Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, à France Inter le 22 avril 2002, sur le résultat du premier tour de l'élection présidentielle et la nécessité de faire l'union de l'opposition pour faire barrage à J.M. Le Pen et gagner les élections législatives.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Vous lisez la presse étrangère ?
- "Oui. Je ne suis pas surpris quand j'entends D. Bromberger. Ce n'est pas la première fois que le Royaume-Uni souhaite qu'on se passe de Paris dans la construction européenne. Sur ces débats-là, beaucoup de choses ont été dites. C'est vrai qu'internationalement, nous avons beaucoup souffert de la cohabitation. Parler de ces deux voix, faire en sorte qu'en permanence, notre système mette un Premier ministre et un Président face à face dans le monde, naturellement, du point de vue de la communication internationale ça n'a pas été un atout."
"Repli hexagonal", c'est une formule que vous utiliseriez vous-même ?
- "Il y a une formidable exaspération des Français sur les problèmes concrets, donc veillons à ne pas être trop idéologiques. On a déjà connu cette poussée aux élections municipales, sous d'autres formes : aux municipales, ils ont dit "non" aux états-majors, "non" à ce logiciel national qui, comme B. Guetta le disait tout à l'heure, a perdu beaucoup de son influence par des pouvoirs partis vers le haut, vers l'Europe, et par des pouvoirs partis vers le bas, vers la décentralisation. Il y a donc un certain nombre de crises et les citoyens sont conscients de cela. Ils trouvent finalement, face à eux, une République qui ne tient pas sa promesse. La liberté d'entreprendre aujourd'hui, où est notre liberté de création ? Les grandes capitales de la création aujourd'hui sont Londres, Bruxelles, Genève. Où est l'égalité pour les retraites ? Où est la fraternité quand il n'y a pas de sécurité dans les quartiers ? Donc, finalement, cette République est théorique et les gens nous demandent du concret. Je ne crois pas qu'aujourd'hui il y ait 20 % de fascistes dans ce pays. Je crois vraiment qu'il y a une aspiration à la réforme. Ce qui fait que nous avons une certaine satisfaction d'être, avec un score honorable pour J. Chirac, en tête de ce scrutin. Mais évidemment une extrême vigilance, parce que ça nous donne des devoirs et notamment ça nous pousse à engager des réformes rapides et très profondes. C'est une exigence d'audace aujourd'hui qui nous est demandée."
Mais comment vous situez-vous ce matin devant cette situation politique inédite, entre "la satisfaction et la gravité", pour reprendre la formule d'A. Juppé hier soir ? Quand on a vu Chirac prendre la parole, il y avait beaucoup plus de gravité - voire un peu d'inquiétude même, quand il dit aux Français "J'ai besoin de vous" - que de satisfaction. Vous êtes vous-même inquiet de l'état dans lequel se trouve la France ce matin ?
- "Il est difficile aujourd'hui de succéder aux socialistes, évidemment, puisqu'il y a un telle exaspération, il y a eu une telle inaction qui a monté les mécontentements et les protestations à des degrés très très importants. C'est vrai qu'aujourd'hui les choses sont compliquées. Mais cela veut dire qu'il faut vraiment, sur tout ce qui impôts, taxes, paperasse, bureaucratie, sur ce qui est la fiche de paye, sur tout ce qui est aujourd'hui la vie quotidienne des gens, il faut des réformes. Tout cela sera très difficile, il faut faire attention à ce qu'il n'y ait pas de dérive brutale dans notre société. On peut se dire aujourd'hui, pour nous gens de droite, qu'il nous faut l'union, l'union républicaine. Il nous faut des réformes, et beaucoup de réformes ! Et puis aussi, cette grande attention humaniste aux droits de l'homme. Parce qu'un peuple en colère est un peuple qui peut être soumis à un moment ou à autre à des tensions graves. Donc en effet gravité."
Mais sur quels thèmes mener une campagne de deuxième tour face à un J.-M. Le Pen ? Sur le thème de l'insécurité, dont tout le monde qu'il a été instrumentalisé pendant cette campagne, et qu'il a peut-être fait le lit de J.-M. Le Pen ? Comment mener la campagne et sur quels thèmes, pour dire quoi aux Français maintenant ?
- "Je suis l'élu d'une région globalement sereine, où il n'y a pas beaucoup d'immigration ; j'ai senti depuis deux ans l'explosion de l'insécurité et cette préoccupation. Il ne faut pas considérer que ce sont les médias ou que ce sont les hommes politiques qui ont créé cette préoccupation. Je ne le crois pas. Cette préoccupation est au coeur des gens dans les vies quotidiennes. Il faut donc pouvoir y répondre rapidement. Notre seule ligne de campagne, c'est d'abord de nous rassembler parce qu'il faut ce rassemblement républicain, pour moderniser notre pays ; faire en sorte que nous engagions les réformes que les gens attendent, concrètement, sur le terrain et surtout, défendre nos valeurs humanistes. Cette République humaniste qui ne doit pas être indifférente à ses propres valeurs, notamment la Liberté, l'Egalité, la Fraternité. On a un patrimoine politique qu'il ne faut pas laisser partir à l'abandon."
Vous avez maintenant un adversaire que vous prenez au sérieux. Vous pensez que le report massif de voix annoncé est une chose acquise ou est-ce qu'en effet, il faut jusqu'au dernier moment veiller à tout, tout le temps ? Les surprises, on vient de le voir...
- "Il faut veiller à tout, tout le temps. J'entendais tout à l'heure, des sondeurs parler. J'invite tout le monde à une très grande modestie, parce que des municipales aux présidentielles, tout ce qu'on nous dit en matière d'informations statistiques est sujet à caution. Donc, il faut d'abord et avant tout parler du second tour. J'entends des responsables qui nous disent : "élections législatives"... Avant le troisième tour, il y a le second et mobilisation pour que, pour le second, cette République humaniste sorte vainqueur de ce débat électoral présidentiel."
Et le débat tout court, le débat entre Chirac et Le Pen, vous l'appréhendez, il vous inquiète ? On sait que ces deux hommes ne s'aiment pas ; J. Chirac a toujours dit assez nettement ce qu'il pensait de J.-M. Le Pen, et on a vu comment Le Pen a mené sa campagne de premier tour face à Chirac. Ca risque d'être brutal ? Vous craignez que ça puisse être brutal ?
- "De toute façon, ce débat avait une importance très très forte, une sorte de dramatisation de ce débat puisqu'on s'attendait à bord à bord entre Jospin et Chirac et on s'attendait à ce que le débat soit le moment de la clarification. Donc, ça aurait été de toute façon un débat difficile. Mais je crois que la force de J. Chirac aujourd'hui, c'est sa personnalité pleine d'humanité qui en fait est un bon équilibre entre la convivialité, le respect de l'autre. Et puis, finalement, cette gravité qu'il porte en lui-même. Il a conscience que l'histoire est tragique, il a conscience du destin de ce pays, il a conscience de la gravité de la situation. Et je pense qu'il sera en phase avec les Français. Je souhaite que ce débat puisse être pour lui l'occasion d'affirmer ses valeurs, que son projet finalement correspond à sa personne."
Vous avez raison de dire qu'il faut prendre les choses dans l'ordre et qu'il y a d'abord le deuxième tour. Néanmoins, se pose aussi la question des législatives et donc de ce troisième tour politique. Cette situation nouvelle qui vient de se créer la nuit dernière en France, renforce-t-elle la possibilité à nouveau d'une cohabitation dans ce pays ?
- "Je ne souhaite pas qu'il y ait de cohabitation. D. Bromberger le disait tout à l'heure : l'image internationale en souffre. Le Président a défendu l'image de la France mais il est évident que de voir L. Jospin partir en campagne en Allemagne pour aller chercher le soutien de monsieur Schröder, tout ça fait quelque peu désordre. Je souhaite donc vraiment qu'il puisse y avoir un pouvoir responsable de l'ensemble de l'exécutif dans ce pays. Il faut donc faire en sorte qu'il n'y ait pas de cohabitation. Pour nous, il faut aussi réfléchir aux conditions de la victoire aux législatives. C'est pour ça que j'appelle à l'union de cette droite républicaine pour qu'elle présente des candidatures uniques aux élections, de manière à ce qu'on puisse assurer une victoire et donner, si nous gagnons le 5 mai, au Parlement, la majorité nécessaire à cette politique de réformes. Le message principal, c'est : il faut réformer, il faut changer ! Les socialistes ont dit : "On va changer la vie", ils n'ont pas changé, ça leur revient en plein visage ! Donc, nous, notre seule démarche aujourd'hui, c'est une audace réformatrice. Et ça, on ne pourra le faire que s'il n'y a pas cohabitation, que s'il y a une majorité, et que si nous gagnons avec force et clarté."
L'union que vous évoquez, c'est une union qui prendrait quelle forme ? Une union dans la diversité, une droite plurielle, ou alors véritablement l'organisation d'un nouveau système politique, voire d'un nouveau parti comme l'avait souhaité à un moment donné l'entourage du Président de la république ?
- "Il faut des choses nouvelles. On ne pourra pas rester sur ces anciennes structures, sur ces vieux débats. Les Français nous disent : "Le système est usé, bousculez-le !" Et si nous ne le bousculons pas, c'est eux qui vont le bousculer ! Donc, il faut répondre à ce besoin de mouvement. La première initiative concernera les élections législatives, où il doit y avoir le plus possible de candidatures uniques. Nous avons un projet, nous avons travaillé le projet de J. Chirac avec des gens du RPR, de l'UDF et de DL. Je dois dire, d'ailleurs, heureusement qu'il y avait aussi des gens de l'UDF et de DL avec J. Chirac, ça nous assurés d'être en tête dans ce premier tour. Donc, tout ceci est très important. On a travaillé à un projet en commun, on a une capacité à gouverner ensemble, il faut faire en sorte que ce projet ait un seul candidat par circonscription. C'est en tout cas ma conviction."
Le Pen appelle un certain nombre de Français dans la rue le 1er Mai. On sait que des manifestations d'opposition dites "républicaines" vont s'organiser. Que dites-vous de tout ça ?
- "Je comprends, il faut protéger le droit de manifestation, il faut garder cette capacité d'expression des uns et des autres. Mais dans un débat électoral, il ne faut pas accuser le peuple, il faut l'écouter, il faut le comprendre. Nous avons un deuxième tour, donc ce qui est important, c'est que ceux qui ont des choses à dire votent ! La démocratie, c'est le vote et avant tout, le vote ! La manifestation, c'est une expression quand le vote est sans signification. Aujourd'hui, on a un deuxième tour et il faut le préparer. Il est très important qu'il y ait une forte participation électorale. C'est une responsabilité individuelle de chaque Français pour son engagement républicain."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 avril 2002)