Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, au quotidien "Le Parisien" et au quotidien libanais "Al-Hayat" le 11 mars 2002, sur l'aggravation de la situation au Proche-Orient.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Al Hayat - Le Parisien - Presse étrangère

Texte intégral

(Interview au Parisien à Paris, le 11 mars 2002) :
Q - Quel est votre sentiment après ces déchaînements de violence en Israël ?
R - C'est un sentiment d'accablement parce que cette aggravation quotidienne, cette escalade dans le pire confirment tout ce que nous disons depuis des mois et des mois.
Q - Un embrasement vous paraît donc inévitable...
R - Un embrasement me parait possible. On a l'impression qu'on a touché le fond mais les choses peuvent être encore pires, encore plus monstrueuses, s'il n'y a pas un renversement de la ligne suivie.
Q - A qui attribuez-vous la responsabilité de la situation ?
R - Je ne suis pas un juge, je ne cherche pas à démêler les responsabilités. Mais je suis sûr de deux choses : d'abord, qu'une politique de répression ne peut régler le problème palestinien ; ensuite, que l'exigence de voir le calme complètement rétabli avant d'ouvrir une négociation est, elle aussi, vouée à l'échec.
Q - Les Etats-Unis ont-ils une part de responsabilité ?
R - Je pense qu'ils devraient se réengager plus au Proche-Orient. Et je constate à cet égard un début d'évolution. Je ne sous-estime pas les efforts qui ont déjà été faits mais je me réjouis, surtout, de la décision du président Bush et de Colin Powell de renvoyer sur place leur émissaire, le général Zinni. C'est très important Et ce sera d'autant plus efficace que les Américains s'attaqueront simultanément à la sécurité et au règlement politique.
Q - L'amorce d'une solution ne peut venir que de Washington...
R - Non. L'amorce de la solution peut venir d'un changement de politique du gouvernement israélien. Les Israéliens devraient constater que la politique menée pour rétablir la sécurité n'a fait qu'aggraver la situation. C'est à eux de prendre la décision d'en changer. Quant aux Palestiniens, Yasser Arafat en tête, ils doivent tout faire pour juguler la violence.
Q - Vous avez appelé plusieurs fois à un cessez-le-feu et à une solution politique. Mais la France, tout comme l'Europe, n'est pas entendue. Et est impuissante
R - Qui n'est pas impuissant aujourd'hui ? Mais ce n'est pas parce que les appels à la raison ne donnent pas de résultat qu'il faut se décourager. Au contraire, il faut continuer inlassablement.
Q - Vous croyez encore aux chances de la diplomatie ?
R - Il n'y a pas d'autre alternative. Ou alors, c'est la solution militaire. Or, les armes ne résoudront rien. Il y a un problème politique israélo-palestinien, celui de deux peuples pour une seule terre, qui ne peut se résoudre que par la coexistence et la cohabitation d'un Etat palestinien et de l'Etat israélien.
Q - L'envoi d'une force multinationale pourrait-il être une solution ?
R - Pour le moment le gouvernement israélien n'en veut pas. Ce serait pourtant utile aux uns et aux autres. Quand la négociation aura repris, l'envoi d'une telle force pourrait être l'une des premières décisions acceptées de part et d'autre.
Q - Aujourd'hui, il n'y a pas de solution miracle...
R - La solution sera trouvée. Pas par miracle. Mais avec du courage, de la volonté et de la ténacité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mars 2002)
(Interview au quotidien libanais à Paris, le 11 mars 2002) :
Q - La situation dans les Territoires palestiniens et au Moyen-Orient commence à devenir catastrophique. Vous avez été le seul en Europe à mettre en garde l'administration américaine contre son appui au Premier ministre israélien Ariel Sharon. Voyez-vous un changement ou une évolution dans la politique américaine ?
R - Ce qui se passe actuellement établit la justesse des avertissements que j'ai lancés il y a un certain temps. Ceci montre également que la politique menée jusqu'à présent par le gouvernement Sharon conduit à une impasse. Il a pu réussir des opérations ponctuelles, avoir des succès tactiques, mais au bout du compte c'est une impasse stratégique. C'est même un échec, notamment pour la question qui est prioritaire pour lui, à savoir la sécurité d'Israël.
Il est normal que le Premier ministre israélien accorde la priorité à la sécurité. Nous sommes d'accord : c'est son droit et son devoir. Mais même sur ce plan-là, cela ne marche pas. Il n'y a jamais eu une telle insécurité en Israël, il n'y a jamais eu autant d'attentats. Quant au problème de fond, il est là, de pire en pire. Malheureusement, ceci confirme ce que j'ai dit sur la politique erronée de Sharon, qui refuse de rouvrir une négociation politique tant que la sécurité n'aura pas été complètement rétablie. Cette politique reflète une erreur d'analyse. C'est d'ailleurs un piège exploité par une partie des forces appuyant Sharon, qui en font un obstacle empêchant l'ouverture des négociations qui seraient de nature à placer la majorité au pouvoir en Israël face à un dilemme, celui relatif notamment à un retrait des colonies.
Malheureusement, pendant un an, ce qui est assez long, de nombreuses parties, dont les Etats-Unis, ont soutenu ce raisonnement. Mais je le redis, il ne peut pas mener à un résultat positif. Il ne sert pas la sécurité. Au contraire. Maintenant que cette conclusion est confirmée, je vois que certains commencent à s'interroger sur l'utilité de cette politique en Israël et aux Etats-Unis. En Europe, les esprits ont évolué il y a assez longtemps. Les Européens pensent qu'il faudrait avoir une approche plus politique, même si tout le monde n'ose pas le dire ouvertement.
Les Européens n'osent pas tous le dire, ils ne sont pas tous capables de convenir d'un texte qui le dit clairement parce qu'ils ont toujours peur de gêner les Américains. Il faut malheureusement attendre l'évolution de certaines des positions américaines pour que les positions européennes évoluent à leur tour et qu'on découvre le caractère évident d'une telle évolution. Il y a quelques signes en Israël, on a pu noter un certain nombre de déclarations, de pétitions ; il y a celle signée par les réservistes qui refusent de faire leur service dans les Territoires occupés. Je ne veux pas exagérer l'importance de ce mouvement, mais il me semble être un signe à l'honneur d'Israël qui est une démocratie vivante.
On note également uns sorte de réveil dans les milieux du camp de la paix. En tout état de cause, le même éveil caractérise des personnalités qui pourraient constituer un nouveau camp de la paix, si elles se mettaient d'accord entre elles. Par ailleurs, il y a un débat assez libre dans la presse israélienne. De plus, certains sondages montrent que les Israéliens ne sont plus convaincus que Sharon leur assurera la sécurité, même si certains de ceux qui ont revu à la baisse leur appui à Sharon souhaitent un règlement politique et d'autres une politique plus dure. A vrai dire, il y a un mouvement, il n'y a plus cet unanimisme dans l'aveuglement. Et il se peut que Sharon se pose lui-même des questions.
Aux Etats-Unis, il y a quelques signes mineurs, mais ils sont là. En effet, lors de sa dernière rencontre avec le président américain George Bush, Sharon n'a pas obtenu tout ce qu'il demandait. Il n'a pas eu carte blanche comme il l'aurait souhaité. Par ailleurs, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, a fait une déclaration où il invite Sharon à se demander si sa politique était ou non efficace. C'est important. D'ailleurs, Powell a souvent fait des déclarations assez courageuses sur le Proche-Orient. Il est vrai qu'elles n'ont pas modifié la ligne générale de la politique américaine, mais elles ont formulé des remarques judicieuses.
Autre indice, les Etats-Unis ont à nouveau dépêché le général Anthony Zinni dans la région, alors qu'ils avaient dernièrement adopté une logique qui veut que Zinni ne retourne au Proche-Orient qu'après le rétablissement de la sécurité et l'arrêt des violences. Donc toujours le même contresens. Je veux y voir le début d'une réflexion de la part des Américains pour mieux adapter leur politique. L'administration Bush, après plus d'un an au pouvoir, a commencé à se rendre compte qu'elle ne peut pas rester sur cette position de retrait qui par non-intervention et d'abstention, position qui est favorable à Sharon, à vrai dire, pourrait avoir des répercussions dangereuses. Je considère donc qu'il y a des signes encourageants et qu'il faut pousser en ce sens.
Q - Il existe plusieurs idées au sujet de la reprise des négociations. L'initiative saoudienne semble à deux doigts d'obtenir un appui collectif. Il y a également les idées françaises et le plan Abou Ala-Peres. Pensez-vous que l'initiative saoudienne permettra de redémarrer les négociations ?
R - Un certain nombre d'idées ont été proposées ces dernières semaines. Il ne s'agit pas de plans formels pour la paix mais d'idées qui ont pour but de contribuer à un déblocage de la situation et qui vont toutes dans le même sens, à savoir ramener les choses sur le terrain de la solution politique.
Ces idées ne sont pas contradictoires. Elles se complètent et peuvent s'emboîter les unes aux autres parce qu'elles n'interviendraient pas au même moment. Ce retour à la voie politique ne peut pas être décidé par les Saoudiens, les Européens ou les Français tout seuls, mais par le gouvernement israélien. Ce que les autres peuvent faire, c'est avancer des idées et des propositions qui inciteront à surmonter les blocages dans l'opinion publique israélienne, à améliorer le rapport de force en faveur du dialogue et de la paix dans les deux camps. Tel est le rôle des idées venant de l'extérieur.
L'initiative du Prince Abdallah est très importante car elle augmente les chances de réussite du processus de paix à l'avenir. Dans le passé, l'un des plus grands obstacles était que les Israéliens ne pouvaient pas avoir confiance dans l'accord final éventuel parce qu'ils ne savaient pas si le monde arabe jouerait vraiment le jeu après. Par conséquent, l'initiative du Prince Abdallah est une garantie formidable si le processus de paix recommençait. Personne ne peut donner son accord au redémarrage des négociations à la place des Israéliens.
Les Américains jouent un rôle particulier à ce niveau. Je souhaite donc qu'ils se réengagent plus, mais c'est aux Israéliens d'aller jusqu'au bout dans leurs interrogations. Ils veulent la sécurité, et nous leur disons amicalement : "Vous ne pouvez pas atteindre la sécurité uniquement par une politique de répression militaire. Vous ne pouvez pas attendre de l'Autorité palestinienne qu'elle soit efficace dans la répression du terrorisme - même si c'est dans son intérêt - s'il n'existe aucune perspective politique, et notamment si l'Autorité palestinienne est au même moment menacée de destruction".
Q - Vous avez reçu le ministre israélien des Affaires étrangères, Shimon Peres, qui est membre d'un gouvernement dont vous ne partagez pas la politique. Dans quelle mesure Peres est-il crédible actuellement, d'autant qu'en restant au gouvernement, il cautionne Sharon dont vous critiquez la politique ?
R - Peres la critique lui aussi. Il a contredit les déclarations de l'un des ministres israéliens sur l'antisémitisme de la France. Quant à sa participation au gouvernement, c'est son problème ainsi que le problème des Israéliens. Je ne peux pas déterminer à la place des Israéliens qui doit être dans le gouvernement, tout comme les Israéliens n'ont pas le droit de se substituer aux Palestiniens pour choisir les dirigeants palestiniens. Les idées de Peres sont très intéressantes, mais elles ne sont pas à ce stade représentatives du gouvernement Sharon. Mais elles peuvent le devenir. Je rappelle que nous n'avons pas à entrer dans la politique israélienne. Il n'empêche que l'Europe doit encourager et appuyer plus clairement les idées Abou Ala-Peres. Il ne s'agit pas de les mettre en uvre demain, mais d'assurer des conditions favorables à la relance du processus. J'ai également reçu le président de la Knesset, Avraham Burg, ainsi que Yossi Belin et toutes les personnalités israéliennes qui s'opposent à la politique actuelle.
Q - L'ancien ministre français des Affaires étrangères, Claude Cheysson, a libéré Yasser Arafat lorsqu'il était assiégé au Liban. Hubert Védrine viendra-t-il avec Arafat au Sommet de Beyrouth après qu'il aura contribué à le sortir de Ramallah ?
R - Depuis des mois et des semaines, j'ai fait des choses fortes afin de surmonter les obstacles à la paix au Proche-Orient. Ces déclarations ont permis d'aboutir à certains résultats. Le ministre français des Affaires étrangères a quand même un certain impact. J'espère avoir contribué au fait que l'on reparle de solution politique, mais je n'irais pas jusqu'à comparer les circonstances entourant aujourd'hui le Sommet de Beyrouth aux circonstances passées qui entouraient le siège imposé à Arafat. Je fais une distinction entre l'un et l'autre des deux cas.
Mais je considère que le gouvernement israélien a tout à fait tort de maintenir Arafat en état de siège. C'est injustifié, et n'a aucune légitimité. Il s'agit d'un abus pur et simple. De plus, c'est incohérent par rapport aux demandes qui sont faites à l'Autorité palestinienne de lutter efficacement contre le terrorisme. Par conséquent, c'est une mesure indéfendable et je pense qu'elle doit être levée purement et simplement, le plus tôt sera le mieux dans l'intérêt de la relance du processus politique, mais également dans l'intérêt de la lutte contre le terrorisme.
Pour ce qui est du Sommet de Beyrouth, je souhaite bien évidemment qu'Arafat puisse y aller. J'espère qu'il pourra y aller librement et revenir librement, que ce soit à Ramallah ou à Gaza. Mais le plus important pour le Sommet de Beyrouth, c'est que ce Sommet apporte un soutien unanime aux initiatives saoudiennes qui ont été d'ailleurs élaborées en contact avec d'autres pays, on le sait. Ce serait tout à fait désastreux pour le monde arabe et pour la relance du processus de paix qu'il se reforme une sorte de camp du refus. Ce serait tragique. C'est ce que nous attendons de ce Sommet. De ce fait, il ne faut pas en parler uniquement en termes de présence ou d'absence d'Arafat. Même s'il était absent - ce que je regretterais beaucoup, et ce serait une erreur de plus commise par le gouvernement israélien - rien n'empêchera les gouvernements arabes de parvenir à des positions fortes et homogènes et d'apporter leur soutien aux idées saoudiennes. C'est l'un des éléments du puzzle. Il faut travailler à la suite, que l'on pense à la relance du processus, qui aura lieu un jour ou l'autre, parce qu'il n'y a pas d'autre solution.
Q - Certaines parties aux Etats-Unis considèrent qu'il ne sera pas possible de reprendre les négociations tant que Sharon et Arafat seront au pouvoir. Qu'en pensez-vous ?
R - Cela ne conduit nulle part. Personne ne peut choisir le Premier ministre israélien à la place des Israéliens eux-mêmes. De même, il n'est pas possible de choisir le président palestinien à la place des Palestiniens. Il faut faire avec. Si nous ne faisons rien, nous devrons attendre éternellement avec une situation qui se dégrade, avec non plus deux ou trois morts par jour mais cinquante ou cent. On ne peut pas raisonner comme cela. Chaque jour qui passe est une journée tragiquement perdue.
Q - Est-il réaliste que les idées françaises parlent d'élections dans les Territoires palestiniens dans pareilles circonstances ?
R - Les élections constituent une idée politique en rapport avec la prochaine étape. Vous dites que ce n'est pas possible, mais est-ce que les conclusions de la commission Mitchell peuvent être appliquées actuellement ? Est-ce que les conclusions Tenet sont appliquées ? Est-il possible de tenir une conférence internationale demain ? Nos idées représentent une certaine conception politique en riposte à une campagne systématique, qui a pour but d'ôter toute légitimité à l'Autorité palestinienne et à faire l'impasse sur la solution politique. Cette conception est la suivante : la répression militaire toute seule ne permet pas de parvenir à une solution. La question des élections, où et quand auront-elles lieu, sera débattue par la suite. Nous ne voulons pas que ces élections aient lieu en présence de l'armée israélienne et sans aucune perspective politique. Dans ce cas, ce sont les adversaires de tout processus de paix qui risqueraient de l'emporter. Si c'est dans un contexte différent, les élections ont lieu pour appuyer les négociations politiques, qui auront été entre-temps réouvertes. Cela aura permis, par exemple d'aboutir à un accord sur la présence d'observateurs internationaux. Ce sera très différent comme perspective, et les élections seront un levier politique qui agira pour faire évoluer la situation.
Q - Les Etats-Unis exercent des pressions économiques sur le Liban à cause du Hezbollah. Quelle est la position de la France à cet égard, d'autant que le Liban attend la conférence de Paris 2 pour alléger la charge de la dette ?
R - Cette question est double : tout d'abord, quel est le meilleur moyen d'aider le Liban sur le plan économique ? Sur ce plan, la France a beaucoup fait. C'était le seul pays à s'être mobilisé autant dans ce domaine-là. La France a également poussé plusieurs organisations internationales à s'intéresser à la situation économique au Liban, je pense que cet effort doit être maintenu. Pour le reste, il existe un débat plus compliqué sur la classification des différents mouvements et organisations. Compte tenu des rapports avec la Syrie et le Liban, je ne pense pas que ce soit la priorité des Etats-Unis de poser un problème actuellement aigu, étant donné qu'ils cherchent à adopter une ligne d'action générale dans les différents cas de figure.
Pour notre part, nous appelons à mettre l'accent sur les résultats de ce que vous voulez obtenir, qui doivent être ceux de la lutte antiterroriste. Pour bien lutter contre le terrorisme, il faut le faire intelligemment. Il y a bien évidemment les moyens militaires et les moyens répressifs mais également l'approche politique, d'autant qu'il faut tenir compte d'un certain nombre de situations locales. Nous en discutons entre nous, mais cette question n'est pas au centre des démarches américaines. Nous avons déjà affirmé qu'on ne peut ramener tous les problèmes du monde uniquement à la lutte contre le terrorisme et ramener cette lutte uniquement à des moyens militaires. Le simplisme est quand on voit un seul aspect des choses. Mais ceci ne veut pas dire que nous mettons en doute la nécessité de lutter contre le terrorisme.
Q - Les critiques que vous avez formulées à l'encontre de la politique américaine ont-elles donné des résultats, ou plutôt ont-elles entraîné une tension dans les relations avec les Etats-Unis ?
R - Ce n'est pas forcément contradictoire. La question de la tension est secondaire. Si nous avons des choses importantes à dire, peu importe si elles entraînent des tensions passagères. Je crois que les déclarations que j'avais faites dans ce contexte étaient utiles. Je pense également que lorsqu'on est un très bon allié des Etats-Unis, on a le droit de réfléchir, de poser des questions, de débattre. La meilleure preuve est que mes déclarations n'ont pas été isolées. Pour ceux, aux Etats-Unis, qui ont essayé de faire croire que c'était simplement une manifestation classique d'anti-américanisme, cela n'a pas marché, parce qu'il était clair que ce que j'ai dit reprenait un problème posé par de nombreux Européens. Ces déclarations ont atteint le but parce qu'elles ont visé juste et qu'elles ont donné lieu à un débat. Quant à Colin Powell, je poursuis mon dialogue avec lui.
Q - Qu'attendez-vous du dialogue entre l'Iraq et les Nations unies ? Pensez-vous que les Etats-Unis sont déterminés à se débarrasser du président iraquien Saddam Hussein ?
R - Je ne pense pas qu'ils aient adopté de décision définitive à ce propos. Ce qu'ils disent est vrai : ils passent en revue toutes les éventualités et se réservent toutes les options, mais ils n'ont encore pris aucune décision. J'attends que les dirigeants iraquiens respectent les résolutions du Conseil de sécurité et laissent les inspecteurs revenir librement et travailler sans contrainte. S'ils étaient conscients de leur responsabilité vis-à-vis de leur peuple, ils l'auraient fait.
Q - Que pensez-vous des accusations d'antisémitisme adressées par Israël à l'encontre de la France ?
R - Je pense que c'est injuste et faux. Il y a eu une recrudescence des actes antisémites l'année dernière, mais ces actes ont régressé cette année, selon le ministère de l'Intérieur, même si leur nombre reste élevé. Ceci découle dans une large mesure de la situation au Proche-Orient et concerne une grande majorité de Français issus des immigrés et présents dans certaines banlieues qui connaissent déjà des problèmes.
Mes propos ne visent bien évidemment pas à justifier ces actes. D'ailleurs, le gouvernement a été très clair à ce propos et il a assuré qu'il lutterait contre toute forme d'antisémitisme. Les déclarations israéliennes sont, semble-t-il, en rapport avec une campagne qui a pour but de relancer l'émigration à destination d'Israël. Le ministère israélien de l'Emigration avait indiqué qu'une émigration potentielle existait dans trois pays : la France, l'Argentine et l'Afrique du Sud. Il existe donc une campagne pour dire : "Vous êtes en danger en France parce qu'il y a 6 millions d'Arabes dans ce pays, et vous devez aller en Israël". Mais étant donné la situation qui prévaut actuellement dans la région, il n'y a nul besoin de commenter cette campagne, surtout qu'elle n'aboutira pas, en raison de l'exagération qui la caractérise. C'est ce qu'avaient reconnu l'ancien président du Conseil représentatif des Juifs de France ainsi que son président actuel. Pour sa part, Peres a courageusement affirmé que cette campagne était calomnieuse.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mars 2002)