Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à RTL le 9 avril 2002, sur la situation politique et électorale et sur la sécurité dans les quartiers.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RICHARD ARZT
Bonjour François BAYROU.
FRANÇOIS BAYROU
Bonjour.
RICHARD ARZT
Merci de participer à cette émission, afin que soit respectée, en ce qui vous concerne, l'égalité de traitement avec les autres candidats. Qu'est-ce que vous en dites d'ailleurs de cette loi, qui oblige les médias à mettre les candidats tous sur un même pied d'égalité ?
FRANÇOIS BAYROU
Eh bien écoutez, au moins c'est plus juste que ce qui se passait depuis des semaines et des mois où les deux sortants, Lionel JOSPIN et Jacques CHIRAC, avaient tout le temps d'antenne disponible pour eux. Alors, au moins, là, nous avons avancé ; la preuve, c'est qu'on est ensemble, ce qui prouve que j'avais du retard, ce qui me fait plaisir.
RICHARD ARZT
C'est-à-dire qu'on essaie, non, de compenser afin que vous n'en ayez pas trop. Vous serez amené à repasser la semaine prochaine sur l'antenne. Enfin, bon, voilà, sur un même pied d'égalité que trois candidats trotskistes.
FRANÇOIS BAYROU
Oui, c'est les élections. Il y a une loi : qui recueille 500 signatures peut se présenter ; et voilà, cette loi est appliquée. Il y a une foison de candidats, mais la vraie question désormais se pose pour les Français, et la vraie question c'est : est-ce qu'on recommence 5 années de plus avec l'un des deux qui est au pouvoir depuis 20 ans, et même, pour quelques-uns, plus encore, ou bien est-ce qu'on choisit un changement ? Est-ce qu'on choisit un signe de changement ?
RICHARD ARZT
C'est devenu le thème de votre campagne, vous étiez au départ, c'était la relève.
FRANÇOIS BAYROU
La relève, c'est un moyen, il faut bien changer les équipes pour changer les choses. Mais le changement, c'est le but à atteindre. Et donc, maintenant, c'est la vraie question qui, en cette dernière ligne droite de campagne, se pose pour les Français : comment donner un signe fort de changement ? Et il semble qu'en effet, ils se dirigent, les Français, vers cela.
RICHARD ARZT
Une question de Paul JOLY, qui est là aussi pour vous interroger avec moi.
FRANÇOIS BAYROU
Bonjour, Paul JOLY.
PAUL JOLY
Bonjour. Eh bien, justement, oui, ce signe fort de changement, je suppose que vous, vous avez envie de le donner ; alors, c'est quoi, justement ?
FRANÇOIS BAYROU
Il ne faut pas seulement se contenter de changer les hommes qui gouvernent ou la majorité qui gouverne - c'est utile, mais ça ne suffit pas -, il faut changer, de manière déterminée, la manière de gouverner la France. C'est la manière
PAUL JOLY
" Présider autrement ? "
FRANÇOIS BAYROU
Non, pas du tout, ce n'est pas une affaire de slogan vain. La France est mal gouvernée : on a laissé, petit à petit, tomber en "déserrance" ses quartiers, ses retraites ; incapable de répondre aux problèmes, sa sécurité, vous le savez bien tout cela, on a peu à peu laissé faire. Pourquoi ? Parce qu'on gouverne mal. Et donc, ces vingt années de gouvernement que nous venons de vivre, PS pour la majorité, RPR pour le reste, chacun se succédant à chaque alternance, les Français, au fond d'eux-mêmes, sentent que ça ne pourra pas continuer comme ça. Ils voient bien ce qu'on leur propose, c'est-à-dire de recommencer pour la énième fois le remplacement de la gauche par la droite, comme il y a cinq ans, on remplaçait la droite par la gauche, et tout a continué à se dégrader à un rythme régulier
PAUL JOLY
Et vous croyez que vous pouvez donc trouver un espace pour vous, dès cette élection ?
FRANÇOIS BAYROU
J'en suis certain, parce que la demande des Français est si forte et le diagnostic que nous portons sur le mal français est si clair, à mon avis un pouvoir lointain, complètement enfermé dans les ministères, technocratique, qui croit qu'il a raison sur tout et qui, régulièrement, passe à côté avec une surdité volontaire de tous les problèmes des Français.
RICHARD ARZT
Vous êtes en train de nous annoncer que cette surprise, dont vous parlez dans pas mal de discours depuis quelques mois, cette surprise au premier tour, en votre faveur, elle est en train d'arriver ?
FRANÇOIS BAYROU
Je crois sincèrement qu'il se passe quelque chose dans l'esprit et le cur des Français. Pendant des semaines et des semaines, on a voulu leur enfoncer de force dans la tête qu'il n'y avait qu'un seul choix, CHIRAC/JOSPIN. Et les 15 jours que nous sommes en train de vivre, c'est celui où ils disent : mais attendez, vous n'allez pas nous prendre pour des billes ! Nous, les Français, nous savons bien que nous avons entre les mains le pouvoir absolu. Et ils sont d'ailleurs, entre nous, obligés de le faire, de créer cette surprise, parce que si un électeur veut montrer, si les électeurs veulent montrer, les Français veulent montrer que ce sont eux les patrons et pas les médias et les sondages, eh bien il est nécessaire qu'ils ne suivent pas les médias et les sondages, et c'est, je crois, ce qui va se produire.
RICHARD ARZT
Mais s'ils ne veulent plus d'un clivage gauche/droite, d'après vous, qu'est-ce qu'ils veulent ? Ils veulent de nouvelles alliances ? Qu'est-ce qu'ils veulent ?
FRANÇOIS BAYROU
Non, ça n'est pas c'est beaucoup plus profond que cela. On va parler tout à l'heure des problèmes d'intégration et de sécurité, je pense, mais les Français
PAUL JOLY
Oui, mais un pays, ça se gouverne avec une majorité
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, les Français se rendent bien compte que ni droite ni gauche, ces dernières années, n'ont réussi à arrêter cette dérive qui est vraiment dramatique, "estomacante", j'allais dire
RICHARD ARZT
Que mettre à la place ? C'est ça, la question
FRANÇOIS BAYROU
Eh bien, un pouvoir différent, avec des responsabilités locales qui soient réellement assumées et avec, au sommet, un pouvoir capable de donner aux Français des rendez-vous, un président capable de donner au peuple qui l'élit des rendez-vous, avec des dates précises, des défis à relever, et enfin de leur donner les moyens de vérifier si c'est respecté ou pas. Je veux dire, un grand changement dans la manière d'être du pouvoir ; pour l'instant, vous le savez bien, il fait des promesses, il se fait élire, puis il oublie, les promesses ne sont pas accomplies et on revient cinq ans après avec les mêmes promesses qui sont de nouveau répétées.
RICHARD ARZT
Alors, prenons les questions de sécurité, vous venez d'y faire allusion, vous étiez à Strasbourg, hier, dans un quartier qu'on appelle sensible, et une quarantaine de jeunes gens ont lancé des pierres sur le bâtiment où vous étiez avec la maire, Fabienne KELLER ; une vitre a été brisée Comment vous avez vécu tout ça ?
FRANÇOIS BAYROU
Simplement, comme les Français le vivent tous les jours, n'est-ce pas. Imaginez ce qu'est la situation : si le maire de Strasbourg et un candidat à l'élection présidentielle sont dans une mairie de quartier, et si le bâtiment est lapidé, si des pierres viennent briser les vitres, et si des incidents assez comment dirais-je, " chauds ", se produisent à la sortie, alors imaginez ce que doit être la vie de ceux qui n'ont ni relations ni notoriété ni moyens ! Ceux-là, ils sont entièrement livrés à la loi des quartiers, qui n'est pas la loi de la République, qui n'est pas la loi de la police, qui n'est pas la loi des juges, qui est la loi des bandes, des pitbulls et des rottweilers, des chiens d'attaque
RICHARD ARZT
Comment vous vous en êtes sortis hier, il y a eu intervention policière ?
FRANÇOIS BAYROU
Non, pas du tout. Excusez-moi de le dire mais, ces quartiers-là, les policiers n'osent pas intervenir ; même, ils font attention quand il y a des personnalités parce qu'ils ont peur que, tout d'un coup, quelque chose dérive, on fait attention, on y va à pas de velours. Je vais vous dire, il n'est pas possible qu'en France, ça continue comme ça. Il y a plusieurs centaines de quartiers dans lesquels la loi de la République, la présence de l'action publique, des policiers, mais même des pompiers qui viennent porter secours ou des ambulanciers ou des médecins n'ont plus droit de cité, parce que des bandes, on dit de " jeunes ", mais l'âge ne fait rien à l'affaire, des bandes leur disent : vous n'êtes pas ici chez vous, dégagez !
RICHARD ARZT
Et alors, vous vous occupez en priorité de ces quartiers-là ? Comment ?
FRANÇOIS BAYROU
Ah, je suis pour que l'Etat prenne un engagement de faire couler dans enfin, je ne sais pas, graver dans le marbre, et que cet Etat dise : voilà, en France, nous ne voulons pas vivre comme ça. Dans 18 mois, on n'aura pas supprimé toute la délinquance, on n'aura pas trouvé l'" impunité zéro " comme disent les candidats quand ils font des formules, mais on aura fait une chose, c'est qu'il n'y aura plus de quartiers en France dans lesquels la police ne pourra pas entrer. Ça paraît
RICHARD ARZT
Ça, c'est l'engagement que vous prenez ?
FRANÇOIS BAYROU
Ah, ça n'est pas un engagement, c'est un contrat garanti, parce que je mettrai en place, une fois élu, si je suis élu, une autorité indépendante qui sera chargée de vérifier au nom des Français si un tel engagement est respecté ou pas. Et tous les trois mois, elle dira : voilà où l'on en est. Il y a beaucoup à faire, tous les moyens nécessaires doivent être employés. Vous vous rendez compte de ce qu'est la vie ? Imaginez si nous connaissons des incidents comme ça, imaginez une femme seule qui vit avec trois enfants dans cette cité, comment les tient-elle ? Les gamins, ils sont au contact des bandes et utilisés par eux pour des tas de délits divers et variés et pour faire le guet et pour je ne sais Non, on ne peut plus vivre comme cela en France.
PAUL JOLY
Alors ça, bon, c'est votre contribution à la campagne électorale sur ce thème, mais est-ce que vous ne trouvez
FRANÇOIS BAYROU
Non, c'est une non, ça n'a rien à voir, c'est une manière
PAUL JOLY
Mais est-ce que vous ne trouvez pas quand même que ce thème n'écrase pas trop c'est un thème évidemment très très important, prioritaire, mais est-ce qu'il n'écrase pas trop la campagne électorale ? Jacques CHIRAC fait campagne pratiquement uniquement sur ce thème, par exemple
FRANÇOIS BAYROU
Oui mais, bon, laissons Jacques CHIRAC, laissons Jacques CHIRAC Il était au pouvoir, il était président de la République ; Lionel JOSPIN était au pouvoir, il était Premier ministre : ils avaient tous les moyens de l'Etat. On a des comptes à leur demander sur la situation telle qu'elle est aujourd'hui. Vous croyez que les Français sont contents ? Vous, vous dites : est-ce qu'on n'en parle pas trop ? Pardonnez-moi
PAUL JOLY
Je ne dis pas : " est-ce qu'on n'en parle pas trop ". Est-ce que ça n'écrase pas la campagne ?
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, vous dites : est-ce que ça n'écrase pas la campagne, parce que vous vivez dans des quartiers où on est en sécurité, où tout va bien. Mais quand un homme ou une femme ne peut pas traverser un quartier à pied sans avoir peur, entrer dans son immeuble sans rencontrer des rottweilers ou des pitbulls dans l'entrée, alors, celui-là, c'est presque injurieux de demander, dans une campagne, si l'on en parle pas trop, parce que ça devrait être l'Acte 1 de l'action de l'Etat. Et vous dites : est-ce que, au fond, ce n'est pas de votre part, une politique trop ferme ?
PAUL JOLY
Ah, non, non, ce n'est pas ce que je voulais dire
FRANÇOIS BAYROU
Je dis : je suis un modéré, et c'est désormais aux modérés d'assumer la fermeté. Parce que si les modérés ne le font pas, d'autres le feront
RICHARD ARZT
Vous pensez à la montée de l'extrême droite, LE PEN dans cette campagne ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense à la demande des Français ; je pense aux femmes et aux hommes et aux jeunes qui sont, dans la société française, animés de générosité - je crois en être. La générosité, ça commence en s'occupant du plus faible ; et ça commence en protégeant le plus faible contre la terreur dans laquelle on le fait vivre. S'il y a un sujet sur lequel le changement doit s'imposer, c'est celui de l'action concrète pour que les gens vivent tranquilles. Je ne parle même pas de sécurité, je parle de la tranquillité publique élémentaire pour que les citoyens français puissent sortir dans la rue en regardant s'il fait beau et si l'air est frais et si c'est le printemps et pas en ayant peur d'être attaqués.
PAUL JOLY
Mais, est-ce que vous avez l'impression, vous, de vivre dans une France qui est en crise, en crise économique, en crise sociale, en crise " sociétale ", comme on dit maintenant, c'est-à-dire avec ces problèmes de violence, de sécurité ? Est-ce que vous partagez cette image sombre telle qu'elle est dépeinte par certains candidats ?
FRANÇOIS BAYROU
Paul JOLY, il y a deux France, il y a une France qui est en très bonne santé, qui est capable de relever des défis scientifiques, technologiques nombreux, qui est un pays brillant, et puis il y a une deuxième France qui est abandonnée. Il y a une fracture civique sociale et civique de la faute de l'Etat, dont la responsabilité est dans la manière dont on gouverne la France depuis vingt ans Parce que moi, je ne dis pas que ce soit la faute de la seule gauche ; je pense qu'ils ont commis des erreurs, mais ce n'est pas leur seule faute : c'est la faute de la manière dont on laisse aller les choses depuis 20 ans.
RICHARD ARZT
Vous avez, vous-même, été ministre à un certain moment
FRANÇOIS BAYROU
Oui, pas de ce secteur, reconnaissons-le ensemble
PAUL JOLY
Oui, mais vous avez participé à des majorités qui
FRANÇOIS BAYROU
Tout à fait, tout à fait, et c'est pour ça que je propose qu'on change, c'est parce que j'ai vu de l'intérieur
RICHARD ARZT
Vous avez fait votre révolution intérieure ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, j'ai fait mon évolution intérieure, qui m'a conduit à la certitude qu'il fallait désormais proposer aux Français un changement plus profond qu'un simple changement de majorité. Alors, je reviens au sujet. On a besoin de prendre les choses au sérieux et de considérer que nous ne pouvons pas laisser la deuxième France à l'abandon. Cette deuxième France, elle souffre beaucoup ; elle souffre sans doute de pauvreté, elle souffre du manque de travail, elle souffre de l'absence absolue d'intégration - on a raté l'intégration, complètement - ; elle souffre, cette France-là, de problèmes culturels et scolaires, et c'est pour cette deuxième France qu'on doit agir en priorité.
RICHARD ARZT
Sur l'intégration, qu'est-ce que vous proposez, qu'est-ce que vous réclamez, en urgence ?
FRANÇOIS BAYROU
Education et travail. Voilà, parlons simplement. L'intégration, ce n'est pas des grands mots. Je ne crois même pas que ce soit la politique de la ville dans laquelle on a déversé des milliards. J'aurais dû ajouter un troisième terme, excusez-moi. L'intégration c'est : éducation, travail et " pouvoir proche " ; que les citoyens puissent se faire entendre. Education, avec une ligne aussi claire que je viens de l'exprimer sur les quartiers abandonnés : il faut que nous apprenions à lire et à écrire à tous les enfants. Et pour cela, il faut une règle absolue qui est : on n'entre pas en 6ème si on ne sait pas lire et écrire. Et pour les autres, on bâtit des classes de rattrapage et on fait le boulot qui doit être fait par l'Etat, par l'Education. Je sais bien qu'on m'expliquera - on me l'a expliqué souvent - que c'était très, très difficile. Eh bien, on a connu un temps où la IIIème République ou la IVème enfin, il y a des décennies, la République
RICHARD ARZT
C'était au XXème siècle.
FRANÇOIS BAYROU
la République apprenait à lire à tous les enfants, fut-ce dans le plus lointain village, le plus écarté et perdu des Pyrénées. Eh bien, il faut retrouver ce temps là et, pour cela, il faut faire des choix qui soient des choix fermes.
RICHARD ARZT
Il n'y avait pas que les Pyrénées, d'ailleurs
FRANÇOIS BAYROU
Oui, on apprenait à lire partout, oui.
PAUL JOLY
François BAYROU, on vient de parler longuement, comme avec tous les candidats, de l'insécurité, et pourtant il y a un thème qui est spécifique pour vous, pour votre famille politique, c'est l'Europe. Pourquoi est-ce que vous n'en parlez pas davantage ?
FRANÇOIS BAYROU
Ah, écoutez, alors franchement c'est que vous n'avez pas suivi un seul de mes meetings
PAUL JOLY
Ah, c'est peut-être que l'insécurité, justement.
FRANÇOIS BAYROU
Non. Vous m'avez interrogé sur l'insécurité en raison des incidents d'hier. Mais nous avons sous les yeux le drame du Proche-Orient ; ce drame est un drame qui menace y compris notre tissu français, puisque vous voyez bien qu'il y a une importation de la guerre au Proche-Orient quand certaines banlieues se solidarisent autour des Palestiniens et que la communauté juive, pour la première fois depuis des décennies, craint pour sa sécurité, et que les pouvoirs publics ne disent rien
PAUL JOLY
Rien que le mot " communauté ", c'est déjà un mot, par rapport au pacte républicain, qui peut avoir.
FRANÇOIS BAYROU
Alors disons les Juifs de France. Vous n'imaginez pas la violence des mots utilisés dans ces incidents d'hier de la part de jeunes qui se sentent Arabes ou Musulmans, alors qu'ils sont Français d'abord, à l'égard des Juifs de France. Mais je ne veux pas vivre dans ce monde-là, je veux que les pouvoirs publics, en France, assument et qu'ils expliquent à chacun que quand on attaque ou qu'on insulte un Français juif, eh bien demain on attaquera, on insultera un Français musulman, et puis après-demain un Français je ne sais quoi, d'une autre conviction ou d'une autre identité
PAUL JOLY
Est-ce que
FRANÇOIS BAYROU
La France a été construite autour d'une idée simple : en France, quelle que soit sa religion, son origine, son identité, on est Français à part entière et protégé comme tel.
PAUL JOLY
Mais est-ce que vous-même vous n'avez pas pris parti en vous rendant à une manifestation à la manifestation qui était pro-israélienne et plutôt que d'aller à la manifestation du jour précédent qui était pro-palestinienne
FRANÇOIS BAYROU
Paul JOLY, je suis allé auprès de ceux qui, en France, étaient attaqués. Et si ça avait été des Musulmans de France qui avaient été attaqués, j'aurais été auprès des Musulmans de France ça m'est déjà, d'ailleurs, vous le savez, souvent arrivé. Ce sont des Français qui ont peur pour leur sécurité, qui, pour la première fois depuis une période plus que noire de l'Histoire, voient revenir des menaces, des insultes, des " sales Juifs ", dans la rue ; des attaques de synagogues ou de lieux d'associations. Eh bien, le devoir de tous les responsables de toutes convictions, quoi qu'ils pensent de la politique d'Israël, doit être de se rendre auprès de ceux des Français qui ont peur et des raisons d'avoir peur.
RICHARD ARZT
On est arrivé à dire tout cela enfin, vous êtes arrivé à dire tout cela à partir d'une question sur l'Europe.
FRANÇOIS BAYROU
L'Europe. Alors, le conflit du Proche Orient
RICHARD ARZT
L'Europe est absente, c'est ça ?
FRANÇOIS BAYROU
Voilà. Est-ce qu'on assiste les bras croisés, en spectateurs, à ce qui se passe ? Aujourd'hui, c'est le cas. Pourquoi ? Parce que l'Europe n'existe pas. Parce qu'il n'y a pas cette voix qui pourrait parler aussi fort que la voix américaine et défendre un équilibre dans le conflit
RICHARD ARZT
Mais pour arriver
FRANÇOIS BAYROU
garantir des négociations.
RICHARD ARZT
Pour qu'il y ait cette voix-là, il faudrait que la France prenne des initiatives que, peut-être
FRANÇOIS BAYROU
Eh bien, il aurait fallu que le président de la République, comme je le lui ai demandé par écrit dès mon retour de Jérusalem et de Ramallah il y a quelques semaines, demande, exige la convocation d'un sommet spécial de l'Union européenne pour que chefs d'Etats et de gouvernements arrêtent ensemble une position. Alors, il ne l'a pas fait. Si j'avais été président de la République, je l'aurais fait. Président de la République, j'aurais demandé qu'un sommet de l'Union européenne fixe la ligne de l'Europe et les moyens pour faire entendre cette ligne. Et on n'aurait pas eu, alors, je le crois, la rebuffade qu'on a eue, refusant les responsables locaux refusant de recevoir les envoyés de l'Europe. Parce que l'Europe, elle a, sur l'un et sur l'autre des deux belligérants, des moyens de faire entendre sa voix ; des moyens nombreux et forts de faire entendre sa voix. Et j'aurais si j'avais été président de la République, je serais venu à la télévision et j'aurais expliqué pourquoi, quelle que soit son opinion sur Israël, aucun Français ne peut accepter des actes antisémites, pas plus qu'il n'aurait accepté des actes antimusulmans.
RICHARD ARZT
On va terminer en parlant un petit peu de politique, peut-être même de désordre en politique. Quel souvenir vous gardez de votre intervention très remarquée à la réunion de l'Union En Mouvement à Toulouse ? Est-ce que vous pensez que vous avez cassé cet élan que pouvait avoir cette UEM ?
FRANÇOIS BAYROU
J'en garde le meilleur souvenir parce que j'ai dit simplement, à des gens que je connais bien, que j'ai toutes les raisons de connaître, ce que j'avais sur le cur ou ce que j'avais dans le cur concernant l'avenir de l'opposition, de la droite et du centre. Et je leur ai dit que cet avenir ne pouvait être qu'un équilibre ; et que l'équilibre était, de surcroît, la clé d'un bien nécessaire qui est le renouvellement.
RICHARD ARZT
D'accord mais, alors, quel effet ça a eu alors, vu d'aujourd'hui, à votre avis : une grande réussite ?
FRANÇOIS BAYROU
En tout cas, je crois que ça a intéressé les Français, qu'ils ont vu qu'il y avait là un geste qui ne ressemblait pas au geste politique hypocrite habituel ; que ça les a intéressés et, le jour venu, n'en doutez pas - en tout cas, moi je n'en doute pas - les Français se prononceront pour un équilibre dans l'opposition et non pas pour un monopole dans l'opposition.
PAUL JOLY
Est-ce que vous avez l'impression qu'aujourd'hui on est à un tournant dans la campagne ? Quand on regarde les sondages, les courbes sont en train de bouger, que ce soit entre Jacques CHIRAC, Lionel JOSPIN tous les candidats, et vous y compris
FRANÇOIS BAYROU
Oui, je crois qu'on est à un tournant
PAUL JOLY
et pourquoi ?
FRANÇOIS BAYROU
et que nous allons en connaître des tournants tous les jours pendant deux semaines.
RICHARD ARZT
Ah ben, ça promet !
FRANÇOIS BAYROU
Parce que je pense que, pendant très longtemps, on a voulu congeler cette élection. Vous savez, l'enfermer dans un congélateur pour qu'elle ne bouge plus ; qu'on passe par-dessus le premier tour pour aller directement au second ; et que, tranquilles comme Baptiste, messieurs JOSPIN et CHIRAC puissent attendre la confrontation véritable qui serait celle du deuxième tour. Autrement dit
PAUL JOLY
Qu'est-ce qui fait que le couvercle a été soulevé ?
FRANÇOIS BAYROU
complètement congeler ou mettre de côté, supprimer la question du changement. Eh bien, il se trouve que la question du changement, les Français l'ont dans le ventre : ils n'en peuvent plus de ce qu'ils voient bien échouer tous les jours, passer à côté de leurs problèmes tous les jours ; continuer à leur parler avec superbe tous les jours, en leur expliquant que " ma foi, ça va très bien " ou " ça ne va pas si mal ", sauf, si on est dans l'opposition, auquel cas " tout va mal ". Mais ils voient bien qu'il y a là un jeu, et ils savent bien, en réalité, que si l'on ne change pas quelque chose, si l'on ne donne pas un signe fort comme on dit, un signe de changement, le 21 avril, eh bien ça va continuer à rouler comme ça tranquillement, et que les seuls déçus, abandonnés, ce seront eux, les Français.
RICHARD ARZT
Quelle est, politiquement
FRANÇOIS BAYROU
Et donc c'est cela la question qui est en train de bouleverser tranquillement cette élection. Et c'est pourquoi, en effet, on voit des mouvements inattendus se produire, et ils continueront à se produire.
RICHARD ARZT
Quelle est politiquement, aujourd'hui, votre ambition ? Au début de votre campagne, vous vouliez être le troisième homme ? Vous dites quoi, maintenant ?
FRANÇOIS BAYROU
Ah, mon ambition, elle est très simple : je veux changer la politique de la France. Je veux prendre tous les moyens pour changer la politique de la France. Je veux être porteur, parce que c'est mon devoir, d'une attente de cette attente des Français qui ne voient pas bien comment on pourrait faire autrement. Parce qu'ils sont pleins d'insatisfaction, quelquefois de rage, d'attentes qui ne trouvent jamais de réponses. Mais qui porte ces attentes-là ? Jusqu'à maintenant, il n'y avait que les candidats qu'on appelle " protestataires ", ceux pour qui on votait en sachant qu'ils ne seraient pas élus, et d'ailleurs en souhaitant qu'ils ne soient pas élus C'est cela le caractère du vote protestataire. J'imagine que
RICHARD ARZT
Alors, vous, vous n'êtes pas protestataire
FRANÇOIS BAYROU
Pas beaucoup de Français n'ont envie que Arlette LAGUILLER soit présidente de la République, parce que la France, alors là, pour le coup, subirait des chocs. Mais simplement, c'est une protestation. Et tout l'enjeu des deux semaines qui viennent, c'est de transformer cette protestation en construction d'autre chose : un pouvoir qui se donne des rendez-vous et qui respecte ces rendez-vous sur les points les plus durs, en arrêtant de biaiser avec les problèmes comme ils se posent ; deuxièmement, des pouvoirs proches ; troisièmement, une Europe vraie et vraiment assumée, parce que c'est notre avenir et notre vocation que d'assumer cette future Europe. Voilà, des gens qui ouvrent les yeux et qui prennent les problèmes face-à-face.
PAUL JOLY
Pourriez-vous devenir un Premier ministre incontournable pour Jacques CHIRAC s'il était réélu ?
FRANÇOIS BAYROU
Jusqu'à maintenant, j'ai dit, à propos du deuxième tour " j'en parlerai après le premier ". Eh bien, des élections législatives, j'en parlerai après les élections présidentielles. Chaque chose en son temps. Ce dont on a besoin aujourd'hui, c'est de donner tout son sens au 21 avril : un jour de printemps dans lequel les Français vont décider, je crois, de changer le paysage.
PAUL JOLY
Une question qui n'est peut-être pas si banale que ça : qu'est-ce que vous pensez de votre marionnette des " Guignols " ? Est-ce que vous considérez que c'est une atteinte à votre dignité ? Parce qu'on pourrait estimer cela
FRANÇOIS BAYROU
Eh bien écoutez, pendant longtemps je suis allé dire cela aux " Guignols " parce qu'ils étaient ils faisaient une conférence ouverte au public et je me trouvais dans le lieu où ils étaient, donc je suis allé les voir ; je leur ai dit ce qu'on me dit tous les jours Vraiment, pendant des mois, j'ai trouvé cette marionnette absolument haïssable ; et pour moi, en effet, bon, j'étais vraiment froissé de voir la manière dont on me traitait. Et puis, au fur et à mesure que les jours passent, il y a de plus en plus de gens qui me disent : " mais elle est vachement sympa cette marionnette ! ". Alors il y a Ca aussi c'est une manière de sentir que le climat change.
RICHARD ARZT
Merci, François BAYROU ; merci d'avoir participé à cette émission pendant la campagne officielle.
FRANÇOIS BAYROU
Merci Richard ARZT et Paul JOLY.
(Source http://www.bayrou.net, le 11 avril 2002)