Texte intégral
J.-M. Four - Il se veut l'homme de la relève. C'est en tout cas ce que proclament ses affiches. Mais il est longtemps resté au plancher dans les intentions de vote du côté de 3 ou 4%. Ces dernières semaines, les instituts de sondage ont décelé un frémissement en sa faveur : 5 ou 6%.
Quelques mots sur ses manifestations qu'évoquait D. Bromberger. L. Jospin, hier soir, dénonçait les risques de dérapages communautaristes des deux côtés. Et vous ?
- "Je pense qu'il faut, aujourd'hui, noter la très grande inquiétude des juifs de France. Cette inquiétude est, pour moi, insupportable. Pour la première fois depuis 50 ans, D. Bromberger le disait à l'instant, revient un sentiment de peur. Cette peur-là, pour des Français, pour des citoyens français, pour la République française est insupportable. L'idée que des Français puissent se sentir, de nouveau inquiétés chez nous, sur notre sol, sur le sol de leur pays, par des actes antisémites, des attaques de synagogues, d'écoles ou d'associations, pour nous, Français, c'est insupportable."
Il faut évidemment dénoncer ces actes antijuifs, mais une fois qu'on les a dénoncés, que fait-on ?
- "Il faut dénoncer et protéger. Ces hommes et ces femmes ont droit à la protection de l'Etat. Il faut s'exprimer. Je trouve que les autorités françaises s'expriment peu sur ce sujet. En réalité, cette vague d'actes agressifs est montée depuis 18 mois déjà. De très nombreux feux oranges ont été allumés. On a, à plusieurs reprises, donné l'alerte sur ce sujet. A la différence de 1990, D. Bromberger le rappelait à l'instant, à Carpentras où toute la société française s'était réunie, de toute origine, de toute identité pour dire : "Nous n'acceptons pas cela en France". Je trouve que cela aurait été le moment que le président de la République ou le Premier ministre s'expriment solennellement. C'est la mission du président de la République de s'exprimer solennellement, au nom du peuple français pour dire, : "Nous n'accepterons pas cela, nous ne l'accepterons pas contre les juifs, comme nous ne l'aurions pas accepté contre les musulmans ou contre d'autres identités et religions en France"."
Ce matin, dans une tribune publiée par Libération, J.-P. Chevènement dit également que la France ne parle pas d'une voie assez forte au Proche-Orient. C'est aussi votre point de vue ?
- "La France ne parle pas d'une voie assez forte et surtout la France ne fait rien pour que l'Europe puisse s'exprimer. Imaginez que l'on ait une voix de la France, une voix de l'Angleterre, de l'Allemagne, de l'Espagne qui disent des choses différentes au Proche-Orient, comme c'est le cas depuis des mois, cela veut dire qu'on organise l'inaudibilité, le silence et en vérité, l'impuissance européenne. La seule entité qui puisse être valablement écoutée le jour où elle existera, c'est l'entité européenne. C'est l'Union européenne qui seule peut se faire entendre, parce que ses liens, de toute nature - historique, économique - avec le Proche-Orient sont tels que sa voix peut être entendue. C'est d'autant plus urgent qu'on le voit bien : les Etats-Unis, seuls, pour l'instant, sont impuissants à faire changer la situation au Proche-Orient. On a besoin d'intervenants extérieurs qui aident et qui forcent, s'il le faut, à ce que la paix règne enfin, ou en tout cas, la tranquillité qui permet de construire la paix."
Revenons à la campagne. Nous évoquions, tout à l'heure, ce frémissement de 3 à 5 % parfois 6 % dans certaines enquêtes d'instituts de sondage. A quoi ce frémissement peut-il être utile autrement dit ? Qu'est-ce que cela change 3 ou 6 %, au soir du premier tour, dans 13 jours ?
- "D'abord, le 21 avril, les résultats ne seront pas ce que les sondages disent. Je vous le garantie. Je ne parle pas évidemment que pour moi. Je parle pour tous les candidats. Vous savez pourquoi ? Les Français veulent rester les patrons du jeu. Si les Français se contentent de voter comme ce que les sondages annoncent qu'ils vont le faire, à l'avenir, on écoutera évidemment d'avantage que les votes. On a besoin, lorsqu'on est un citoyen, de montrer que rien n'est fait avant qu'on ait exprimé son vote dans les urnes. C'est pourquoi les Français, avec leurs bulletins de vote, préparent une surprise. On voit bien - à mon avis - ce que cette surprise va être. Les deux sortants, avec les moyens considérables qui sont les leurs - moyens de l'Etat pendant longtemps, moyens de grosses machines ensuite -, dont on voudrait nous faire croire qu'ils sont le choix obligatoire, sont en train de décrocher l'un après l'autre. Depuis des semaines et des semaines, leur poids ou leur vote baissent."
C'est plus vrai ces derniers jours de L. Jospin que de J. Chirac...
- "C'est vrai, mais cela a été vrai de J. Chirac il y a quelques temps. Les enquêtes de ces jours-ci les donnent tous les deux à 20 ou en dessous de 20%"
Une autre enquête a dû vous intéresser ce week-end, c'est cette enquête sur le nombre d'indécis publiée dans Le Monde: 43% d'indécis. C'est énorme !
- "On peut dire pour simplifier que la moitié des Français n'a pas arrêté son vote et que l'autre moitié peut encore changer de vote ! Cela fait les trois quart des Français qui, pour l'instant, sont devant cette campagne comme des spectateurs désabusés. Cela signifie qu'ils ont envie et besoin de changement. Il faut prendre en compte ce besoin et cette envie de changement. Si le changement, comme je le crois, est à l'ordre du jour - changement du pouvoir, changement de la manière de faire, changement des ambitions pour que la France et l'Europe parlent haut et fort dans le monde - alors, le tour décisif est le 21 avril évidemment."
A ces indécis, qu'avez-vous envie de dire ? Il y en a forcément, c'est statistique, qui sont en train de nous écouter en ce moment ! Que leur dites-vous ?
- "Je leur dis : changez les choses. Retroussons-nous les manches. On voit bien la situation que l'on a héritée de 20 années de pouvoir alterné du RPR et du PS en France. On voit bien qu'il y a des tas de choses bloquées, que cette société est en effet en train d'exploser chacun dans son coin, avec ses amis et cette communauté indifférents à ce qui se passe pour l'intérêt général. Il faut changer les choses. C'est notre affaire. On ne va pas continuer à regarder en spectateur un pays formidable et qui ne réussit pas à assumer ses chances. C'est notre affaire. Avec nos manches retroussées, avec notre volonté, avec notre envie de changer les choses, on s'y met et on va y arriver. C'est très simple à faire. Il suffit de ne pas avoir peur et de considérer que, désormais, la porte est ouverte. Comme je le dis, c'est le printemps."
Quelle est l'idée symbole de votre programme ?
- "D'abord, on ne peut que résumer un programme à une idée. Mais s'il y avait une idée, ce serait que la France a besoin d'un changement profond non pas seulement des gouvernants, mais de la manière dont on gouverne. Je veux dire que le pouvoir est lointain, il n'entend pas les Français, n'a pas de grandes ambitions. Il faut, à la fois, un pouvoir proche pour tout ce qui concerne la vie de tous les jours, il faut des rendez-vous précis avec les Français pour que les promesses ou les engagements soient enfin respectés et il faut un grand horizon qui est forcément l'horizon européen. On voit, aujourd'hui, dans le drame du Proche-Orient, à quel point un pays qui reste solitaire est désarmé et inaudible. Nous, nous voulons un grand horizon pour que les intérêts français soient défendus et que les valeurs françaises se fassent entendre."
En quelques mots, si vous étiez élu président, le 5 mai prochain, quelle est la première mesure symbolique que vous prendriez, dans les "100 jours" comme on dit ?
- "On ne peut pas en prendre qu'une seule. Parce que celui qui ne prendrait qu'une mesure et qui ne prendrait qu'une décision ne serait pas à la hauteur. Pour l'emploi, je créerai des emplois que j'appelle des "emplois francs", c'est-à-dire nouveaux, à raison de deux par entreprises à 10 % de charges pendant 5 ans. Je prendrai une décision sur l'éducation, afin qu'il n'y ait plus d'enfants qui entrent en sixième sans savoir lire ; et donc qu'on construise les classes de rattrapage nécessaires pour ceux qui ne sauraient pas. Je prendrai une mesure sur la sécurité - la seule qu'on puisse prendre et réaliser dans un calendrier donné - : nous devons reconquérir ce qu'on appelle les "zones de non-droit", les quartiers où la police ne peut pas entrer. Entrer avec les représentants de l'autorité publique, c'est la responsabilité de l'Etat. Trois mesures qui sont symboliques de ce qu'on peut réellement et concrètement changer les choses en France. Au lieu de rester dans les mots, on entre dans une réalité palpable pour tous les citoyens français : une dans le domaine de l'emploi, une dans le domaine de l'éducation et une dans le domaine de la sécurité."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 avril 2002)