Interview de M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale, à LCI le 3 avril 2002, sur la campagne vers les jeunes pour l'élection présidentielle de 2002, notamment le rappel des principes de tolérance, d'égalité et de fraternité et inciter les jeunes à aller voter.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser Vous avez entrepris un "tour de France de la jeunesse", pour inciter les jeunes à aller voter - pour L. Jospin, je suppose. Mais est-ce que ce tour de France ne va pas plutôt se transformer en "tour de France pour la tolérance", quand on voit tout ce qui se passe. Vous avez écrit aux chefs d'établissements pour leur demander de "rappeler aux jeunes les principes de tolérance, d'égalité et de fraternité" ?
- "Oui, en effet, c'est un message que je vais propager, de ville en ville, tout au long de ces trois semaines. C'est un message qui rencontre auprès de la jeunesse un excellent écho. Car, en dehors d'une poignée de jeunes qui peuvent, parfois, être en rébellion, l'immense majorité des jeunes de France partagent ces valeurs de fraternité, d'ouverture et de tolérance."
Ce n'est pourtant pas le sentiment que l'on a...
- "Justement, il y en a un peu assez - je dois le dire - de montrer du doigt en permanence la jeunesse de ce pays. Oui, il y a quelques voyous qui méritent d'être arrêtés - et souvent ils le sont -, sanctionnés sévèrement. Mais, par ailleurs, je le répète, 90 % à 95 % des jeunes de ce pays travaillent, étudient, sont respectueux les uns et les autres. Je vous dis très franchement qu'il y en a ras-le-bol de certains de ces médias qui, en permanence, donnent à penser que les jeunes de ce pays seraient des jeunes délinquants ou intolérants."
Les médias dont vous parlez sont alertés par les professeurs !
- "Il arrive que des incidents se produisent. Moi-même, j'ai mené toute une action pour que toute forme d'incivilité ou d'agressivité soit mis hors la loi. D'ailleurs, récemment - les chiffres le montrent -, nous avons réussi à faire baisser considérablement le nombre d'incidents et, en particulier, dans la région parisienne. Je souhaite, encore une fois, à travers ce tour de France que j'entreprends, mettre en valeur la jeunesse qui travaille, la jeunesse qui espère, la jeunesse qui étudie, la jeunesse qui veut un vrai changement dans ce pays pour que nous puissions ouvrir un peu plus grande encore les portes de l'espoir."
La lettre que vous avez adressée aux chefs d'établissement est une lettre de pure forme ou est-ce que vous avez incité à entreprendre une action précise pour combattre ce qui se passe actuellement ? C'est quand même un peu alarmant, la recrudescence des actes antisémites que l'on a vus ?
- "C'est plus qu'alarmant c'est intolérable et inacceptable. Cela ne veut pas dire que ces actes d'ailleurs proviennent d'élèves de nos classes."
Vous avez quand même éprouvé le besoin d'alerter les chefs d'établissements...
- "Oui, parce que je crois que c'est essentiel. Je l'ai fait après le 11 septembre et, dans l'ensemble, je crois que les professeurs ont accompli remarquablement leur mission d'information et d'explication : ils ont fait appel à la raison contre l'émotion, contre les passions et contre le fanatisme. Je crois important qu'en ce moment même, les professeurs puissent expliquer aux élèves que certains dévoiements du fanatisme et de la religion ont abouti dans l'histoire aux pires horreurs, aux pires destructions, aux pires salissures. Ces leçons de l'histoire doivent être méditées, aujourd'hui, pour construire une société de respect et de tolérance mutuelle."
Est-ce que, par delà la lettre que vous avez adressée aux chefs d'établissements, vous allez prendre une autre initiative, je dirais plus précise dans le temps ? Leur demandez de faire un cours précis, un jour précis ?
- "Les cours existent, les heures existent et je crois que les professeurs savent parfaitement lorsque les événements de ce genre se produisent et surtout si je les invite à le faire avec insistance, à expliquer aux élèves ce que cela veut dire le fanatisme, le racisme, l'exclusion et toutes les conséquences abominables que cela peut représenter pour un pays comme le nôtre. Mais, en même temps, je suis confiant : je sais que dans ce pays il y a d'immenses réserves de générosité, d'ouverture et de fraternité."
Est-ce que ce climat pèse sur la campagne électorale, d'après vous ?
- "Certains peut-être chercheront à utiliser ces événements pour tenter d'infléchir le vote des Français. Je regrette que parfois il y ait des formes de récupération qui détournent les Français de l'essentiel. Car qu'est-ce que l'essentiel ? C'est quel Président pour quelle France ? Quel Président ? Je crois que pour des questions de respiration déjà notre pays a besoin d'un nouveau Président. Notre pays a besoin d'un Président dont l'intégrité soit incontestable. Notre pays a besoin aussi d'un Président qui tienne parole, qui respecte ses engagements. L. Jospin est un homme de cette envergure et de cette stature morale. Pour quelle France ? Pour moi, les choses sont très simples. Pour accomplir deux missions : faire de ce pays un pays de l'égalité des chances et de la justice sociale et faire de ce pays un pays de création et d'innovation pour lui permettre d'apporter, à la fois un haut niveau d'éducation et de qualification, et un développement économique durable."
Pour la première mission que vous évoquez, la France n'est plus le pays de l'égalité des chances ?
- "Si, nous avons beaucoup progressé, mais c'est une oeuvre qu'il faut mener sans cesse avec acharnement, entêtement. Lutter contre les inégalités est un combat, je dirais, permanent."
Et que J. Chirac ne mène pas ?
- "J. Chirac depuis son élection, sauf pendant deux années, n'a pas été en état d'agir. Lorsqu'il a été en responsabilités pendant deux ans, ce fut la politique Juppé, c'est-à-dire une politique de matraquage fiscal contre les plus pauvres, une politique d'augmentation du chômage, une politique d'accroissement des inégalités, une politique de restriction à l'égard de l'éducation - puisqu'on a supprimé à ce moment-là 5.000 postes."
Lui aussi déplore le manque d'innovations et de dynamisme ?
- "Dans ce pays ? Mais ce pays regorge de facultés, d'imagination et de créations industrielles, technologiques, scientifiques ! Je crois que ce que nous avons engagé, à créer une dynamique en France : une dynamique de l'éducation, une dynamique de la culture, de la recherche. L'ambition de L. Jospin est précisément à la fois de prolonger et d'amplifier cette dynamique d'innovation et de modernisation."
Chaque ministre prêche la bonne parole dans son coin ? On a finalement le sentiment qu'il font un peu tapisserie dans le cadre de la campagne de L. Jospin ?
- "Je crois qu'au travers le pays, beaucoup d'entre nous seront très présents. Une campagne ce n'est pas seulement l'apparition à la télévision - je vous remercie d'inviter les uns et les autres -, c'est aussi une présence sur le terrain. Moi-même, je vais aller dans une vingtaine de villes avant le premier tour et naturellement je continuerai à me battre entre les deux tours. Parce que je crois que la chance pour notre pays de pouvoir entrer de plein pied dans un siècle nouveau, c'est d'avoir à sa tête un Président respecté, décidé à faire de notre pays un pays de la justice sociale et de l'imagination."
Est-ce que vous allez redevenir député aux prochaines législatives ?
- "C'est secondaire. Pour l'instant, j'accomplis mon métier de ministre de l'Education nationale. Jeudi, je présenterai un plan pour l'enseignement supérieur. Je travaille surtout à l'élection, à la victoire de L. Jospin. Le reste ira par surcroît."
Caen, Blois : on ne sait pas ?
- "On verra le moment venu. C'est, je le répète, une question secondaire. L'important est d'accomplir pleinement son mandat de ministre et de redonner pleinement confiance jusqu'au bout aux maîtres et aux élèves. C'est surtout maintenant de faire gagner L. Jospin. Et, sur ce plan, je suis assez optimiste."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 avril 2002)