Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, au Pélerin Magazine le 22 mars 2002, sur la situation au Proche-Orient et l'éventualité d'une intervention américaine en Irak.

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Texte intégral

Q - 31 % des Français pensent qu'Israël est le premier responsable de la situation actuelle au Proche-Orient. Comment l'expliquez-vous ?
R - C'est sans doute lié aux images que l'on voit depuis des mois. Cette réaction des Français n'est pas à l'encontre d'Israël mais de la politique menée par le gouvernement Sharon depuis un an. Mon rôle de ministre des Affaires étrangères n'est pas de juger, mais de rechercher inlassablement comment sortir de cette situation, comment réenclencher le processus de paix.
Q - Au Proche-Orient, dans le jeu qui s'annonce avec les Américains, les Européens seront-ils une fois de plus à la traîne ?
R - C'est paradoxal de dire que les Européens sont à la traîne ! La période que nous venons de vivre a, au contraire, été marquée par de nombreuses initiatives françaises et européennes pour convaincre les Etats-Unis de se réengager au Proche-Orient. Depuis plus d'un an, les Américains s'étaient en effet mis en retrait, laissant carte blanche au Premier ministre israélien, Ariel Sharon. Les idées que j'ai avancées, celles qu'ont proposées les Allemands et les Italiens, comme l'initiative de l'Arabie Saoudite, ont contribué à créer les conditions d'un retour des Américains sur le terrain. Ce retour est évident ces jours-ci, avec la venue dans la région d'Anthony Zinni, l'élargissement de la mission du vice-président Dick Cheney, et la modification de la position de Washington qui a permis le vote d'une nouvelle résolution au Conseil de sécurité de l'ONU. Une résolution qui prévoit l'existence de deux Etats, Israël et Palestine, vivant côte à côte, dans des frontières sûres et reconnues. Nous espérons que nous serons entendus par le gouvernement israélien. Les réponses des Français à votre sondage montrent d'ailleurs bien que la paix dans la région implique des actions complémentaires et indissociables : la reconnaissance d'Israël par les pays arabes, la création d'un Etat palestinien, l'évacuation de la quasi totalité des implantations israéliennes. L'envoi d'une force d'interposition n'est pas une alternative, mais un moyen d'aider à la mise en uvre d'un accord. Le remplacement d'Arafat ? Celui de Sharon ? Ce n'est pas à nous de le décider. Ce qui compte, ce n'est pas le changement des hommes, c'est le changement des politiques. D'ailleurs, la stratégie de Sharon - mettre Arafat sur la touche - est en train d'échouer, elle n'a même pas recueilli l'appui des Américains.
Q - Etes-vous prêts à appuyer une intervention américaine en Iraq ? Saddam Hussein est-il encore dangereux ?
R - A l'heure actuelle, une intervention américaine en Iraq n'est pas décidée, même si les Américains étudient toutes les hypothèses, toutes les options. Saddam Hussein doit mettre en uvre les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU et permettre à ses inspecteurs (chargés de vérifier que Bagdad ne met pas au point des armes de destructions massives, NDLR) d'entrer et de travailler librement en Iraq. Tout le reste est spéculation.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2002)