Tribune de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "Le Monde" du 13 mars 2002, sur l'urgence d'un changement de politique au Proche-Orient et de la reprise de négociations, intitulée "Proche-Orient : sortir du piège".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Nausée, horreur, compassion désespérée, révolte : ce sont les sentiments qu'inspire aujourd'hui le Proche-Orient, cet enfer dans lequel s'enfoncent chaque jour plus profondément Israéliens et Palestiniens.
Il faut en sortir. Et pour en sortir il faut changer de politique. Quelle était cette politique qui a échoué ? Celle qui affirmait que Yasser Arafat était seul responsable de l'échec des négociations de Camp David-Taba ; que l'Autorité palestinienne avait déclenché l'Intifada et pouvait l'arrêter si elle le voulait ; que le rétablissement du calme, ou de la sécurité était un préalable absolu à l'ouverture d'éventuelles nouvelles négociations politiques ; et que les opérations militaires menées sans limites dans les territoires palestiniens permettraient de rétablir la sécurité pour les Israéliens.
Près de 1400 morts et une année plus tard, il est démontré chaque jour plus cruellement que cette politique à laquelle les Etats-Unis ont trop longtemps emboîté le pas et à laquelle les Européens auraient dû plus tôt opposer une alternative, ne marche pas. Au contraire, ce préalable sécuritaire fonctionne comme un verrou et un piège. Sans juger personne, essayons de formuler ce qui devrait être fait aujourd'hui pour rattraper le temps perdu et renverser le cours des événements.
Tout peut redémarrer si Ariel Sharon et Yasser Arafat ont le courage de décider - ou d'appeler solennellement à - un arrêt immédiat de toutes les violences quelles qu'elles soient et de se déclarer simultanément prêts à des négociations sur la sécurité et sur le règlement politique. Pour avancer ensuite dans cette négociation, de nombreuses propositions sont déjà sur la table. Mais il manque l'impulsion politique. C'est elle qu'il faut donner. A défaut d'une illusoire confiance, il s'agit pour les Palestiniens et les Israéliens de rétablir d'urgence un dialogue. Il n'y a pas d'autre solution.
Les Etats-Unis semblent prêts à se réengager un peu plus : le président Bush et Colin Powell renvoient sur place leur émissaire le général Zini. Sa mission pourrait être décisive s'il est mandaté pour relancer un règlement politique et pas seulement rechercher la sécurité. La visite du vice-président Cheney est également très importante, de même que l'initiative que les Etats-Unis viennent de prendre au Conseil de sécurité de l'ONU.
Les Européens devraient s'enhardir et avoir maintenant le courage de leurs idées. Aucune approche n'ayant depuis un an débouché, la concrétisation par l'Europe d'une politique alternative, complémentaire d'un réengagement américain, ne gênerait aucun effort en cours et serait très utile. Le Conseil européen de Barcelone leur en donne l'occasion.
Il faut souhaiter qu'à Beyrouth, le 27 mars, tous les Arabes soutiennent unanimement l'approche du prince Abdallah. L'Arabie Saoudite ne peut pas décider à elle seule de reprendre des négociations - cela dépend d'Israël - mais son engagement de normalisation ultérieure avec Israël en cas d'accord augmente énormément pour l'avenir les chances de réussite du futur nouveau processus de paix.
La reprise sans délai de négociations créerait un contexte tout à fait différent pour lutter contre le terrorisme palestinien et restaurer la sécurité pour tous. On en sait par avance l'incomparable difficulté de cette discussion. Mais il n'y a pas d'autre voie. Si les dirigeants israéliens et les Palestiniens ont le courage politique de faire ce geste, ils trouveront le monde entier à leur côté aujourd'hui pour reparler, demain pour conclure, après-demain pour faire vivre le Proche-Orient en paix.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2002)