Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL le 24 septembre 1999, sur la relance des négociations de paix au Proche-Orient, l'intervention de la force multinationale au Timor oriental et l'intégration de l'UCK au Corps de protection du Kosovo.

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Circonstance : 54ème session de l'Assemblée générale des Nations-Unies (ONU) à New York (Etats-Unis) du 21 au 25 septembre 1999

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Avant d'évoquer le Timor, vous venez de rencontrer, il y a quelques instants
M. Yasser Arafat, la France se dit prête à aider et à accompagner le processus de paix au Proche-orient. Est-ce que les acteurs, et notamment Yasser Arafat vous est apparu décidé à faire redémarrer ce processus de paix et a-t-il évoquée des conditions ?
R - Le processus a déjà redémarré du fait de l'élection de M. Barak après
M. Netanyahou qui lui l'avait entièrement bloqué. Cela a conduit au mémorandum de Charm El-Cheikh, dans lequel ils se sont engagés de façon précise pour la suite, mais pas encore sur la négociation concernant le statut final. Ce sera la prochaine étape, la plus décisive, la plus dure. Mais nous sommes dans un processus qui a redémarré, c'est tout à fait clair, et de la part du Premier ministre israélien comme il l'a redit à Paris, et de la part du président Arafat, et c'est la disposition d'esprit chez les Syriens et les Libanais également. Nous sommes dans un contexte différent. Mais redémarrage ne veut pas dire que tout soit réglé, les questions du statut final, c'est-à-dire la question de Jérusalem, la question des réfugiés, l'eau, la capacité des moyens du futur Etat, tout cela sont des questions très difficiles. Et c'est dans ce contexte que le président Chirac et le Premier ministre l'ont dit à M. Barak, je l'ai redit à M. Arafat ce matin, la France est disponible pour accompagner bien sûr, s'ils le souhaitent. Mais il faut bien voir qu'ils ont noué un dialogue direct. Pour cela, ils n'ont besoin ni des Américains, ni des Européens.
Q - C'est ce que vous a dit M. Arafat tout à l'heure, qu'ils n'avaient pas besoin de nous et qu'ils préféraient discuter directement avec les Israéliens ?
R - Non, je veux dire qu'ils n'ont pas besoin de nous pour renouer le dialogue. Ce dialogue se voit, M. Yasser Arafat a dîné chez M Ehud Barak, à son domicile, donc le dialogue existe. Une équipe de négociateurs a été constitué du côté palestinien pour la discussion sur le statut final, et une même équipe est attendue du côté israélien. Par contre, il est clair que l'Europe, les Etats-Unis, d'autres pays de la région - je pense à l'Egypte qui a toujours joué un rôle positif - peuvent avoir à intervenir ensuite, lorsque la discussion rencontrera des difficultés, si elle se bloque à nouveau, dans la recherche de solutions inventives et ingénieuses sur certains des problèmes que j'ai cités et qui sont redoutablement compliqués.
Q - De quelle manière le gouvernement peut-il intervenir, aider et être utile ?
R - En continuant dans la lignée d'une politique française qui s'est illustrée depuis une vingtaine d'années sur ce sujet, en étant prémonitoire, courageuse, intelligente, en devançant les évolutions, en préparant les esprits à ce qui apparaît aujourd'hui comme une évidence et que les Israéliens et les Palestiniens discutent ensemble, qu'un Etat Palestinien va être créé à côté de l'Etat d'Israël, ce qui était absolument impensable pour la plupart des esprits il y a encore quelques années.
Dans la continuité du travail, dans cette pédagogie de la géopolitique, la France a ouvert des voies. Voilà ce qu'elle a fait dans le passé. Aujourd'hui, je pense que nous pouvons faire un travail certainement utile pour préparer les choses en ce qui concerne le statut final. Cela passe par des conversations avec tout le monde, il faut que nous soyons en confiance et on peut dire que c'est le cas aujourd'hui avec tous les protagonistes. D'où ces contacts, d'où ces visites, d'où ce travail en commun intense que vous pouvez observer.
Q - Monsieur Védrine, venons-en au Timor : le gouvernement indonésien a décrété la levée de la loi martiale. Selon vous, est-ce que la force multinationale qui a déjà eu des difficultés dès les premières heures de son arrivée à Timor-est est en mesure d'arrêter les massacres et d'enclencher un retour à une situation normale ?
R - Je pense qu'elle est en mesure de le faire, mais on ne peut pas présenter cela comme une tâche facile. Les Australiens, qui sont l'élément principal de cette force, en sont parfaitement conscients, le Premier ministre australien l'a déclaré à son opinion publique, avant même que la force soit constituée. Le général Australien qui commande ses troupes est lui-même parfaitement réaliste, c'est une tâche très lourde qui leur a été confiée et elle leur a été confiée en connaissance de cause. Je crois que la force en a la capacité, mais ce travail consistant à rétablir à Timor-est la sécurité, l'ordre, et à partir de là, aller plus loin pour reprendre le fil du cheminement vers l'indépendance que le référendum a décidé, c'est quelque chose qui ne peut pas être fait en quelques heures.
Q - La France est-elle favorable, comme le déclare Mary Robinson, à une commission d'enquêtes pour évoquer et traduire en justice les responsables des massacres ?
R - Oui, la ministre finlandaise des Affaires étrangères qui s'exprime au nom de l'Europe des Quinze a dit que l'Europe y était, évidemment favorable et je crois d'ailleurs que les Indonésiens eux-mêmes demandent qu'il y ait une clarification de ce qui s'est passé.
Q - Monsieur Védrine, vous avez évoqué hier la situation au Kosovo, soulignant que le nouveau corps de protection sera civil. Ce corps de protection sera-t-il armé ? quelle sera sa vocation et sera-t-il placé sous contrôle ?
R - Le représentant du Secrétaire général, M. Bernard Kouchner et, d'autre part, le général Jackson qui commande la KFOR au Kosovo, ont fait un très gros travail en négociation avec l'UCK pour obtenir que celle-ci disparaisse en tant que telle et c'est un élément, une étape importante dans l'application de la résolution 1244, qui est notre ligne fixée par le Conseil de sécurité. En même temps, a été créé, après de laborieuses négociations, un corps de protection du Kosovo qui est un organe de protection civil, de sécurité civile au sens du français. Dans cette négociation, les représentants de l'ONU et de l'OTAN ont obtenu des engagements précis de l'UCK. Nous avons estimé Madeleine Albright, Joschka Fischer, Robin Cook, Lamberto Dini et moi, qu'il fallait dire les choses explicitement, elles sont dans l'accord mais c'est encore mieux en le disant, et nous avons donc rappelé dans quelles conditions ce corps de protection pourrait s'inscrire dans l'application de la résolution 1244. Nous avons rappelé que c'était un corps civil, que la MINUK et la KFOR devaient le contrôler et nous avons surtout rappelé que ce corps devait être ouvert à tous les représentants de toutes les communautés du Kosovo, sur une base individuelle. Il ne peut pas s'agir uniquement d'un corps fait des anciens combattants de l'UCK. Sinon, nous ne serions plus du tout dans le cadre de la résolution et naturellement, cela ne pourrait pas inspirer confiance aux autres forces qui sont au Kosovo. Or, nous voulons, nous sommes là pour réussir un Kosovo nouveau, c'est-à-dire démocratique, surtout dans la perspective des élections locales qui vont sans doute être décidées pour le courant de l'an prochain, dès que les conditions techniques crédibles seront réunies.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 1999)