Texte intégral
France 3, le 25 mars 2002
LAURENCE BOBILLIER : Le MEDEF et la campagne présidentielle. Les patrons sont contents de retrouver certaines de leurs idées dans les programmes des candidats mais regrettent que l'on ne parle pas assez d'eux. Notre invité, le président du Mouvement des Entreprises de France, Ernest-Antoine Seillière.
En cours de journal
LAURENCE BOBILLIER : Les patrons avaient revendiqué haut et fort un droit d'ingérence dans la campagne. En janvier, le MEDEF présentait des propositions et, aujourd'hui, il a donné son avis sur les programmes. Nous allons en parler avec Ernest-Antoine Seillière. Avant cela, Stéphane Haussy et Yvon Bodin nous montrent comment les deux grands candidats se sont positionnés par rapport aux entreprises.
STEPHANE HAUSSY : Voilà l'homme qui voulait harceler les politiques. Ce jour-là, Ernest-Antoine Seillière, devant 2 000 chefs d'entreprise, voulait inscrire ses thèmes au cur de la campagne.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Allons-y que diable !
STEPHANE HAUSSY : Trois mois plus tard, les positions des principaux candidats s'affichent. Pour Lionel Jospin, pas question de revenir sur les 35 heures et les RTT. Jacques Chirac, lui, évoque un assouplissement par négociation mais ne remet pas en cause la loi des 35 heures. Les deux hommes s'accordent sur une baisse de l'impôt sur le revenu. Le président-candidat espère même une diminution d'un tiers en cinq ans. Au menu aussi des baisses annoncées : à gauche la taxe d'habitation réduite de moitié, à droite, l'impôt sur les sociétés, 1/6ème. Et sur le dossier chaud des retraites, nouvelles convergences de vue. Il faut garantir le régime de la répartition : Lionel Jospin veut y ajouter de l'épargne salariale, Jacques Chirac parle de fonds de pension à la française. Les vues du MEDEF, c'est finalement chez cet homme qu'on les retrouve le plus, Alain Madelin. Dans le programme du candidat libéral, la fin des 35 heures obligatoires, une refondation totale de la fiscalité et une retraite à la carte avec des fonds de pension. Ce matin pourtant le MEDEF a réaffirmé ne rouler pour personne et ne donner aucune consigne de vote.
LAURENCE BOBILLIER : Sur ce plateau, le patron des patrons. Ernest-Antoine Seillière, cela n'échappe à personne, les idées libérales d'Alain Madelin sont proches des vôtres. Vous choisissez Madelin ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, nous ne choisissons personne, ça n'est pas notre rôle de faire le travail de l'électeur, c'est à lui de sélectionner le candidat de son vu. Nous, notre rôle, c'est celui bien entendu d'avancer, au nom des entrepreneurs que nous représentons, ce que nous croyons être de nature à faire réussir notre pays, croissance et emploi. Et pour ça, nous avons beaucoup proposé et nous sommes heureux de voir et d'entendre que beaucoup de ce que nous avons proposé est repris par les candidats.
LAURENCE BOBILLIER : Vous avez été entendu mais pas sur les 35 heures par exemple. Vous voulez l'appui sur les 35 heures ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Depuis des années, l'opposition et la majorité s'opposent sur les 35 heures et nous avons dit dès le départ, en 1997, avant même, je dirais, qu'on s'organise autour de ce thème, que nous ne pensions pas que c'était bon pour l'économie française. Alors là, je crois que les positions n'ont pas changé.
LAURENCE BOBILLIER : Mais Jacques Chirac ne veut pas revenir sur les 35 heures, il veut seulement les assouplir.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien c'est déjà énorme si on les assouplit. Et d'ailleurs, j'ai noté que le gouvernement actuel les avait déjà assouplis parce que, vous le savez, on a différé de deux ans leur application aux entreprises de moins de 20, et à un moment où le chômage gagnait, c'est donc qu'on n'y croyait pas trop pour faire descendre le chômage. Mais en dehors des 35 heures, nous avons beaucoup de nos thèmes - le dialogue social, la réforme des retraites et bien entendu la baisse des impôts - qui sont devenus des thèmes sur lesquels le MEDEF a beaucoup proposé et entend qu'on reprend largement ses propositions.
LAURENCE BOBILLIER : Alors justement, la fiscalité et les impôts, là aussi vous êtes plus proche de la droite que de la gauche ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, nous n'avons pas la même analyse que vous à cet égard. Nous entendons que, de part et d'autre, on propose, et c'est très nouveau, je dirais c'est un tournant, la baisse de l'impôt sur le revenu, de part et d'autre, à droite et à gauche. Et donc, nous sentons, si vous voulez, que les politiques commencent à entendre les entrepreneurs et nous sommes prêts d'ailleurs, nous les entrepreneurs, avec un gouvernement qui gouvernera, qu'il soit de droite ou de gauche, s'il est de droite s'il ose, s'il est de gauche s'il comprend, à travailler pour les législatures.
LAURENCE BOBILLIER : Mais selon vous quels sont les thèmes qui ne sont pas abordés dans le débat et qui manquent cruellement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien d'abord la réforme de l'Etat. C'est bien quelque chose en effet qui est de la compétence de la classe politique et, là dessus, on fait silence. L'amélioration des services publics, le fonctionnement des services publics, assez curieusement aussi l'assurance maladie qui est un sujet qui concerne tous les Français, sur lequel il y a actuellement énormément de préoccupations. Vous connaissez les soucis des professions de santé, leur malaise, eh bien, là dessus on ne parle pas. Réforme de l'Etat, assurance maladie, on ne préfère pas aborder. Pour le reste, nous avons la satisfaction de voir que le MEDEF n'a pas proposé pour rien.
LAURENCE BOBILLIER : Est-ce qu'on ne parle pas assez alors des entreprises dans les programmes des principaux candidats ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, si vous voulez, on n'en parle pas assez mais on n'en parle pas mal. C'est-à-dire que ce n'est pas l'enjeu autour duquel on s'organise pour combattre. On reconnaît finalement que l'entreprise fait la croissance, fait l'emploi, qu'elle est essentielle et donc le MEDEF, qui les représente, est vraiment présent dans cette campagne.
LAURENCE BOBILLIER : Ernest-Antoine Seillière je vous remercie.
(Source http://www.medef.fr, le 27 mars 2002)
Europe 1 - le 26 mars 2002
J.-P. Elkabbach - On vous écoute, monsieur Seillière. Autrement dit, la stratégie de l'aiguillon marche ?
- "Oui, nous avons décidé non pas de juger quiconque - ce n'est pas notre rôle de porter un jugement partisan - mais nous avons regardé les programmes, nous écoutons la campagne, et nous disons : "de l'audace, il faut maintenant aller plus loin". Vous avez compris beaucoup de choses que disait le Medef, nous en sommes heureux. Mais maintenant il faut s'engager plus avant pour faire transformer la France."
Vous aviez inventé pour la circonstance un droit d'ingérence, vous avez raison, à votre avis, d'en user. Est-ce que demain vous choisissez le silence ou vous allez continuer pour toutes les élections - et d'abord pour la présidentielle jusqu'au bout, vous allez les harceler encore un peu -, et puis les législatives, circonscription par circonscription ?
- "Nous n'allons pas arrêter, bien entendu, de nous exprimer au nom des entrepreneurs. Nous y sommes encouragés par le fait que les Français comprennent notre attitude. Un sondage récent donne 59 % de Français qui approuvent le fait que le Medef s'exprime au nom des entrepreneurs dans le débat public. Donc nous sommes soutenus. D'ailleurs, la plupart des propositions que nous faisons sont également comprises des Français, qu'ils votent pour l'un ou qu'ils votent pour l'autre."
Donc, vous estimez justifié de continuer ?
- "Oui, nous continuerons, bien entendu. Plus on approchera des législatives, plus nous serons précis. Au stade actuel, nous jugeons la vision, l'orientation générale des candidats sans jamais prononcer leur nom. Il y a dans mon bureau une cagnotte, et celui qui prononce le nom d'un candidat met un euro. On fera un gueuleton à la fin de la campagne."
Oui, mais enfin ça ne trompe personne. Vous avez choisi Jospin !
- "J'ai choisi de rencontrer Jospin, mais il ne veut pas me rencontrer. J'aimerais bien aller le voir, que ce soit à son quartier général ou à Cintegabelle, mais il me renvoie sur ses lieutenants. Je pensais pourtant qu'il avait pour les partenaires sociaux, depuis peu, plus de considération."
Vous êtes prêt à aller le voir à L'Atelier...
- "L'Atelier, bien entendu..."
... ou à Cintegabelle, comme vous dites. Vous avez demandé à rencontrer les dirigeants de droite, du centre et même de gauche. Vous en avez vus beaucoup ? Sauf R. Hue, au passage, qui ne veut pas voir...
- "On lui a demandé rendez-vous mais..."
Il a dit qu'il ne veut pas voir "le tueur d'entreprises" hier soir...
- "Oui... Vous savez, les communistes et les entrepreneurs c'est une vieille affaire, c'est très archaïque la manière dont il traite le sujet."
Vous trouvez donc que les deux principaux candidats vous écoutent, chacun à sa manière. Lequel est le plus assidu et le plus attentif à votre avis ?
- "Nous n'avons pas de jugement à porter là-dessus, parce que nous avons le sentiment que le Medef n'a pas proposé pour rien. Ca fait maintenant des mois et des mois qu'au contact des entrepreneurs de la base, il a recherché les propositions..."
Non, non répondez concrètement sur les programmes. Qu'est-ce que vous découvrez du Medef chez "l'élève Jospin" ?
- "Nous trouvons chez "l'élève Jospin" comme vous dites - la formule est assez jolie parce que ça n'est pas tout de même son style - essentiellement qu'il a enfin compris, et il semble que c'est une conversion, que les partenaires sociaux existent, et qu'il faut donc s'appuyer sur eux pour construire l'évolution sociale dont notre pays a besoin pour s'adapter. C'est quelque chose d'absolument majeur. Nous voyons aussi qu'il propose la baisse de l'impôt sur le revenu, c'est également un tournant historique de la part des socialistes que d'avoir cette approche. C'est quelque chose qu'autour de lui d'ailleurs, dans l'Europe entière, on a beaucoup fait. Ce sont donc deux mesures sur lesquelles nous sentons l'influence du Medef."
Et sur quoi avez-vous, "professeur Seillière", parfois envie de lui donner des coups de règle sur les doigts ?
- "A l'évidence, quand il propose de faire une sorte de RMI-Jeunes, qui viendrait encore affaiblir la valeur travail de notre pays, quand il se refuse à transformer la loi des 35 heures, dont 75 % des Français disent qu'elle doit être assouplie, quand il veut taxer l'épargne un peu plus..."
Qu'appelez-vous "assouplie" ?
- "C'est très simple : cela veut dire que les partenaires, dans l'entreprise ou dans la branche, peuvent décider entre eux comment on travaille et le nombre d'heures qu'on travaille, à condition, bien entendu, de respecter les 35 heures au plan annuel. Et puis les heures supplémentaires, bien sûr. On veut gagner plus d'argent dans notre pays, il n'y a pas de raison d'interdire aux gens de travailler."
Au passage, toujours, pour appliquer la loi Aubry sur les 35 heures, des entreprises avaient perçu des baisses de charges et des avantages, autour de 50 milliards. Si un gouvernement allège les 35 heures, que faites-vous de cette ancienne manne ?
- "Il y aura certainement, en effet, une négociation un peu compliquée, parce que beaucoup d'entreprises ont reçu des subventions qu'elles n'avaient pas demandées, pour maintenir les salaires tout en baissant l'horaire du travail. Si on leur retire la subvention, évidemment elles auront de très grosses difficultés. Ce n'est pas l'objectif."
Donc, il faudra le discuter là, négocier ?
- "Il faudra le discuter. Ce sera assez fin. Ce sera difficile à faire, parce que nous avons été enfermés par le gouvernement de monsieur Jospin, nous, les entreprises, dans un carcan complexe et technocratique dont vous savez que nous avons le sentiment qu'il coûte très cher à la France."
Que trouvez-vous du Medef chez "l'élève Chirac"- il ne faut pas l'oublier, lui ?
- "Il a toujours porté de l'intérêt, lui, et très rapidement, à l'approche, justement, du dialogue social pour régler finement la marche des entreprises. C'est quelque chose qu'il apprécie. D'ailleurs, il a toujours reconnu que c'était à N. Notat et au Medef qu'on devait cette approche. Il a également compris qu'il fallait baisser la fiscalité, notamment sur les revenus. Il hésite, semble-t-il, quelquefois, à prononcer certains mots comme "ISF" qui lui paraît tabou, ou même l'adjectif "libéral". Tout ça n'est pas évidemment le signe d'une très grande audace. Mais nous voyons également qu'il se montre extrêmement prudent sur la baisse du nombre des fonctionnaires."
Donc les candidats peuvent mieux faire. Sur la baisse des fonctionnaires, vous voulez dire quoi, là, monsieur Seillière ?
- "La baisse du nombre des fonctionnaires. Vous savez qu'il va y avoir 800 000 fonctionnaires qui vont quitter leur emploi par mise à la retraite dans les dix ans qui viennent. C'est une opportunité, bien entendu, de faire évoluer l'Etat. Là-dessus, tout le monde est extraordinairement prudent. On manque d'audace nécessairement dans cette campagne si on veut que nous soyons capables de faire ces fameux 3 % de croissance sur lesquels on assoit tous les programmes."
Donc, vous lui demandez d'aller plus loin ?
- "Il faut aller plus loin si on veut asseoir en effet l'expansion française sur 3 %. Si on ne modifie pas la France, si on ne touche pas à l'Etat, si on ne parle pas de l'assurance-maladie - ce qu'on ne fait pas non plus - bien entendu, nous ne serons pas capables de faire 3 %, nous les entreprises. Et tout ceci faiblira. Ca n'est pas l'objectif."
D'où vient que les politiques les plus créatifs et les plus audacieux, comme A. Madelin, n'obtiennent pas 5 % des sondages ? Parce que, quand on lit ce que vous recommandez : Président, A. Madelin. Or, il atteint 5 % des sondages. Ca veut dire que les Français n'en veulent pas tout à fait ? Pas de lui mais de ses idées...
- "Nous sommes dans un pays où on n'a jamais fait beaucoup d'effort pour expliquer la réalité économique, comme vous le savez. Et donc, par rapport à beaucoup de pays où des idées sont monnaies courantes, chez nous ça sent encore l'exception. Nous sommes au travail, nous le Medef, c'est un de nos rôles. C'est l'aiguillon "Medef" en effet que de faire en sorte que le pays comprenne que nous sommes dans une économie de marché. Il faut que la gauche comprenne la réalité du monde, et il faut que la droite ose mettre en oeuvre ce qu'elle considère comme étant ses principes."
Après les élections, est-ce qu'il y a une nouvelle période qui s'ouvre pour le Medef et pour vous-même ? Qu'est-ce que vous voulez changer ? Vous dites : on est prêts à discuter. Vous discutez même si c'est "l'élève indiscipliné" qui a mal retenu la leçon Seillière et Medef qui est reçu ?
- "Oui, nous sommes décidés, pendant les cinq ans qui viennent, à tout faire pour que notre pays soit dans la croissance et l'emploi. Nous travaillerons donc avec un gouvernement qui sortira des urnes, d'arrache-pied, pour essayer de moderniser et de transformer la France, de la faire gagner. Qu'il soit de droite ou qu'il soit de gauche, le Gouvernement, demain, doit gouverner avec audace, s'engager dans la réforme, prendre le dialogue social comme base, et le Medef sera là pour travailler avec lui, s'il comprend le monde dans lequel nous sommes, et s'il ose entreprendre la réforme. Voilà ce que demandent les entrepreneurs. Les Français le comprennent, je pense que notre rôle dans cette campagne est utile."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 mars 2002)
LAURENCE BOBILLIER : Le MEDEF et la campagne présidentielle. Les patrons sont contents de retrouver certaines de leurs idées dans les programmes des candidats mais regrettent que l'on ne parle pas assez d'eux. Notre invité, le président du Mouvement des Entreprises de France, Ernest-Antoine Seillière.
En cours de journal
LAURENCE BOBILLIER : Les patrons avaient revendiqué haut et fort un droit d'ingérence dans la campagne. En janvier, le MEDEF présentait des propositions et, aujourd'hui, il a donné son avis sur les programmes. Nous allons en parler avec Ernest-Antoine Seillière. Avant cela, Stéphane Haussy et Yvon Bodin nous montrent comment les deux grands candidats se sont positionnés par rapport aux entreprises.
STEPHANE HAUSSY : Voilà l'homme qui voulait harceler les politiques. Ce jour-là, Ernest-Antoine Seillière, devant 2 000 chefs d'entreprise, voulait inscrire ses thèmes au cur de la campagne.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Allons-y que diable !
STEPHANE HAUSSY : Trois mois plus tard, les positions des principaux candidats s'affichent. Pour Lionel Jospin, pas question de revenir sur les 35 heures et les RTT. Jacques Chirac, lui, évoque un assouplissement par négociation mais ne remet pas en cause la loi des 35 heures. Les deux hommes s'accordent sur une baisse de l'impôt sur le revenu. Le président-candidat espère même une diminution d'un tiers en cinq ans. Au menu aussi des baisses annoncées : à gauche la taxe d'habitation réduite de moitié, à droite, l'impôt sur les sociétés, 1/6ème. Et sur le dossier chaud des retraites, nouvelles convergences de vue. Il faut garantir le régime de la répartition : Lionel Jospin veut y ajouter de l'épargne salariale, Jacques Chirac parle de fonds de pension à la française. Les vues du MEDEF, c'est finalement chez cet homme qu'on les retrouve le plus, Alain Madelin. Dans le programme du candidat libéral, la fin des 35 heures obligatoires, une refondation totale de la fiscalité et une retraite à la carte avec des fonds de pension. Ce matin pourtant le MEDEF a réaffirmé ne rouler pour personne et ne donner aucune consigne de vote.
LAURENCE BOBILLIER : Sur ce plateau, le patron des patrons. Ernest-Antoine Seillière, cela n'échappe à personne, les idées libérales d'Alain Madelin sont proches des vôtres. Vous choisissez Madelin ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, nous ne choisissons personne, ça n'est pas notre rôle de faire le travail de l'électeur, c'est à lui de sélectionner le candidat de son vu. Nous, notre rôle, c'est celui bien entendu d'avancer, au nom des entrepreneurs que nous représentons, ce que nous croyons être de nature à faire réussir notre pays, croissance et emploi. Et pour ça, nous avons beaucoup proposé et nous sommes heureux de voir et d'entendre que beaucoup de ce que nous avons proposé est repris par les candidats.
LAURENCE BOBILLIER : Vous avez été entendu mais pas sur les 35 heures par exemple. Vous voulez l'appui sur les 35 heures ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Depuis des années, l'opposition et la majorité s'opposent sur les 35 heures et nous avons dit dès le départ, en 1997, avant même, je dirais, qu'on s'organise autour de ce thème, que nous ne pensions pas que c'était bon pour l'économie française. Alors là, je crois que les positions n'ont pas changé.
LAURENCE BOBILLIER : Mais Jacques Chirac ne veut pas revenir sur les 35 heures, il veut seulement les assouplir.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien c'est déjà énorme si on les assouplit. Et d'ailleurs, j'ai noté que le gouvernement actuel les avait déjà assouplis parce que, vous le savez, on a différé de deux ans leur application aux entreprises de moins de 20, et à un moment où le chômage gagnait, c'est donc qu'on n'y croyait pas trop pour faire descendre le chômage. Mais en dehors des 35 heures, nous avons beaucoup de nos thèmes - le dialogue social, la réforme des retraites et bien entendu la baisse des impôts - qui sont devenus des thèmes sur lesquels le MEDEF a beaucoup proposé et entend qu'on reprend largement ses propositions.
LAURENCE BOBILLIER : Alors justement, la fiscalité et les impôts, là aussi vous êtes plus proche de la droite que de la gauche ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, nous n'avons pas la même analyse que vous à cet égard. Nous entendons que, de part et d'autre, on propose, et c'est très nouveau, je dirais c'est un tournant, la baisse de l'impôt sur le revenu, de part et d'autre, à droite et à gauche. Et donc, nous sentons, si vous voulez, que les politiques commencent à entendre les entrepreneurs et nous sommes prêts d'ailleurs, nous les entrepreneurs, avec un gouvernement qui gouvernera, qu'il soit de droite ou de gauche, s'il est de droite s'il ose, s'il est de gauche s'il comprend, à travailler pour les législatures.
LAURENCE BOBILLIER : Mais selon vous quels sont les thèmes qui ne sont pas abordés dans le débat et qui manquent cruellement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien d'abord la réforme de l'Etat. C'est bien quelque chose en effet qui est de la compétence de la classe politique et, là dessus, on fait silence. L'amélioration des services publics, le fonctionnement des services publics, assez curieusement aussi l'assurance maladie qui est un sujet qui concerne tous les Français, sur lequel il y a actuellement énormément de préoccupations. Vous connaissez les soucis des professions de santé, leur malaise, eh bien, là dessus on ne parle pas. Réforme de l'Etat, assurance maladie, on ne préfère pas aborder. Pour le reste, nous avons la satisfaction de voir que le MEDEF n'a pas proposé pour rien.
LAURENCE BOBILLIER : Est-ce qu'on ne parle pas assez alors des entreprises dans les programmes des principaux candidats ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, si vous voulez, on n'en parle pas assez mais on n'en parle pas mal. C'est-à-dire que ce n'est pas l'enjeu autour duquel on s'organise pour combattre. On reconnaît finalement que l'entreprise fait la croissance, fait l'emploi, qu'elle est essentielle et donc le MEDEF, qui les représente, est vraiment présent dans cette campagne.
LAURENCE BOBILLIER : Ernest-Antoine Seillière je vous remercie.
(Source http://www.medef.fr, le 27 mars 2002)
Europe 1 - le 26 mars 2002
J.-P. Elkabbach - On vous écoute, monsieur Seillière. Autrement dit, la stratégie de l'aiguillon marche ?
- "Oui, nous avons décidé non pas de juger quiconque - ce n'est pas notre rôle de porter un jugement partisan - mais nous avons regardé les programmes, nous écoutons la campagne, et nous disons : "de l'audace, il faut maintenant aller plus loin". Vous avez compris beaucoup de choses que disait le Medef, nous en sommes heureux. Mais maintenant il faut s'engager plus avant pour faire transformer la France."
Vous aviez inventé pour la circonstance un droit d'ingérence, vous avez raison, à votre avis, d'en user. Est-ce que demain vous choisissez le silence ou vous allez continuer pour toutes les élections - et d'abord pour la présidentielle jusqu'au bout, vous allez les harceler encore un peu -, et puis les législatives, circonscription par circonscription ?
- "Nous n'allons pas arrêter, bien entendu, de nous exprimer au nom des entrepreneurs. Nous y sommes encouragés par le fait que les Français comprennent notre attitude. Un sondage récent donne 59 % de Français qui approuvent le fait que le Medef s'exprime au nom des entrepreneurs dans le débat public. Donc nous sommes soutenus. D'ailleurs, la plupart des propositions que nous faisons sont également comprises des Français, qu'ils votent pour l'un ou qu'ils votent pour l'autre."
Donc, vous estimez justifié de continuer ?
- "Oui, nous continuerons, bien entendu. Plus on approchera des législatives, plus nous serons précis. Au stade actuel, nous jugeons la vision, l'orientation générale des candidats sans jamais prononcer leur nom. Il y a dans mon bureau une cagnotte, et celui qui prononce le nom d'un candidat met un euro. On fera un gueuleton à la fin de la campagne."
Oui, mais enfin ça ne trompe personne. Vous avez choisi Jospin !
- "J'ai choisi de rencontrer Jospin, mais il ne veut pas me rencontrer. J'aimerais bien aller le voir, que ce soit à son quartier général ou à Cintegabelle, mais il me renvoie sur ses lieutenants. Je pensais pourtant qu'il avait pour les partenaires sociaux, depuis peu, plus de considération."
Vous êtes prêt à aller le voir à L'Atelier...
- "L'Atelier, bien entendu..."
... ou à Cintegabelle, comme vous dites. Vous avez demandé à rencontrer les dirigeants de droite, du centre et même de gauche. Vous en avez vus beaucoup ? Sauf R. Hue, au passage, qui ne veut pas voir...
- "On lui a demandé rendez-vous mais..."
Il a dit qu'il ne veut pas voir "le tueur d'entreprises" hier soir...
- "Oui... Vous savez, les communistes et les entrepreneurs c'est une vieille affaire, c'est très archaïque la manière dont il traite le sujet."
Vous trouvez donc que les deux principaux candidats vous écoutent, chacun à sa manière. Lequel est le plus assidu et le plus attentif à votre avis ?
- "Nous n'avons pas de jugement à porter là-dessus, parce que nous avons le sentiment que le Medef n'a pas proposé pour rien. Ca fait maintenant des mois et des mois qu'au contact des entrepreneurs de la base, il a recherché les propositions..."
Non, non répondez concrètement sur les programmes. Qu'est-ce que vous découvrez du Medef chez "l'élève Jospin" ?
- "Nous trouvons chez "l'élève Jospin" comme vous dites - la formule est assez jolie parce que ça n'est pas tout de même son style - essentiellement qu'il a enfin compris, et il semble que c'est une conversion, que les partenaires sociaux existent, et qu'il faut donc s'appuyer sur eux pour construire l'évolution sociale dont notre pays a besoin pour s'adapter. C'est quelque chose d'absolument majeur. Nous voyons aussi qu'il propose la baisse de l'impôt sur le revenu, c'est également un tournant historique de la part des socialistes que d'avoir cette approche. C'est quelque chose qu'autour de lui d'ailleurs, dans l'Europe entière, on a beaucoup fait. Ce sont donc deux mesures sur lesquelles nous sentons l'influence du Medef."
Et sur quoi avez-vous, "professeur Seillière", parfois envie de lui donner des coups de règle sur les doigts ?
- "A l'évidence, quand il propose de faire une sorte de RMI-Jeunes, qui viendrait encore affaiblir la valeur travail de notre pays, quand il se refuse à transformer la loi des 35 heures, dont 75 % des Français disent qu'elle doit être assouplie, quand il veut taxer l'épargne un peu plus..."
Qu'appelez-vous "assouplie" ?
- "C'est très simple : cela veut dire que les partenaires, dans l'entreprise ou dans la branche, peuvent décider entre eux comment on travaille et le nombre d'heures qu'on travaille, à condition, bien entendu, de respecter les 35 heures au plan annuel. Et puis les heures supplémentaires, bien sûr. On veut gagner plus d'argent dans notre pays, il n'y a pas de raison d'interdire aux gens de travailler."
Au passage, toujours, pour appliquer la loi Aubry sur les 35 heures, des entreprises avaient perçu des baisses de charges et des avantages, autour de 50 milliards. Si un gouvernement allège les 35 heures, que faites-vous de cette ancienne manne ?
- "Il y aura certainement, en effet, une négociation un peu compliquée, parce que beaucoup d'entreprises ont reçu des subventions qu'elles n'avaient pas demandées, pour maintenir les salaires tout en baissant l'horaire du travail. Si on leur retire la subvention, évidemment elles auront de très grosses difficultés. Ce n'est pas l'objectif."
Donc, il faudra le discuter là, négocier ?
- "Il faudra le discuter. Ce sera assez fin. Ce sera difficile à faire, parce que nous avons été enfermés par le gouvernement de monsieur Jospin, nous, les entreprises, dans un carcan complexe et technocratique dont vous savez que nous avons le sentiment qu'il coûte très cher à la France."
Que trouvez-vous du Medef chez "l'élève Chirac"- il ne faut pas l'oublier, lui ?
- "Il a toujours porté de l'intérêt, lui, et très rapidement, à l'approche, justement, du dialogue social pour régler finement la marche des entreprises. C'est quelque chose qu'il apprécie. D'ailleurs, il a toujours reconnu que c'était à N. Notat et au Medef qu'on devait cette approche. Il a également compris qu'il fallait baisser la fiscalité, notamment sur les revenus. Il hésite, semble-t-il, quelquefois, à prononcer certains mots comme "ISF" qui lui paraît tabou, ou même l'adjectif "libéral". Tout ça n'est pas évidemment le signe d'une très grande audace. Mais nous voyons également qu'il se montre extrêmement prudent sur la baisse du nombre des fonctionnaires."
Donc les candidats peuvent mieux faire. Sur la baisse des fonctionnaires, vous voulez dire quoi, là, monsieur Seillière ?
- "La baisse du nombre des fonctionnaires. Vous savez qu'il va y avoir 800 000 fonctionnaires qui vont quitter leur emploi par mise à la retraite dans les dix ans qui viennent. C'est une opportunité, bien entendu, de faire évoluer l'Etat. Là-dessus, tout le monde est extraordinairement prudent. On manque d'audace nécessairement dans cette campagne si on veut que nous soyons capables de faire ces fameux 3 % de croissance sur lesquels on assoit tous les programmes."
Donc, vous lui demandez d'aller plus loin ?
- "Il faut aller plus loin si on veut asseoir en effet l'expansion française sur 3 %. Si on ne modifie pas la France, si on ne touche pas à l'Etat, si on ne parle pas de l'assurance-maladie - ce qu'on ne fait pas non plus - bien entendu, nous ne serons pas capables de faire 3 %, nous les entreprises. Et tout ceci faiblira. Ca n'est pas l'objectif."
D'où vient que les politiques les plus créatifs et les plus audacieux, comme A. Madelin, n'obtiennent pas 5 % des sondages ? Parce que, quand on lit ce que vous recommandez : Président, A. Madelin. Or, il atteint 5 % des sondages. Ca veut dire que les Français n'en veulent pas tout à fait ? Pas de lui mais de ses idées...
- "Nous sommes dans un pays où on n'a jamais fait beaucoup d'effort pour expliquer la réalité économique, comme vous le savez. Et donc, par rapport à beaucoup de pays où des idées sont monnaies courantes, chez nous ça sent encore l'exception. Nous sommes au travail, nous le Medef, c'est un de nos rôles. C'est l'aiguillon "Medef" en effet que de faire en sorte que le pays comprenne que nous sommes dans une économie de marché. Il faut que la gauche comprenne la réalité du monde, et il faut que la droite ose mettre en oeuvre ce qu'elle considère comme étant ses principes."
Après les élections, est-ce qu'il y a une nouvelle période qui s'ouvre pour le Medef et pour vous-même ? Qu'est-ce que vous voulez changer ? Vous dites : on est prêts à discuter. Vous discutez même si c'est "l'élève indiscipliné" qui a mal retenu la leçon Seillière et Medef qui est reçu ?
- "Oui, nous sommes décidés, pendant les cinq ans qui viennent, à tout faire pour que notre pays soit dans la croissance et l'emploi. Nous travaillerons donc avec un gouvernement qui sortira des urnes, d'arrache-pied, pour essayer de moderniser et de transformer la France, de la faire gagner. Qu'il soit de droite ou qu'il soit de gauche, le Gouvernement, demain, doit gouverner avec audace, s'engager dans la réforme, prendre le dialogue social comme base, et le Medef sera là pour travailler avec lui, s'il comprend le monde dans lequel nous sommes, et s'il ose entreprendre la réforme. Voilà ce que demandent les entrepreneurs. Les Français le comprennent, je pense que notre rôle dans cette campagne est utile."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 mars 2002)