Extraits de l'interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à l'émission "C'est arrivé cette semaine" d'Europe 1 le 23 mars 2002, sur l'escalade du conflit au Proche-Orient, son voyage en Afghanistan, le retrait de l'Italie du Salon du Livre.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Avec ce qui s'est passé cette semaine, peut-on continuer de croire à un cessez-le-feu ?
R - Il le faut parce que, lorsque l'on entend ces témoignages poignants, on se dit que la seule chose qui doit nous préoccuper obsessionnellement, c'est d'en sortir. Bien sûr, ils n'ont aucune confiance les uns en les autres. Les Israéliens sont terrorisés par cette insécurité constante et on le comprend. Ces témoignages sont terribles et une majorité d'entre eux croient encore à la force et à la répression comme solution. Je crois qu'une partie d'entre eux s'interroge vraiment. En plus du double jeu de tel ou tel responsable toujours possible, les Palestiniens sont maintenant un bloc de haine et de désespoir, ils n'ont rien à perdre.
Q - Deux attentats sur trois ont été revendiqués par les brigades des martyrs d'Al Aqsa qui sont une émanation du Fatah. Cela ne renforce-t-il pas de manière importante le camp de tous ceux qui pensent, en Israël ou ailleurs qu'Arafat a un double jeu ?
R - C'est toujours possible mais les spécialistes disent qu'à la base ces différentes organisations se mêlent en une masse indistincte de jeunes qui sont comme ce que la personne interrogée décrivait, c'est-à-dire qu'ils n'ont qu'une idée, c'est se venger des souffrances subies et de l'occupation. C'est une distinction d'étiquette un peu formelle.
Q - Négocie-t-on avec quelqu'un que l'on soupçonne de double jeu ?
R - Les Palestiniens ne font aucune confiance aux Israéliens. Ils considèrent qu'à part M. Rabin, personne n'a jamais tenu aucune promesse. A l'inverse, les Israéliens n'ont aucune confiance en Arafat, ils n'avaient pas confiance avant non plus. Ils ne négocient pas parce qu'ils ont confiance les uns en les autres, mais pour en sortir. Il faut, non seulement lutter contre le terrorisme, la violence et l'insécurité, mais chercher un règlement politique. Si tous les Européens recommandent cela, si une partie des Israéliens le dit, si même les Etats-Unis acceptent cette idée, c'est parce qu'il ne s'agit pas de récompenser les uns ou les autres, mais d'emprunter la seule voie qui aidera ces deux peuples à sortir de cet enfer.
Q - Vous pensez donc que, quoiqu'il se passe dans les heures et les jours qui viennent, les Israéliens ne doivent pas, par exemple, pour être concret, empêcher Yasser Arafat de se rendre dans une semaine au Sommet de la Ligue arabe ?
R - Ce serait la suite d'une politique qui a montré son échec. La sécurité des Israéliens n'a jamais été aussi faible, cela ne marche pas et il faut bien négocier avec l'adversaire qui vous combat. Comment fait-on, sinon dans ce type d'affrontement ? Ce qui se passe est une quasi guerre.
Q - Croyez-vous à un réel changement de politique des Etats-Unis au Proche-Orient ?
R - Je souhaite qu'il y ait un réel changement. Je souhaite que le vote américain au Conseil de sécurité le 12 mars dernier sur l'Etat de Palestine traduise un vrai changement qui ne soit pas simplement lié au fait de calmer un peu les partenaires arabes de la région, à propos de l'Iraq.
Q - Vous n'excluez pas que cela soit tactique ?
R - Je pense qu'il y a une part de tactique, naturellement. Si la tactique les amène à un changement utile, tant mieux. Mais j'espère qu'ils n'ont pas simplement à l'idée d'apaiser la tension, par je ne sais quelle initiative à court terme, mais d'aller au-delà, de régler le problème. Il faut régler le problème. Il faut créer un Etat palestinien à côté de l'Etat d'Israël pour qu'Israël puisse vivre en sécurité vraie avec des frontières définitivement garanties et reconnues et avec toute la garantie mondiale possible et imaginable. Il faut avoir le courage de franchir le pas maintenant.
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Q - Pourquoi vous envolez-vous aujourd'hui pour Kaboul ?
R - Je vais à Kaboul, demain dimanche, parce que je souhaite montrer à nos amis afghans que la France est à leurs côtés comme elle l'est depuis la chute des Taleban, qu'on sera à leurs côtés pour reconstruire le pays, pour construire l'Afghanistan nouveau. On souhaite que l'Afghanistan se développe différemment sur beaucoup de plans. On veut les aider, donc, à trouver le meilleur usage de la solidarité internationale, de l'aide internationale par rapport à leurs propres projets. J'aurai avec moi un certain nombre de gens qui se sont passionnés pour des projets concernant les lycées, la santé, la culture, l'agronomie ou le déminage et nous allons les accompagner.
Q - Je ne vous ai pas interrogé sur l'Italie qui se retire du Salon du Livre. Est-ce que ce n'est pas une vraie crise diplomatique que la France à déclenché avec les propos de Catherine Tasca, avec la manifestation à l'ouverture du Salon ?
R - Catherine Tasca a déploré tout à fait cette manifestation et je crois qu'il faut distinguer les choses. Qu'il y ait des débats en Italie sur les options politiques de M. Berlusconi, c'est tout à fait normal, c'est tout à fait légitime. Compte tenu des liens entre les différents pays d'Europe, que l'on débatte les uns des autres, sur les politiques suivies, politiques intérieures, culturelles, économiques, cela fait partie de l'Europe d'aujourd'hui. Il y a un espace politique commun qui est en train d'être bâti, même parfois à travers les polémiques. C'est une forme de progrès. Mais je crois qu'il faut distinguer : il ne faut pas que cela prenne en otage la vie culturelle, les échanges en matière de livre ou de cinéma ou que sais-je ? Les liens entre l'Italie et la France sont tellement anciens, tellement passionnels, tellement amicaux que je crois qu'il ne faut pas les polluer. Et de toute façon ils sont tellement vivaces qu'ils continueront au-delà de ces polémiques. L'amour de la France pour l'Italie est intact et je crois c'est vrai dans l'autre sens.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mars 2002)