, eux, se disent : on n'a pas du tout envie d'être licenciés. Est-ce que cous pouvez comprendre, quand même, ce qu'est leur inquiétude ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, bien entendu, mais nous, ce qui nous a préoccupé dans cette affaire, c'est que l'article de loi qui a été annulé par le Conseil constitutionnel au nom de la liberté d'entreprendre, était justement une disposition qui était dangereuse pour les salariés parce qu'elle allait menacer les entreprises en difficulté en les contraignant, faute de pourvoir se restructurer, c'est-à-dire licencier quand c'est indispensable, allait les obliger à arrêter leur existence. Et donc, nous sommes heureux de voir que l'on donne la possibilité aux entreprises de continuer à s'adapter quand c'est nécessaire pour pouvoir continuer à donner de l'emploi, à faire de l'emploi.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Mais est-ce que c'est pour le bien des salariés ou uniquement des actionnaires ? Parce que c'est souvent la question qui se pose.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il n'y a pas de possibilité de rendre la moindre satisfaction à un actionnaire si les salariés ne sont pas heureux. Vous savez, l'entreprise, c'est un projet commun entre ceux qui apportent des capitaux, mais surtout entre ceux qui apportent leur travail. Et il faut donc que les salariés puissent trouver la pleine dimension de leur réussite personnelle pour qu'une entreprise fonctionne. Ca, c'est fondamental.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Il y a une autre décision du Conseil constitutionnel qui vous a fait plaisir, c'est celle sur le financement des 35 heures. Qu'est-ce que vous suggérez, parce que ça y est, c'est entériné les 35 heures, ça plait d'ailleurs visiblement aux Français, ils parlent de la RTT, ils l'utilisent. Qu'est-ce que vous suggérez pour l'avenir ? Est-ce qu'on peut y revenir ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous étions à Lyon aujourd'hui plus de 2 000. Nous tenions notre Congrès exceptionnel pour essayer de montrer que par la France qui gagne, la France qui dialogue, la France qui réforme, nous étions, nous les entrepreneurs, susceptibles de présenter des propositions pour faire réussir la France. Et, bien entendu, au nombre de nos propositions, il y a le retour à la liberté du travail. Nous en pensons pas qu'il soit bon ni pour les salariés, ni pour les entreprises et de notre pays que l'on contraigne par la loi les Français à ne pas travailler plus de 35 heures
PATRICK POIVRE D'ARVOR : On ne peut pas revenir aux 39 heures ni aux 40 heures.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, si les salariés le veulent, par contrat, par convention, par accord collectif, si tel salarié le veut, je ne vois pas du tout, et nous ne voyons pas pourquoi il serait interdit de pouvoir travailler 39 et 40 heures. Et d'ailleurs, le gouvernement, au moment où le chômage reprend, s'est efforcé de ne pas imposer les 35 heures aux petites entreprises. C'est bien la preuve qu'il trouve que ça ne crée pas d'emplois puisqu'il en dispense actuellement les entreprises de moins de 20.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Vous avez quitté pratiquement tous les organismes paritaires. Est-ce que vous imaginez y revenir s'il y a un nouveau gouvernement dans ce pays ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Quand nous voyons, si vous voulez, la situation très angoissante créée dans le domaine de la Sécurité sociale par la grève, expression un peu étrange évidemment, mais le fait que les médecins arrêtent de soigner tant ils sont mécontents de la manière dont cela fonctionne, nous, nous disons que nous avons eu raison d'appeler l'attention de notre pays sur la situation très grave de la Sécurité sociale en termes de gestion et nous avons eu raison d'en quitter la gestion. Nous proposons une architecture nouvelle, c'est-à-dire en fait une manière d'organiser les choses, de façon à ce que l'on puisse soigner les Français de façon plus efficace, plus sûre, moins chère. Et ceci, bien entendu, nous allons le défendre dans les semaines qui viennent.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : La croissance à 2 % au moins, au minimum, a dit tout-à-l'heure Lionel Jospin. Vous y croyez pour cette année ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas du tout. Nous pensons que dans le climat électoral actuel, on veut rassurer les électeurs pour peut-être en tirer avantage. Nous, nous sommes réalistes. C'est le propre des entrepreneurs, non seulement de parler, mais de parler vrai. Et nous disons que, au-delà de 1,5 % cette année de croissance, ce n'est pratiquement pas possible.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : L'année 2002, hein, parce que les 2 % auxquels je faisais allusion, c'est sur l'année 2001. Mais sur l'année 2002, vous pensez que
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah, non, écoutez si c'est sur l'année 2001, le bilan du passé, ce n'est pas très difficile à faire, il suffit de regarder les statistiques. Si c'est pour l'année prochaine, non, 1,5 %, ce sera un maximum. Et comme vous le savez, nous sommes actuellement dans une situation assez artificielle. Il y a de la consommation qui est remise aux consommateurs par les primes gouvernementales diverses, tant mieux d'ailleurs pour les consommateurs. Mais bien entendu, le jour où ça s'arrête, alors on va trouver que ça marche moins bien.
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Vous avez invoqué tout à l'heure le droit d'ingérence en politique. Vous allez demander aux Français de voter pour tel ou tel ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas du tout. Mais nous allons, parce que je vois que l'on nous traite de boîte à idées, ça nous flatte beaucoup, mettre à la disposition des forces politiques qui font s'affronter pour prendre le pouvoir, pour renouveler le pouvoir, nous allons leur proposer, nous l'avons fait aujourd'hui, des propositions claires, simples, de réformes. Il faut y aller, il faut se mettre devant la réalité, ne pas fuir la réalité, escamoter les débats ! Et nous, les entrepreneurs, nous sommes dans notre rôle en présentant, dans le débat public, des propositions de façon à ce que la France gagne, que les Français travaillent, que les entreprises investissent, que les jeunes se forment !
PATRICK POIVRE D'ARVOR : Je vous remercie d'avoir accepté de répondre à notre invitation. On vous traite de boîte à idées, mais on vous a traité d'autre chose aujourd'hui parce qu'il y a eu pas mal de manifestations. Mais des manifestations, notamment à Lyon avec le patron de la CGT, Bernard Thibault et des manifestations un peu partout dans les villes de France contre le MEDEF.
(source http://www.medef.fr, le 17 janvier 2002)