Interview de M. Jean-Louis Borloo, porte parole de l'UDF, à La Chaîne info le 6 mai 2002, sur l'élection de Jacques Chirac à la présidence de la République, sur ses propositions pour débloquer rapidement des situations d'urgence, notamment en matière de logement, et sur la préparation des élections législatives.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral


A. Hausser.- Il y a eu une très forte mobilisation hier pour J. Chirac, qui a recueilli plus de 80 % des suffrages. Comment lisez-vous ce résultat, après celui du premier tour ?
- "Le premier tour, c'était vraiment de l'exaspération. C'était vraiment une crise d'incompréhension et des vrais problèmes qui n'étaient pas traités."
Une crise passe en quinze jours ?
- "Non. Mais je crois qu'il y a eu une forme de psychanalyse qui a été faite. On n'a probablement jamais autant eu de conversations civiques ou politiques dans ce pays depuis très longtemps, probablement depuis la période 68, voire peut-être le Panthéon en 1981, avec toute cette symbolique là. Il y a eu quelque chose qui s'est passé, où on est revenu à l'essentiel. Les problèmes ne sont pas réglés pour autant, bien entendu : les problèmes entre les communautés, les problèmes de violence, les problèmes de la petite enfance, des maternelles au collège, avec cette montée très forte du malaise voire d'un début de violence, les problèmes de la justice - notre justice est malheureusement dans une situation extrêmement difficile : elle est lente, elle est lourde, elle a très peu de moyens, elle est encombrée -, les problèmes aussi de logements insalubres, les problèmes de grande précarité. Bref, tout est devant."
Ce n'est pas le programme d'un "gouvernement de mission" que vous êtes en train de dresser, c'est le programme d'une législature...
- "Non, parce qu'il y a vraiment des situations d'urgence que la République peut débloquer très vite."
On ne débloque pas des logements et on ne débloque des juges, même si on débloque des crédits...
- "Si madame. Très vite, on peut faire cela. En matière de justice, on peut par exemple faire des transactions judiciaires qui permettraient, entre un magistrat et un avocat, de régler 60-70 % des dossiers dont on connaît la fin. Simplement, cela prend trois-quatre ans, tout le monde connaît en fait la réalité de ces dossiers-là. Il y a un certain nombre de problèmes. En matière de logement par exemple, C. Bartolone, le ministre de la Ville, avait négocié 5 milliards de francs pour les quartiers difficiles, pour simplifier. Cela s'appelait les procédures GPV. Au lieu que cela soit dans des tuyaux pendant quatre-cinq ans, on pourrait les donner tout de suite aux villes qui ont ces problèmes à régler, en leur faisant confiance."
Et vous baissez les impôts en même temps ?
- "Attendez, je ne suis pas en charge de la politique de ce pays. Je vous dis simplement à titre personnel qu'il y a un certain nombre de points qu'à l'évidence on peut régler tout de suite. Il faudra que ce gouvernement le fasse."
Et est-ce que vous espérez en être ?
- "Très franchement, je n'en ai pas la moindre idée. Je n'ai pas la moindre information dans ce domaine. Il y a une chose qui est sûre, c'est que si on me proposait de rentrer dans un gouvernement de la République, un gouvernement de mon pays, évidemment, je le ferais. Je le ferais avec passion, mais la question ne s'est jamais posée dans mon existence et je ne sais pas si elle se posera un jour."
En attendant, vous êtes candidat à votre propre succession à Valenciennes...
- "Je ne sais pas si "votre succession" est très heureux, mais je suis député de la 21ème circonscription du Nord à Valenciennes. Je ne sais pas s'il faut être candidat dans les circonstances actuelles, on verra. Vous aviez une suppléante qui est exceptionnelle qui s'appelle madame Gallez. En tout cas, l'un de nous deux ira."
Vous avez rêvé, la semaine dernière, de réconcilier J. Chirac et F. Bayrou avant dimanche. Vous n'y êtes pas parvenu. Est-ce que vous nourrissez toujours cet espoir et comment ?
- "Autant il est absolument indispensable qu'il y ait une réorganisation de ce qu'était l'opposition [...], autant la sensibilité centriste doit être respectée d'une manière ou d'une autre. F. Bayrou est un type intègre, qui a porté un bon diagnostic dans sa campagne sur le mal du pays. Et il faut que d'une manière ou d'une autre, il joue un rôle majeur dans ce pays. Cela dit, c'est à lui de faire le premier pas. J. Chirac est le président de la République, il a gagné les élections, c'est sur lui que repose l'avenir du pays, en tous les cas pour les cinq ans qui viennent. C'est à François de faire le premier pas."
Et vous redoutez des crispations pour les législatives ?
- "Non. Les choses sont beaucoup plus simples que cela. Il y a des femmes et des hommes de qualité dans les circonscriptions, qui sont à peu près indiscutables et indiscutés en réalité. Il y a toujours des problèmes d'investiture, mais il y en a toujours eu. C'est souvent dans le même camp d'ailleurs - regardez Paris - : pour des phénomènes de génération ou pour des gens qui n'ont pas bien fait leur boulot, d'autres revendiquent de pouvoir se présenter. Ce n'est pas un problème entre appareils politiques. Je ne crois pas du tout qu'il y aura la moindre difficulté entre les amis de F. Bayrou et ceux de J. Chirac."
Le vote du 21 avril - et dans une certaine mesure celui d'hier - a quand même montré qu'il y a une adhésion aux thèses de J.-M. Le Pen, même s'il y a eu une forte mobilisation contre lui. Il est très présent dans votre région. Comment est-ce que vous comptez le combattre ?
- "En résolvant les problèmes. J'ai toujours dit, j'ai eu l'occasion de le dire le soir du premier tour, que les gens en difficulté étaient plus en difficulté aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a cinq ans. La pauvreté s'est aggravée. Je vais vous donner un chiffre : il y a cinq ans, il y avait 400.000 personnes en commission de surendettement ; il y en a près d'1.100.000 aujourd'hui. Autre élément simple, ce qu'on appelle le taux de souffrance individuelle, qui est un taux statistique qui reprend à la fois logement en difficulté, école en difficulté. Il a explosé, alors que le chômage a baissé de manière assez significative. Dans ce pays, j'ai vraiment le sentiment qu'en gros, ceux qui courent très vite ont eu tendance à partir courir ailleurs. Et ceux qui sont à l'autre bout de la chaîne, qui n'allaient pas très bien, vont beaucoup plus mal. Je ne suis pas surpris qu'avec cela, plus la violence plus une société qui a du mal à bâtir un projet collectif, parce que la formation est diffuse, parce que l'offre de consommateurs est très importante, ce soit plus difficile de bâtir un projet commun de la République française ; il y a donc des problèmes de repère [...]. Tout cela fait qu'il y a cette explosion. Vous noterez que c'est toujours dans des zones frontalières. Mais chez nous, c'est clairement la précarité qui est la source du vote du Front."
Comment comptez-vous résoudre les questions des triangulaires ?
- "Ce sont les Français qui vont résoudre ce problème-là. Je ne crois qu'aux dynamiques : dynamiques politiques, dynamiques sociales, dynamiques économiques. [...] Il va y avoir un souffle très fort, je crois qu'il y a une formidable attente, je le dis sans aucune démagogie et sans méthode Coué. Il ne suffira pas de dire qu'il ne faut pas de cohabitation. C'est à la fois une vérité, mais c'est une vérité très insuffisante. La cohabitation est un mauvais système..."
Comment l'éviter ?
- "Tout d'abord, le Président a donné quelques lignes directrices. Et en les mettant en application ou en tous les cas en disant comment on va les mettre en application dans des délais extrêmement brefs. Il y a tout à faire et il faut le faire vite."
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 mai 2002)