Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- Vos rêves sont ce matin dépassés ?
P. Devedjian : "Ce n'est pas une question de rêve. C'est une question de cohérence, par rapport au scrutin présidentiel et j'en suis content."
Et quand on voit la perspective d'une Assemblée et d'une majorité comme vous allez l'avoir, est-ce qu'on est un peu enivré ?
P. Devedjian : "Mais ce serait la pire chose qui puisse nous arrêter, c'est d'être enivrés. Parce que nous avons une grande limite : c'est de répondre aux demandes de l'opinion française, aux demandes des Français, un besoin de changement, de réformes de la société française, de résolution de problèmes lourds, difficiles à résoudre."
Et en même temps, c'est peut-être une impression forte que de voir que le nouveau parti du Président, qui s'appelle encore l'UMP, devient tout seul, maintenant, le premier parti de France.
P. Devedjian : "Cela prouve que c'était une bonne stratégie. Cette stratégie qui consistait à réunifier les trois grandes familles de ce qui était à ce moment-là l'opposition, pour faire un grand môle à droite qui était, en fait, le symétrique de ce qui se passait à gauche et qui conférait un véritable avantage au PS, avait été très contestée. On voit que c'est un succès."
Et vous n'avez besoin de personne à côté de vous ?
P. Devedjian : "Le deuxième tour le dira. Mais c'est probable."
A. Richard, peut-on arrêter vraiment une dynamique de cette ampleur ?
A. Richard : "En tout cas, les choses peuvent beaucoup évoluer entre les deux tours. Cela s'est produit à toutes les élections, cela s'est encore produit, tout le monde l'a vu, à l'élection présidentielle, il y a un mois. Donc, un deuxième tour peut en effet apporter des éléments vraiment nouveau par rapport à un premier tour."
C'est-à-dire : amplifier, nuancer ou rééquilibrer ?
A. Richard : "Il est un peu tôt, me semble-t-il, pour faire des pronostics. En tout cas, je n'en fais pas. La droite autour de l'UMP a gagné des voix par rapport à l'élection présidentielle, à peu près 1,5 million de voix, pendant que le FN en perdait beaucoup, 2,5 millions ; la gauche rassemblée a également gagné 1 million de voix par rapport à l'addition des voix de Jospin, de R. Hue, de Mamère et de madame Taubira. Le Pôle républicain a très fortement perdu et l'extrême gauche aussi. Cela veut dire qu'il y a parmi ceux qui votent, une concentration sur les formations qui présentent des options de gouvernement. Avec un avantage pour la droite qui est d'un peu plus d'1,5 million de voix. Et pendant ce temps, il y a 14 millions d'abstentionnistes, dont beaucoup de gens qui avaient voté au premier et encore qui avaient voté au deuxième tour des élections présidentielles."
A la fois, l'extrême gauche, l'extrême droite...
A. Richard : "Oui, et puis tous ces citoyens qui sont venus voter au deuxième tour des présidentielles pour faire barrage à l'extrême droite, en votant pour J. Chirac, et dont beaucoup ne se sont pas remanifestés hier."
Comment expliquer d'ailleurs que cette mobilisation civique, dont on a tant parlé le 1er Mai par exemple, ait disparu, fondu ?
A. Richard : "Parce qu'elle était sans doute le fait de citoyens, d'électeurs qui sont peu impliqués, peu engagés dans la vie politique et qui ne se sont pas retrouvés tout de suite dans les formations qui leur étaient présentées."
A. Richard, est-ce qu'on a exagéré la menace du FN ?
A. Richard : "Non. Quand le FN faisait 17 % des voix et que B. Mégret en faisait encore 2,5 % d'autres, c'est-à-dire qu'il y avait près de 6 millions d'électeurs qui votaient pour ces formations extrêmes, c'était me semble-t-il logique de considérer que c'était un danger pour notre pays. D'ailleurs, il suffisait de regarder la France depuis n'importe quel pays européen pour se rappeler comment cela pouvait entacher notre pays."
Toutes les mobilisations et les promesses du 1er Mai ont disparu, on l'a vu tout à l'heure. D'ici au deuxième tour, quels seraient les meilleurs atouts ou les meilleurs arguments de la gauche pour sauver des sièges - et aussi l'honneur peut-être ?
A. Richard : "C'est simple : mettre en perspective les cinq années. Dimanche prochain, c'est vraiment le jour où cette fois-ci le pays choisit son orientation politique pour les cinq années qui viennent. Et quand on regarde les problèmes concrets auxquels se heurtent les Français, leurs sujets d'insatisfaction, leur emploi, sa stabilité, la qualité de leurs conditions de travail, leur rémunération, leur retraite pour l'avenir... Quand je dis "leurs conditions de travail", je dis aussi leur durée du travail... Est-ce que la durée du travail qu'ils ont maintenant va être modifiée par une multiplication d'heures supplémentaires, qui donnera sans doute plus de revenus à ceux qui sont dans le travail, mais qui rendra encore plus difficile l'accès au travail aux autres."
Mais apparemment, c'est une demande de ceux qui sont concernés ?
A. Richard : "C'est un vrai arbitrage social. Faire moins d'emplois et plus d'heures supplémentaires, c'est une vraie question pour les politiques. Alors là, il y a vraiment de quoi débattre... Donc, c'est sur toutes ces questions que les Français vont réfléchir, en se disant que pour les cinq années qui viennent, on donne les clés, le pouvoir, à une famille politique. Est-ce qu'on lui donne une majorité très importante, avec un seul groupe qui, en son sein, prendra toutes les décisions ?"
Mais cela vous est déjà arrivé d'avoir un grand groupe, d'avoir toutes les commissions, d'avoir toutes les présidences de l'Assemblée, d'avoir à peu près toutes les institutions...
P. Devedjian : "Pendant dix ans."
A. Richard : "Non, pendant cinq ans..."
P. Devedjian : "De 1981 à 1986 et de 1988 à 1993 !"
A. Richard : "De 1988 à 1993, il y avait une majorité qui était incertaine et pour laquelle il fallait discuter publiquement."
P. Devedjian, avec quels arguments pensez-vous convaincre ? L'UMP, on le voit bien, entend confirmer, peut-être amplifier, le score d'hier, imposer sa majorité, à la fois massive et absolue. Avec quels arguments ?
P. Devedjian : "D'abord, en s'attaquant à la réalité des problèmes. La question de la sécurité, qui n'était pas un fantasme, puisque la France était le seul pays d'Europe - et l'est encore - à avoir eu dans les cinq dernières années une telle croissance de l'insécurité - on s'y attaque. Ce sera long à résoudre, mais on s'y attaque fortement, sans angélisme. La question de l'emploi est une question majeure naturellement. Il ne me semble pas que les 35 heures aient apporté une solution. D'ailleurs, la preuve est que le chômage dans notre pays s'est amélioré beaucoup moins que dans beaucoup de pays européens - nous sommes 7ème pour l'amélioration du chômage depuis cinq ans, au sein de l'Union européenne..."
Vous promettez de faire remonter la place de la France ? Elle sera mieux située maintenant, elle va lutter contre le chômage ? Attention, parce que les promesses, il faut les tenir après !
P. Devedjian : "Nous allons faire en tous les cas une autre politique en matière d'emploi. C'est-à-dire qu'effectivement, nous allons restituer de la liberté et du pouvoir d'achat. Parce que les 35 heures pour les Français, cela s'est aussi payé en un moindre pouvoir d'achat par rapport aux autres pays européens."
P. Devedjian, comment expliquez-vous que Paris ait voté plus qu'ailleurs, que les Parisiens aient donc fait descendre le taux d'abstention et que la gauche parisienne, avec B. Delanoë, ait plutôt bien résisté ?
P. Devedjian : "C'est "l'effet municipales". Il y a toujours une conséquence sur les législatives qui suivent, des succès qui ont lieu aux municipales. Nous nous attendions à cela."
Et en même temps, A. Richard, on voit une sorte de désillusion de tous ceux qui croyaient le mois dernier encore leur heure venue, à droite et à gauche, que ce soit J.-P. Chevènement, A. Madelin - qui d'autres ? Qui sont en ballottage ? -, J. Saint-Josse, B. Mégret éliminés... Pour eux il y a une sorte de démystification ? Comme s'il y avait une sorte de bon sens et de logique des Français...
A. Richard : "Oui. J'ajoute à cela d'ailleurs, qu'il y a tout de même déjà deux problèmes sur lesquels on faisait beaucoup de commentaires politiques, un peu vains, jusqu'à il y a trois jours, qui me paraissent s'être réglés : la multiplicité des candidatures de toutes [ces] micro-organisations qui cherchent leur financement. Dans la plupart des circonscriptions, ces organisations ont obtenu des scores absolument ridicules, c'est-à-dire que les électeurs ont sanctionné en disant : "On voit très bien que vous êtes là pour ramasser votre 1,60 euro par candidat..."
Ils votent pas pour vous quand même... [inaudible]
A. Richard : "Oui, mais c'est microscopique. Et deuxièmement, la question du seuil des 12,5 % : dans plus de 90 % des circonscriptions, il n'y a que deux candidats au deuxième tour. Donc, cela veut dire qu'effectivement, les électeurs, au moment d'une élection législative - et je reconnais que cela fait contraste avec la présidentielle - votent, en très large majorité, pour des candidats qui sont susceptibles de soutenir un gouvernement et donc de travailler sur les problèmes."
P. Devedjian : "Cette fois, c'est la droite, en 1997, ça n'avait pas été le cas."
A. Richard : "Les gens font leur expérience aussi."
Est-ce que vous dites, l'un et l'autre, que, malgré tout, c'est une victoire de la Vème République ?
P. Devedjian : "Moi, je le crois. Cela montre en tout les cas l'adaptabilité de nos institutions, qui peuvent à la fois donner lieu à une cohabitation, parce que les Français la veulent et qu'elle correspond peut-être au moment. Et quand il y a une crise, ces institutions permettent de résister à cette crise et de trouver une solution."
A. Richard : "Pour nous à gauche, il est important que le gouvernement dispose des outils pour agir face à un certain nombre de problèmes. Cette fois-ci, quand je vois le résultat du premier tour, il est infiniment vraisemblable que ces outils seront aux mains de la droite parlementaire. La gauche jouera son rôle d'opposition et elle entend le faire de façon transparente, en parlant des problèmes de façon tout à fait ouverte. Mais je pense que pour l'intérêt du pays, il est préférable d'avoir un gouvernement apte à agir plutôt que paralysé."
Donc, vous, A. Richard, vous parlez ce matin, comme s'il n'y avait aucune chance, non pas seulement d'un rééquilibre mais d'un avantage que la gauche pourrait obtenir ? J'entends d'autres leaders dire le contraire.
A. Richard : "Non, je ne crois pas. Personne chez nous ne pense qu'il peut y avoir plus de députés de gauche que de députés de droite. Par contre, il va y avoir une centaine de circonscriptions où la décision va se prendre à 1 000 ou 2 000 voix près, et suivant qu'il y a une faible minorité pour compenser ou équilibrer la politique qui sera menée par la droite, ou qu'il y a au contraire une majorité, une minorité très significatives qui montrent une perspective, la politique sera très différente."
P. Devedjian, au reproche qui vous est souvent adressé, à vous, collectivement, de préparer "une politique sociale injuste, inégalitaire", que répondez-vous ?
P. Devedjian : "Mais c'est pas vrai, on a déjà démontré le contraire. C'est de la propagande. Regardez, nous avons renoué le dialogue social avec les médecins. Le gouvernement de gauche a été sept mois dans l'impasse. Cela peut vous faire rire, mais vous avez eu sept mois de crise..."
A. Richard : "Les partenaires sociaux pendant ce temps-là ils ont été au balcon quand même..."
P. Devedjian : "Vous avez eu sept mois de crise avec les médecins, nous, en deux semaines, on a réussi à renouer le dialogue avec eux, et en même temps, à les responsabiliser dans la lutte contre le déficit de la Sécurité sociale."
Cela va coûter combien et à qui ?
P. Devedjian : "Nous espérons que grâce aux médecins et grâce à leur responsabilisation, nous allons aussi faire des économies sur la consommation."
A. Richard : "C'est un rendez-vous de pris. Mais sur le dialogue social en général, parlons concret : il est très difficile dans les PME. Nous, nous avons des propositions pour qu'il y ait une véritable concertation sociale dans les PME. On attend celles de la droite. Deuxièmement, nous pensons qu'il faut vérifier la représentativité directement par le vote des salariés, des organisations syndicales. C'est le souhait d'ailleurs des organisations syndicales. La droite ne prend pas d'option dans ce sens-là. Donc, ce que l'on appelle "concertation sociale" du côté de la droite sera, me semble-t-il, taillé sur mesure pour le Medef."
A. Richard, vous avez été pendant cinq ans ministre de la Défense. Le président de la République a confié à votre successeur, M. Alliot-Marie, la mission d'augmenter les crédits militaires, de redonner de l'efficacité à la défense. Une appréciation ?
A. Richard : "Non, je n'ai pas l'intention de m'exprimer sur le ministère dont j'étais en charge. Quant à la capacité de ce Gouvernement de faire des choix budgétaires sur lesquels il a pris des engagements contradictoires, eh bien, ça fait partie des sujets sur lesquels on va le voir rapidement au travail."
P. Devedjian : "On va avoir aussi comme élément de travail, l'audit qui a été demandé sur l'état des finances que les socialistes ont laissé."
[inaudible]
Et vous avez, d'après votre flair, P. Devedjian, quelques indications de ce que ça va être ?
P. Devedjian : "J'ai l'impression qu'on a affaire à de grands déficits."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2002)
P. Devedjian : "Ce n'est pas une question de rêve. C'est une question de cohérence, par rapport au scrutin présidentiel et j'en suis content."
Et quand on voit la perspective d'une Assemblée et d'une majorité comme vous allez l'avoir, est-ce qu'on est un peu enivré ?
P. Devedjian : "Mais ce serait la pire chose qui puisse nous arrêter, c'est d'être enivrés. Parce que nous avons une grande limite : c'est de répondre aux demandes de l'opinion française, aux demandes des Français, un besoin de changement, de réformes de la société française, de résolution de problèmes lourds, difficiles à résoudre."
Et en même temps, c'est peut-être une impression forte que de voir que le nouveau parti du Président, qui s'appelle encore l'UMP, devient tout seul, maintenant, le premier parti de France.
P. Devedjian : "Cela prouve que c'était une bonne stratégie. Cette stratégie qui consistait à réunifier les trois grandes familles de ce qui était à ce moment-là l'opposition, pour faire un grand môle à droite qui était, en fait, le symétrique de ce qui se passait à gauche et qui conférait un véritable avantage au PS, avait été très contestée. On voit que c'est un succès."
Et vous n'avez besoin de personne à côté de vous ?
P. Devedjian : "Le deuxième tour le dira. Mais c'est probable."
A. Richard, peut-on arrêter vraiment une dynamique de cette ampleur ?
A. Richard : "En tout cas, les choses peuvent beaucoup évoluer entre les deux tours. Cela s'est produit à toutes les élections, cela s'est encore produit, tout le monde l'a vu, à l'élection présidentielle, il y a un mois. Donc, un deuxième tour peut en effet apporter des éléments vraiment nouveau par rapport à un premier tour."
C'est-à-dire : amplifier, nuancer ou rééquilibrer ?
A. Richard : "Il est un peu tôt, me semble-t-il, pour faire des pronostics. En tout cas, je n'en fais pas. La droite autour de l'UMP a gagné des voix par rapport à l'élection présidentielle, à peu près 1,5 million de voix, pendant que le FN en perdait beaucoup, 2,5 millions ; la gauche rassemblée a également gagné 1 million de voix par rapport à l'addition des voix de Jospin, de R. Hue, de Mamère et de madame Taubira. Le Pôle républicain a très fortement perdu et l'extrême gauche aussi. Cela veut dire qu'il y a parmi ceux qui votent, une concentration sur les formations qui présentent des options de gouvernement. Avec un avantage pour la droite qui est d'un peu plus d'1,5 million de voix. Et pendant ce temps, il y a 14 millions d'abstentionnistes, dont beaucoup de gens qui avaient voté au premier et encore qui avaient voté au deuxième tour des élections présidentielles."
A la fois, l'extrême gauche, l'extrême droite...
A. Richard : "Oui, et puis tous ces citoyens qui sont venus voter au deuxième tour des présidentielles pour faire barrage à l'extrême droite, en votant pour J. Chirac, et dont beaucoup ne se sont pas remanifestés hier."
Comment expliquer d'ailleurs que cette mobilisation civique, dont on a tant parlé le 1er Mai par exemple, ait disparu, fondu ?
A. Richard : "Parce qu'elle était sans doute le fait de citoyens, d'électeurs qui sont peu impliqués, peu engagés dans la vie politique et qui ne se sont pas retrouvés tout de suite dans les formations qui leur étaient présentées."
A. Richard, est-ce qu'on a exagéré la menace du FN ?
A. Richard : "Non. Quand le FN faisait 17 % des voix et que B. Mégret en faisait encore 2,5 % d'autres, c'est-à-dire qu'il y avait près de 6 millions d'électeurs qui votaient pour ces formations extrêmes, c'était me semble-t-il logique de considérer que c'était un danger pour notre pays. D'ailleurs, il suffisait de regarder la France depuis n'importe quel pays européen pour se rappeler comment cela pouvait entacher notre pays."
Toutes les mobilisations et les promesses du 1er Mai ont disparu, on l'a vu tout à l'heure. D'ici au deuxième tour, quels seraient les meilleurs atouts ou les meilleurs arguments de la gauche pour sauver des sièges - et aussi l'honneur peut-être ?
A. Richard : "C'est simple : mettre en perspective les cinq années. Dimanche prochain, c'est vraiment le jour où cette fois-ci le pays choisit son orientation politique pour les cinq années qui viennent. Et quand on regarde les problèmes concrets auxquels se heurtent les Français, leurs sujets d'insatisfaction, leur emploi, sa stabilité, la qualité de leurs conditions de travail, leur rémunération, leur retraite pour l'avenir... Quand je dis "leurs conditions de travail", je dis aussi leur durée du travail... Est-ce que la durée du travail qu'ils ont maintenant va être modifiée par une multiplication d'heures supplémentaires, qui donnera sans doute plus de revenus à ceux qui sont dans le travail, mais qui rendra encore plus difficile l'accès au travail aux autres."
Mais apparemment, c'est une demande de ceux qui sont concernés ?
A. Richard : "C'est un vrai arbitrage social. Faire moins d'emplois et plus d'heures supplémentaires, c'est une vraie question pour les politiques. Alors là, il y a vraiment de quoi débattre... Donc, c'est sur toutes ces questions que les Français vont réfléchir, en se disant que pour les cinq années qui viennent, on donne les clés, le pouvoir, à une famille politique. Est-ce qu'on lui donne une majorité très importante, avec un seul groupe qui, en son sein, prendra toutes les décisions ?"
Mais cela vous est déjà arrivé d'avoir un grand groupe, d'avoir toutes les commissions, d'avoir toutes les présidences de l'Assemblée, d'avoir à peu près toutes les institutions...
P. Devedjian : "Pendant dix ans."
A. Richard : "Non, pendant cinq ans..."
P. Devedjian : "De 1981 à 1986 et de 1988 à 1993 !"
A. Richard : "De 1988 à 1993, il y avait une majorité qui était incertaine et pour laquelle il fallait discuter publiquement."
P. Devedjian, avec quels arguments pensez-vous convaincre ? L'UMP, on le voit bien, entend confirmer, peut-être amplifier, le score d'hier, imposer sa majorité, à la fois massive et absolue. Avec quels arguments ?
P. Devedjian : "D'abord, en s'attaquant à la réalité des problèmes. La question de la sécurité, qui n'était pas un fantasme, puisque la France était le seul pays d'Europe - et l'est encore - à avoir eu dans les cinq dernières années une telle croissance de l'insécurité - on s'y attaque. Ce sera long à résoudre, mais on s'y attaque fortement, sans angélisme. La question de l'emploi est une question majeure naturellement. Il ne me semble pas que les 35 heures aient apporté une solution. D'ailleurs, la preuve est que le chômage dans notre pays s'est amélioré beaucoup moins que dans beaucoup de pays européens - nous sommes 7ème pour l'amélioration du chômage depuis cinq ans, au sein de l'Union européenne..."
Vous promettez de faire remonter la place de la France ? Elle sera mieux située maintenant, elle va lutter contre le chômage ? Attention, parce que les promesses, il faut les tenir après !
P. Devedjian : "Nous allons faire en tous les cas une autre politique en matière d'emploi. C'est-à-dire qu'effectivement, nous allons restituer de la liberté et du pouvoir d'achat. Parce que les 35 heures pour les Français, cela s'est aussi payé en un moindre pouvoir d'achat par rapport aux autres pays européens."
P. Devedjian, comment expliquez-vous que Paris ait voté plus qu'ailleurs, que les Parisiens aient donc fait descendre le taux d'abstention et que la gauche parisienne, avec B. Delanoë, ait plutôt bien résisté ?
P. Devedjian : "C'est "l'effet municipales". Il y a toujours une conséquence sur les législatives qui suivent, des succès qui ont lieu aux municipales. Nous nous attendions à cela."
Et en même temps, A. Richard, on voit une sorte de désillusion de tous ceux qui croyaient le mois dernier encore leur heure venue, à droite et à gauche, que ce soit J.-P. Chevènement, A. Madelin - qui d'autres ? Qui sont en ballottage ? -, J. Saint-Josse, B. Mégret éliminés... Pour eux il y a une sorte de démystification ? Comme s'il y avait une sorte de bon sens et de logique des Français...
A. Richard : "Oui. J'ajoute à cela d'ailleurs, qu'il y a tout de même déjà deux problèmes sur lesquels on faisait beaucoup de commentaires politiques, un peu vains, jusqu'à il y a trois jours, qui me paraissent s'être réglés : la multiplicité des candidatures de toutes [ces] micro-organisations qui cherchent leur financement. Dans la plupart des circonscriptions, ces organisations ont obtenu des scores absolument ridicules, c'est-à-dire que les électeurs ont sanctionné en disant : "On voit très bien que vous êtes là pour ramasser votre 1,60 euro par candidat..."
Ils votent pas pour vous quand même... [inaudible]
A. Richard : "Oui, mais c'est microscopique. Et deuxièmement, la question du seuil des 12,5 % : dans plus de 90 % des circonscriptions, il n'y a que deux candidats au deuxième tour. Donc, cela veut dire qu'effectivement, les électeurs, au moment d'une élection législative - et je reconnais que cela fait contraste avec la présidentielle - votent, en très large majorité, pour des candidats qui sont susceptibles de soutenir un gouvernement et donc de travailler sur les problèmes."
P. Devedjian : "Cette fois, c'est la droite, en 1997, ça n'avait pas été le cas."
A. Richard : "Les gens font leur expérience aussi."
Est-ce que vous dites, l'un et l'autre, que, malgré tout, c'est une victoire de la Vème République ?
P. Devedjian : "Moi, je le crois. Cela montre en tout les cas l'adaptabilité de nos institutions, qui peuvent à la fois donner lieu à une cohabitation, parce que les Français la veulent et qu'elle correspond peut-être au moment. Et quand il y a une crise, ces institutions permettent de résister à cette crise et de trouver une solution."
A. Richard : "Pour nous à gauche, il est important que le gouvernement dispose des outils pour agir face à un certain nombre de problèmes. Cette fois-ci, quand je vois le résultat du premier tour, il est infiniment vraisemblable que ces outils seront aux mains de la droite parlementaire. La gauche jouera son rôle d'opposition et elle entend le faire de façon transparente, en parlant des problèmes de façon tout à fait ouverte. Mais je pense que pour l'intérêt du pays, il est préférable d'avoir un gouvernement apte à agir plutôt que paralysé."
Donc, vous, A. Richard, vous parlez ce matin, comme s'il n'y avait aucune chance, non pas seulement d'un rééquilibre mais d'un avantage que la gauche pourrait obtenir ? J'entends d'autres leaders dire le contraire.
A. Richard : "Non, je ne crois pas. Personne chez nous ne pense qu'il peut y avoir plus de députés de gauche que de députés de droite. Par contre, il va y avoir une centaine de circonscriptions où la décision va se prendre à 1 000 ou 2 000 voix près, et suivant qu'il y a une faible minorité pour compenser ou équilibrer la politique qui sera menée par la droite, ou qu'il y a au contraire une majorité, une minorité très significatives qui montrent une perspective, la politique sera très différente."
P. Devedjian, au reproche qui vous est souvent adressé, à vous, collectivement, de préparer "une politique sociale injuste, inégalitaire", que répondez-vous ?
P. Devedjian : "Mais c'est pas vrai, on a déjà démontré le contraire. C'est de la propagande. Regardez, nous avons renoué le dialogue social avec les médecins. Le gouvernement de gauche a été sept mois dans l'impasse. Cela peut vous faire rire, mais vous avez eu sept mois de crise..."
A. Richard : "Les partenaires sociaux pendant ce temps-là ils ont été au balcon quand même..."
P. Devedjian : "Vous avez eu sept mois de crise avec les médecins, nous, en deux semaines, on a réussi à renouer le dialogue avec eux, et en même temps, à les responsabiliser dans la lutte contre le déficit de la Sécurité sociale."
Cela va coûter combien et à qui ?
P. Devedjian : "Nous espérons que grâce aux médecins et grâce à leur responsabilisation, nous allons aussi faire des économies sur la consommation."
A. Richard : "C'est un rendez-vous de pris. Mais sur le dialogue social en général, parlons concret : il est très difficile dans les PME. Nous, nous avons des propositions pour qu'il y ait une véritable concertation sociale dans les PME. On attend celles de la droite. Deuxièmement, nous pensons qu'il faut vérifier la représentativité directement par le vote des salariés, des organisations syndicales. C'est le souhait d'ailleurs des organisations syndicales. La droite ne prend pas d'option dans ce sens-là. Donc, ce que l'on appelle "concertation sociale" du côté de la droite sera, me semble-t-il, taillé sur mesure pour le Medef."
A. Richard, vous avez été pendant cinq ans ministre de la Défense. Le président de la République a confié à votre successeur, M. Alliot-Marie, la mission d'augmenter les crédits militaires, de redonner de l'efficacité à la défense. Une appréciation ?
A. Richard : "Non, je n'ai pas l'intention de m'exprimer sur le ministère dont j'étais en charge. Quant à la capacité de ce Gouvernement de faire des choix budgétaires sur lesquels il a pris des engagements contradictoires, eh bien, ça fait partie des sujets sur lesquels on va le voir rapidement au travail."
P. Devedjian : "On va avoir aussi comme élément de travail, l'audit qui a été demandé sur l'état des finances que les socialistes ont laissé."
[inaudible]
Et vous avez, d'après votre flair, P. Devedjian, quelques indications de ce que ça va être ?
P. Devedjian : "J'ai l'impression qu'on a affaire à de grands déficits."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2002)